Le Départ
Quand Caroline revint de l'école, son papa, de retour de Salt Lake City, la prit par la main et l'emmena dans la forêt.
-Viens, ma chérie, allons faire une promenade. Montons jusqu'au point de vue. Je voudrais te parler.
Notre amie, étonnée, mais surtout un peu inquiète, partit avec son père dans la colline, derrière leur maison.
Après une longue marche sous les sapins, ils arrivèrent à cet endroit de rochers noirs et escarpés d'où l'on découvre toute la région. Papa s'adossa à un arbre et sa fille s'assit à côté de lui.
-Ma chérie, j'ai une bonne et une mauvaise nouvelle. Je t'explique. Je viens d'en parler à maman. La route qui passe devant chez nous, devant notre futur hôtel, ne deviendra jamais une voie importante. La highway traversera l'autre vallée, à quinze kilomètres d'ici. Cela signifie et tu le comprends, Caroline, que nous n'aurons jamais la possibilité de tenir un véritable hôtel là où nous sommes installés. Voilà la mauvaise nouvelle.
Notre amie tourna doucement son visage et regarda son père. Il paraissait très ému. Touchée, elle sentit ses larmes couler sur ses joues.
-Je ne veux pas vivre plus longtemps ici dans la misère, ma chérie. Je viens de recevoir une confirmation en réponse à une lettre que j'avais écrite suite aux annonces dans des journaux. On m'engage pour diriger un hôtel en Caroline du Sud, au bord de l'Atlantique. Et maman y travaillera comme secrétaire. On vivra bien mieux là-bas. Nous ne manquerons de rien. Ça, c'est la bonne nouvelle.
Le cœur de Caroline se mit à battre trop vite.
-Nous devrons tout quitter, reprit papa, abandonner la maison, dire adieu à la région et partir dans l'Est, à 3000 kilomètres d'ici. Parcourir notre grand pays presque d'un océan à l'autre.
La jeune fille ne répondit rien. Stupéfaite, muette d'émotion, elle essayait d'évaluer la situation comme elle pouvait.
-Nous partirons mardi matin pour ce grand voyage, précisa son père. Nous traverserons les États-Unis. Nous arriverons là-bas en fin de semaine. Je vais en parler à tes petits frères, mais je voulais que tu le saches la première.
Caroline pleurait à présent. Certes, elle était contente pour ses parents, mais elle allait quitter le monde de son enfance. Elle n'allait plus voir les rochers et les forêts, la nature qui l'entourait. Oui, ils vivraient beaucoup mieux là-bas. Elle ne devrait plus marcher des heures pour aller à l'école, mais il fallait laisser là ses amis, ses copines et surtout Rivière d'Étoiles.
En revenant à la maison, elle sécha ses larmes et demanda la permission d'inviter son amie pour tout le week-end. Elle voulait partir avec elle dans la montagne, jusqu'au dimanche soir. Les parents acceptèrent.
Les deux filles se retrouvèrent donc chez Caroline le samedi matin. Elles préparèrent leurs provisions pour deux jours, un peu de nourriture, une gourde pleine d'eau, et se mirent en route rapidement. Elles envisageaient de se rendre dans un village fantôme, un ghost town, celui de Desert Inn.
Elles chargèrent leurs sacs à dos et elles s'en allèrent par les sentiers.
D'abord, elles suivirent la route en terre qui mène en sous-bois vers le désert. Puis, elles empruntèrent la longue piste qui descend vers les terres désolées. Enfin, elles parvinrent sur un plateau où le vent soufflait assez fort, levant des tourbillons de poussière et de sable.
La nuit allait bientôt tomber. Elles marchaient presque sans se parler. Leur peine était trop grande. Elles aperçurent quelques maisons en ruine : celles du village d'autrefois.
Les vestiges de ce ghost town, ce village fantôme, apparurent sinistres, empreints de désolation. Des bâtiments en bois se dressaient encore, çà et là. Des volets claquaient au vent, des planches grinçaient. On croyait à chaque instant entendre hurler des loups ou d'autres bêtes, mais ce n'était que le bois non entretenu qui gémissait sous la bise.
Et puis, il fallait se montrer prudent. Ces endroits servent souvent de repère à des voleurs recherchés par la police.
Ici, à gauche, le projet d'une église. Trois murs dressés. Le quatrième était écroulé et envahi d'herbes à picots.
Un peu plus haut se trouvait la maison du shérif avec la prison juste à côté. Les deux amies y allèrent et y jouèrent un moment. Rivière d'Étoiles s'assit derrière le bureau et son amie se tint debout devant elle, près de la longue table. Elles firent semblant de fumer un gros cigare.
-Caroline, je vous accuse de quitter cette région que vous aimez. Je veux savoir pourquoi. En plus, je vous accuse d'abandonner vos amis…
Face à elle, la jeune fille fondit en larmes. Rivière d'Étoiles se leva et vint près de son amie. Elle passa ses mains sur ses épaules.
-Ne pleure pas. Je ne voulais pas te faire de peine. Une belle vie t'attend là-bas. Tu vivras au bord de la mer, ce sera génial. Et tu ne devras pas marcher trois quarts d'heure dans une région sauvage pour aller à l'école tous les matins.
-Et toi, Rivière d'Étoiles, que deviendras-tu?
-Moi, répondit la copine, je ferai le chemin avec mes petites sœurs.
-Tu auras peur?
-Non, mais malgré leur présence, je me sentirai terriblement seule. Je crois que je vais t'enfermer dans la prison, Caroline, comme cela tu ne pourras pas partir…
Les deux amies pleuraient à présent dans les bras l'une de l'autre. Elles essuyèrent leurs larmes.
Elles passèrent devant l'établissement des bains. Elles entrèrent et virent une grande baignoire. Vide hélas. Dommage, un bon bain aurait été rafraîchissant après cette journée de marche sous le soleil du désert.
Ensuite, elles visitèrent la maison du croque-mort, lieu sinistre à souhait. Un des cercueils traînait sur une table, rempli de toiles d'araignées.
Enfin, elles arrivèrent au saloon. Elles passèrent les deux portes qui se rabattaient sur elles-mêmes en va-et-vient. Des tables étaient dressées avec leurs chaises autour. Cela sentait un peu le renfermé et la poussière. Elles montèrent l'escalier qui menait à l'étage et passèrent dans le couloir. Elles fouillèrent les quatre chambres vides. L'une d'entre elles leur convenait. Elles y déroulèrent les couvertures dans lesquelles elles dormiraient tantôt.
Elles se rendirent jusqu'au petit bâtiment de l'école. La lune venait de se lever. Les étoiles apparaissaient les unes après les autres dans le ciel. II faisait un peu plus froid. Caroline et Rivière d'Étoiles revinrent vers le saloon. Elles bavardèrent un long moment.
À certains moments, elles évoquaient les projets qu'elles ne pourraient réaliser. À d'autres, elles parlaient de leurs souvenirs. Souvent, elles se taisaient car ces propos les faisaient trop pleurer. Les grandes amies allaient se séparer. Elles ne se verraient plus pendant longtemps, peut-être jamais.
Elles finirent par s'endormir dans la chambre qu'elles avaient choisie au premier étage du saloon. Dehors, on entendait le vent siffler entre les planches. Un coyote hurla au loin dans la nuit.
Elles s'éveillèrent en sursaut. Elles percevaient des voix. Ces voix venaient d'en bas. Elles se mirent rapidement à quatre pattes puis debout. Elles restèrent pieds nus. Elles ouvrirent lentement la porte et se glissèrent dans le couloir sombre. Elles parvinrent tout en haut de la rampe d'escalier. Discrètes, silencieuses, muettes, elles observèrent la grande salle du bas.
Deux hommes dont la voix contenait des traces d’accent espagnol, se tenaient immobiles dans la lueur de la lune. Ils menaçaient un prisonnier auquel ils avaient lié les mains. À genoux, tête baissée, il regardait vers le plancher.
-Tu peux crier aussi fort que tu veux, Henry. Personne ne t'entendra. Tu es dans un village fantôme. Personne ne viendra à ton secours, car plus personne n'habite ici.
-De toute façon, ajouta l'autre, si quelqu'un arrive, nous l'abattrons sans hésiter.
Les deux filles tremblaient de peur, en entendant cela. Elles se serraient l'une contre l'autre. Elles n'osaient plus bouger, figées là, tout en haut de l'escalier.
-Alors, Henry, où se trouvent les sacs d'or? lança le premier voleur.
-Je ne peux pas vous le dire. Je ne sais pas où sont les sacs d'or, avoua Henry. Laissez-moi vous raconter, vous allez comprendre.
-Ton histoire ne nous intéresse pas. Nous voulons ton or.
-Écoutez mes explications, supplia le prisonnier.
Henry raconta.
-Enfant, j'avais un ami, un vrai ami. Il s'appelait Joe. Le père de Joe découvrit une mine d'or à la frontière du Mexique. Hélas, il mourut jeune, il n'eut guère le temps d'exploiter son filon. Il en confia le secret à son fils, mon ami. Quelques années plus tard, Joe, devenu un homme, décida de creuser cette mine et d'en tirer un maximum de profit.
"Il me proposa de l'aider. On partageait tout, lui et moi. Nous avons travaillé dur, poursuivit le prisonnier. Au bout de deux ans, nous avions accumulé deux grands sacs d'or".
Les deux amis avaient alors décidédé de voyager à travers les États-Unis et le Mexique afin de repérer l'endroit où l'un comme l'autre espérait s'installer.
-Voyager avec ce trésor nous paraissait dangereux, continua Henry. Nous risquions de devenir la cible des desperados et de nous le faire voler. On a donc caché l'or ici, à Desert Inn.
"Joe voulait acheter un ranch. Élever des chevaux. Moi, je rêvais de tenir un hôtel dans une petite ville agréable de l'Ouest. Nous parcourûmes le pays dans tous les sens.
Les deux hommes écoutaient en silence tout en pointant leurs armes sur le malheureux prisonnier.
-Mon ami et moi, on se faisait confiance. Entièrement confiance. On a caché les sacs d'or ici, dans la petite école. Joe seul connaît l'emplacement. Moi, je ne sais pas vous dire où se trouve la cachette dans l'école. Seul mon copain pourrait vous le préciser. Joe, plus vite angoissé et plus inquiet que moi, emporta la clé et le secret de la cachette sans me le décrire, à Moab où nous projetions de nous installer. Avec mon accord. Voilà pourquoi je ne peux pas vous en dire plus.
Henry se tut. Les deux bandits se regardèrent. L'un d'entre eux intervint.
-Ainsi, tu prétends que les sacs d'or se trouvent dans l'école du village.
-Oui, mais je ne connais pas l'endroit exact.
-Il n'y pas d'école à Desert Inn, aboya-t-il. Et je n'aime pas les menteurs.
Il abattit Henry d'une balle dans la tête.
Caroline et Rivière d'Étoiles entendirent la détonation. Elles tremblaient, terrifiées à présent, certaines qu'elles allaient mourir aussi. Pourquoi cet homme avait-il abattu son prisonnier, alors qu'une école se trouvait à quelques pas d'ici? L'autre bandit se tourna vers son comparse.
-Mais il y a une école à Desert Inn, juste un peu plus haut…
-Je le sais bien, figure-toi, mais, comme cela, il ne parlera plus. Et maintenant allons à Moab y chercher Joe. Nous l'amènerons ici et nous l'interrogerons. Je te promets qu'il va nous révéler l'endroit précis où se trouvent les deux sacs d'or.
-Moab, fit remarquer le deuxième homme. Il nous faudra deux heures pour aller jusque-là.
-Oui, deux heures aller plus deux heures retour, cela n'en fait jamais que quatre. Nous serons ici avant le lever du soleil. Partons.
Les deux hommes quittèrent le saloon. Caroline et Rivière d'Étoiles entendirent peu après le bruit d'un véhicule tout-terrain qui s'éloignait par la piste. Les deux courageuses filles, très impressionnées, se taisaient. Elles écoutaient le silence, à présent.
Elles descendirent lentement l'escalier après avoir mis leurs chaussures. Elles passèrent près de la flaque de sang et virent le corps de Henry. Elles ne pouvaient rien faire pour lui. Il était mort et bien mort, hélas. Mais elles voulaient tâcher de sauver la vie de Joe.
Alors, courageuses, elles décidèrent de filer à Blanding au milieu de la nuit, malgré les risques de se tromper de sentier dans l'obscurité ou de tomber ou glisser dans quelque crevasse ou précipice.
Elles quittèrent le village fantôme de Desert Inn et suivirent la piste qui menait vers la forêt. Puis, elles grimpèrent dans les rochers, sous la lune, et sans plus se fier à aucun repère. Il fallait aller vite. Elles parvinrent bientôt sur les hauteurs d'où elles aperçurent, au loin, les lumières de la petite ville.
Ni la peur des bêtes qui errent dans la nuit, ni la crainte de croiser à nouveau les deux hommes, ni la fatigue, ni le risque de se perdre, rien ne les arrêtait. Elles contournèrent les eaux du barrage du réservoir et traversèrent un dernier petit bois.
Arrivées à Blanding, elles furent immédiatement reçues au poste de police. Elles racontèrent en détails au shérif ce qu'elles avaient vu et entendu. Aussitôt, il donna l'ordre à ses hommes de se mettre en route et accompagna les deux filles jusqu'au village de Desert Inn. Plus de trois heures s'étaient écoulées depuis le départ des bandits.
Les deux bandits ne semblaient pas encore revenus. Les hommes du shérif dissimulèrent leurs véhicules, puis parcoururent rapidement l'allée centrale du village. Ils ne voulaient laisser aucun signe de leur présence. Le corps de Henry gisait encore, sans vie, sur le sol du saloon.
Le shérif demanda à son équipe de ne toucher à rien et de se placer un peu partout dans les bâtiments proches mais aussi à l'intérieur du saloon. Tous voulaient tendre un piège à ces deux assassins et tenter de sauver Joe par tous les moyens.
Une demi-heure plus tard, on entendit le bruit d'un moteur. Un véhicule tout-terrain arrivait tous feux éteints. Il s'arrêta à une centaine de mètres. Caroline et Rivière d'Étoiles, cachées à côté du shérif, reconnurent aussitôt les deux hommes. Joe, les mains attachées derrière le dos, avança, menacé par les revolvers des deux hommes. Ils passèrent sans méfiance le long des façades branlantes du village fantôme.
Quand Joe entra dans le saloon, il aperçut le corps de son ami. Il s'effondra. Les malfrats en profitèrent.
-Dis-nous où se trouvent les sacs d'or. Je compte jusqu'à trois puis je te refroidis comme ton copain.
Joe expliqua que les sacs d'or se trouvaient à l'intérieur de l'école du village.
-L'instituteur avait fabriqué autrefois une cachette pour son usage, sous l'estrade, derrière des planches. J'ai la clé de la grille en poche.
Joe se tut. Il pleurait son ami mort.
-Bon, maintenant que tu nous as tout dit, ricana l'un des bandits, on n'a plus besoin de toi.
Il allait abattre son prisonnier quand plusieurs coups de feu retentirent. Tués chacun à son tour, les deux voleurs gisaient à présent sur le sol.
Caroline, Rivière d'Étoiles, le shérif et les policiers s'approchèrent de Joe. Celui-ci, incrédule d'abord, les regarda et puis se redressa.
Les policiers creusèrent une tombe dans l'ancien cimetière abandonné. Ils placèrent Henry dans le dernier cercueil utilisable du croque-mort disparu. Caroline et Rivière d'Étoiles aidèrent à dresser une croix.
Puis ils chargèrent les corps des deux bandits à l'arrière d'un véhicule, pour l'identification.
Joe demeurait inconsolable. II ramassa un des sacs d'or et le mit sur ses épaules.
-Je vous laisse l'autre, shérif. Faites-en ce que vous voulez. Je prends ma part. Je refuse celle de mon ami.
L'homme se tut un instant et regarda les deux filles.
-Je vous dois la vie. Vous m'avez sauvé. On me dit que vous avez marché toute la nuit vers Blanding, après avoir assisté à l'horrible scène. Votre courage me touche. Shérif, donnez-leur ce sac d'or. Gardez-le, les filles. Pour vous. La part de mon ami. Je crois qu'il aurait apprécié. Et faites-en ce que vous voulez. Cet or vous appartient.
Joe partit. Nos amies ne le revirent jamais. Elles espèrent qu'il tient un grand restaurant quelque part et qu'il vit quand même heureux.
Le shérif confirma aux deux jeunes filles que le sac d'or leur appartenait. Elles n'en croyaient ni leurs yeux ni leurs oreilles.
Caroline et Rivière d'Étoiles revinrent en voiture avec les policiers jusqu'à Blanding. Elles passèrent une partie du dimanche matin à partager en deux parts égales toutes les pépites d'or reçues. Puis, elles vinrent annoncer la grande nouvelle à leurs parents. Elles leur confièrent chacune leur trésor.
Les parents de Rivière d'Étoiles entreprirent la construction d'un magnifique magasin. Ils vinrent vivre en ville avec leur famille et firent commerce de couvertures, de poteries, de bijoux et de tout l'artisanat amérindien des environs. Ce magasin existe encore aujourd'hui, près de Blanding, le long de la grand-route.
Quant aux parents de Caroline, ils abandonnèrent le projet de traverser le pays. Ils édifièrent un hôtel, un vrai cette fois-ci, bien situé, au carrefour de deux highways, juste en face de l'école. Il ne désemplit pas. Caroline et ses petits frères ne sont plus pauvres du tout, bien au contraire.
Pour aller à l'école, Caroline comme Rivière d'Étoiles, en compagnie des petits frères et des petites sœurs, n'ont que la route à traverser. Cela leur prend deux minutes.
Mais le plus grand bonheur pour les deux amies, c'est vivre, toutes deux, à Blanding. La vie ne les a pas séparées. Elles en sont vraiment heureuses.
Elles ont eu encore d'autres passionnantes aventures, que tu vas découvrir sur le site, dès le n° 10.