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Le Petit Chien

     Il était une fois, il y a bien longtemps, une ville située loin vers l'Orient. Au centre de cette ville, se trouvait un grand marché. Un jour par mois, ce marché se consacrait à la vente de chiens.

Les marchands venaient d'un peu partout dans le monde, parfois de très loin, apportant avec eux des chiens de toutes sortes, de toutes les races, de toutes les couleurs. On en voyait des grands, des petits; certains très gros, d'autres maigres. Il y en avait des beaux, des pas très beaux, des pas beaux du tout. Certains aboyaient de façon très aiguë, d'autres de manière très grave. Quelques-uns semblaient gentils, affectueux, d'autres paraissaient méchants ou agressifs. Et les amateurs arrivaient de partout pour acheter ces chiens.

En même temps, dans cette ville, vivait un vieil homme fort pauvre. Un mendiant. Il rêvait depuis toujours d'avoir un chien bien à lui. Souvent, il s'arrêtait au marché et il les regardait tous avec envie, mais ils coûtaient beaucoup trop cher. Il n'aurait jamais pu acheter un de ces fiers chiens de race.

 

Un jour qu'il traînait depuis des heures sur la place du marché, il vit un marchand qui s'attardait encore en fin de journée, comptant sa recette. Il ne lui restait plus qu'un seul chien.

-Tu ne le vends pas, celui-là ? demanda le mendiant.

-Non, répondit le marchand. Personne ne le veut. Je ne pourrai jamais le vendre ni m'en débarrasser.

-Pourquoi ? fit le vieil homme.

-Tout simplement, parce que ce chien sent mauvais. Il sent même très mauvais. Une odeur d'égout, de poubelle. Pourtant, j'ai tout essayé. Je l'ai plongé dans des bains d'eau parfumée. Je l'ai lavé, brossé, peigné. Pas moyen de chasser l'odeur qu'il dégage.

-Tu le vends cher ? 

-Oh non, répondit le marchand. On peut l'emporter pour quelques sous. Mais qui en voudrait ?

-J'ai quelques sous dans ma poche, dit le mendiant plein d'espoir. Est-ce que cela suffira ?

Le marchand prit les quelques pièces.

-Le chien est à toi.


Le vieil homme quitta le marché avec le petit chien dans les bras. Il sentait vraiment mauvais, mais il avait de si beaux yeux, si doux, si tendres.

Ils suivirent une belle avenue qui menait hors des murs de la ville. Les plus beaux palais se dressaient de part et d'autre de cette chaussée.

-Tu sais petit chien (il ne lui avait pas encore choisi un nom) tu sais, petit chien, je ne pourrai pas te donner un bon repas comme en reçoivent ceux qui habitent ces riches demeures. Je ne suis qu'un pauvre mendiant, regarde.

Il sortit de sa poche un croûton de pain.

-On va le partager à nous deux, moitié pour toi, moitié pour moi. Mais vas-y doucement, tu sais, parce que voilà tout ce que tu recevras.

Ensuite, il ajiouta :

-Sache aussi, petit chien, que tu n'habiteras pas une belle maison ou un palais comme ceux que nous dépassons. Je ne possède même pas une cabane. Nous allons aller dormir là, sous l'arbre, près du pont.

Le vieil homme se coucha dans un fossé envahi de hautes herbes. Malgré l'odeur, il serra son petit compagnon dans ses bras, son ami.


Tout à coup, un violent orage éclata. Les éclairs illuminaient le ciel noir. Brusquement, la foudre s'abattit avec force sur l'arbre près duquel tentaient de dormir le mendiant et son chien. Ils se dressèrent, sidérés par la violence de l'éclatement.

Puis, l'orage s'éloigna aussi vite qu'il était venu.

Le vieil homme vit accourir vers lui quelques personnes habillées en serviteurs.

-Maître, maître, ne reste pas là sous l'orage. Te voilà tout mouillé. Tu vas prendre froid. Viens plutôt te réchauffer dans ta maison.

Ils conduisirent notre ami et son petit chien vers le plus beau palais de la ville. Tout en marbre rose et blanc. Il était entièrement illuminé et la lumière se reflétait sur les plantes d'un jardin luxuriant. Les serviteurs emmenèrent le vieil homme, malgré lui, jusque dans le hall d'entrée somptueux.

-Nous allons te donner un bain chaud, maître, cela va te faire du bien.  Puis ton souper t'attend.

Le mendiant se retrouva dans une baignoire en or. Des jeunes aides lui versèrent des eaux parfumées, puis l'habillèrent comme un prince.

Il se dirigea ensuite vers la table de la salle à manger, couverte des meilleures nourritures qui soient. Il s'assit et mangea autant qu'il put. Bien entendu, il partagea les meilleurs morceaux avec son petit chien.

Puis, les serviteurs lui proposèrent de se retirer dans une chambre si belle qu'il n'aurait jamais pu l'imaginer. Très étonné par tous ces évènements, le vieux mendiant s'endormit dans un lit somptueux comme il n'en avait jamais eu.

-Quand le maître des lieux reviendra, se dit-il, il me jettera dehors, mais, au moins, j'aurai profité quelques heures de ces délicieux instants.


Le lendemain, en s'éveillant, il pensa d'abord avoir rêvé. Mais ce n'était pas un rêve. Les serviteurs étaient encore là. Ils lui préparaient le meilleur petit déjeuner. Ils lui demandèrent ce qu'il voulait faire de sa journée.

Il découvrit le superbe palais et ses merveilleux jardins en compagnie de son petit chien qui semblait heureux de courir entre les fleurs.

 

Soudain, un carrosse s'arrêta devant la porte du palais. Quelqu'un en sortit. Le vieil homme se dirigea vers lui avec angoisse et reconnut le roi du pays.

-Bonjour, salua le roi. Je passe souvent par ce boulevard. J'y rencontre beaucoup de mes relations. Je n'avais pas encore remarqué ta demeure. Quel bonheur de faire ta connaissance, cher ami. Je peux t'appeler cher ami, n'est-ce pas? Je nomme ainsi tous les gens riches dans la ville.

-Voulez-vous entrer? proposa le mendiant.

-Avec plaisir. Je viendrai ce soir, accompagné de quelques ministres, banquiers et autres personnalités. Si tu veux nous recevoir à ta table…

-Bonne idée, bégaya le vieux mendiant. Venez, je vous attends ici, chez moi, ce soir, avec vos collègues.

-À tantôt, mon cher ami.

Le carrosse du roi partit.


Le mendiant retourna dans son palais. Il appela ses serviteurs et leur expliqua l'invitation faite au roi et à ses conseillers, ce soir, pour le repas. Il était très inquiet mais ses serviteurs le rassurèrent.

-Aucun problème, maître, nous nous occupons de tout. Tu assisteras au plus raffiné des festins. Nous décorerons la salle de fête avec goût, et nous choisirons les nourritures les plus exquises.

Un peu avant l'arrivée du roi, le vieil homme mit ses plus beaux vêtements. Ses serviteurs lui présentèrent une table somptueuse, de la vaisselle en or, des coupes en cristal, des nourritures parfaitement préparées, choisies avec soin et harmonieusement présentées sur des plateaux d'or et d'argent.

Il se dit alors que son petit chien sentait quand même fort mauvais. Maintenant qu'il fréquentait le roi, ses ministres et des gens riches de la haute société, il était temps de se débarrasser de ce petit chien puant. Cet animal convenait comme compagnon d'un mendiant, d'un loqueteux, mais pas de l'homme riche qu'il était devenu.

Il le fit descendre dans les caves du palais et l'enferma dans une pièce toute noire, sans fenêtre, sans aucune issue, à part la porte d'entrée très épaisse, et qu'il referma lui-même en poussant trois énormes verrous de fer. Il interdit à tous de l'ouvrir.

Rassuré, l'ancien mendiant remonta dans ses salons.

 

Le roi venait d'arriver. Il l'accueillit dans la salle de festin. Tout le monde s'assit et l'on mangea. Pendant le repas, les ministres le flattaient, les banquiers lui souriaient, les proches du monarque se disaient ses amis.

-Ton repas était absolument succulent, dit le roi, à la fin du dîner. Ton palais merveilleux, tes serviteurs attentifs, mais quelle épouvantable odeur sous la table, à nos pieds, tout à coup. Je me demande d'où cela provient.

Notre ami leva la nappe et aperçut son petit chien.

-Excusez, sire, excusez. Je ne connais pas cette sale bête. Je me demande comment il s'est introduit dans mon palais. Je vais l'éliminer.

Le mendiant empoigna le petit animal sans ménagement par la peau du cou et redescendit à la cave. Les trois verrous étaient toujours fermés. Il les fit glisser. Il ouvrit la porte et regarda à l'intérieur de la prison. Vide. Tout à fait vide.

-Toi, sale bête, je te réglerai ton compte quand le roi sera parti.

Il referma la porte de la cave et poussa soigneusement les trois verrous. La suite du repas se passa très bien.

Vers minuit, le roi et ses amis quittèrent le vieil homme, le remercièrent pour son délicieux festin, pour son hospitalité, et retournèrent chez eux dans leur carrosse, lui promettant de l'inviter bientôt.

-D'ailleurs, ajouta le roi, le bras sur l'épaule de l'ancien mendiant, il me faut un nouveau ministre et conseiller. Reparlons-en demain, chez moi, cher ami.


Le vieil homme congédia tous ses serviteurs.

Quand il fut sûr d'être seul, il se rendit aux cuisines et choisit un long couteau bien aiguisé. Puis il descendit à la cave. Il poussa les trois verrous, ouvrit la porte et prit son petit chien sous le bras. Il sortit du palais. II traversa les jardins. Il posa le petit animal contre le sol dans un coin, près des haies. Il le tint fermement d'une main, et de l'autre il serra le couteau.

-Tu oses me déranger pendant mon festin avec le roi ! Il va me nommer ministre demain. Je suis un monsieur important et riche, à présent. J'avais honte de présenter un ami comme toi. Qu'est ce que les gens vont penser de moi ? Je ne veux plus la compagnie d'un sale chien puant comme toi. Tu vas mourir. Je vais te trancher la gorge.

L'ancien mendiant leva son arme.

Juste à ce moment, un éclair déchira le ciel noir. La foudre tomba sur le couteau et sur le vieil homme qui roula à terre, sidéré. Il se retrouva sous l'arbre, près du pont, couvert de ses vieux vêtements déchirés, et vit son petit chien accourir vers lui. Il lui sauta dans les bras.

L'orage s'éloignait. Le mendiant regarda vers le lieu où se trouvaient le palais, les beaux habits, les bonnes nourritures, toutes les richesses et les serviteurs. Il ne vit plus qu'un terrain vague, couvert de mauvaises herbes et de flaques de boue.

Alors, le vieil homme comprit que tout venait de son petit chien, un petit chien magique, merveilleux. Et lui, le mendiant, n'avait pas été fidèle à son amitié. Il l'avait chassé de sa table. Il l'avait enfermé dans les caves. Il avait tenté de le tuer parce qu’il avait honte de son compagnon pouilleux à présent qu’il fréquentait les riches.


Plus jamais le petit chien ne lui fit des cadeaux. Il n'y eut plus jamais ni roi, ni courtisans, ni banquiers. Cette magie-là était éteinte. Mais le vieux mendiant resta toujours fidèle à son petit chien. II ne le quitta jamais plus. Il partagea toujours avec lui le peu de choses qu'il recevait.

Souvent, quand il croisait quelqu'un, et qu'on lui demandait pourquoi il gardait ce petit chien qui sentait mauvais, il répondait que l'amitié est une chose très importante et qu'il ne faut jamais, au grand jamais, être honteux de ses amis, quels qu'ils soient.