Joël & Plume Bleue

Joël & Plume Bleue

N°5

Druid Arch

     Joël et Patricia avaient quitté Desert Junction à l'aube, en compagnie de Plume Bleue. Ils tentaient d'atteindre la petite ville de St-Georges où ils retrouveraient enfin leurs parents. Ils marchèrent toute la journée sous un soleil de plomb. 

Au soir, au détour d'une colline, passant entre de hauts rochers rouges, ils arrivèrent sur une sorte de terrasse en pierre qui surplombait une vallée assez large et verdoyante. Dans cette vallée, où coulait une rivière, ils aperçurent des maisons et une église blanche. St-Georges. Quel bonheur!

Quelque part, devait se trouver la maison où logeaient les parents de Joël et Patricia et l'autre famille, avec Samantha et le bébé Alice. Nos trois amis contemplèrent un instant le paysage puis descendirent de la colline par un sentier escarpé. Ils entrèrent dans la ville.

Où pouvaient bien habiter les parents ? On finit par leur indiquer une route qui menait vers le désert. Nos amis arrivèrent en vue d'une petite baraque en bois. La masure semblait abandonnée, mais, quand ils s'approchèrent de la maison, ils virent une petite fille. Elle jouait toute seule devant la porte. La fillette leva les yeux et cria :

-Joël, Patricia, Plume Bleue ! Papa, maman, je vois Joël, Plume Bleue et Patricia! Ils arrivent! Ils arrivent!

C'était Samantha ! Elle courut aussi vite qu'elle pouvait. Elle sauta au cou de Joël. Elle embrassa Plume Bleue. Elle embrassa Patricia.

Les parents les serrèrent dans les bras. La maman observa ses deux enfants. Elle vit qu'ils avaient souffert. Ils avaient maigri. Ils semblaient très fatigués, épuisés même. Ils étaient sales et leurs habits en loques et couverts de poussière brune. Mais ils étaient sains et saufs. C'était le principal. Elle les couvrit de sa tendresse. Elle pleurait en les embrassant. Et leur papa tout autant.

Au soir, les parents organisèrent une fête pour leurs enfants revenus et pour Plume Bleue qui les avait guidés. Ils leur firent un bon souper, le meilleur qu'ils pouvaient et la fête dura toute la soirée.

Le lendemain matin, le père de nos amis annonça les mauvaises nouvelles.

Parce que les parents avaient passé plusieurs jours prisonniers des Navajos, ils étaient arrivés à St-Georges avec près d'une semaine de retard. Le travail que les deux papas devaient obtenir ici avait été attribué à d'autres pionniers venus eux aussi de la côte Est, mais avant eux.

Les parents demeuraient à St-Georges uniquement pour attendre les deux grands, mais demain matin, il faudrait partir pour l'Ouest. Là, ils trouveraient sans doute du travail et une vie normale reprendrait son cours.

Joël et Plume Bleue allaient devoir se séparer à nouveau. Pour toujours probablement. Cette fois, ils ne se reverraient plus jamais. La Californie est si loin, si loin …


L'après-midi, Joël et Plume Bleue remontèrent dans la colline et s'assirent sur cette terrasse en pierre où ils s'étaient arrêtés un instant hier, en arrivant. Ils regardèrent la ville. Ils se tenaient là, côte à côte. Ils ne parlaient presque pas, trop émus.

Le garçon se partageait entre la joie et la peine. Le bonheur d'avoir retrouvé ses parents, de se trouver à l'abri des dangers. Son père maintenant allait le protéger, le rassurer.  Mais il était triste de quitter Plume Bleue.

-Comment vas-tu retourner chez toi? demanda-t-il à son amie. Tu seras toute seule demain sur les sentiers.

-Je m'en fiche, répondit Plume Bleue. Je n'ai que deux jours à marcher. Je connais bien ce sentier parce que les hommes de ma tribu l'empruntent souvent pour venir vendre leur artisanat ici. L'hiver, ils fabriquent des paniers, des poteries, des couvertures, pour gagner un peu d'argent. J'ai souvent suivi cette piste avec eux. Je sais où trouver de l'eau. Tes parents me donneront des provisions pour la route. Mais probablement que je pleurerai…parce que tu ne seras plus là…

Joël posa son bras sur les épaules de son amie et la serra contre lui, au bord des larmes.

-Un jour, un homme-médecine me prit la main, ajouta Plume Bleue. Il me parla : «Plus tard, tu épouseras un grand chef blanc ». Moi je pensais…je pensais... Ça pouvait être toi... 

-Moi, murmura Joël, je marcherai l'âme en peine sur la route de l'Ouest, vers la Californie... Mais je te jure que pas une journée ne passera sans que je pense à toi. Je songerai à toi tous les jours de ma vie.

Le téléphone n'existait pas dans les maisons à cette époque-là. Pas de courrier non plus, sauf dans les grandes villes. Impossible de se donner des nouvelles. Et les distances sont immenses…

-Un jour, décida le garçon, je reviendrai de Californie pour t'épouser.

-En tout cas, ajouta Plume Bleue, n'oublie jamais que toi et ta petite sœur, vous êtes tous deux des guerriers Anasazis. On vous accueillera toujours dans la peuplade. Vous en faites partie à présent.

Et puis tout à coup, la jeune fille ajouta :

-Joël !

-Oui ?

-Et le papier que t'a donné Bill Alone, tu l'as toujours ?

-Oh oui ! se souvint Joël. Je n'y pensais plus.

Il le sortit de sa poche et ils le déplièrent.

Les deux enfants découvrirent un dessin. Un curieux dessin. On distinguait un homme qui semblait tenir un soleil dans sa main.

-Je me demande ce que ça peut bien signifier, murmura Joël.

-Je n'en sais rien, réfléchit Plume Bleue. Je crois pourtant que c'est un dessin amérindien. Les hommes de nos tribus gravèrent autrefois des symboles sur les pierres jaunes des déserts. Comme les hommes préhistoriques en Europe. Souvent, ces rochers jaunes se couvrent d'un enduit brun ou noir à certains endroits. Les anciens grattaient cette sorte de lichen et le dessin apparaissait en jaune sur fond noir. J'en connais des très beaux.

Donc, l'original de ce dessin, créé il y a très longtemps, devait se trouver quelque part sur une paroi rocheuse de pierre. Mais Plume Bleue ne savait pas où. Elle proposa d'aller demander au sachem. Peut-être que les Anciens, les sages de la tribu, pourraient donner quelques indices, eux aussi…

Nos amis, encouragés par ces propos, et la mine réjouie à l'idée de rester encore ensemble quelques jours, expliquèrent leur projet aux parents. Sans oublier les mots de Bill Alone, chuchotés à l'oreille de Joël : « Avec ce dessin, j'aurais dû devenir riche !». Il indique peut-être la cachette d'un trésor amérindien.

Les deux papas, les deux mamans, même la petite Samantha, tous regardèrent et tentèrent de déchiffrer le document. Sans succès.

-Après tout, puisque nous ne trouvons pas de travail ces jours-ci, proposa un des papas, retardons notre départ pour la Californie. Allons chez les Anasazis ! Tu crois qu'ils vont nous recevoir ?

-Certainement, répondit Plume Bleue, et puis n'oubliez pas que Patricia et Joël sont des guerriers à présent. Toute la tribu se souvient de leurs actes de courage, entre autre à la Hourra Pass.


Mais, tandis que Joël et Plume Bleue présentaient le dessin à leurs parents, dans le saloon de Désert Junction, un homme qui s'appelait Baxter s'approcha du meurtrier de Bill Alone. Jack jouait aux cartes avec quelques autres cow-boys.

-Jack !

-Oui, Baxter ?

-Sors un instant. J'ai quelque chose d'intéressant à t'expliquer.

-J'espère que tu ne me déranges pas pour rien, surtout quand je tiens quatre as en main…

Il déposa ses cartes et sortit. Ils s'assirent à l'ombre.

-Écoute-moi, dit Baxter. Tu te souviens de Bill Alone ?

-Évidemment. Je l'ai refroidi l'autre jour. Il dort au cimetière. Le croque-mort a gagné sa vie grâce à moi. Le shérif m'a fait payer le cercueil.

-Écoute-moi bien Jack, répéta le cow-boy. Après l'avoir abattu avec ton revolver, tu as tourné les talons et tu es reparti chez toi.

-Tu ne voulais pas que je lui tienne la main, non ?

-Moi, j'observais la scène, ajouta Baxter. Tu te souviens qu'il gardait un mystérieux papier dans de fond de sa poche ?

-Non, répondit Jack, je ne le savais pas.

-Avant de mourir, il l'a donné à ce garçon, tu sais celui qu'il appelait «gamin».

-Oui, je me souviens.

-Et bien, moi, je connais ce papier, Jack. Un jour, dans un autre village, près de Cedar Junction, Bill Alone buvait un peu de trop au bar du saloon. Il sortit ce papier de sa poche. Je me trouvais à côté de lui. Il le montra à ses amis, disant : «Vous voyez les gars. Avec ce papier, je serai riche un jour. Quand j'aurai compris ce que ça veut dire…». Puis, il le remit en poche. Ça ne t'intéresserait pas de devenir riche, Jack ?

-Je te vois venir Baxter. Moitié pour toi, moitié pour moi, tope là !

-Tope là ! Mais où se trouve ce gamin ?

-Il a pris le chemin de St-Georges, avec les deux fillettes. Sa sœur et la petite Amérindienne.

-Quand cela ? demanda Jack.

-Hier matin.

-Bon, répondit Jack. Demain à l'aube, on va à St-Georges.


Donc, au moment où Joël, Patricia et leurs parents, l'autre famille et Plume Bleue partaient vers le territoire des Anasazis, Baxter et Jack, armés de leurs revolvers, quittaient Désert Junction.

Ils arrivèrent à St-Georges au soir. Ils cherchèrent le garçon. Ils se renseignèrent à gauche, à droite. On leur expliqua que des pionniers habitaient une maison abandonnée, à la sortie de la ville.

Quand ils y arrivèrent, ils découvrirent une baraque vide puisque nos amis étaient partis ce matin-là. En interrogeant les voisins, ils apprirent qu'ils suivaient le sentier qui mène à la tribu des Anasazis.

Pendant ce temps-là, le même soir, les deux familles et Plume Bleue trouvèrent une petite grotte et s'y installèrent pour y passer la nuit. Les parois rocheuses rouges et oranges de ces régions sont truffées de petites cavernes. Ils y firent du feu et cuisirent leur souper. Ils dormirent sur le sable à la belle étoile.


Le lendemain matin, Joël, Patricia, Plume Bleue et tous les autres se mirent en route vers le campement des Amérindiens.

Au moment où ils quittaient ce refuge, Baxter et Jack partaient de St-Georges sur le même sentier. Ils avaient encore un jour de retard sur nos amis.

Au soir, les deux bandits trouvèrent la grotte et y passèrent la nuit.

Le même soir, nos amis arrivèrent à la tribu des Anasazis. Le sachem fit allumer un grand feu et organisa une fête en leur honneur.

Pendant la fête, le chef amérindien, interrogeant les parents, s'aperçut que Patricia et Joël n'avaient pas décrit tous leurs actes de courage. Patricia n'avait même presque rien raconté. Modeste petite fille.

Le sachem expliqua comment elle avait sauvé la tribu à la Hourra Pass. Il fit en détail le récit de son acte d'héroïsme. Il expliqua comment en courant vers les Amérindiens, pendant que les quatre bandits tiraient vers elle avec leurs fusils, elle entendait siffler les balles autour d'elle.

Les parents, très émus, serrèrent très fort leur fillette dans leurs bras.

Puis, Joël, Plume Bleue et Patricia entrèrent dans le tipi du sachem, avec les guerriers et les Anciens, pour un conseil spécial à leur demande. Ils présentèrent le fameux dessin, le document de Bill Alone. Les guerriers ne le connaissaient pas. Le sachem non plus.

Les Anciens observèrent longtemps le dessin. Et l'un deux, un des plus vieux, se leva.

-Moi, je connais et je sais où trouver cette peinture.

Il prononça un nom étrange : «Druid Arch».

-Druid Arch, répéta l'Ancien, à cinq jours de marche d'ici. Au-delà du grand fleuve. Après quatre jours rudes de sentiers brûlés de soleil, on arrive à la rivière. Il faut la traverser et, le cinquième jour, vous apercevez Druid Arch. Le sentier grimpe et descend sans cesse au milieu des rochers, je vous préviens. Et le grand fleuve impétueux, on ne le traverse qu'à la nage…

Tous écoutaient en silence.

-Mais le cinquième jour, vous arriverez à un endroit d'une beauté fabuleuse. Dans un cirque de hauts rochers qui semblent toucher le ciel, vous découvrirez une arche gigantesque en pierre rouge. Dix fois plus haute que la cime des arbres. Elle se compose de deux immenses roches, l'une bien droite et l'autre légèrement penchée vers elle, le tout coiffé par un gigantesque bloc de pierre posé à plus de cent mètres de hauteur sur les deux colonnes. La lumière du creux ressemble à un druide qui serait en prière. Et là, gravé au pied de ces immenses rochers, vous trouverez ce dessin.

Les Anciens détaillèrent longuement à Plume Bleue les sentiers, les vallées, les points d'eau. Pendant ce temps-là, Joël et Patricia coururent donner la nouvelle à leurs parents.

Le lendemain matin, les deux papas, armés de leurs fusils, Joël, avec le revolver de Bill Alone à la ceinture (dans le dos bien sûr), Patricia et Plume Bleue partirent à Druid Arch. Les mamans, la petite Samantha et le bébé Alice restèrent dans la tribu des Anasazis, pour les attendre.

Cinq jours aller, cinq jours retour. Dix jours en tout. Ils reçurent des sacs à dos avec de la nourriture pour les dix jours. Ils se mirent en route à l'aube.


Au moment où ils partaient, ce même matin-là, Jack et Baxter quittèrent la grotte de sable. Ils arrivèrent en fin d'après-midi chez les Anasazis.

Nos amis commencèrent donc leurs quatre jours de marche dans des vallées brûlantes. Il y faisait affreusement chaud. Le sentier, parfois, n'était qu'à peine tracé. Il fallait chercher un tas de cailloux, tous les cent ou les deux cents mètres, indiquant la bonne direction : un cairn. Et quand, parfois, ils marchaient plus de deux cents mètres sans en découvrir, ils devaient revenir sur leurs pas, au tas de cailloux précédent, et chercher le suivant en tâtonnant. 


Le soir de ce même premier jour, les deux bandits arrivèrent au camp des Amérindiens.

-Voilà mon plan, expliqua Jack. Tiens, prends mon revolver. Cache-toi et attends-moi. Si je ne suis pas de retour dans deux heures, viens me délivrer. Je vais parler au sachem et lui dire que nous offrons du travail aux pionniers.

Le cow-boy se dirigea vers les tipis. Des enfants le conduisirent chez le chef du village.

-Que vient faire l'homme blanc sur les terres de la tribu des Anasazis ? demanda le sachem.

-Grand sachem des Anasazis, pardonne-moi de t'envahir, répondit Jack. Je cherche des pionniers, deux familles. J'ai une bonne nouvelle pour ces gens.

-Je t'écoute, répondit le chef amérindien.

-Je me propose d'engager les deux hommes, à St-Georges pour un bon travail, bien payé. Peux-tu me dire où ils se trouvent? Je vais leur expliquer.

-Bonne nouvelle, en effet, affirma le sachem, mais ils sont partis ce matin. Leurs épouses les attendent là-bas, près du point d'eau, avec deux petites filles qui restent près de leur maman. Va leur parler.

Jack s'approcha des deux femmes. Les mamans ne connaissaient pas ce dangereux bandit. Seuls Joël, Patricia et Plume Bleue l'avaient rencontré…

-Mesdames, j'offre du travail pour vos hommes. Un bon travail. Peuvent-ils venir à St-Georges ?

-Malheureusement, regrettèrent les mamans, ils viennent de partir ce matin. Ils reviendront dans dix jours. Pouvez-vous les attendre ?

-Je dois les rencontrer d'urgence pour signer les contrats, insista Jack.

À la demande des mamans, le sachem et les anciens expliquèrent alors au bandit le chemin pour aller à Druid Arch. Ils pourraient rattraper les papas et les enfants au bord du grand fleuve avant qu'ils ne le traversent. S'ils allaient à marche forcée, ils feraient la piste en trois jours.

Et ainsi, Jack et Baxter surent où retrouver leurs victimes.

 

Quittant le village des Anasazis pour rejoindre son complice, le bandit vit une petite fille blanche qui jouait avec des enfants amérindiens. C'était Samantha. Il s'approcha de la fillette et lui plaqua brutalement la main sur la bouche. Il la souleva et l'emmena, l'empêchant de crier.

Samantha se débattit de son mieux, mais le cow-boy était fort.

Il retrouva son complice Baxter à la sortie du village. Ils se dirent qu'en kidnappant la petite, elle pourrait leur servir de monnaie d'échange contre le fameux dessin de Bill Alone qui devait en principe mener à Druid Arch, et, peut-être, à un trésor.

Ils voulurent donc effectuer en trois jours ce que les autres faisaient en quatre jours, pour les rattraper. Ce furent des journées terribles pour la petite Samantha. Ils l'obligeaient à marcher tout le temps, depuis le lever jusqu'au coucher du soleil.

Parfois, la fillette trop fatiguée, s'arrêtait. Ils la frappaient pour qu'elle marche encore. Et quand vraiment elle menaçait de tomber évanouie de fatigue, à ce moment-là seulement, ils la portaient un peu.

Quand elle demandait de l'eau, ils lui en donnaient le moins possible. Ils lui disaient :

-Si tu marches jusqu'à ce rocher ou jusqu'à ce tournant, tu auras à boire, mais pas avant.

Ils la nourrissaient à peine, bien trop peu, pour qu'elle soit tout le temps affamée. Et quand elle pleurait de faim, ils lui criaient :

-Tu recevras à manger, mais seulement quand tu auras encore marché une heure.

Ils torturèrent cette fillette de six ans pendant trois longs jours !


Le quatrième jour dans l'après-midi, Joël, Plume Bleue, Patricia et les deux papas arrivèrent au bord du grand fleuve. Il fallait traverser, à la nage.

Les eaux sont froides. Autant il fait chaud là-bas, dans les vallées de l'Ouest, autant les eaux sont froides, parce qu'elles proviennent des montagnes, très loin, à des centaines de kilomètres parfois. En plus, le courant est rapide. On voit même des tourbillons à certains endroits.

Ils portaient leurs provisions de nourriture pour six jours encore. C'était lourd. L'un des papas suggéra une bonne idée.

-On pourrait cacher nos réserves quelque part, et les prendre au retour. On n'emmènera à manger que pour ce soir et demain. On arrivera à Druid Arch demain après-midi, et, le jour suivant, on reviendra par ici. Comme cela, on ne devra pas se charger de trop gros paquets pour nager dans la rivière !

Ils cachèrent leurs sacs à dos derrière des rochers près de la berge. Puis, emportant le minimum, ils revinrent au bord de l'eau. Ils savaient tous bien nager. Ils sautèrent à l'eau.


Au moment de s'élancer, Joël entendit un bruit derrière lui. Il se retourna avant de plonger.

Les deux papas, Plume Bleue et Patricia s'éloignaient déjà. La fillette nageait juste à côté de son père. Le courant les entraînait tous vers l'autre rive. Aucun ne se retourna. Ils s'efforçaient d'atteindre l'autre côté.

Joël, lui, regarda derrière lui.

Les deux bandits sortirent de leur cachette. Ils avaient tout vu et tout entendu. Jack et Baxter serraient la petite Samantha entre eux. Ils tenaient leurs revolvers pointés vers notre ami.

Le garçon n'osa pas dégainer le sien. Seul contre deux.

-Samantha ! cria Joël.

L'homme lâcha la petite fille qui courut se jeter dans les bras du garçon.

-Joël, ils sont méchants ! S'il te plaît, prends-moi avec toi. Ne me laisse pas avec eux.

-Écoute bien, garçon, cria Jack. Les autres traversent la rivière. Très bien. Tu vas les rejoindre. Allez chercher ce trésor à cette Druid Arch et puis vous reviendrez par ici. Vous ne trouverez pas d'autre sentier. Vos provisions, pour les jours du retour, sont cachées là. Nous les tenons. Vous ne pourrez pas marcher quatre jours avec la petite sans rien manger. Si vous voulez votre nourriture, vous nous donnerez le trésor. On vous attend ici. Va leur raconter cela. Et tu peux emmener la gamine. Nous n'en avons plus besoin.

-S'il te plaît, supplia Samantha, Joël, ne m'abandonne pas avec les bandits.

-Souviens-toi, garçon, ajouta Jack. C'est moi qui ai descendu ton ami Bill Alone à Désert Junction.

L'homme riait.

-Allez, file avec la petite. Ça va te donner du cœur au ventre pour nager…


-Pas question que je te laisse là, promit Joël. Mais Samantha, je ne sais pas comment on va faire pour traverser…

Pour commencer, il enleva son sac à dos avec les provisions de nourriture qui s'y trouvaient. Tant pis, pensa-t-il, je me priverai. Il s'agenouilla devant la fillette et posa ses mains sur ses épaules.

-Samantha, tu vas monter sur mon dos. Tu ne pèses pas grand-chose mais je te préviens qu'on risque fort de boire la tasse quand même. Je ne pourrai pas nager en surface avec toi sur le dos. On va essayer de se débrouiller et ne pas se noyer. D'accord ?

La fillette fit signe bravement que oui, entre deux larmes. Joël hésita un moment.

-Tant pis, se dit-il. Je ne l'abandonne pas. Advienne que pourra.

Et l'héroïque garçon se jeta à l'eau. Il nagea et se débattit dans le courant, souvent sous l'eau. Parfois, il refaisait surface.

-Allez, respire, criait-il. Respire !

Puis, ils replongeaient sous l'eau. Leurs vêtements trempés les gênaient. À mi-chemin, Joël se sentait épuisé. Il continua à lutter, rassemblant ses dernières forces et son courage.

Les deux papas, accompagnés de Plume Bleue et Patricia, sans comprendre ce qui se passait, observaient Joël se débattre dans l'eau froide. Il parvint à prendre pied à un endroit boueux au milieu des hautes herbes. Il pataugea un instant et sortit du fleuve. Il s'écroula, épuisé, sur le sol. Les papas le rejoignirent et l'aidèrent à se relever.

Joël  raconta toute l'histoire de Bill Alone et de Jack, et l'exigence des deux bandits.

Quel malheur, songèrent les papas. On va peut-être trouver quelque chose à Druid Arch, et puis tout perdre. Resterons-nous pauvres toute notre vie ? Nos enfants vivront-ils dans la misère encore des années ?


Ils commencèrent par donner à manger à la pauvre Samantha que les bandits affamaient depuis trois jours. Ils répartirent ensuite les maigres provisions qui restaient. Joël n'avait pas pris les siennes, parce qu'il ne pouvait pas tout porter. Ils se mirent en route, sans perdre de temps.

Au soir, les papas se privèrent pour leurs enfants. Plume Bleue et Joël ne voulaient rien prendre, mais on les força à manger un peu.

Le lendemain, ils marchèrent dans une vallée de plus en plus étroite. Ils durent plusieurs fois escalader des rochers escarpés. Il fallut nager dans un espace plus profond qui barrait la piste par ses eaux croupies et limoneuses. Enfin ils se hissèrent le long d'un couloir abrupt, où l'on glissait à chaque pas sur un éboulis de roches jaunâtres.

Ainsi, ils arrivèrent à Druid Arch. Le soleil éclairait les rochers d'une incroyable beauté. L'arche illuminée rougeoyait, découpant le ciel bleu.

Immédiatement, ils se mirent à chercher un dessin gravé qui pourrait correspondre au document de Bill Alone, document que Joël avait déplié. Chacun s'affairait dans son coin, écartant les broussailles, observant chaque roche.

-Ici, cria soudain Plume Bleue.

Plusieurs représentations d'animaux, entourés de signes bizarres, apparaissaient dessinées au pied de l'arche. L'image stylisée d'un homme qui semblait tenir le soleil entre ses mains se trouvait au centre. Mais pas de trésor… Ni coffret, ni message…

Ils fouillèrent à nouveau les environs. Patricia gratta la terre avec ses mains, avec ses ongles, au pied de l'arche juste en-dessous de l'homme qui tenait le soleil entre ses mains. Tout à coup, elle découvrit un petit sac brun bien fermé.

-Je tiens quelque chose, cria la fillette.

Les papas s'approchèrent. Ils ouvrirent le sac. Il contenait une vingtaine de pierres rouges, des pierres précieuses bien taillées, des rubis. Des pierres de grande valeur.


-Mon Dieu! soupirèrent les papas. Si ces bijoux pouvaient nous rester !

-Je refuse l'idée de les donner à ces bandits, dit l'un d'entre eux.

-Je sais bien ce qu'on ferait avec ces pierres, songea le père de Joël et Patricia. On demeurerait à St-Georges. On achèterait une maison et on ouvrirait un magasin, un General Store. On ferait du commerce. On vendrait de la nourriture, des habits, des tissus, des outils et on pourrait s'en sortir. Les enfants iraient à l'école. On vivrait normalement.

-Et dire qu'on va devoir donner ces pierres à ces bandits, contre un peu de nourriture..., enchaîna l'autre. On pourrait tenter d'en conserver une partie, mais je crains même qu'ils nous tuent tous ensuite.

-Je veux bien ne manger qu'un tout petit peu, murmura Samantha, comme vous autres.

-Courageuse petite fille, dit son papa. Tu ne connais vraiment pas d'autre chemin pour le retour, Plume Bleue ?

-Si. Il en existe un autre, répondit la jeune fille, mais je ne l'ai jamais suivi. Et surtout, il traverse les territoires des Shoshones. Je crains que ces terribles guerriers ne nous laissent pas passer…

-Et c'est long, ce trajet jusqu'à Saint-Georges ?

-Trois jours de marche, répondit Plume Bleue, pour arriver à un autre endroit du fleuve où l'on peut traverser à la nage, en territoire ennemi.

Il restait juste à manger pour ce soir.

-Comment marcher trois jours sans nourriture, réfléchit le papa de Samantha. Et si les Shoshones nous chassent, qu'allons-nous devenir ?

-Nous emportons nos fusils, calcula le père des deux grands. On trouvera bien un lièvre sauvage, une dinde ou quelque chose à se mettre sous la dent en route. Risquons le coup. On portera Samantha à tour de rôle. Allez, on le fait. Les bandits n'auront qu'à nous attendre ! Tentons notre chance. Nos enfants ne sont pas des mauviettes. Depuis quelques mois, ils vont à l'école du courage. Et ils y réussissent drôlement bien …


Le lendemain matin, ils partirent à l'aube. Ils faisaient confiance à Plume Bleue pour les guider. Le sentier, dont elle avait juste entendu parler et jamais suivi, était à peine tracé. Une piste extrêmement dure à parcourir.

Il s'agissait de marcher dans des vallées profondes, desséchées, encombrées de sable qui freinait les pas ou de roches à contourner ou à franchir, sous une chaleur épouvantable. Ils traversaient une part de cette immense région sauvage et désertique appelée aujourd'hui les Canyon Lands. La végétation y est rare, un arbre rabougri, quelques plantes piquantes et parfois des herbes tranchantes.

Toute la journée, ils marchèrent, les uns derrière les autres. Régulièrement, Plume Bleue, qui menait le groupe, laissait à sa droite des petits monticules de pierre, hauts de quinze à trente centimètres, les bornes du sentier, les cairns.

Ils trouvèrent de l'eau dans certaines anfractuosités de ces vallées étroites et profondes grâce à la perspicacité de notre amie. L'eau stagne dans ces crevasses pendant des mois, pendant des années parfois, même s'il ne pleut pas. Cette eau, pas très appétissante, verte, repose sur un lit de boue. Mais c'est de l'eau ! Ils en buvaient puis ils y plongeaient leurs habits pour les remettre ensuite sur eux dégoulinants et rester au frais une heure environ, le temps qu'il sèchent.

Ils ne trouvèrent aucun animal à chasser ! Les papas, armés de leurs fusils, se tenaient prêts à tirer, mais rien. Absolument rien. Pourtant, ils remarquèrent plusieurs fois des traces sur le sol. Mais dans ces régions désertiques, les animaux s'abritent le jour et ne sortent que la nuit.

Le premier soir, épuisés, ils aperçurent une ruine amérindienne, accrochée au flanc de la falaise. Un ancien grenier à maïs. Ils se dirigèrent vers cet endroit pour y passer la nuit. Ils réussirent à escalader la paroi rocheuse pour y parvenir.

Sur le sol, dans la poussière, ils découvrirent quelques poignées de grains de maïs et une écuelle. La grotte avait été occupée récemment. Ils firent du feu. Ils se cuisirent une bouillie de maïs, bien maigre hélas, et ils avaient tous si faim.


Le second jour, ils repartirent de nouveau à l'aube, pour profiter des heures fraîches. Ils suivaient à présent une vallée encore plus chaude car encaissée et encore plus tortueuse et très encombrée de rochers qu'il fallait parfois escalader.

Toute la journée, ils progressèrent sans voir personne, inquiets et le ventre vide. Les enfants souffraient, affamés, Samantha en particulier. Ils se sentaient affaiblis par le manque de nourriture. Parfois, l'un des papas portait la petite, mais la fillette très courageuse, essayait de marcher le plus qu'elle pouvait. Elle ne se plaignit ni de la faim, ni de la soif, ni de la chaleur, ni de la fatigue ! Patricia lui donnait la main. Joël également.

Et les heures passèrent. Ils burent dans une anfractuosité située bien à l'ombre et qui conservait de l'eau stagnante. Ils y mouillèrent ensuite leurs vêtements pour se rafraîcir un peu.

Plume Bleue marchait devant, observant la vallée, les escarpements, évaluant les chances de passer, repérant les tas de pierres, et indiquant la piste aux autres.

Au soir, à bout de force, ils ne découvrirent pas de construction amérindienne mais une petite grotte dans laquelle ils pourraient s'abriter pour la nuit. Ils s'assirent là, dans le sable, en silence, épuisés. Plume Bleue s'éloigna. Joël lui demanda où elle allait.

-Je vais chercher à manger, répondit son amie. Si tu veux, tu peux m'accompagner.

-Tu vas chercher à manger, s'étonna le garçon. Où ça ?

-Viens voir. Et n'espère pas grand-chose, mais c'est mieux que rien…

Les enfants grimpèrent dans les rochers. Plume Bleue s'approcha d'un endroit où poussaient des petits cactus verts, aux feuilles épaisses d'environ dix centimètres sur cinq et couvertes de picots. Elle en coupa six, les plus tendres, les plus vertes possibles, avec son couteau qu'elle porte toujours à la ceinture et les débarrassa des pointes et des picots. Puis, elle redescendit avec Joël.

-Voilà, proposa la jeune fille. Nous pouvons les mâcher. Cela contient un peu de jus sucré. Quand on ne trouve rien à se mettre sous la dent, ça calme un peu la faim et cela permet de s'endormir. On mange ça dans notre peuplade, parfois, quand la récolte de maïs est mauvaise et que la famine nous torture les ventres vides.

Ils mâchèrent ces feuilles épaisses, rugueuses, filandreuses de cactus. Puis, ils se couchèrent à même le sol, dans le sable de la grotte et se reposèrent.


Le lendemain à l'aube, Plume Bleue cueillit quelques fleurs aperçues entre des rochers. Ces grosses fleurs blanches poussent sur le sable dans les coins d'ombre de certaines vallées.

-Lorsqu'on mange l'une de ces fleurs, ça donne du courage, expliqua notre amie. Mais on attrape mal à la tête, si on en abuse. Ça agit comme une drogue.

Ils en mâchèrent chacun une. Les pétales de ces fleurs contiennent une sorte de jus assez sûr, mais qui ravive les forces. Dans l'état de faiblesse où ils se trouvaient, cela paraissait un moyen, exceptionnellement, de leur donner l'énergie nécessaire à la marche.

Au milieu de l'après-midi, ils arrivèrent dans le territoire des Shoshones, près du village de la peuplade. Impossible de faire autrement. Des guerriers les repérèrent aussitôt et conduisirent le petit groupe auprès de leur sachem.

 

L'homme les regarda en silence, assis devant son tipi, puis écouta les explications fournies par Plume Bleue.

-Je vais peut-être vous accueillir, déclara le chef du village. Toi, Plume Bleue, une Amérindienne, même d'une autre peuplade et encore une fille, tu es des nôtres.

Notre amie avait eu la prudence de ne pas dire sa qualité de guerrière Anasazi, sinon le sachem l'aurait peut-être rejetée.

-Les autres, les deux hommes, le garçon et les deux petites filles devront passer une épreuve. Si le Grand Manitou vous rejette, vous devrez partir, sans rien recevoir. Nous vous chasserons. Vous allez donc subir l'épreuve.

Plume Bleue regarda le chef Shoshone dans les yeux.

-Grand sachem, montre-toi généreux. La petite fille de six ans, assise là, s'appelle Samantha. Elle est épuisée par la faim, par la marche. S'il te plaît, épargne-la. Je passerai l'épreuve à sa place, si tu acceptes.

L'homme observa un long moment notre amie et les autres enfants …

-Ton courage me séduit. Toi, Plume Bleue, et le garçon que tu appelles Joël, vous passerez l'épreuve. Si vous la réussissez, je vous reçois tous. Si vous la ratez, vous serez tous rejetés. J'ai dit.

Les papas voulurent s'interposer et affronter l'épreuve à la place des enfants, mais le chef amérindien refusa.


Il emmena Joël et Plume Bleue avec trois guerriers en direction d'une étroite vallée, barrée de hautes pierres rouges, et où se trouvaient quelques grottes dissimulées dans la paroi rocheuse. Il s'arrêta devant l'une d'entre elles.

-Entrez dans cette caverne. Vous verrez des pierres blanches luire dans l'obscurité, des pierres phosphorescentes. Prenez-en deux chacun et apportez-les moi.

Le garçon, accompagné de son amie, se glissa dans la grotte. Ils pataugèrent sur le sol boueux, puis en avançant, il s'aperçurent rapidement que ça descendait assez raide. Ils s'enfoncèrent dans la vase. En allant vers les pierres, l'eau sale leur vint jusqu'aux genoux, jusqu'à la ceinture, jusqu'à la poitrine…

Joël se tourna vers Plume Bleue…

-Pas si terrible comme épreuve. Je ne crains pas la boue. Après tout ce que l'on a subi ces derniers jours, et même avant… En sortant, il suffira d'aller se laver dans la petite cataracte que j'ai aperçue près du village. 

-Ce n'est pas encore l'épreuve, répondit Plume Bleue. Je crois qu'il s'agit d'une première partie. Tantôt, ce sera beaucoup plus dur à mon avis…

-Tu crois ?

Oui.

Les deux enfants nagèrent dans la vase pour arriver jusqu'aux pierres phosphorescentes. Ils en saisirent chacun deux et revinrent vers l'entrée de la grotte. Avant de sortir, Plume Bleue s'approcha de son ami.

-Joël, je ne sais pas ce que le chef nous prépare, mais je crois qu'il serait sage de nous mettre la tête dans la boue et de nous en couvrir complètement. Je le ressens ainsi en tant qu'Amérindienne. L'épreuve qui nous attend est dangereuse, j'en suis certaine, peut-être même mortelle. Je crois que le sachem nous a menés ici pour nous aider, nous donner notre chance.

La jeune fille enfonça la tête dans la boue. Le garçon, après un moment d'hésitation, ferma les yeux et fit de même.

Les vêtements dégoulinants de vase collante, ils revinrent près du chef et lui remirent les quatre pierres blanches.

-Je vois, remarqua le sachem, que la jeune Amérindienne affronte les épreuves avec intelligence. Et le garçon blanc se montre aussi courageux qu'elle. Vous méritez de réussir, ajouta-t-il.

 

Il les emmena tous deux vers une seconde grotte dont l'entrée était barrée par une porte faite de vieilles planches parfois disjointes. Il l'ouvrit.

-Voilà, dit-il. Vous allez entrer là-dedans. Entre les planches, par les petits interstices, vous pourrez apercevoir le soleil se coucher sur la montagne là-bas. Quand il aura disparu derrière la crête des collines, vous pourrez ressortir de la grotte, si vous vivez toujours. Vous aurez réussi l'épreuve et je saurai que le Grand Manitou vous protège.

Le sachem leur rendit les pierres blanches. Les deux enfants entrèrent dans la caverne sombre. Il referma la porte de la grotte derrière eux.


Aussitôt nos amis s'aperçurent que l'espace était rempli de toiles d'araignée.

Soudain, dans un coin, à la lueur du jour qui passait entre les planches disjointes de la porte, et les yeux des enfants s'habituant à la pénombre, ils observèrent une grosse araignée. Son corps mesurait trois centimètres de diamètre sans compter les pattes longues et noires. Les plus terribles d'entre elles peuvent tuer en quelques minutes par leur venin, paraît-il.

Plume Bleue saisit les quatre pierres et, rampant avec beaucoup de précautions, elle les plaça dans un coin éloigné de la grotte.

L'araignée quitta son poste d'observation et se dirigea aussitôt vers les pierres blanches. Les deux enfants s'assirent sur le sol, à l'autre bout, près de la porte d'entrée.

-Tu vois Joël, murmura Plume Bleue à l'oreille de son ami, l'araignée se dirige vers les cailloux phosphorescents. Ils sont là pour nous protéger. Le sachem a été généreux de nous permettre d'en emporter ici. Maintenant, on ne bouge plus. On ne parle plus. Heureusement, nous sommes couverts de boue ! La bête ne va pas nous sentir tout de suite. J'espère qu'elle ne nous sentira pas avant que le soleil se couche…

Les deux courageux enfants restèrent un long moment silencieux, assis l'un près de l'autre, contre la paroi de la grotte. Terrifiés, ils surveillaient l'araignée sans cesse. La vase séchait, formant des petites écailles et, à chaque mouvement, à chaque respiration de nos amis, des morceaux de boue se détachaient de leur peau ou de leurs vêtements et tombaient sur le sol.


Soudain, l'araignée se remit en mouvement et se dirigea lentement vers eux. Le soleil allait bientôt toucher la crête des montagnes. Ils l'apercevaient entre les planches disjointes de la porte. Il ne restait pas dix minutes à tenir ! La boue était tombée, et le terrible animal sentait la présence des deux enfants.

-Je vais enlever un de mes souliers, murmura Joël. Et tuer cette vilaine bête.

-Pas question, chuchota Plume Bleue. Si tu tues l'araignée, tu tues leur dieu ! Elle symbolise l'esprit créateur pour beaucoup de peuplades amérindiennes. Si tu tues leur dieu, ils vont te tuer en sortant. Surtout ne fais pas cela !

L'araignée avança encore sur le sol. Elle s'approchait du soulier de Joël, le soulier gauche. Elle y monta. De là, elle passa sur le bas du jean du garçon.

Notre ami tremblait de peur. Son cœur battait la chamade. Il se mit à transpirer d'angoisse. L'araignée avança jusqu'à son genou gauche. Le jean de Joël était usé et déchiré. Un grand trou à chaque genou ! L'araignée entra par là, entre le tissu et la peau de la cuisse du garçon. Il la sentit. Il faillit hurler. Il pensa s'enfuir, mais il ne pouvait pas. C'eût été se faire mordre à coup sûr. Et se sauver c'était rater l'épreuve. Son père, sa sœur et Samantha attendaient dehors, affamés comme eux, et espérant que nos amis enfermés avec la bête réussiraient leur épreuve.

Plume Bleue prit la main de Joël et la serra très fort. Elle se plaça tout contre lui, et lui parla à l'oreille.

-Courage ! Tu ne vas pas mourir ! Tu ne peux pas. Souviens-toi. Un homme-médecine m'a raconté autrefois, en lisant dans ma main, qu'un jour j'épouserais un grand guerrier blanc. Toi peut-être. Je le crois. Alors, Joël tu ne peux pas mourir. Je t'aime. Je t'admire. Tu es le garçon le plus courageux que je connaisse.

Notre ami réussit à maîtriser sa peur. La présence rassurante de son amie l'aidait.

L'araignée, bloquée entre le tissu et la peau, recula. Elle ressortit par le trou du jean. Elle rampa vers l'autre jambe et grimpa en direction du ventre de Joël. Ensuite, elle tourna encore et passa sur la robe de Plume Bleue.

Au tour de la jeune fille maintenant de trembler de peur, à sentir son cœur battre à toute vitesse. Elle retenait sa respiration. Joël serra son amie contre lui. Il glissa son bras autour de son cou et chuchota à son oreille:

-Je ne sais pas si je suis le guerrier blanc dont tu parles. Je ne sais pas si je t'épouserai plus tard, mais tu es mon amie et je t'aime et je ne veux pas que tu meures ! Courage, Plume Bleue. Ne bouge pas. Ne crie pas. Je prie pour que cette bête s'éloigne.

L'araignée rampa sur le ventre puis sur le torse de Plume Bleue. Elle s'accrochait à sa robe en tissu brun. Elle se dirigea vers la courte manche et redescendit le long du bras, de l'avant-bras et de la main droite de la jeune fille.

Dès que l'araignée disparut, Joël tourna la tête. Le soleil venait de disparaître sur la crête des montagnes. Il prit la main de son amie, ouvrit la porte et ils sortirent tous les deux avec précipitation.

Un tonnerre de cris et d'applaudissements les accueillit. Les larmes aux yeux Joël serra les bras de son papa et de sa sœur Patricia, tandis que l'autre papa, et Samantha, embrassaient Plume Bleue.

-La tribu des Shoshones est heureuse de vous accueillir, déclara le sachem. Vous allez recevoir à manger et à boire. Nous allons vous préparer un tipi pour la nuit. Demain, quatre de mes guerriers vous reconduiront dans le territoire des Anasazis.


Quelle fête, à leur arrivée ! Quel bonheur de se retrouver. La maman de Samantha craignait déjà qu'un cougar ait emporté sa fille… et qu'elle ne la reverrait plus.

Peu après, ils retournèrent à St-Georges. Là, les papas dénoncèrent Jack et Baxter au shérif. Ils en profitèrent pour lui proposer d'arrêter également le cow-boy Ronny qui faisait travailler des enfants dans une mine d'argent.

Les trois bandits se retrouvèrent en prison. Selon l'usage à l'époque, la justice fut expédiée en vitesse. Ils furent pendus haut et court aux branches d'un arbre, à la sortie de la ville.


En vendant les pierres précieuses trouvées à la Druid Arch, les parents de Joël et de Patricia et les parents de Samantha et de la petite Alice achetèrent une maison et installèrent un magasin comme ils en rêvaient. Ils ouvrirent un General Store.

Joël comme ses petites soeurs, purent enfin mener une vie normale, manger tous les jours à leur faim, avoir des vêtements propres, aller à l'école, et vivre comme tous les enfants.

Et à deux jours de marche, se trouvaient les Anasazis. Nos amis revirent souvent Plume Bleue. Plus question de partir en Californie à présent. Ils vécurent à St-Georges, dans la région des canyons.

Ils y eurent d'autres aventures aussi passionnantes. Rends-toi vite au n° 6 : Le train.