Juliette

Juliette

N°1

Picotte et Chicotte

     Juliette, âgée de trois ans et demi, passait quelques jours chez sa grand-mère. Elle était très heureuse, car elle s'y plaît beaucoup. Un soir, pendant le repas, Bonne-Mamy lui annonça une grande nouvelle.

-Demain, ma chérie, tu découvriras une surprise.

-Quelle surprise, Bonne-Mamy ?

-Si je te le dis, ce ne sera plus une surprise !

Notre amie eut beau poser des questions, et insister gentiment, la grand-mère ne voulut rien dévoiler. Pourtant, Juliette était impatiente.

Après le repas, elle monta à la salle de bain se brosser les dents, puis elle enfila son pyjama rose et se glissa dans son lit.

-Bonne nuit, mon trésor, dit la grand-mère.

-C'est quoi la surprise ? chuchota la petite fille.

-Tu le sauras demain, princesse. Patience. Dors bien.

Et Juliette s'endormit.


Le lendemain matin, après le petit-déjeuner, notre amie s'installa à la fenêtre. Elle s'assit sur la tablette en bois et observa la rue. Elle voulait voir arriver la surprise.

Elle vit soudain un gros camion qui approchait. Il s'arrêta devant la maison de la grand-mère. Juliette courut ouvrir la porte.

Le chauffeur sortit du camion et ouvrit le hayon arrière. Il saisit deux caisses brunes, percées de petits trous.

-Vous en avez commandé deux, madame, dit-il à Bonne-Mamy, une brune et une noire. Les voilà. Voulez-vous bien signer ici ?

Pendant que la grand-mère écrivait son nom sur le cahier du chauffeur du camion, Juliette tenta de regarder dans les caisses par les petits trous, mais elle ne vit rien.

-C'est quoi, Bonne-Mamy ?

-La surprise! J'ai acheté deux poules. Une brune et une noire. Nous aurons bientôt des bons œufs frais, tu verras.


La grand- mère lâcha les poules dans le jardin.

Juliette les observa, en les suivant dans l'herbe. Elles marchaient d'une façon bizarre, posant lentement une patte puis l'autre, comme si elles avançaient sur quelque chose de fragile. Elles regardaient à gauche, à droite, faisant parfois un commentaire.

-Kot, kot, kot…

Souvent, elles fouillaient la terre avec leur bec. Notre amie était un peu horrifiée, car les poules mangeaient n'importe quoi, surtout des vers de terre et des crasses. Soudain, l'une d'elles avala un petit caillou.

-Bonne-Mamy !

-Oui, Juliette.

-Les poules mangent des saletés. La brune vient même d'avaler un petit caillou. Elles vont être malades.

-Non, non, rassura la grand-mère, elles ne seront pas malades. Elles mangent parfois des petites pierres. Cela leur sert à fabriquer la coquille de leurs œufs.

-Heureusement que je ne suis pas une poule, dit la fillette en souriant.

-Tu n'es pas une poule, ma chérie. Mais alors, tu dois cesser de marcher comme elles dans le jardin.

Notre amie, sans s'en rendre compte, avançait presque sur la pointe des pieds à présent, et en plus, elle regardait à gauche puis à droite, puis encore à gauche et à droite, comme les deux poules.


Pendant l'après-midi, Juliette acheva la construction d'un poulailler avec sa grand-mère. Elles peignirent la jolie maison en vert et rouge. Notre amie peignait les lattes rouges et sa grand-mère, les lattes vertes.

-Comment allons-nous appeler nos deux poules ? dit soudain Bonne-Mamy.

-Je ne sais pas, répondit Juliette. Je vais réfléchir.

Quelques instants plus tard, elle s'écria :

-Appelons la poule brune Picotte et la noire, Chicotte.


La journée passa bien agréablement. Notre amie allait et venait de la maison au jardin, surveillant sans cesse les déplacements et les faits et gestes des deux pensionnaires.

-Ce soir, ma chérie, nous ferons entrer les poules dans leur poulailler. Je veux qu'elles s'habituent à y passer la nuit.

-Pourquoi, Bonne-Mamy?

-Si elles restent dehors, le renard profitera de la nuit pour passer par un trou de la haie et il viendra les manger.

Hélas Picotte et Chicotte refusaient d'entrer dans leur maison. Elles couraient partout dans le jardin, comme deux folles, sans prêter attention à la grand-mère qui les appelait, ni à la fillette qui faisait des grands gestes avec ses bras.

Juliette courut derrière elles pour les forcer à entrer. Les deux poules se sauvèrent affolées en poussant des gloussements à tue-tête.

La grand-mère affirma que ce n'était pas la bonne manière. Il valait mieux procéder autrement, selon elle.

-Nous allons tenter de les prendre en tenaille, ma chérie. Toi, tu vas venir par la gauche et moi, j'arriverai par la droite. Elles seront coincées entre nous et bien forcées d'entrer dans le poulailler.

Picotte et Chicotte parvinrent cependant à échapper à la manœuvre en passant entre les jambes de Juliette. Notre amie tomba à la renverse, puis se releva et courut derrière les deux coquines désobéissantes.

Elles se précipitèrent par un trou de la haie et allèrent se réfugier dans le jardin du voisin.

-Et zut, dit Bonne-Mamy. Comment allons-nous faire, à présent ?


Les choses commençaient à se compliquer.

Les voisins possèdent un grand chat gris. Il gronda, dressant ses poils et faisant le gros dos. Picotte et Chicotte, effrayées, s'envolèrent.

N'oublie pas que les poules sont des oiseaux, et qu'elles peuvent voler.

Elles se réfugièrent sur une branche du grand cerisier.

-Et zut, dit une fois encore Bonne-Mamy. Comment allons-nous faire pour qu'elles descendent de là ?

-Si tu veux, je peux passer à quatre pattes par le trou de la haie, et aller dans le jardin à côté, proposa Juliette. Je prendrai ton grand balai et ferai tomber les poules de l'arbre comme toi tu fais pour les pommes de notre pommier. Et puis, comme elles ont peur du chat, elles reviendront dans notre jardin.

L'opération réussit. Notre amie se glissa à quatre pattes entre deux plants de la haie. Elle frappa la grosse branche du cerisier des voisins en tenant le balai par le manche. Le chat miaulait. Picotte et Chicotte coururent se réfugier au jardin. La grand-mère les attrapa, l'une puis l'autre. Elle fit entrer la poule noire dans le poulailler. Puis ce fut le tour de la brune.  Elle referma la porte avec soin.

-Et voilà. Je vais les laisser là-dedans pendant trois jours.

-Elles sont punies, s'inquiéta Juliette.

-Mais non, elles ne sont pas punies. Elles vont découvrir leur nouvelle maison. Il faut leur donner le temps de s'y habituer.

-Elles vont être tristes, insista la fillette.

-Non, ma chérie, elles ne sont pas tristes. Elles doivent apprendre à vivre dans leur maison. Je t'ai expliqué que si elles restent dehors la nuit, elles se mettent en danger. Un renard pourrait venir les manger.

-Tu crois qu'elles vont déjà pondre des œufs ?

-Je n'en sais rien, répondit Bonne-Mamy. Nous verrons cela demain matin.


Le lendemain, Juliette, impatiente, voulut aller découvrir les œufs.

-D'abord, annonça la grand-mère, nous allons leur donner à boire et à manger.

Elle portait un sac de graines et une bouteille d'eau. Notre amie répandit les graines par une petite ouverture et remplit un récipient où les poules vinrent picorer. Puis elle versa de l'eau par une autre fenêtre étroite dans un petit bol qui, lui aussi, se trouvait dans le poulailler.

La vieille dame ouvrit ensuite la porte et Juliette s'avança à quatre pattes. Elle avait un peu peur car il faisait presque tout noir, là-dedans. Et puis, Picotte et Chicotte l'observaient en silence.

-Bonne-mamy, elles me regardent. Elles vont me mordre.

-Les poules n'ont pas de dents, ma chérie. Elles ne mordent pas.

Juliette aperçut deux œufs dans un rayon de soleil qui passait entre les planches du poulailler. Alors, s'avançant plus loin, toujours à quatre pattes sur la paille, la fillette en prit un premier en main. Elle entendit Picotte.

-Kot, kot, kot…

Elle se saisit, mais osa s'approcher quand même de l'autre œuf. Elle le prit dans l'autre main.

-Kot, kot, kot…

Chicotte ne semblait pas contente. Peut-être prenait-elle notre amie pour une voleuse !

Juliette sortit du poulailler et tendit les œufs à sa Bonne-Mamy, qui referma la porte avec soin. Elles retournèrent à la maison. La grand-mère les prépara tous les deux à la coque. 

Après cet excellent petit-déjeuner, notre amie revint près du poulailler et cria avec les mains en porte-voix :

-Merci Picotte, merci Chicotte pour les bons œufs. Ils étaient délicieux.


Les deux poules restèrent trois jours dans le poulailler. On leur donnait des graines et de l'eau tous les matins. Ainsi, elles s'habituèrent à leur nouvelle maison.

Chaque jour, Juliette se glissa à quatre pattes auprès d'elles et prit les œufs qu'elles avaient pondus. Elle les mangeait avec sa grand-mère avec plaisir.

Le quatrième jour, au matin, elle leur ouvrit la porte. Picotte et Chicotte purent sortir. Elles allèrent de nouveau se promener et picorer dans le jardin. Au soir, elles retournèrent d'elles-mêmes dans leur maison pour y passer la nuit.

Notre amie les observa souvent les jours suivants.


Lorsqu'un mois plus tard, Juliette revint loger chez sa grand-mère, un autre surprise l'attendait. Chicotte, la poule noire, avait trois poussins ravissants et tout noirs comme leur maman.

Elle les admira longtemps.