Magali

Magali

N°5

Bleu Bleu Rouge et les Kitokos

     En te promenant, tu as déjà sans doute vu des pierres blanches ou bleues, couvertes de lignes, des lignes noires pour les pierres blanches, des lignes blanches pour les pierres bleues. On en voit un peu partout, mais surtout dans les bois de sapins, au bord des rivières ou le long des sentiers.

Dans certains contes ardennais, on raconte que ce sont des points de repère pour les nutons. Ces lignes sur les roches leur permettent de retrouver leur terrier, leur cachette dans les fourrés.

Tu ne sais sans doute pas que ces pierres à lignes sont aussi des plans, comme des cartes routières, pour des tout petits animaux que tu ne connais pas car ils ne se montrent jamais à personne : les Kitokos.

Les Kitokos ont la taille d'une grosse orange. Ils sont ravissants, tout ronds et couverts de poils aux couleurs vives. Ils se déplacent en ribambelles de quinze à la fois. Jamais un de plus, jamais un de moins. Il existe des Kitokos filles et des Kitokos garçons.

Une ribambelle élit toujours à sa tête un roi ou une reine, cela dépend.

Tu ne trouveras jamais deux Kitokos de la même couleur dans une ribambelle, car chacun d'entre eux et chacune d'entre elles a sa propre teinte. On en voit des blancs, des jaunes, des bleus, des orange, des rouges, des verts, des violets, des pourpres, des mauves, des noirs. Les garçons kitokos n'ont qu'une seule couleur, les filles en ont deux. Les rois ou les reines en ont trois.

Par exemple, une fille kitoko aura une couleur rouge en haut et verte en bas ou le contraire ou n'importe quoi d'autre.

La reine que Magali rencontra une nuit était bleu ciel en haut, bleu foncé au milieu, et rouge en bas.


Ce jour-là, Magali se promenait avec ses parents et son grand frère Arnaud. Grand-mère gardait le petit frère, le bébé Julien. Notre amie ne savait rien de tout ce que je viens de t'expliquer. Ils traversaient un grand bois de sapins.

Au cours de la balade, elle ramassa plusieurs petits cailloux, car elle aime bien les collectionner. Elle les glissait dans la poche de sa salopette rouge.

Tout à coup, elle aperçut une jolie petite pierre blanche avec des lignes noires sous un grand arbre. Rapidement, elle quitta le chemin. Elle la ramassa et l'emporta.

Puis elle revint en courant près de son grand frère et de ses parents.

Elle ne remarqua pas qu'une ribambelle de Kitokos la suivait à présent.

Quand elle arriva à la maison, elle joua au jardin avec les pierres trouvées en route. Les Kitokos l'observaient, cachés derrière la haie.

Puis, quand sa maman l'appela pour le repas du soir, elle laissa les cailloux dans l'herbe, près de la gouttière.

La ribambelle de Kitokos avait suivi Magali, car ces petits animaux ne retrouvaient plus leur terrier ni leur chemin du retour, sans leur précieuse pierre à lignes.

Dès que notre amie entra dans la maison, eux traversèrent le jardin.

À la nuit tombée, ils se hissèrent le long de la gouttière et s'installèrent en silence, les uns à côté des autres, sur la tablette de la fenêtre de Magali. Tous sauf la reine. La reine Bleu Bleu Rouge.

Elle profita de ce que la fillette s'endormait pour descendre le long du radiateur et passer sur le tapis. Elle parvint à monter sur le lit en s'accrochant à la couverture. Elle s'approcha doucement du visage de notre amie et lui donna un petit bisou sur la joue.


Magali sursauta. Elle avait un peu peur en découvrant ce petit animal dans sa chambre, tout près d'elle. Puis elle se rassura, quand elle vit la jolie petite boule de poils bleus et rouges à ses côtés.

-Bonsoir, dit Bleu Bleu Rouge. 

-Bonsoir, répondit la fillette. Comme tu es drôle! Tu es quoi?

-Je suis Bleu Bleu Rouge, la reine des Kitokos.

-Tu es venue seule?

-Non, regarde, les autres se trouvent là.

Levant les yeux, la fillette aperçut les quatorze autres Kitokos sur l'appui de fenêtre.

-Ne crains rien, murmura Bleu Bleu Rouge. Ils sont très gentils.

-Et ravissants, ajouta Magali. Je vous trouve vraiment mignons!

-Merci, répondit Bleu Bleu Rouge.


Notre amie, assise sur son lit, regardait la ribambelle en souriant.

-Pourquoi êtes-vous entrés dans ma chambre ?

-Nous sommes venus chez toi parce que tu as emporté notre pierre blanche avec des lignes noires. Impossible de retourner chez nous sans elle.

Magali se souvint de ce joli caillou ramassé dans le bois de sapins. Elle expliqua qu'elle l'avait laissé en bas, dans le jardin, près de la gouttière.

Les Kitokos lui racontèrent, en long et en large, combien ces pierres étaient importantes pour eux, car grâce à elles, ils retrouvaient le chemin de leur habitation.

La fillette s'excusa.

-Je ne savais pas que cela vous servait pour ne pas vous perdre dans les bois. Je suis désolée de l'avoir prise. Je ne le ferai plus jamais. Promis.


-Nous te pardonnons, répondit Bleu Bleu Rouge. Mais la nuit est tombée maintenant. Nous craignons de ne plus retrouver notre maison. Tu veux bien nous loger chez toi?

Magali se leva dans sa robe de nuit rose avec des petits rubans. Elle les installa sur le tapis, contre un coussin. Elle aligna toutes les petites têtes les unes à côté des autres, puis elle les borda avec sa couverture.

Cette nuit-là, elle se contenterait de son drap de lit pour dormir. D'ailleurs, elle n'avait pas froid.

-Voilà, dit notre amie. Ça va bien? Bonne nuit les Kitokos. Bonne nuit, Bleu Bleu Rouge.

-Bonne nuit petite fille !

Magali monta dans son lit...

Soudain elle entendit un cri.


-Magali!

-Que se passe-t-il?

-On ne peut pas faire dodo.

-Pourquoi?

-On a faim. On voudrait quelque chose manger. Nous prenons souvent des biscuits appelés "nic-nac" avant d'aller dormir. Ils ressemblent aux lettres de l'alphabet.

Notre amie se leva. Elle descendit pieds nus l'escalier et se rendit à la cuisine. Elle ouvrit le tiroir et prit un paquet de nic-nacs. Elle remonta dans sa chambre, referma sa porte et donna un petit biscuit à chacun des Kitokos de la ribambelle.

-Merci, merci beaucoup, dirent-ils en chœur.

-Voilà. Bonne nuit les Kitokos. Bonne nuit, Bleu Bleu Rouge.

-Bonne nuit petite fille.

Magali monta dans son lit...


-Magali!

-Que se passe-t-il?

-On ne peut pas faire dodo.

-Pourquoi?

-Maintenant qu'on a mangé, on a un peu soif. Tu veux bien nous apporter de l'eau, s'il te ­plaît?

Notre amie se leva de nouveau. Elle sortit de sa chambre et se dirigea vers la salle de bains. Elle y prit son gobelet, en retira sa brosse à dents, et y versa de l'eau. Elle revint donner à boire à chacun des Kitokos. Elle souleva chaque petite tête un instant, pour ne pas répandre de l'eau sur le tapis.

-Voilà, dit-elle en posant le gobelet près d'eux. Je vous le laisse. Bonne nuit les Kitokos. Bonne nuit, Bleu Bleu Rouge.

-Bonne nuit petite fille.

Magali monta dans son lit...

-Magali!

-Que se passe-t-il?

-On ne peut pas faire dodo.

-Pourquoi?

-On voudrait un doudou. Sans doudou, nous ne pouvons pas dormir. S'il te plaît, tu veux bien nous en donner un?

Magali prit son mouton en peluche blanc qu'elle tient dans les bras dans son lit, et le confia à la ribambelle. Elle le posa près d'eux, sur la couverture, à côté du coussin.

-Voilà, je vous prête mon petit mouton pour cette nuit, mais maintenant dodo. Je ne veux plus vous entendre. Soyez bien sages. On n'a rien oublié? Tant mieux. Bonne nuit les Kitokos. Bonne nuit, Bleu Bleu Rouge.

-Bonne nuit petite fille.

Magali monta dans son lit...


-Magali!

-Que se passe-t-il?

-On ne peut pas faire dodo.

-Pourquoi?

-On a peur dans le noir. Nous avons besoin d'une petite lumière pour nous rassurer. Tu veux bien allumer une lampe? supplièrent les Kitokos.

-Moi, affirma notre amie, j'ai quatre ans et demi. Je n'ai plus peur de dormir dans le noir. Mes parents ne doivent plus me laisser de petite lumière. Mais si vous voulez, je vais allumer ma lampe de poche et la poser près de vous, comme ça vous aurez un peu de clarté pour la nuit.

-Merci, Magali.

-Bon. On n'a rien oublié? Je vais me coucher. Je suis très fatiguée et demain, je vais à l'école. Bonne nuit les Kitokos. Bonne nuit, Bleu Bleu Rouge.

-Bonne nuit petite fille.

Magali monta dans son lit...


-Magali!

-Que voulez-vous encore? gronda la fillette. Pourquoi vous ne dormez pas?

-On ne peut pas faire dodo.

-Pourquoi?

-On voudrait un câlin. Sans câlin, on ne peut pas s'endormir. 

Notre amie s'approcha et se pencha sur eux. Elle se mit à quatre pattes sur le tapis et donna un bisou à chacun des quinze Kitokos.

-Je crois que vraiment maintenant, on n'a rien oublié. Bonne nuit les Kitokos! Bonne nuit, Bleu Bleu Rouge!

-Bonne nuit petite fille.

Magali monta dans son lit...

 

-Magali!

-Quoi encore! s'écria la fillette, en soulignant le "encore" avec force.

-On ne peut pas faire dodo.

-Pourquoi?

-On voudrait une petite chanson. Le soir, nous les Kitokos, on a besoin qu'on nous chante un petit refrain.

Notre amie resta sur son lit. Et sans se lever, elle chanta.

-Dodo, l'enfant do, l'enfant dormira bien vite,

Dodo, l'enfant do, l'enfant dormira bientôt.

À la fin de la chanson, Magali s'endormit.


Au matin, les Kitokos avaient disparu.

D'abord, Magali se demanda si elle n'avait pas rêvé.

Mais lorsqu'elle vit le sac de nic-nacs ouvert et vide sur la chaise, le gobelet dont un peu d'eau avait coulé, le coussin et la couverture sur le tapis, le doudou, son mouton blanc, près de l'armoire, et la lampe de poche éteinte car la pile à présent était plate, elle comprit que c'était vrai.

Elle descendit rapidement au jardin, fit quelques pas dans l'herbe couverte de rosée et remarqua que la pierre blanche à lignes noires ramassée dans le bois la veille, avait disparu.

Les Kitokos l'avaient emportée avec eux.


Elle ne les a jamais revus, mais elle n'a jamais oublié les quatorze jolis petits Kitokos de toutes les couleurs et Bleu Bleu Rouge, leur gentille reine, qui lui avait donné un petit bisou sur la joue avant de s'endormir.

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Si tu te promènes dans les bois et que tu vois une pierre à lignes, prends-la, si tu veux, mais alors, prépare ta couverture, tes biscuits, ton gobelet d'eau, ton doudou, ta lampe de poche, tes câlins et tes chansons...