Les quatre amis

Les quatre amis

N°1

Le Mystère de la vieille gare abandonnée

     Une jolie rivière, appelée la Lesse, traverse le village de Houyet en Belgique. Un cours d'eau très fréquenté en été par les amateurs de kayak. À la sortie du bourg, se trouve un point de départ important pour la descente longue de dix-huit kilomètres et au relief accidenté.

Quand on suit la rivière, en canoë ou à pied sur le sentier qui la longe, on aperçoit assez vite sur la droite un bâtiment désaffecté en grosses pierres grises. Une construction dotée d'une grande cour intérieure, circulaire, d'où part un chemin, aujourd'hui envahi de ronces, mais qui mène dans la haute colline boisée qui domine le site de style moyenâgeux.

Autrefois, ce bâtiment servait de gare au roi Léopold II. Son train y faisait escale. Le roi passait dans la cour ronde située à l'arrière et montait dans son carrosse qui, tiré par des chevaux, gravissait la côte jusqu'au château, construit sur la hauteur.

Aujourd'hui, les rois ne vont plus à cette demeure. La gare, abandonnée, est désaffectée. Le train y passe encore. Une ligne qui dessert le Sud de la province, mais sans s'y arrêter.

À la sortie du village de Houyet, le long de la rivière, s'étend un assez long camping. Nous y retrouvons notre ami Philippe, onze ans, en compagnie de ses parents. Ses amis et amies profitent de quelques jours bien agréables avec lui. Les deux filles et les deux garçons logent sous tente pour leur plus grand bonheur.

Bref, nos quatre amis coulaient des jours heureux, au début des grandes vacances d'été, au bord de l'eau.


Un après-midi particulièrement torride, Philippe proposa à ses compagnons de suivre le sentier de grande randonnée qui longe le cours d'eau. Juste vêtus de vêtements légers et confortables, la balade promettait d'être agréable, car souvent entrecoupée par de nombreuses baignades rafraîchissantes.

Au bout d'une demi-heure, ils arrivèrent en vue de la vieille gare. Elle dressait ses murs gris vers le ciel bleu, le long de la voie de chemin de fer, entre le pont au-dessus de la rivière et le tunnel creusé dans la colline.

Les quatre enfants franchirent une clôture de barbelés rouillés par l'âge, traversèrent les rails, (pas de train en vue), et entrèrent dans le bâtiment désert. Ils passèrent dans la cour arrière, envahie d'herbes folles. Ils remarquèrent, en se retournant, une tourelle, elle aussi en pierres grises, construite au-dessus du toit de la gare. Elle dominait le site.

Ils décidèrent de jouer une partie de cache-cache dans les ruines. Le décor offrait de nombreux endroits pour se dissimuler. Jean-Claude commença à compter jusque cinquante. Tous avaient convenu de ne pas trop s'éloigner.


Christine entra dans l'aile droite du bâtiment. La gare se complétait par deux constructions en demi-cercle, comme deux bras géants, au-dessus desquels le carrosse royal passait autrefois. Elle se glissa sans bruit dans une sorte de cave noire humide et froide, car toujours à l'abri du soleil. Elle frissonna.

Regardant autour d'elle, elle distingua deux grosses colonnes en briques. Elle se plaça derrière la première. La cachette semblait excellente.

Ses yeux s'adaptaient à l'obscurité ambiante. Elle remarqua, juste devant elle, un papier plié et glissé dans une fente entre deux briques. Curieuse, elle le saisit et le déroula. Quelque chose était écrit, des chiffres peut-être, mais il faisait trop sombre pour les lire. Gardant le papier en main, elle rejoignit les autres car on l'appelait. Elle leur montra sa trouvaille.

Le message comportait une lettre et six chiffres. D'abord un T barré, puis 06.21.48.

Les enfants pensèrent d'abord à un numéro de téléphone, puis à un code secret. Mais aucune hypothèse ne tenait la route. Après un long moment de réflexion, Philippe proposa une solution raisonnable.

-06, dit-il. On est le 5 juillet. Et si cela concernait un rendez-vous pour demain, le 6 juillet ? Le 21.48 correspondrait alors à 21 heures 48.

Qu'allait-il se passer à 21 heures 48, le 06 juillet, à cet endroit désaffecté ? Et que signifiait le T barré ? Tous quatre, très curieux de savoir quel événement allait se produire dans cette vieille gare abandonnée, décidèrent de revenir le lendemain sur les lieux, un peu à l'avance et d'observer.


Le jour suivant donc, ils arrivèrent en vue du bâtiment vers 21 heures 30, avec l'autorisation des parents de Philippe de faire une grande balade à la nuit tombante, sans préciser le but de leur aventure.

Ils entrèrent dans la gare.

Elle leur parut assez sinistre aux derniers rayons du soleil et sous les premières lueurs de la lune. Les ombres qui s'allongeaient évoquaient un château hanté, un manoir squatté par des fantômes, des revenants, des goules, peut-être…

Ils entendirent le son d'un harmonica.

Un jeune homme, qui semblait avoir dix-huit ou vingt ans, jouait appuyé contre le mur de la cour intérieure. Les quatre enfants l'aperçurent en entrant. Il mit l'harmonica dans sa poche.

-Que faites-vous là ? dit-il assez sèchement.

-On se promène, répondit Jean-Claude.

-Ce n'est ni l'heure ni l'endroit pour vous balader. Allez, disparaissez, cria-t-il.

Comme nos amis hésitaient, il sortit un couteau à cran d'arrêt de sa veste.

-Et comme ça, vous comprenez ? dit-il, soudain menaçant.

Tous les quatre, impressionnés, quittèrent la cour et retraversèrent les rails.

-Raté, dit Christine.

-Que fait-on ? ajouta Jean-Claude. On ne verra rien si on s'éloigne.

-Marchons vers le camping, proposa Philippe, mais on ne va pas aller bien loin. Les filles, continuez à vous éloigner doucement, en parlant fort, pour qu'il vous entende. Citez nos noms, il croira que nous partons tous. Mais on va se diviser. Jean-Claude et moi allons retourner au bâtiment. On se dissimulera pour observer à l'ombre des ruines.


Les filles, bavardant à haute voix, longèrent la rivière vers le village, tandis que les garçons, en silence, faisaient demi-tour et revenaient sur leurs pas. Ils terminèrent leur approche à quatre pattes, puis en rampant le long des voies, près du tunnel.

À vingt et une heures quarante-sept, ils entendirent ce léger grésillement des fils électriques que l'on perçoit souvent quand un train arrive. Les deux garçons se déplacèrent, puis se redressant, se collèrent contre le mur de pierres grises de la vieille gare.

La locomotive passa sur le pont au-dessus de la rivière, puis longea l'ancien quai. Nos amis virent un individu jeter un paquet brun par la fenêtre ouverte d'un des wagons. Le convoi s'éloigna à grand fracas et disparut dans le tunnel qui suivait immédiatement la gare.

Le jeune homme à l'harmonica, rejoint par un complice que les enfants n'avaient pas remarqué tantôt, prit le paquet et courut vers la rivière située en contrebas.

Nos amis, persuadés d'avoir affaire à deux voleurs, les suivirent. Les deux jeunes emruntèrent un étroit sentier bordé de ronces et d'orties. Jean-Claude s'arrêta après s'être griffé et piqué plusieurs fois aux jambes. Philippe, en short lui aussi, déclara forfait à son tour.

Les deux individus revenaient. Les garçons se couchèrent à plat ventre dans les broussailles pour ne pas se faire repérer. Heureusement la nuit, tout à fait tombée à présent, les dissimulait. 

Les deux jeunes passèrent sans voir nos amis, puis, suivant l'ancien parcours du carrosse royal, ils disparurent dans les bois en montant dans la colline.

Jean-Claude et Philippe retrouvèrent Christine et Véronique. Ils racontèrent aux filles tout ce qu'ils venaient de découvrir.


Le lendemain, ils revinrent tous les quatre sur les lieux. Vêtus de longs jeans ou de salopettes, cette fois, ils suivirent le sentier emprunté par les deux jeunes. Ils arrivèrent au bord de l'eau. Une petite île, à cet endroit, divisait la rivière en deux parties inégales. Il fallut patauger dans une zone de vase pour y accéder.

L'île, large de deux mètres et longue de douze, était envahie de ronces. Quelques vieux arbres couvraient les lieux de leurs hautes frondaisons.

Nos amis eurent beau fouiller le sol, ils ne trouvèrent rien. Les épines les griffèrent aux chevilles et les orties les piquèrent aux bras. Puis, déçus, ils firent demi-tour et repartirent vers la vieille gare désaffectée.

-Je retournerais bien à la cachette où j'avais trouvé le papier de rendez-vous avant-hier, pensa tout haut Christine. Il y en a peut-être un autre.

Accompagnée par ses copains, la jeune fille entra dans la cave sombre et s'approcha de la colonne. Bien vu ! Un nouveau message attendait, glissé comme l'autre fois entre deux briques.

Tous crurent d'abord tomber sur le texte précédent, remis en place après l'avoir lu hier. Mais cette fois, le T barré était suivi par 09.17.24.

Un nouveau rendez-vous était fixé au surlendemain, en fin d'après-midi.


Nos amis réfléchirent, assis tous les quatre au bord de la rivière. Ils songèrent aux deux jeunes entrevus. S'agissait-il de passeurs de drogue ? Ou de faux-monnayeurs ? Cachaient-ils de l'or, de l'argent volé, des documents ?

-Et pourquoi pas des espions, risqua Philippe. Et que signifie ce T barré ?

Puis ils dressèrent leurs plans pour la rencontre suivante. Il fallait bien s'organiser pour ne pas prendre trop de risques.

-Ces individus peuvent se montrer dangereux, craignait Véronique.

-D'autant plus qu'il fera plein jour, ajouta Christine. Le rendez-vous est à 5 heures de l'après-midi.

Après avoir émis plusieurs propositions, aussitôt rejetées à cause de leurs faiblesses ou de leurs insuffisances, Philippe soumit à ses amis une stratégie que tous adoptèrent.

-Véronique, dit le garçon, as-tu ton appareil photo numérique ?

-Oui, au camping.

-Bon, prends-le après-demain. Tu iras te placer le long du rail, juste après le pont. De là, une courbure de la voie te permettra, avec un peu de chance, de photographier l'individu qui jette le paquet sur le quai quand le train passe.

-D'accord, fit la jeune fille.

-Christine. De nous quatre tu es la plus souple. Tu montes le mieux aux arbres. Tu retourneras sur l'île et tu te cacheras dans les branches.

-Ils vont me voir en venant...

-Non. Aucune raison pour qu'ils lèvent la tête. Ils regarderont plutôt vers le sol, ou bien derrière eux pour s'assurer que personne ne les suit.

-Bon.

-Jean-Claude. À toi l'escalade. Crois-tu pouvoir réussir à atteindre la plate-forme qui sert de toit à la vieille gare ?

-Oui, je pense.

-En montant ensuite dans la tourelle, tu disposeras d'un nid d'aigle, un poste parfait pour observer le train, les voleurs et leur départ vers l'île.

-Et toi, Philippe, tu fais quoi ?

-Moi, je vais grimper dans la colline par l'ancien chemin royal et j'observerai les lieux avec des jumelles, si j'en trouve.


Trente minutes avant le rendez-vous, le surlendemain, chacun de nos amis occupait sa place.

Christine, assise à califourchon bien haut dans un arbre sur l'île, lisait un livre pour passer le temps.

Véronique venait d'allumer son appareil photo. Sa position était périlleuse, parce que si elle s'approchait trop près du rail, elle risquait de se faire accrocher par le train, et si elle s'en écartait trop, elle surplombait la rivière et pouvait y tomber.

Jean-Claude se trouvait sur le toit de la gare. Caché derrière les créneaux qui servaient de mâchicoulis décoratifs, il bronzait au soleil.

Quant à Philippe, il suivit la route royale, jonchée de pierres et envahie de plantes folles. Il s'arrêta à un endroit d'où la vue était bien dégagée. Il apercevait nettement son copain, et comme il savait la présence des filles, il devinait Christine dans l'arbre et Véronique le long de la voie ferrée, près du pont. Il s'assit sur un petit mur, les jambes pendantes.


À 17 heures 10, quatorze minutes avant l'arrivée du train, Philippe entendit un bruit derrière lui. Quelqu'un descendait du haut de la colline. Cela, il ne s'y attendait pas. Il aperçut le jeune homme à l'harmonica, accompagné d'un autre. Ils suivaient le sentier qui passait devant lui.

Le garçon ne put faire qu'une seule chose, bondir de l'autre côté du mur sur lequel il était assis, se mettre à plat ventre, et prier pour ne pas être repéré. En sautant, il glissa dans une flaque de boue qui stagnait là.

-Pourquoi ai-je choisi cet endroit ? maugréa notre ami à voix basse. Pas de veine.

Elle lui collait à présent partout. Son short, son t-shirt, ses baskets, tout en était imprégné. Il resta couché derrière le mur et attendit stoïquement.

Les deux bandits s'approchèrent et passèrent sans le voir. Philippe entendit des bribes de leur conversation.

-Tiens, regarde. Je vois un gamin sur le toit de la gare.

-Je le reconnais. Il traînait dans les caves il y a quelques jours. Un sale petit espion, dirait-on. Il doit se douter de quelque chose.

Philippe voulut avertir son ami par signe, mais Jean-Claude regardait de l'autre côté. Un des deux jeunes parvint au pied de la tour. L'autre y entra.

-Toi, le garçon, là-haut, descends de là.

Un moment notre ami envisagea l'idée de leur répondre : « Venez me chercher si vous le pouvez », mais il n'osa pas. Il les rejoignit la peur au ventre.

Les deux jeunes firent un pas vers notre ami.

-Approche.

Jean-Claude s'avança, obéissant. Un des hommes sortit un couteau à cran d'arrêt de sa poche. Il le pointa contre le torse du garçon, qui n'en menait pas large, et le piqua au travers de son t-shirt.

-La prochaine fois que je te vois traîner ici, j'enfonce le couteau. Va-t'en.

En partant, bien obligé, Jean-Claude cria sa colère et sa déception.

-Non seulement vous me chassez, mais en plus avec un couteau à cran d'arrêt. L'arme des lâches.


Notre ami s'éloigna d'abord un peu, puis, changeant d'avis, il se dirigea vers l'île où sa sœur se cachait. Il se coucha dans les hautes herbes et attendit, prêt à intervenir en cas de besoin.

Véronique entendit le train approcher derrière elle. Il passa à quelques centimètres. Elle sentit les coups de vent déplacés par les wagons. Elle s'accrocha au poteau en fer contre lequel elle s'appuyait.

Puis, après le passage du fourgon, elle se campa bien sur ses deux pieds, saisit son appareil numérique et photographia juste au moment où deux mains jetaient un paquet brun par une fenêtre. L'un des jeunes s'en saisit et fila vers l'île.

Christine le vit arriver. Elle ferma son livre et regarda. Il se glissa dans l'eau vaseuse et s'avança vers la pointe Sud. Là, il se baissa et écarta des fougères, des ronces, et des branches. Il balaya quelques feuilles mortes, faisant apparaître une trappe en bois.

Le bandit leva le couvercle, posa le paquet dans le trou, puis remit les feuilles mortes et les plantes en place. Personne ne pouvait se douter de la présence d'une cachette à cet endroit.

Il partit rejoindre son complice. Tous deux montèrent dans la colline par le chemin du roi. Ils passèrent près de Philippe qui se cacha de nouveau. Le garçon les suivit.

Tout en haut, le sentier s'arrêtait au bord d'une route. Une moto attendait attachée à un arbre. Ils y montèrent l'un derrière l'autre, mirent leurs casques et démarrèrent.


Philippe redescendit retrouver les trois autres. Ils coururent tous jusqu'à l'île. Christine leur indiqua l'endroit où les voleurs installaient leur cachette.

Nos amis écartèrent les branches et les feuilles mortes et levèrent la trappe. Trois paquets ficelés s'y entassaient. Ils en sortirent un et déchirèrent le papier brun. Ces sacs contenaient des petits sachets de poudre blanche.

-De la drogue, se dirent les quatre amis.

La pharmacie du village était peut-être encore ouverte. Elle ferme à dix-neuf heures. Emmenant un des sachets, ils s'y précipitèrent après avoir remis la trappe et les feuilles mortes en place.


Le pharmacien examina la poudre. Il confirma la présence de drogue. Il conseilla aux enfants d'aller confier cela le plus tôt possible à la gendarmerie.

-J'élimine cette horreur, dit-il. Et ne jouez pas avec ça.

Nos amis se rendirent au poste de police du village. Ils racontèrent leur aventure. Le préposé n'écouta que d'une oreille distraite. Il ne croyait guère l'histoire. Et pour leur malheur, la photo prise par Véronique était tout à fait floue et inutilisable.

-Tâchez de vous amuser à d'autres jeux pendant vos vacances, dit un commissaire. Les touristes sont nombreux et notre temps est très précieux. Ne nous dérangez plus avec vos petites aventures.

-L'accès à la vieille gare désaffectée est interdit, lança un autre qui venait d'entrer dans le bureau.

-Vous avez trop d'imagination ou vous lisez trop de livres, fit un troisième.

L'un d'eux laissa sa carte de visite, avec un numéro de téléphone, en les reconduisant à la rue.

-Si vous voyez des vrais bandits, appelez-nous. Mais ça m'étonnerait. Notre village vit en paix, loin de toutes ces choses.

Jean-Claude prit le carton et nos amis se dirigèrent vers le camping pour le repas du soir, assez déçus.


Ils retournèrent à la gare le lendemain matin. Ils ne virent pas de message dans la fente de la colonne de la vieille cave. L'après-midi, ils ne purent pas s'occuper de leur affaire. Ils partaient en excursion avec les parents de Philippe.

Le jour suivant, le 11 juillet, ils découvrirent un nouveau texte à l'endroit habituel. T 12 22 12.

Cette fois, la lettre T n'était pas barrée. Mais quel sens donner à cette lettre ?

Le futur rendez-vous semblait donc fixé au lendemain soir. Ils demandèrent aux parents la permission d'aller faire une balade dans la nuit.

-Accordé, à condition de rester bien prudents, ajouta la maman.

Comme elle avait raison !


Cette fois-ci, nos amis se divisèrent en deux équipes. Comme par hasard, Philippe et Véronique resteraient ensemble. Christine hérita de son frère.

Étant donné que les voleurs connaissaient Jean-Claude, rencontré déjà deux fois, il semblait préférable qu'il ne se montre pas. Philippe, auteur du plan, décida que son copain se cacherait avec sa sœur le long du chemin royal, dans la colline qui surplombait la vieille gare. Lui comptait se placer dans cette cave sombre et humide avec Véronique. Celle où Christine avait découvert les messages.


La nuit tombait. Véronique frissonnait. Philippe proposa à son amie de la serrer contre lui pour la réchauffer, mais elle refusa.

Les deux jeunes, celui qui jouait de l'harmonica et l'autre, descendirent par la colline. Ils atteignirent la gare et s'assirent sur le quai.

Deux minutes avant l'arrivée du train, l'un d'eux se leva et alluma une lampe de détresse rouge qui se mit à clignoter. Il alla la poser le long des rails à l'entrée du tunnel.

À 22 heures 11, le convoi approchait. Le conducteur aperçut la lumière et pensa que des travaux ou quelques dangers existaient dans le tunnel. Il arrêta son train. Il sortit de la locomotive et ramassa la lampe. Il l'éteignit puis retourna à son poste. Il appela la gare d'Houyet, en amont.

-Allô, Paul ? Ici Maxime. Le train 048. Je suis à la vieille gare du roi. Que se passe-t-il dans le tunnel ?

-Rien, pourquoi ?

-Je viens de voir une lampe de détresse allumée sur mon rail.

-Ici, on n'est au courant de rien. Avance doucement. De toute façon, le convoi qui te suit ne passe qu'à 0 heures 25. Prends tout ton temps.

Le train repartit.

Pendant l'arrêt, la porte d'un des wagons s'était ouverte, et un homme était sorti sur le quai. Il avait serré la main de ses complices.

Et voilà l'explication du fameux T. barré, personne ne quittait le convoi. Pas barré, cela veut dire : arrêter le train, le chef descend sur le quai.


-Changement de programme, dit l'homme descendu du train et qui était le patron du groupe. Je dois d'abord vous montrer quelque chose. On va à notre cachette. En route, et vite.

Véronique, qui grelottait de froid dans ses vêtements trop légers, éternua.

L'homme qui venait de sortir du train saisit un révolver de sa poche. Le joueur d'harmonica ouvrit son couteau à cran d'arrêt. Le troisième alluma une puissante lampe de poche. Ils marchèrent rapidement vers Philippe et son amie.

-Encore vous, cria l'individu à l'harmonica.

-Tu les as déjà vus ? fit le chef de la bande.

-Ce sont deux autres, mais je parie que leurs copains ne se trouvent pas loin. Un bande de quatre gamins. Cela fait une semaine qu'ils rôdent par ici et nous espionnent.

Philippe et Véronique, toujours sous la menace du révolver, n'en menaient pas large.

-Avancez, cria le chef, et ne tentez pas de fuir.

Nos deux amis, bien obligés d'obéir, montèrent le chemin du roi.

Jean-Claude et Christine observaient sans intervenir. Contre trois hommes et un révolver, que pouvaient-ils faire ?

Ils suivirent le groupe discrètement, jusqu'au sommet de la colline. Là, passe une route bétonnée. Les voleurs s'avancèrent vers deux motos cachées derrière le mur d'une maison en ruine.

-On va chercher la voiture, Bryan et moi. Toi, dit-il au joueur d'harmonica, tu nous attends ici avec eux. Enferme-les dans la cave de cette bicoque. Je te passe mon arme.

Les motos s'éloignèrent. Celui qui restait força Philippe et Véronique à descendre un escalier qui menait à une cave envahie de plantes et de gravats. Il referma la porte sur eux. Puis il s'assit sur les marches devant la maison.

-Si vous remontez ou que vous tentez de fuir, je vous entendrai et je vous tirerai dans les jambes, ainsi vous n'irez pas loin. Compris ?

Les deux amis, très effrayés, s'assirent contre le mur de la pièce sombre et délabrée. Impossible de se sauver. Une étroite fenêtre grillagée semblait inaccessible. L'escalier menait près du bandit qui attendait son chef, l'arme posée sur ses genoux.


Jean-Claude et Christine avaient suivi leurs amis. Ils réfléchissaient, bien cachés et protégés par la nuit. Personne ne se doutait de leur présence à quelques pas de la maison en ruine.

-Je vais tâcher d'aller les délivrer, souffla le garçon.

-Comment vas-tu faire ? s'inquiéta sa sœur.

-Je vais tenter de passer par derrière, en faisant un détour par le bois. Comme dans un jeu de nuit chez les scouts. Si je suis pris, cours chercher les policiers.

-D'accord. Je te le promets. Mais fais attention. Il pourrait se servir de son arme.

-Oui, c'est très dangereux, concéda le garçon,  mais ce sont nos amis.

 

Il marcha un moment en s'éloignant le long de la route qu'il traversa après deux ou trois cents mètres. Il se trouvait bien au-delà de la masure. Il s'enfonça dans le bois, un terrain encombré de plantes basses qui griffaient ou piquaient. 

 

Tout à coup, il posa le pied sur une branche morte qui cassa net sous son pas. Jean-Claude se figea et écouta, le cœur battant. On avait dû l'entendre. Heureusement, dans la nuit noire, il échappait aux regards. Pas de lune en vue pour l'instant.

L'homme au révolver se leva. Le garçon imita le cri du hibou.

-Hou…Hou…Hou…

Le suspense était à son comble. Mais quelques instants plus tard, l'autre se rassit sur les marches d'entrée de la maison.

Notre ami reprit sa progression. Il avança, encore plus prudent, regardant à deux fois avant de poser son pied. Il parvint à une fenêtre cassée du bâtiment en ruine.

Après un instant d'hésitation, il enjamba un muret et atteignit l'escalier menant à la cave. Il se trouvait à peine deux mètres derrière le bandit qui surveillait la route et pas l'intérieur de la maison, ni l'arrière, en soufflant dans son harmonica.

-Venez, murmura notre ami, en ouvrant la porte de leur réduit.

Il les aida à se hisser le long du mur pour éviter de passer près du voleur. Puis ils s'éloignèrent de la masure par derrière, le plus vite possible. Une voiture arrivait sur la route déserte à cette heure de la nuit. Ils se baissèrent pour ne pas se trouver dans la lumière des phares. Le chef revenait avec le motard.

-Rien de spécial ?

-Non patron, à part un renard ou un hibou qui rôde dans les environs.

-Bon. Va chercher les enfants. On les emmène.

L'homme entra dans la maison en ruine et revint en courant.

-Ils ne sont plus là !

-Et bien bravo ! Je crois que ton renard, c'était un drôle. Allez, monte dans la voiture, on file.

Les voleurs s'en allèrent sans perdre leur temps à chercher nos amis dans la nuit. Ils disparurent au détour de la route.


Soulagés, les quatre copains redescendirent vers la rivière et s'assirent un instant au bord de l'eau, près des tentes du camping. Ils ne parlèrent à personne de leur aventure, pas même aux parents. À peine écoutés, puis éconduits par les policiers, sans doute débordés d'appels à la haute saison touristique, et, comme souvent, en nombre insuffisant hélas.

Un peu déçus, les enfants décidèrent de tenter quelque chose seuls. Il voulaient mettre ces voleurs hors d'état de nuire, eux et leur très dangereux commerce de drogue.


Le lendemain, réunissant tout leur argent de poche, ils louèrent deux kayaks biplaces pour descendre la rivière. Jean-Claude et sa sœur dans l'un, Philippe et Véronique dans l'autre, bien sûr.

Pagayant ferme, ils arrivèrent à l'île, près de la vieille gare abandonnée.

Ils accrochèrent les barques dans les broussailles avec soin, puis se dirigèrent vers la cache qu'ils ouvrirent. Ils ôtèrent tous les paquets qu'elle contenait, six gros ballots bruns à présent, et les répartirent sur leurs embarcations. Trois sur l'une, trois sur l'autre.

Christine eut l'idée d'aller voir à la cachette s'il ne s'y trouvait pas un nouveau message. Elle y courut, passant entre les ronces et les orties, tandis que ses copains l'attendaient.

Elle tomba nez à nez sur les trois voleurs en entrant dans la cour circulaire. Elle poussa un petit cri et voulut se cacher, mais trop tard, elle était repérée. Elle s'encourut. Elle se dépêcha vers la rivière, mais reconnue par les bandits, ceux-ci la poursuivaient.

Elle sauta dans l'eau et rejoignit les autres.

-Vite, en route, cria la jeune fille.

Dirigeant leurs embarcations vers le milieu du courant, et pagayant de leur mieux, ils s'éloignèrent entre les berges garnies de ronces et de broussailles.

Un des hommes entra dans l'eau pour tenter de les rattraper, mais peine perdue, impossible de suivre quelqu'un de cette manière. Il renonça.

Les deux autres, plus malins, coururent le long de la rive, sur le sentier de Grande Randonnée qui la longe, mais nos amis ramaient bien et le courant les emportait. Ils prirent peu à peu de l'avance et disparurent au détour d'un méandre bordé de rochers abrupts. Les voleurs abandonnèrent la poursuite.


-Je connais un pont en aval, cria leur chef, à cinq ou six kilomètres. On prend la voiture. Nous y arriverons avant eux et on les y attendra. On les retrouvera là-bas, un passage obligé en bateau.

Ils remontèrent à leur véhicule garé au sommet de la colline, en suivant le chemin du roi.

Pendant ce temps-là, les quatre amis, constatant qu'ils n'étaient plus poursuivis, ralentirent la cadence. Jean-Claude s'approcha du bateau de son copain.

-Dis, Philippe.

-Oui.

-Les voleurs pourraient nous attendre à un pont situé en aval, s'ils y pensent. On risque de se faire repérer. Je propose de cacher la drogue quelque part, en lieu sûr, le long de la rivière. Ensuite on appellera les policiers et on la leur montrera.

Les autres acceptèrent.

-Regarde ces rochers, là-bas, fit Christine. Voilà un endroit idéal, inaccessible par la berge. Approchons-nous avec les kayaks.

Cela semblait parfait. Ils glissèrent les sacs bien au sec dans une anfractuosité. Puis ils les couvrirent en posant par-dessus quelques branches et quelques feuilles mortes, pour mieux les dissimuler, et repartirent sur l'eau.


Deux heures plus tard, ils aperçurent le pont au-dessus de la rivière. Des gens passaient en balade. Des enfants se penchaient pour observer le cours d'eau. Un homme regardait avec des jumelles.

Philippe avertit ses amis.

-Attention, quelqu'un surveille l'arrivée des kayaks. Je ne le distingue pas encore, mais c'est peut-être un des bandits.

-Que proposes-tu ? demandèrent les autres.

-On quitte nos embarcations et on continue à pied jusqu'au camping.

Les enfants accostèrent et tirèrent leurs kayaks sur la berge. Puis ils traversèrent le village de toiles et de caravanes à pied.

-Allons téléphoner, fit Christine. Je reconnais l'homme sur le pont. Le chef des bandits. 

Nos quatre amis ne disposent pas de téléphone portable.

-Oui, et espérons que cette fois on nous croira, ajouta Véronique.


Le patron de la buvette prêta son portable. Nos amis venaient de lui expliquer qu'ils devaient d'urgence appeler la police. Le commissaire les crut cette fois et leur demanda de rester cachés un quart d'heure à l'intérieur du petit établissement, puis de marcher doucement vers le pont en restant groupés.

Les enfants traversèrent le camping en se donnant la main, comme on le leur demandait, afin de se faire reconnaître facilement par les gendarmes, et en observant discrètement le pont. Le bandit ne bougeait pas. Il scrutait tous les gens qui descendaient la rivière et passaient près de lui, sur l'eau.

Quelques instants plus tard, deux policiers en civil abordèrent nos amis. Ceux-ci indiquèrent la position du voleur. Le chef fut aussitôt appréhendé.

Ses deux complices écoutaient un match de football à la radio, assis dans leur voiture. Les gendarmes les emmenèrent.

Nos amis détaillèrent l'endroit où les sacs de drogue se trouvaient cachés. Une équipe se chargea d'aller les récupérer. Leur contenu fut détruit.

Jean-Claude, Christine, Philippe et Véronique découvrirent leur photo le lendemain dans les journaux de la région. On y décrivait leur courage et leur débrouillardise.

Ils passèrent très agréablement le reste de leurs vacances.