Isabelle

Isabelle

N°24

Le lapin

     Après souper, Isabelle, cinq ans et demi, tenta de rester quelques minutes de plus au salon, mais il était l'heure d'aller se laver, et puis de se coucher.

Après sa douche, elle monta sur son lit et chercha son doudou. Tiens, où pouvait-il être ce lapin en peluche ?

Elle ne le trouva pas sous son oreiller. Elle regarda le long du mur, au pied du lit, au fond des couvertures. Rien. Elle jeta un coup d'œil par terre, elle se pencha pour aller voir en dessous du lit. Il n'était pas là non plus.

Elle se leva, un peu inquiète. Elle chercha sous sa table, derrière le radiateur, sous l'armoire, au-dessus de l'armoire. Rien.

-Peut-être que Benjamin me fait une mauvaise farce ?

Benjamin, sept ans et demi, partage la chambre avec sa petite sœur. Lui, il dort au-dessus, sur le lit superposé et Isabelle en dessous. Elle monta à l'échelle jusqu'au lit de son frère et fouilla le territoire de Benjamin. Elle trouva son ours en peluche. Mais son lapin n'était pas là non plus.

Elle s'assit un instant au bord du lit pour réfléchir. Où pouvait-il bien être ? Et si maman l'avait mis dans la machine à laver ? Ce ne serait pas la première fois !

La fillette descendit pieds nus les escaliers et alla jusqu'à la cave. La machine à laver attendait là, vide et noire. Non, décidément pas de doudou à cet endroit.

Papa l'aurait pendu au grenier, pour le sécher ?

Notre amie remonta tous les escaliers, ouvrit la porte du grenier, alluma. Elle vit les cordes à linge. Rien n'y pendait, ni habits, ni lapin.

Isabelle redescendit dans sa chambre, s'assit sur son lit, contre le mur et inquiète, se mit à pleurer.

 

Une demi-heure plus tard, Benjamin entra dans la chambre pour se coucher à son tour. Il vit sa petite sœur en larmes.

-Pourquoi pleures-tu ?

-Je ne trouve pas mon lapin.

Le garçon, ne sachant que faire, ouvrit la porte et appela les parents et les grands frères, Bertrand, dix-neuf ans et Benoît, treize ans.

-Papa, maman, Isabelle ne trouve plus son doudou.

Les parents montèrent l'escalier et interrogèrent Isabelle.

-Où l'as-tu laissé ce matin ?

Notre amie ne s'en rappelait pas.

Ils fouillèrent partout. Papa, maman, les trois grands frères visitèrent toute la maison. Ils allèrent dans les chambres et à la salle de bain. Ils ouvrirent les armoires et tous les meubles. Ils cherchèrent au salon, à la salle à manger, à la cuisine et même dans le frigo. Ils regardèrent dans le jardin, dans le hall d'entrée, même aux toilettes. Ils visitèrent les caves, le grenier, l'auto et le garage.

Le lapin demeurait introuvable.


Isabelle s'endormit tard. Elle se réveilla plusieurs fois dans la nuit, et, au matin, toujours pas de doudou.

Elle ne voulut pas déjeuner. Elle ne prit ni sa tartine, ni son lait, malgré l'insistance de ses parents. Sa mère emballa le tout et le glissa dans la boîte de pique-nique pour l'école. Elle y ajouta une mandarine. Puis notre amie partit en classe, en troisième maternelle.

Quand elle revint à quatre heures, il y avait un petit mot de son institutrice dans sa farde de communication.

"On dirait qu'Isabelle est malade. Elle semble triste. Elle ne joue pas, ne dessine pas, ne chante pas. Elle reste dans son coin et pleure. Ce midi, elle n'a rien voulu manger. Elle a juste bu un peu d'eau".

Maman serra sa fillette la mine toute pâle et très malheureuse contre elle.

-Tu as retrouvé mon lapin ?

-Non, ma chérie. Je me demande vraiment où il est passé.

Isabelle s'assit dans un coin du salon et pleura encore.

Au soir, elle avala deux cuillères de soupe, mais ne voulut de nouveau rien manger.

Les parents bien ennuyés, se demandaient combien de temps durerait ce gros chagrin.

Elle monta sans rien dire. Elle ôta sa jolie salopette jaune et son t-shirt blanc et mit sa robe de nuit. Quand Benjamin vint se coucher, un peu plus tard, elle ne dormait pas encore.


Elle ouvrit les yeux au milieu de la nuit. Une forte pluie crépitait contre les vitres. De temps en temps, un éclair, au loin, illuminait le ciel et le jardin.

Isabelle se leva, et regarda par la fenêtre fermée.

Et tout à coup, elle l'aperçut dans l'herbe ! Il était couché par terre et tout mouillé.

Pourtant, hier, elle avait fouillé le jardin. Que faisait-il là ? Pourquoi traînait-il dehors? Lapin!

Comme il pleuvait, elle ôta sa robe de nuit pour aller le chercher. Elle s'habilla sommairement. Elle passa seulement sa vieille salopette en jean, bien usée, délavée et un peu déchirée. Celle qu'elle met pour aller jouer à la rivière. Elle glissa ses pieds nus dans ses chaussures de gymnastique.

Elle descendit ensuite l'escalier de la maison endormie et toute noire. Elle se dirigea vers la cuisine. Elle ouvrit la porte qu'on ne ferme jamais à clé et sortit au jardin.

Elle courut sous la pluie battante vers son lapin.

En quelques instants, elle fut bien mouillée. Mais elle arriva près de son doudou, et le prit dans ses bras.

-Lapin ! dit-elle en pleurant.

Elle le serra très fort contre son torse. Il était tout détrempé et froid.

Elle fit demi-tour en le tenant contre elle. Mais quand elle revint à la porte de la cuisine, celle-ci s'était refermée à cause du vent. Or, par sécurité, on ne peut pas l'ouvrir de l'extérieur.


Isabelle attendit un instant sous la pluie, se demandant ce qu'elle allait faire. Puis elle contourna la maison, longeant la haie, pensant aller devant, côté rue, et sonner à la porte. Quand elle arriva sur le trottoir, elle s'étonna de voir tous les réverbères éteints. Elle ne vit aucune lumière dans le village. Aucun endroit n'était éclairé.

Elle tenta de sonner à la porte, mais la sonnette ne fonctionnait pas, faute d'électricité.

Lors des grosses pluies et des orages, le courant se coupe à la centrale du village.

Notre amie se tenait dehors, debout contre la porte de sa maison, au milieu de la nuit. Elle appela. Elle cria. Mais ses parents dormaient. Toutes les fenêtres étaient fermées. Et la pluie crépitait sur les vitres. Personne n'entendit les appels de la petite fille.

Elle écouta le vent siffler. Les nuages défilaient rapidement dans la nuit, la pluie lui cinglait le visage. Ses longs cheveux blonds, séparés en deux nattes, collaient à sa peau.


Toute mouillée, dégoulinante de pluie, frissonnante, Isabelle retourna à l'arrière de la maison, dans le jardin. Elle se demandait ce qu'elle allait bien pouvoir faire.

Là, elle regarda à gauche et à droite. Elle essaya encore d'ouvrir la porte de la cuisine. Elle tenta de faire glisser les fenêtres du salon, mais sans succès. Elle appela de nouveau ses frères. Ils semblaient profondément endormis.

Elle se dirigea vers la cabane, la remise à outils près de la clôture. Une toute petite maison de planches, assez vieille. La porte a disparu et le toit laisse passer les gouttes. Le vent y tourbillonne...

Elle s'assit par terre en silence, tenant toujours son doudou lapin serré contre elle. Elle aperçut une vieille couverture trouée dans un coin. On y range parfois les poires à l'automne ou les pommes de terre.

Elle la prit, puis la déplia. Elle se roula dedans. Elle s'adossa, assise par terre, contre les planches de la cabane. Isabelle serrait son lapin très fort, pour se rassurer.

Elle grelottait toute mouillée. Elle avait froid. Ses dents claquaient. 

Tout à coup, elle sentit que sa tête tournait. Elle avait faim ! Peinée, elle n'avait rien mangé de la journée. Mais maintenant qu'elle tenait son doudou dans ses bras, elle n'était plus triste du tout, et la faim la tenaillait.


Serrant son lapin plus fort contre elle, elle perçut un léger battement contre sa poitrine. Elle toucha avec sa petite main le ventre de l'animal et sentit un cœur qui battait.

-Lapin ?

-Oui, Isabelle ?

-Tu es vivant! Comme un vrai lapin ? Et tu sais parler ?

-Pour un moment.

-Oh, lapin, je t'aime bien ! Tu es mon meilleur ami. Pourquoi es-tu parti ?

-Tout à coup, expliqua le doudou, je me suis éveillé comme d'un long sommeil. Alors, je suis allé chercher mon terrier.

-Et tu l'as trouvé ? 

-Oui. Il se trouve au pied d'un grand sapin, de l'autre côté de la rivière. Tu veux le voir ?

-Je ne sais pas, murmura Isabelle. J'aimerais bien retourner dans mon lit. Je voudrais pouvoir entrer dans la maison. J'ai froid et faim. Je mangerais bien quelque chose en passant par la cuisine. Mais tout est fermé. La sonnette ne fonctionne pas. Et ils dorment tous tellement fort qu'ils n'entendent pas quand je les appelle.

Notre amie sentit quelques larmes couler de ses yeux et se mêler aux gouttes de pluie qui dégoulinaient le long de ses joues et de ses jolies tresses blondes.

-Je croyais que tu étais parti parce que tu étais fâché sur moi.

-Je ne suis pas fâché sur toi. Je t'aime bien. Juste une chose m'ennuie. Je déteste lorsque tu mets ton pouce en  bouche, et mon oreille avec, et que tu la mordilles.

-Je ne le ferai plus, promit Isabelle.

Ils se turent un moment. La pluie tombait fort.

-II fait froid, ici, affirma le lapin. Cette cabane ferme mal, et la pluie passe entre les planches du toit. Le vent tourbillonne.

-Oui, répondit la fillette. Je tremble de froid.

-Viens dormir dans mon terrier. On sera à l'abri. On n'aura pas très chaud, mais ça sera plus agréable que dans cette cabane en plein air.

-Il sera trop petit pour moi, murmura notre amie.

-Non, je le crois juste assez grand.


Ne pouvant entrer dans la maison, Isabelle, serrant son doudou dans ses bras, passa à quatre pattes sous la clôture du jardin, traversa le champ de fleurs détrempé, puis se glissa sous la seconde clôture. Elle parcourut le terrain vague, et arriva au bord de la rivière. Avec la pluie, l'eau était plus haute et froide. Mais elle franchit quand même le cours d'eau.

De l'autre côté, elle entra dans le bois de sapins. Après quelques pas, montant vers les hauteurs, le lapin tout à coup, remua dans ses bras.

-Le voilà! Juste entre les racines de ce grand sapin. Mon terrier.

-Tu veux que j'entre là-dedans ? s'étonna Isabelle.

-Et bien, oui !Tu y seras bien.

-Il n'y a pas d'araignées à l'intérieur ?

-Non, affirma le doudou.

-Pas de serpent non plus ?

-Attends. Je vais voir.

Il se glissa dans le trou, et ressortit aussitôt.

-Non, il n'y a rien.

Isabelle voulut entrer dans le terrier la tête la première.

-On n'entre pas comme ça là-dedans! On voit que tu n'es pas un lapin. Tu ne vas pas mettre ta tête tout au fond, et tes pieds dehors ! Tu dois aller en rampant en arrière.

Elle mit ses pieds à l'entrée du trou, et, en rampant à reculons vers le fond, elle s'enfonça dans le terrier jusqu'à avoir sa tête juste au bord, entre les racines de l'arbre.

Son ami vint se mettre près d'elle. Notre amie posa la tête sur sa main. De l'autre bras, elle serra le petit animal contre elle. Elle l'embrassa, et, sans lui mordiller les oreilles, elle finit par s'endormir.


Lorsqu'Isabelle s'éveilla, un grand rayon de soleil éclairait son visage. Elle regarda son lapin. Elle écouta son cœur. Elle posa sa main sur la poitrine de l'animal. Mais il n'était plus vivant. Il était redevenu un doudou.

Notre amie sortit du terrier, bien sale, et encore humide. Elle frissonna. Elle avait surtout très faim.

Elle traversa la rivière, courut à travers le champ détrempé, parvint à son jardin et tambourina contre la porte de la cuisine où maman se trouvait avec papa.

Les parents furent bien surpris de voir cette petite fille sale, trempée, affamée, mais heureuse. Elle avait retrouvé sa joie, son sourire et son lapin.


Isabelle se changea, déjeuna solidement et embrassa son doudou avant de partir à l'école. Elle le posa sur son oreiller.

Elle le retrouva au soir. Il n'avait pas bougé.

Elle ne mordille plus les oreilles de son doudou.