Christine

Christine

N°25

Les statues d'or. Myriam (Partie 2)

     Le soir tombait. Christine assise sur son lit attendait Chachou son hibou. Tout à coup, elle l'entendit. Il se posa sur son appui de fenêtre.

-Salut, Christine.

-Bonsoir, Chachou.

-Tu vas rire. Quelque chose d'extraordinaire et en même temps de drôle, m'est arrivé la nuit passée, déclara le hibou.

-Raconte, demanda notre amie.

-Il faisait très noir. Je survolais le lac vert au pied de la vieille tour. J'y trouve de bonnes souris bien tendres.

-Arrête, supplia la jeune fille. Je déteste quand tu me parles de tes tendres souris à croquer. Tu évoques la tour où vivait Myriam, mon amie aveugle ? (Lis ou relis le 1er épisode : La tour du lac vert. N° 24).

-Exactement, affirma le hibou. Deux hommes portaient des caisses qui semblaient lourdes. Ils regardaient tout le temps à gauche, à droite, puis derrière eux, comme s'ils craignaient d'être vus ou suivis par quelqu'un. Ils ne me voyaient pas. Je m'étais posé au sommet de la tour. Ils y sont entrés avec les caisses.

-Combien y en avait-il ? demanda Christine.

-Je ne sais pas compter, répondit le hibou. Je ne vais pas à l'école, moi. Puis les deux individus ressortirent. Alors, j'ai lancé monn hululement: « Ouh Ouh Ouh ». Ils s'encoururent à toute vitesse jusqu'à leur voiture garée un peu plus loin et se sauvèrent. Très amusant! Trop drôle!

Notre amie souriait. Chachou s'envola.

Christine s'endormit en réfléchissant à ce que le hibou venait de lui raconter. Deux hommes, la nuit, qui dissimulent des caisses dans une vieille tour, puis qui se sauvent quand ils entendent un hululement de rapace, c'est quand même bien étrange. Ça doit cacher quelque chose de pas très honnête tout cela. Des voleurs sans doute. Ce serait intéressant d'aller voir.

Elle a juste dix ans, mais tu n'en trouveras pas facilement une aussi curieuse qu'elle.


Le lendemain, elle demanda à ses parents la permission de partir pour la journée. Il faut marcher près de trois heures pour arriver à cette tour ! Notre amie s'équipa donc comme d'habitude. Elle mit sa vieille salopette en jean délavé, ses tennis, et sa ceinture pour y accrocher sa gourde. Elle se fit une tartine qu'elle emballa et glissa dans une de ses poches avec son canif. Elle arrangea ses deux tresses et partit après avoir pris son petit déjeuner.

Après une heure et demie sur la route en terre qui s'éloignait de sa maison, elle arriva à l'endroit où le chemin continuait encore, mais elle suivit à gauche un petit sentier qui allait par collines et vallées.

Elle traversa deux rivières, les pieds dans l'eau. Puis le sentier remontait et passait sous un bois de sapins. Enfin, elle atteignit le grand lac. De là, elle grimpa jusqu'au petit étang vert bordé d'un très beau saule pleureur penché. Ses feuilles touchaient l'eau. Elle aperçut la vieille tour. On entendait le chant des oiseaux.

Elle s'approcha de la grande porte et constata que le verrou n'était plus muni d'un vieux cadenas rouillé comme autrefois, mais d'un tout nouveau, en métal argenté. Elle ne pouvait évidemment pas l'ouvrir, ne possédant pas la clé.

Levant les yeux, elle repéra les meurtrières au premier étage et une large ouverture au deuxième, une ancienne fenêtre sans doute. Pas moyen d'escalader ces murs, donc, impossible d'entrer dans la tour. À moins que... mais oui ! Bien sûr.


Christine marcha jusqu'au grand chêne qu'elle connaissait. Tu te souviens, il est creux ! Elle grimpa dans l'arbre.

Arrivée tout en haut, elle s'assura que le fût du chêne contenait toujours une échelle de corde, qui descendait dans l'obscurité jusqu'au souterrain.

-Zut, murmura la jeune fille, j'aurais dû prendre ma lampe de poche. Tant pis !

Trop curieuse peut-être, elle descendit les échelons un à un. Il faisait de plus en plus sombre et de plus en plus froid. Elle parvint dans le souterrain. Rappelle-toi, d'un côté il est tout à fait écroulé, mais de l'autre, on passe aisément.

Christine avança doucement, pas trop rassurée. Elle ressentait un silence oppressant. Elle aperçut des grands rideaux. Elle les reconnut. Elle s'était autrefois cachée derrière eux.

Il ne faisait pas tout noir dans le souterrain à cause de petites mousses accrochées aux vieilles pierres humides et un peu phosphorescentes. Elle écarta les tentures, et entra dans la grande pièce sombre en descendant quelques marches d'escalier.

Plus aucune trace de l'ancienne habitation. Myriam vivait au village à présent. Mais il restait l'horloge, une grande horloge sur pied comme on en trouve parfois chez nos grand-mères, mais arrêtée évidemment. Pourquoi abandonne-t-on un si beau meuble à cet endroit? se demanda Christine.

Elle vit aussi une  longue table, si grande que probablement les parents de son amie n'avaient pas voulu l'emmener avec eux.

Elle suivit le petit couloir qui menait à la crypte. Elle était encore inondée. Notre amie glissa sa main dans l'eau. Toujours aussi froide...

Poussée par sa curiosité, elle entra dans l'eau. Comme autrefois, elle lui vint jusqu'au ventre. Elle avança le plus vite qu'elle pouvait parce que c'était glacial. Elle monta les trois marches d'escalier au bout de la cave et s'arrêta devant une énorme porte, fermée par trois verrous.

De l'autre côté, dans l'aventure précédente, se tenait la bête.

Elle posa son oreille contre la porte mais ne perçut que le silence. Prudemment, elle frappa. Pas de réponse. De toute façon, il est impossible d'ouvrir depuis l'autre cave, puisque les verrous se trouvent du côté de Christine. Elle n'entendit rien.

Elle fit glisser un premier verrou, puis le deuxième, et le troisième. Elle tira la porte vers elle et regarda. Il faisait très sombre, mais un peu de lumière venait par l'escalier en pierres, qui mène au rez-de-chaussée de la tour, près de la grande porte fermée par le nouveau cadenas.

Là, par terre dans la cave, se trouvaient six grandes caisses très lourdes. Impossible de les déplacer. Une d'entre elles n'était pas bien fermée.

Notre amie l'ouvrit à l'aide de son canif et aperçut de la paille. Elle l'écarta et découvrit une statue. Elle semblait en or ! Elle tenta de la lever. Elle était fort lourde.

Ça ressemblait à un chien, ou plutôt un chat, non, un renard, enfin pas tout à fait.

Christine se rappela tout à coup avoir étudié cela, avec sa maman. Cette espèce de chien-chat avec de longues oreilles, une statue sacrée d'Égypte : le chacal Anubis, le dieu des morts.

Aussitôt, la jeune fille pensa que des bandits avaient volé ces statues dans un musée et les cachaient là. Il fallait avertir la police.


Elle ressortit de la cave, referma les trois verrous, retraversa l'eau froide, parcourut la pièce vide où son amie Myriam avait habité, suivit le souterrain, remonta à l'échelle de corde, redescendit du chêne et retourna chez elle. Elle y arriva à la fin de la journée. Elle raconta sa découverte à ses parents. Son papa hésita.

-Ma chérie, tu penses à six statues car tu as vu six caisses. D'accord. Mais tu ne connais pas le contenu des cinq autres.

-Papa, ces caisses se ressemblent toutes.

-Nous ne savons pas si ces statues ont été volées. On les entrepose peut-être simplement là pour une raison ou pour une autre. Demain, nous irons au village. Mon tracteur va de nouveau tomber en panne. Je dois le conduire au garage. Viens avec moi, on se renseignera.


Le lendemain matin, Christine partit avec son père sur le tracteur.

Pour aller au village, il faut marcher deux heures. En tracteur, on va à peine plus vite tant le chemin est en mauvais état. Les roues plongent dans des grandes ornières de boue.

Notre amie aurait aimé conduire. À dix ans, dans le bois, elle se met souvent au volant de ce véhicule. Mais son père voulut le faire lui-même parce que le moteur risquait de caler et de s'arrêter définitivement. Ils arrivèrent au garage vers dix heures du matin.

-Je regarde cela, promit le mécanicien. Revenez vers deux heures cet après-midi. Je vais tenter tout ce que je peux, mais c'est un vieux machin...

-Bon. On décide quoi ma belle ? On rentre à la maison, ou on reste au village ?

-On attend ! Je peux aller dire bonjour à Myriam ?

-Bien sûr, va chez ton amie, permit papa. D'ailleurs, je ferai deux ou trois courses pendant ce temps-là. On se retrouve à midi à la boulangerie. On achètera un sandwich et on pique-niquera, à deux,  près de la rivière.


Christine se rendit chez sa copine. Elle raconta à son amie ce qu'elle avait découvert dans la tour.

Myriam regrettait de ne pas pouvoir accompagner son amie, pour vivre l'aventure avec elle. Elle comprenait cependant qu'avec la présence possible des voleurs, elle aurait couru un grand danger à cause de sa non-voyance. Puis elle ajouta :

-Je vais te donner un bon conseil. Écoute-moi bien. Tu me parles de cette horloge dans la pièce où je vivais.

-Oui, confirma Christine. Ainsi qu'une belle table.

-Mes parents ne l'ont pas emmenée à cause de sa trop grande taille, expliqua Myriam. Mais l'horloge, c'est autre chose. Tu te souviens de la herse, dans le souterrain, entre le bas du grand chêne et les longs rideaux. C'est la grille de l'ancien château. Si tu tournes les aiguilles de l'horloge, et que tu les arrêtes sur midi, la herse descend. Et si tu leur fais parcourir un autre tour complet et que tu places les aiguilles sur minuit, la herse se lève. Voilà pourquoi elle reste dans ces caves.

-Intéressant, songea notre amie. Et la cloche dans la tour ? Comment l'actionne-t-on ?

-Oh, ça c'est facile, répondit la maman de Myriam, qui écoutait bavarder les filles. Un câble en cuivre court le long du mur. Si tu tires assez fort dessus, la cloche sonne. 

-Merci, dit Christine. Tout cela pourrait m'être bien utile.

-Je m'en servais pour appeler Myriam quand elle sortait se promener au soleil ou sous les arbres. J'agitais la cloche quand elle devait revenir dans le souterrain.

Les deux amies jouèrent ensemble une partie de la matinée. Elles allèrent même à la plaine de jeux. Elles restèrent un long moment sur les balançoires. Christine aida plusieurs fois son amie à repérer le toboggan. Elle y montaient puis en redescendaient assises l'une derrière l'autre.

Elles riaient toutes les deux, heureuses d'être ensemble.


Vers midi, Christine reconduisit son amie chez elle parce qu'elle allait retrouver son père. Ils s'achetèrent à manger et à boire, et allèrent pique-niquer tous les deux, près de la rivière. Vers deux heures, ils retournèrent chez le garagiste.

-Bon, expliqua le mécanicien, le moteur de votre tracteur tourne mieux. Il va encore vous servir un temps, mais ce n'est plus la peine de revenir. Je ne peux plus le réparer. Il faudrait vraiment que vous pensiez à en avoir un autre.

-Je sais bien, soupira le papa. Je devrais en acheter un nouveau, mais il me reste cinq mille euros à trouver. Et je ne possède pas cette somme. On n'est pas riches chez nous, mais j'économise.

Christine écoutait, assise un peu plus loin.

-Regardez ma gamine, toujours dans sa vieille salopette usée, ajouta le papa. Elle aimerait peut-être avoir quelques tenues à la mode, comme les filles de son âge...

Sortant du garage, notre amie s'approcha de son père. Elle lui prit la main et l'embrassa.

-Tu sais, papa, pour grimper aux arbres, traverser les rivières, marcher dans les marécages et vivre des aventures, je n'ai pas besoin de vêtements neufs. Je préfère ma vieille salopette.

Ils se serrèrent dans les bras avec émotion un long moment.


Avant de revenir à la maison, ils repassèrent au magasin chercher quelques provisions commandées par maman. Christine feuilleta l'une ou l'autre revue. Tout à coup, elle appela son père.

-Papa, papa, viens voir.

« Vol dans le musée de la ville. Six statues en or ont été escamotées par des bandits, samedi passé. Aucune trace des voleurs. Les gendarmes ne possèdent pas la moindre piste actuellement. Ces statues de très grande valeur sont en or massif. Chacune d'elles pèse pas loin de vingt kilos. En plus, ces pièces uniques ont près de trois mille cinq cents ans d'âge. Elles valent encore bien plus que leur valeur or, déjà très considérable ».

L'article était illustré par cinq photos des objets volés.

-Regarde papa, cette photo-ci. C'est celle que j'ai vue dans la tour. Le chacal Anubis !

-Bon. On achète la revue.

-Merci papa.

De retour à la maison, notre amie découpa les images, bien décidée à retourner demain à la tour avec beaucoup de précaution pour vérifier, en ouvrant les caisses, si les statues d'or correspondaient à ces photos. Ensuite, elle pourrait prévenir la police, avec l'aide de ses parents.


Le lendemain, Christine partit donc très tôt pour la tour du lac vert. Elle y arriva vers dix heures. Elle emportait sa gourde d'eau et sa tartine, bien entendu.

Elle monta dans l'arbre et descendit dans le souterrain. Parvenue au milieu du passage, et malgré la demi-obscurité, elle observa le plafond et aperçut les pointes de la herse. Elle n'y avait guère prêté attention auparavant. La maman de Myriam avait baissé cette grille, autrefois, emprisonnant notre amie sans le savoir, lors de sa première visite des lieux.

Dépassant les lourdes tentures, elle entra dans l'ancienne pièce de séjour. Elle s'approcha de l'horloge. Elle tenta de tourner les aiguilles pour vérifier le fonctionnement de la grille. La herse descendit quand les aiguilles de l'horloge se trouvèrent sur midi et remonta quand notre amie les plaça sur minuit.

Christine continua son chemin. Elle traversa l'eau froide de la crypte. Son cœur battait fort. Le silence qui régnait ici semblait étouffant, oppressant.

Elle poussa les trois verrous et ouvrit la porte de la cave sous la tour. Elle s'arrêta un instant pour écouter. Personne.

Elle réussit, à l'aide de son canif, à soulever les couvercles des six caisses. Chacune contenait une statue en or. Elles correspondaient tout à fait aux images que Christine avait découpées dans la revue et emportées dans la poche de sa salopette.

Puis elle referma les caisses, enfonçant même les clous à l'aide d'une lourde pierre.
 

Hélas, elle ne savait pas qu'une voiture venait de s'arrêter pas loin de la tour. Deux hommes en sortirent. Ils possédaient la clé du cadenas de la porte principale. Ils ouvrirent. La jeune fille entendit par contre les grincements des charnières que l'on entrebâillait.

Elle chercha fébrilement un endroit pour se cacher, car ils descendaient vers elle. Trop tard pour fuir, soupira notre amie. Elle se glissa à plat ventre entre une caisse et le mur. Les deux hommes entrèrent dans la cave. Christine tremblait de peur.

-Pierre, regarde, dit l'un d'eux, la porte que nous n'avions pas réussi à décoincer est grande ouverte à présent. Quelqu'un est venu ici par l'autre côté. 

-Oui. Les caisses ont été fouillées et mal refermées, s'exclama l'autre, Bernard.

-Tu crois ? 

-Je te dis que quelqu'un en a soulevé les couvercles. Regarde. Les clous ne sont plus bien enfoncés. Et la porte qui donne dans cette crypte est ouverte. Que veux-tu de plus ?

Mon Dieu, soupira Christine, j'aurais dû la refermer! Ils vont chercher et me voir...

-Le voleur se trouve peut-être encore dans le bâtiment, fit Bernard, soyons vigilants ! Pierre, toi tu remontes et tu fouilles la tour.

-Bon. Et je fermerai le cadenas derrière moi en sortant. D'accord ?

-D'accord. J'explore l'autre côté. On se retrouve à la voiture dans cinq minutes.

Aucun d'eux ne songea à chercher notre amie cachée derrière une des caisses dans l'ombre. Il ne pensèrent pas à regarder.

Bernard franchit la porte et la referma derrière lui en repoussant les trois verrous. Il traversa l'eau froide, avança en regardant derrière les colonnes. Il arriva dans la salle de séjour où vivait Myriam autrefois. Il visita soigneusement les lieux. Puis, il suivit le souterrain, monta par l'échelle de corde et se retrouva dans l'arbre. Il en descendit et partit vers la voiture.

Pendant ce temps-là, Pierre suivit l'escalier. Il visita les étages de la tour et ne vit personne, bien sûr. Il ressortit, ferma la grande porte et bloqua le cadenas. Il garda la clé en poche. Il retrouva son copain.


Christine n'entendant plus rien, quitta sa cachette. Elle se rendit compte qu'elle était enfermée dans la tour! Elle ne pouvait pas ouvrir la porte de la cave parce que les verrous de l'autre côté étaient poussés et elle ne pouvait pas sortir par celle du rez-de-chaussée parce que le cadenas la bloquait.

Elle courut dans l'escalier et parvint au premier étage. Impossible de se sauver par là en s'accrochant le long du mur. Christine est plutôt mince mais elle ne peut quand même pas passer par la fente étroite d'une meurtrière.

Elle monta au deuxième étage, mais là elle n'osa pas entreprendre la descente extérieure, car si elle ratait son coup, elle risquait fort de se casser la jambe ou le bras en tombant. Elle se trouvait donc bien enfermée dans la tour !


-Que vais-je devenir ? se demanda-t-elle tout haut.

Elle songea soudain qu'elle pouvait agiter la cloche. Heureusement que Myriam lui en avait expliqué le mécanisme. Mais elle réfléchit que si elle sonnait maintenant, les bandits remarqueraient sa présence et reviendraient. Cela elle ne le voulait surtout pas. Angoissée, elle sentit couler ses larmes. Mais cette jeune fille a du cran. Elle décida d'attendre une demi-heure.

Elle s'assit par terre contre un des murs du second étage. Elle but un peu d'eau et mangea sa tartine.

Quand on reste ainsi sans rien faire, le temps ne passe pas très vite. Elle songeait que si personne ne se promenait ces jours-ci dans la forêt, elle risquait de rester enfermée dans ce bâtiment pour longtemps. Elle finirait par y mourir de faim... Papa et maman s'inquiéteraient de son absence, mais ils ne viendraient la délivrer que demain, s'ils pensaient à la tour...

Christine marcha de long en large. Elle regardait par les meurtrières. Après un temps qui lui parut bien long, elle saisit le câble en cuivre et tira très fort. Elle entendit : « Dong, dong, dong »...


Cinq cents mètres plus loin, dans une voiture cachée sous les arbres, les deux bandits discutaient pour échafauder leurs plans. Tout à coup :

-Tu entends, ces sons de cloche, Bernard ?

-Quelqu'un se trouve dans la tour, dit Pierre.

-Tu sais quoi, Bernard, on a enfermé le visiteur. Tu as poussé les verrous et moi, j'ai bloqué le cadenas. Notre fouineur est emprisonné là-dedans. Allons le cueillir et lui régler son compte. Qu'en penses-tu ?

-Bien vu, Pierre. Je remonte par le chêne et je repasse par la cave et la crypte. Tu me laisses le temps. Toi, dans cinq minutes, tu ouvres le cadenas et tu rentres par ce côté-là. Et notre petit curieux, on le coince. D'accord ?

-D'accord !

Bernard remonta dans l'arbre, descendit par l'échelle de corde, suivit le souterrain et arriva dans la grande pièce. Il passa devant l'horloge sans l'observer, continua par la crypte, et regarda sa montre avant de pousser les verrous.

Pendant ce temps-là, Pierre s'arrêta devant le cadenas. Il tenait la clé en main, prêt à ouvrir.


Christine les vit revenir. Tremblante de peur, elle se précipita dans la cave, et se reglissa derrière la caisse, puisque cela semblait une bonne cachette. Elle songea d'abord à se mettre derrière la porte. Mais en général, tout le monde regarde à cet endroit. Mauvaise idée.

Elle ne se coucha pas tout à fait à plat ventre cette fois. Elle se mit à quatre pattes. Elle calcula que si on ouvrait la porte de la crypte, elle pourrait profiter d'un instant d'inattention des bandits pour bondir et filer à toute vitesse et se sauver par le souterrain. Sa seule chance de leur échapper.

Tout à coup elle entendit : « Bang, bang, bang »... Les trois verrous tirés, la porte s'entrebaîlla. Au même instant, l'autre voleur ouvrit le cadenas, puis remit la clé dans sa poche. Il entra dans la tour.

-Bernard ?

-Oui, j'arrive, Pierre.

Comme prévu, Bernard commença par regarder derrière la porte. Notre amie se redressa, le cœur battant la chamade, et d'un bond très souple elle se précipita sur les marches d'escalier. Elle courut tellement vite qu'elle en rata une et tomba dans l'eau. Elle se redressa et se sauva, trempée et glacée.

-Ici, cria Bernard. Notre visiteur est un gamin. Je le vois. Suis-moi, Pierre.

Les deux malfrats entrèrent dans l'eau pour poursuivre Christine. On la prenait souvent pour un garçon.

Elle venait d'arriver dans la grande pièce. Elle s'apprêtait à courir dans le souterrain et monter dans l'arbre, mais une autre idée lui vint.

-Si je sors par là, ils vont me rattraper ! L'horloge... mais oui, bien sûr !

Elle fit tourner les aiguilles. Elle les arrêta sur midi et la herse descendit, fermant l'issue de ce côté. Puis la jeune fille se cacha derrière les longs rideaux, à l'entrée du souterrain. Elle ne bougea plus.


Les bandits arrivèrent, montèrent les marches d'escalier, passèrent près des rideaux et coururent vers l'arbre.

Christine dont le cœur battait à tout rompre sortit de sa cachette, repartit dans l'autre direction, retraversa la crypte pleine d'eau, la cave où se trouvaient les six caisses, monta l'escalier, et sortit de la tour par la grande porte. Elle ferma le cadenas en l'enclenchant d'un coup sec.

À leur tour, les deux voleurs se trouvaient enfermés. Notre amie était sortie.

Quelle fille débrouillarde ! Les hommes ne pourraient pas ouvrir le cadenas situé de l'autre côté de la porte. Ils ne pourraient pas passer par les meurtières et n'oseraient pas sauter du deuxième étage. Côté souterrain, ils étaient arrêtés par la herse, à moins qu'ils pensent à tourner les aiguilles de l'horloge bien entendu...  Mais c'était peu probable.

-C'est quoi cette grille ? s'écria Bernard.

-Je ne sais pas. Elle n'était pas là quand je suis passé tantôt. Vite, courons dans l'autre sens.

Ils arrivèrent à la porte cadenassée de la tour.

-La porte ! La porte de la tour est fermée ! Tu te rends compte, ce sale gamin nous a enfermés !


Ils montèrent à l'étage et regardèrent dehors. Ils aperçurent Christine qui s'encourait et ils remarquèrent ses tresses qui volaient au vent.

-Tiens, c'est une fille, dit l'un d'eux. 

Bernard sortit son révolver de sa poche.

-Non, ne tire pas. Si tu tues cette gamine, on ira en prison pour le restant de nos jours.

-Je vais lui faire peur, affirma l'autre. Haut les mains ! Arrête-toi ou je fais feu.

Christine continua à courir, malgré sa peur. Il vaut mieux que je m'enfuie, songea-t-elle.

-Arrête, arrête, petite fille, arrête-toi, cria Bernard.

Il fit feu trois fois. Notre amie tremblait, mais continua à courir.


Elle courut, elle courut, elle courut, jusque chez elle. Elle arriva vers quatre heures de l'après-midi à la maison tout essoufflée et en sueur.

Elle raconta à son papa et à sa maman toute son aventure, en détails. Les statues d'or dans les six caisses et les bandits enfermés entre la tour et la herse du souterrain.

Ses parents la félicitèrent pour son extraordinaire esprit d'initiative et son fabuleux courage.

Ils téléphonèrent aussitôt à la gendarmerie. Le commissaire chargé de l'enquête concernant le vol des statues souhaita la présence de la jeune fille à la tour pour guider les hommes dans l'arbre et expliquer sur place le mécanisme de la herse. Ils ne pouvaient pas venir chercher Christine à sa maison, au milieu de la forêt, car cela prendrait trop de temps.

Notre amie repartit donc, à pied avec son papa. Trois heures de plus : cela faisait neuf heures qu'elle courait les sentiers aujourd'hui ! Elle avait faim mais le repas du soir attendrait. Elle marcha sans se plaindre, volontaire et décidée à en finir avec ces bandits.


Le père et la fille arrivèrent à la tour et aperçurent deux camionnettes de gendarmerie, garées à côté de la voiture de Pierre et de Bernard. Donc, les voleurs n'avaient pas réussi à se sauver.

Christine expliqua au commissaire que les deux hommes se trouvaient entre la herse et l'entrée de la tour. 

Puis, suivie par les policiers et accompagnée par son papa, elle monta dans le chêne et descendit dans le souterrain. Là on la fit reculer, par prudence. Eux s'approchèrent doucement de la herse et crièrent dans un porte-voix.

-Les bandits appelés Pierre et Bernard ! Approchez. Rendez-vous, et jetez votre arme.

-Oh non! enragea Pierre. C'est pas possible !

-On est pris, râla Bernard. Tu te rends compte !

Ils lancèrent leurs armes à travers les barreaux de la herse.

-Jetez la clé du cadenas à présent, crièrent les policiers.

Les gendarmes entrèrent sans difficulté et prirent les deux bandits. Ils les attachèrent solidement avec les menottes et les emmenèrent dans leur camionnette.

Après cela, ils chargèrent les caisses dans l'autre véhicule.

Neuf heures du soir. La nuit tombait. Tout le monde se retrouva au village.

Puis les gendarmes reconduisirent Christine qui s'endormait et son père jusqu'à leur maison. Notre amie avala son souper et se coucha, morte de fatigue.


Le lendemain, vers la fin de la matinée, Christine faisait ses devoirs sagement avec ses parents, quand ils entendirent une voiture s'approcher. Un gendarme en sortit en compagnie d'un monsieur très distingué. Il portait un costume du meilleur goût et une cravate de marque.

Ils frappèrent à la porte de la maison de notre amie. Ils entrèrent dans la pièce de séjour.

-Je suis le conservateur du musée où furent volées les statues égyptiennes. Toi jeune fille, tu les a retrouvées et tu as enfermé les bandits en même temps dans la tour.

-Oui, monsieur, répondit Christine en souriant.

-J'ai lu le récit de tes exploits. Je te félicite pour ton intelligence et ton cran. Je promettais une récompense pour celui ou celle qui nous aiderait à retrouver ces statues de grand prix. Elles valent plus que leur valeur or à cause de leur ancienneté. Plus de trois mille ans d'âge. Tu mérites la récompense. Alors, dis-moi. Comment puis-je te faire plaisir? Veux-tu une collection de poupées, des jeux électroniques, un ordinateur et son imprimante couleur ?

Il observa notre amie vêtue de sa salopette usée et ses tennis sales.

-Aimerais-tu recevoir une collection de vêtements à la mode ?

Christine répondit sans hésiter.

-Je ne veux rien de tout cela, monsieur. Si vous voulez me faire vraiment plaisir, donnez l'argent à mon père pour acheter un nouveau tracteur. Il lui manque cinq mille euros.

Le conservateur du musée regarda la jeune fille un long moment en silence.

-Bien. Tu es aussi généreuse que courageuse. La récompense promise était de quatre mille euros.

Il sortit un chèque, écrivit, le signa et le donna à Christine. La jeune fille ouvrit de grands yeux. Le directeur du musée avait inscrit cinq mille euros !

-Papa, sourit Christine, tu peux aller acheter ton nouveau tracteur !