Magali

Magali

N°20

Le petit agneau de Pâques

     Magali courait au jardin. Elle suivait un papillon jaune et bleu. Il voltigeait au soleil.

Tout à coup elle entendit un garçon qui riait dans le jardin voisin du sien, de l'autre côté de la haie.

Adrien, se dit-elle.

La maison voisine de celle de notre amie appartient à un vieux monsieur. Le grand-père d'Adrien. Et Adrien, ce garçon de quatre ans et demi comme elle, est le meilleur ami de Magali. Ils ne se voient, hélas, pas très souvent. Ils ne jouent ensemble que quand il vient passer la journée chez son grand-père.

Notre amie oublia le papillon bleu et jaune et se glissa par un trou de la haie jusque dans l'herbe et les fleurs du jardin voisin. Elle se redressa et appela son ami.

-Adrien !

Le garçon se retourna et aperçut la fillette. Un grand sourire illumina son visage.

-Magali ! Tu viens jouer avec moi ?

Ils se donnèrent un bisou sur la joue.


-J'ai remarqué quelque chose d'étrange derrière ton jardin, Magali. Quelque chose de blanc. Tu sais ce que c'est ?

-Non, fit la fillette étonnée. Allons voir, suis-moi.

Ils passèrent tous deux par le trou de la haie, puis se dirigèrent vers la barrière. Notre amie fit glisser la barre de fer qui sert de verrou vers la gauche et ouvrit.

Ils suivirent le chemin en terre qui longe l'arrière des maisons puis franchirent un petit fossé.

Et là, au milieu des mauvaises herbes, le long du champ de blé, ils remarquèrent quelque chose de blanc.

Intrigués, ils s'approchèrent en se donnant la main et découvrirent un petit mouton, couché dans l'herbe.


-Oh! un petit agneau! dit Magali. 

Elle tendit la main pour le caresser, mais arrêta son geste.

-Il ne bouge pas. On dirait qu'il dort.

-Je ne crois pas, fit Adrien. S'il dormait, on verrait bouger son ventre quand il respire.

-C'est peut-être un faux, dit notre amie. Un agneau en bois ou en plâtre, comme dans la crèche de Jésus, à Noël.

Elle le toucha. C'était un vrai petit mouton, couvert de boucles blanches.

-Il ne bouge pas, répéta la fillette. Peut-être qu'il est mort...

-Oui, il est mort, affirma le garçonnet. Et sa mère l'a laissé là.

-Je ne veux pas qu'on l'abandonne ainsi, dit Magali. Il faut faire quelque chose.

-Pourquoi ?

-Parce que si on le laisse là, le renard va venir le manger.

-Il ne sentira rien, fit remarquer Adrien. Il est quand même mort.

-Je ne veux pas le laisser là.

-Tu veux qu'on prenne une pelle et qu'on l'enterre ? proposa le garçon.

-Non, ce sera trop triste. Ça ressemblera à un vieux chat ou un vieux chien qu'on enterre au fond du jardin. Et puis la terre va le salir. Je ne veux pas.

-Que fait-on, alors ?

-Viens, on va demander à mes parents.


C'était le samedi Saint, la veille du dimanche de Pâques. Maman et papa étaient fort occupés à préparer la maison pour recevoir les grands-parents de Arnaud, Magali et Julien, demain. Arnaud, le grand frère âgé de huit ans, aidait à la cuisine. Julien, le bébé, jouait dans son parc.

-Maman !

-Oui, Magali. Oh! bonjour Adrien, dit la mère de notre amie.

-Bonjour, madame, répondit poliment le garçonnet.

-Maman, on a découvert un petit agneau derrière le jardin, dans les hautes herbes, près du champ de blé, de l'autre côté de la route. Il est mort. Que peut-on en faire ?

La mère de Magali sembla hésiter un instant.

-Rien pour l'instant, ma chérie. Tu ne dois rien faire. Je vais me renseigner.

-Mais si on le laisse là, le renard va venir le manger.

-On pourrait l'enterrer, madame, suggéra Adrien.

-Ça ne servira pas à grand-chose. Même si vous creusez avec une pelle, le renard le sentira et l'emportera après avoir gratté la terre.

-Mais alors, on fait quoi? demanda la fillette.

-Laissez-le là, répondit la maman.

Ils retournèrent tous deux au jardin.


-J'ai une idée, dit Magali.

-Tu penses à quoi ?

-On pourrait le prendre et aller le mettre tout au bout du chemin en terre, juste où il rencontre la route. Là où se dresse une croix de Jésus sur un autel en pierre. On pourrait y poser le petit agneau et demander à Jésus de s'en occuper.

-Si tu veux, accepta le garçon.

Ils ressortirent du jardin et retournèrent près de l'agneau.

-Tu le prends ? demanda Adrien.

-Je n'ose pas, fit Magali. Il est mort. Je n'ai pas envie de le porter dans mes bras.

-On pourrait le tirer par les pattes ?

-Non, je ne veux pas. Ça va le salir.

-Ou le traîner par la queue.

-Non.

-Et si on prenait une brouette ? 

-On n'en a pas, mais j'ai une autre idée. Viens, dit Magali.

Ils retournèrent dans la maison de notre amie et entrèrent dans la cuisine.

-Je vais prendre cette grande serviette de vaisselle jaune. On le mettra dedans.

Ils revinrent près de l'agneau. La fillette étendit la serviette par terre. Ils saisirent l'agneau par les pattes et l'y posèrent. Puis empoignant chacun deux coins du tissu, ils emportèrent le petit mouton jusqu'au bout du chemin.


Là se dressait une table en briques rouges. Un grand crucifix y était fixé avec un Jésus en bois sur la croix.

Les deux enfants déplièrent la serviette sur la dalle grise de l'autel. Le petit agneau reposait, immobile sur le tissu jaune.

-Voilà, Jésus, dit Magali. Je te confie le petit mouton. On est samedi Saint, la veille de Pâques. Notre instituteur nous a expliqué en classe que cette nuit tu vas ressusciter. Tu vas revenir à la vie. Et bientôt, tu monteras au ciel.

Notre amie regardait la croix.

-Tu peux ressusciter le petit agneau en même temps que toi et l'emmener cette nuit dans ton paradis, si tu veux. Tu pourras jouer avec lui. Tu pourras même le montrer à ta maman, à Marie. Au revoir, Jésus. Amuse-toi bien avec le petit mouton.

Magali fit un signe de croix et revint à la maison avec Adrien. Ils jouèrent au jardin tout l'après-midi.


Au soir, le copain de notre amie retourna chez ses parents.

Pendant le repas, en présence de papa, Arnaud, le grand frère de Magali et de Julien, maman posa une question embarrassante.

-Qui a pris la grande serviette de vaisselle jaune ?

-Ce n'est pas moi, répondit papa.

-Moi non plus, lança Arnaud.

-N'accusez pas le bébé Julien, fit maman en riant.

Magali devint toute rouge.

-C'est moi, maman.

-Qu'en as-tu fait, ma chérie ?

-C'était pour emporter le petit mouton mort jusqu'à la croix de Jésus au bout du chemin, avec Adrien.

-Et pourquoi l'avez-vous conduit là ?

-Je l'ai posé aux pieds de Jésus. Comme il va ressusciter cette nuit, il pourra le ramener à la vie aussi et l'emmener dans son paradis.

Arnaud souriait en observant sa petite sœur qu'il trouvait bien naïve, mais il se tut.


Le lendemain, le dimanche de Pâques, après le petit déjeuner, Arnaud et Magali passèrent au jardin ramasser des œufs en chocolat. Puis maman demanda à notre amie d'aller chercher la serviette de vaisselle jaune.

La fillette ouvrit la barrière au fond du jardin et suivit le chemin en terre jusqu'à la croix de Jésus.

La serviette jaune était là, exactement où elle l'avait posée hier. Mais le petit agneau n'y était plus.

Notre amie sourit et se tourna vers Jésus.

-Tu l'as ressuscité cette nuit en même temps que toi, n'est-ce pas Jésus? Tu l'as emporté dans ton paradis. Amuse-toi bien avec lui. Et n'oublie pas de le montrer à ta Maman.

Magali revint joyeuse et souriante à la maison.