Juliette

Juliette

N°12

Après la pluie

     Il pleuvait. Un violent orage se déchaînait. Les éclairs zébraient le ciel noir. Le vent sifflait. La pluie frappait les fenêtres.

Juliette, trois ans et demi, se trouvait à la maison. Elle n'était pas très rassurée en regardant dehors. Pourtant, sa maman n'était pas loin. La petite fille vit l'herbe du jardin se noyer sous l'eau et former des grandes flaques partout.

Bastien, son petit frère d'un an, jouait dans son parc installé au salon, indifférent à la tempête.

Puis l'orage cessa. Les nuages partirent, emportés par le vent. Le ciel se dégagea, le bleu apparut, le soleil brilla de nouveau.

Juliette demanda à sa maman la permission d'aller jouer dehors.

-Oui, tu peux, ma chérie, mais ne t'éloigne pas.

Elle mit ses bottes, sa veste à capuchon, et sortit sur le trottoir, devant la maison.


Elle vit des flaques d'eau partout. Notre amie s'amusa un moment à marcher puis à courir et à sauter dans l'eau. C'était trop drôle. Cela mouillait beaucoup, car des gouttes d'eau s'éparpillaient sur ses bottes et sa salopette rose.

Maman n'allait sans doute pas être très contente de voir sa petite fille revenir trempée de la tête aux pieds à la maison.

Juliette s'approcha du bord du trottoir, le long de la route où passent les voitures. Elle regarda un moment le torrent un peu sale qui coulait à ses pieds dans la rigole.

L'eau passait à toute vitesse, emportant des petits bâtons, des feuilles mortes, des brins de paille. Ils défilaient et allaient vers un égout qui se trouvait un peu plus loin et avalait à grand bruit tout ce qu'il recevait.


Juliette y aperçut tout à coup un petit bateau en carton. 

Trois coccinelles rouges à points noirs s'y trouvaient accrochées. Les pauvres petites s'étaient réfugiées sur ce petit bateau. Leurs ailes, toutes mouillées par la pluie, semblaient ne plus pouvoir se déployer pour leur permettre de s'envoler.

La fillette les suivit des yeux. Elle marcha le long du trottoir pour voir jusqu'où le courant les emporterait. Le bout de bois approchait de l'égout à grande vitesse.

Notre amie comprit que le bateau allait tomber dans la canalisation et que les coccinelles y mourraient noyées.

Sans hésiter, elle se pencha et le prit entre les doigts. Puis elle se redressa et revint fièrement à la maison.


Elle s'arrêta dans le hall d'entrée et posa le petit bateau un instant sur la première marche de l'escalier. Les trois coccinelles ne bougeaient pas. Elles semblaient collées sur leur radeau. Notre amie retira ses bottes et sa veste.

Elle ramassa ensuite la petite embarcation et monta sur ses chaussettes jusqu'au grenier, sous le toit, tout en haut de la maison. Les dernières marches d'escalier gémissaient à chaque pas. Cela faisait un peu peur.

Juliette ouvrit la porte, qui miaula comme un vieux chat. Puis elle alluma la lumière. « Clic ».

Elle aperçut aussitôt ce qu'elle cherchait : la corde à laquelle ses parents pendent parfois les vêtements quand ils sortent de la machine à laver.

Notre amie prit une pince à linge et y accrocha le petit bateau avec les trois coccinelles qui s'y trouvaient toujours.

Puis elle redescendit jouer avec Bastien assis dans son parc, au salon.


Quelques instants plus tard, la fillette décida tout à coup de ressortir sur le trottoir pour voir s'il n'y avait pas d'autres petits animaux à sauver de la noyade.

A quelques mètres, sur la droite, elle aperçut deux limaces qui se traînaient vers la haie de la maison voisine. Une bleue et une rouge. Plus loin, se trouvaient deux escargots. Leurs coquilles étaient oranges. Ils ne bougeaient pas et semblaient attendre quelque chose.

Une tortue arriva par l'autre côté. Elle passa près de Juliette et s'arrêta au niveau des deux escargots. Les limaces s'approchèrent en bavant.

Il y eut comme un échange de saluts. La tortue regardait tantôt à gauche, tantôt à droite. Les quatre autres faisaient danser leurs yeux en forme d'antennes.

Puis, les limaces et les escargots montèrent sur la carapace de la tortue. Celle-ci alors avança vers la haie et passa le long de la maison de Juliette. Elle arriva au jardin.


Notre amie qui les suivait, s'approcha.

-Où allez-vous ?

-Je les conduis à la fête de la pluie, dit la tortue. Ils sont si lents quand ils avancent, que si je ne les aide pas, ils arriveront trop tard à la flaque. Le soleil l'aura séchée.

-C'est loin ? demanda la fillette.

-Non, suis-moi, si tu veux.

Juliette accompagna la tortue qui portait toujours les deux limaces et les deux escargots sur le dos.

Ils rencontrèrent deux autres colimaçons. Leur coquille brune luisait.

-Prends-les en main, demanda la tortue à notre amie. Il ne reste plus de place sur ma carapace.


La petite bande arriva au pied d'un vieux chêne. Une large flaque d'eau stagnait entre ses racines, à cause de l'orage. Le soleil s'y reflétait, brillant comme un diamant.

Plusieurs limaces, des escargots, et quelques petites grenouilles s'y trouvaient déjà. Juliette posa dans l'herbe les deux colimaçons qu'elle tenait en main.

-Merci, petite fille, dit la tortue. Et merci d'avoir sauvé les trois coccinelles de la noyade dans l'eau de la rigole et de l'égout.

Juliette regarda quelques instants les escargots et les limaces qui dansaient autour de la flaque en bougeant leurs yeux-antennes. Puis elle s'éloigna, les laissant à leur fête de la pluie.


Sitôt de retour chez elle, notre amie remonta au grenier. Les trois coccinelles avaient séché. Elles se tenaient près du toit.

-Je viens vous ouvrir la fenêtre, annonça la fillette.

Elle observa les trois petites qui se baladaient l'une derrière l'autre sur les poutres en bois, avec leurs ailes bien sèches à présent. Elles semblaient prêtes à partir au loin.

Elles voltigèrent soudain gentiment dans la lumière du grenier, passant et repassant dans un rayon de soleil qui entrait par la lucarne.

Juliette ouvrit la fenêtre et les laissa s'en aller. Elles s'envolèrent bien vite après s'être retournées un instant comme pour saluer notre amie, puis disparurent dans le ciel bleu.


Un moment plus tard, la première coccinelle revint. Elle apportait à Juliette un coquelicot aux pétales rouges.

La deuxième arriva à son tour. Elle offrit une cerise rouge à notre amie.

La troisième coccinelle reparut enfin. Elle apportait un poisson rouge !


Depuis ce jour-là, notre amie garde un petit poisson dans sa chambre. Elle l'appelle « Pluie d'orage », en souvenir de la tempête après laquelle elle a rencontré les trois coccinelles, les limaces, les escargots, les grenouilles et la tortue à la fête de la pluie.