Caroline & Rivière d'étoiles

Caroline & Rivière d'étoiles

N°6

L'Homme qui voulut tenir le soleil entre ses mains

     Caroline et Rivière d'Etoiles avaient très chaud dans la montagne, sous le soleil d'été. L'une dans le village amérindien, l'autre au petit hôtel des parents où l'on attendait le client. Chacune de son côté, elles jouaient, Caroline avec ses petits frères et Rivière d'Etoiles avec ses petites sœurs.

Au début de l'après-midi elles descendirent vers Blanding. Elles s'étaient fixé rendez-vous pour treize heures dans le lit asséché de la rivière, à mi-chemin. Le jour du marché, peut-être que cela rafraîchirait un peu de s'y balader. Avec quelques sous en poche, elles pourraient sans doute s'acheter une boisson fraîche ou une glace.

Emmenant les petits frères et les petites sœurs, les deux aînées partirent vers le grand village. On se bousculait dans les ruelles noires de monde. À certains endroits, dans les avenues, les habitants exposaient leurs objets hétéroclites, une simple brocante, devant les garages ou devant les jardins des maisons. À d'autres endroits, vers le centre de la petite ville, des marchands vendaient des bœufs, des vaches, des moutons et même des chevaux. Certains, magnifiques à voir, se laissaient caresser, flatter. Posséder son cheval et pouvoir le monter à sa guise était un rêve secret de Rivière d'Etoiles et de son amie.

D'autres vendeurs montraient toutes sortes d'animaux capturés dans la forêt. Un vendeur de serpents intrigua très fort les enfants. Ils s'y attardèrent longtemps. Ils passèrent devant les étals où étaient exposés de très beaux fruits, des tissus de toutes sortes, des cuirs et même des objets en or et en argent mais ceux-là, particulièrement, coûtaient bien trop cher pour nos deux amies.

 

À l'ombre d'un arbre, un peu éloigné de la cohue, se trouvait un vieil Amérindien aveugle. Il était assis et ne vendait rien, enfin presque rien. Appuyé contre un mur lézardé, les jambes croisées, il semblait regarder vers l'infini. Il exposait un papier brun enroulé sur lui-même, une sorte de parchemin. Les gens défilaient, indifférents, devant lui.

Les deux filles s'approchèrent et demandèrent au vieil homme ce qu'il vendait. Il répondit qu'il ne vendait rien. Il comptait donner son parchemin. Il voulait l'offrir à un enfant, un enfant particulièrement courageux. Caroline répondit au vieil Amérindien qu'il trouverait certainement bien un jour quelqu'un digne de son document.

Les deux amies s'éloignèrent, mais quelques copains et copines de classe qui accompagnaient Rivière d'Etoiles et Caroline revinrent sur leurs pas. Ils expliquèrent au vieillard que celles qui lui avaient parlé étaient particulièrement volontaires et surtout, extrêmement courageuses. Elles l'avaient déjà montré à plusieurs reprises.

Alors, l'homme fit revenir les deux amies et leur proposa le parchemin.

-Avant de vous le remettre, murmura le vieil Amérindien dans un dialecte à peine compréhensible pour Rivière d'Etoiles qui traduisait, il faudra résoudre deux énigmes.

Les enfants s'assirent en rond. Il prononça la première devinette.

-Apporte-moi, dit-il, celle qui ne peut changer de place pendant sa vie, mais commence à voyager juste après sa mort.

Les enfants se regardèrent. Caroline et Rivière d'Etoiles manquaient d'idées.

Toi, tu trouves la solution? Cherche un instant avant de lire la suite...

-Celui qui ne peut pas changer de place pendant sa vie, réfléchit Caroline, le peut encore moins après sa mort, normalement.

Tout à coup, elle eut une idée. Elle courut ramasser une feuille qui venait de se détacher d'un arbre et que le vent emportait. Elle plaça la feuille dans la main du vieillard.

-Voici celle qui ne peut changer de place pendant sa vie car elle tient à la branche à laquelle elle est attachée, grand-père. Et dès que tu ouvriras ta main, elle pourra librement voyager au gré du vent car elle est morte.

-Bravo, répondit le vieil homme.

Puis il proposa sa seconde énigme.

-Prenez, en centimètres, la longueur d'un cheveu de la crinière d'un lion. Retirez de ce chiffre le nombre de dents de l'homme de trente ans. Soustrayez du résultat le nombre de pinces d'un crabe. Divisez le chiffre obtenu par le nombre de fois que la lune est plus petite que la terre. Multipliez le tout par le nombre exact d'ours polaires recensés au pôle sud. Vous saurez ce que je tiens dans mon poing fermé, dit l'homme, en levant sa main gauche.

Caroline hésita.

-La crinière d'un lion, cela doit faire 50 centimètres. Mais l'homme adulte possède combien de dents?

-Trente-deux, lança l'un de ses copains.

-50 moins 32, cela fait 18. Le crabe possède 2 pinces. Tout le monde le sait. Il reste 16. Et la lune, combien de fois est-elle plus petite que la terre?

-Quatre fois plus petite que la terre, affirma Rivière d'Etoiles. Mon grand-père me le dit souvent.

-Alors, réfléchit Caroline, 16 divisé par 4 égale 4.

Soudain, une autre idée lui vint. Elle sourit.

-Il faut multiplier ce dernier chiffre par le nombre d'ours polaires recensés au pôle sud. J'ai lu dans un livre à l'école qu'il n'y en a pas, affirma notre amie. Tous les ours polaires vivent au pôle nord. On n'en trouve pas au pôle sud. Quel que soit le chiffre que j'obtiens, je dois le multiplier par zéro. La réponse est donc zéro. Vieil homme, tu ne tiens rien dans ton poing fermé, risqua Caroline.

-Vos amis disent que vous êtes courageuses, répondit l'Amérindien. Je constate en plus votre intelligence, votre perspicacité. Voici le parchemin.

Le temps que nos amies le prennent et le déroulent avec précaution, le vieil homme était parti.


Les filles ne comprirent pas le sens de ce document. Rivière d'Etoiles proposa à Caroline d'aller au camp des Amérindiens et de demander conseil à son grand-père, l'ancien sachem. Il sait tant de choses.

Le vieil homme examina le parchemin avec soin. II réfléchit un moment. Il semblait hésiter. Puis, il expliqua que ce papier, assez ancien, décrivait une route qui va dans la montagne, une route abandonnée aujourd'hui.

-Personne ne monte plus là-haut. Vous pouvez vous risquer sur ce sentier, puisque vous tenez ce parchemin. Mais normalement seuls les hommes-médecine des tribus l'empruntaient… autrefois.

"Il faudra deux jours de marche pour atteindre l'entrée d'une grotte étrange indiquée tout en haut du plan. Le premier jour, si vous marchez bien, vous arriverez à une cabane de pierres. Je la connais. Quelques bergers y passent encore parfois la nuit. Il doit s'y trouver du bois pour vous chauffer. Prenez une veste, car il peut faire froid là-haut. Le chemin souvent vertigineux, passe au-dessus de torrents de montagne et longe en à-pic le bord de gouffres profonds.

Caroline et Rivières d'Etoiles écoutaient en silence.

-Le lendemain, vous parviendrez à un endroit que je ne peux vous décrire car je ne l'ai jamais vu. Aucun homme de ma tribu ne s'y rend. On dit que ce lieu diffère des déserts ou des bois qui nous entourent. Des arbres porteurs de fruits pousseraient au bord d'un lac, paraît-il. Les filles, bonne chance, conclut le vieux sachem.

Elles profitèrent de quelques jours de congé pour tenter l'expédition. Il fallut convaincre les parents. Deux petites filles seules dans la montagne pendant quatre jours... Ils finirent pourtant par donner l'autorisation. 

Elles préparèrent leurs affaires avec soin. Elles choisirent leurs meilleures baskets, un jean pour Caroline, tandis que Rivière d'Etoiles porterait son éternelle salopette délavée. Elles choisirent un t-shirt bien chaud. Elles plièrent leur veste et chargèrent leurs gros sacs à dos de provisions, plus une couverture chacune. Caroline dormit chez son amie la veille du départ.


Au début, la piste parut facile, mais peu à peu, la vallée se fit de plus en plus profonde. Un torrent s'y fracassait de rocher en rocher. Les cimes qu'elles apercevaient entre les arbres se dressaient de plus en plus haut. La route devint fort étroite et très escarpée. Plus aucun pont n'enjambait les torrents. Pour les franchir, à présent, il fallait s'accrocher aux enchevêtrements de branches et de bois mort éclaboussés par l'eau froide.

En début d'après-midi, elles passèrent sur un pont de lianes. C'était vertigineux. Enfin, après une journée de marche épuisante, car ça grimpait sans cesse, elles parvinrent à la maison de pierres que le parchemin indiquait et que le grand-père de Rivière d'Etoiles avait évoquée.

Une solide porte en signalait l'entrée. Un gros tas de bûches se trouvait empilé le long d'un des murs. Les filles entrèrent. Elles observèrent un instant le sol en terre battue, les murs froids, humides. Aucun meuble.

-Nous ne sommes pas des mauviettes, se dirent-elles.

Elles allumèrent un feu dans la cheminée.

Le soleil venait de se coucher. Le froid pinçait. Heureusement, à l'intérieur du petit refuge, les flammes et les braises commençaient à donner une bonne chaleur. Elles calèrent la porte avec une pierre pour se protéger de visiteurs indésirables. Elles s'assirent à terre près du foyer dont la lumière dansait sur les murs.

Elles ouvrirent leurs sacs à dos et en sortirent chacune sa couverture. Elles mangèrent le moins possible, tenant compte qu'il fallait des provisions pour la montée de demain, un jour peut-être pour explorer les grottes mystérieuses, et deux jours pour redescendre dans la vallée. Elles bavardèrent ensuite un long moment, couchées près des flammes. Puis elles s'endormirent, enroulées dans leurs couvertures. Dehors, le vent sifflait et parfois s'infiltrait entre les vieilles planches un peu disjointes de la porte.

 

Le lendemain, la journée fut encore plus rude. Il fallut sans cesse grimper. Le chemin devenait de plus en plus hasardeux, de plus en plus mal dessiné, de plus en plus difficile à repérer. Plusieurs fois, elles s'arrêtèrent, hésitant quant à la route à suivre. Il faisait assez froid, malgré le beau temps, mais elles n'eurent guère l'occasion de s'en apercevoir car la marche les réchauffait.

En fin d'après-midi, elles parvinrent à l'entrée d'une grotte. Elles s'apprêtaient à passer là une nuit glaciale, mais elles eurent la bonne surprise de sentir un air tiède, agréablement parfumé.

D'où venait-il, cet air tiède?

Elles avancèrent plus loin dans la grotte. Cela continuait. Elles suivirent une sorte de tunnel sinueux, assez long. Il n'y faisait pas tout noir. L'air chaud et humide qu'elles appréciaient favorisait la présence de petites mousses vertes et de lichens phosphorescents accrochés aux parois du passage, tant au plafond qu'aux murs latéraux. Cela donnait une vague lueur verdâtre et permettait d'avancer sans danger.

Elles progressèrent ainsi dans cette longue caverne qui ressemblait à un tunnel. Puis elles aperçurent peu à peu de la lumière, celle du soleil qui allait se coucher. Elles sortirent de la grotte et regardèrent, éblouies, autour d'elles.


Elles se trouvaient à l'intérieur d'un gigantesque cratère de volcan, un vaste espace entouré de hautes montagnes couvertes de neige. Le soleil, qui disparaîtrait bientôt, faisait briller ces neiges des cimes. Un spectacle d'une hallucinante beauté.

Au centre du cratère s'étendait une grande prairie, un verger, et plus loin, un vaste lac parfaitement rond. Tout autour poussaient des arbres par centaines, des arbres fruitiers. Un palais en pierres roses se dressait un rien en hauteur, précédé de terrasses recouvertes de fleurs luxuriantes qui se succédaient jusqu'au bord de l'eau. Ce n'étaient que fontaines, herbe verte et fleurs. Les deux amies, très intriguées et émerveillées, descendirent lentement les marches d'escalier qui menaient vers ce paradis.

S'approchant de l'eau et y passant la main, elles s'aperçurent qu'elle était tiède. Les arbres portaient des fruits mûrs de toutes sortes d'essences, même des fruits des tropiques. Caroline cueillit une orange et Rivière d'Etoiles un pamplemousse. Elles passèrent sous des pommiers, des poiriers, des cerisiers. Certains fruits inconnus semblaient délicieux. Des goyaves, des fruits de la passion...

Les deux amies se regardèrent, étonnées. L'eau tiède et transparente les appelait à se baigner. Les jardins, le palais, la douceur de l'air, la beauté donnaient l'impression de rêver.

Arrivées près du palais rose, elles aperçurent le vieil Amérindien aveugle assis dans un fauteuil sur une terrasse du palais. Il semblait regarder vers le soleil couchant. Elles s'approchèrent de lui doucement pour ne pas l'effrayer et le saluèrent. L'homme leur prit les mains et les serra doucement dans les siennes.

-Vous êtes les fillettes courageuses qui me parlèrent au marché de Blanding et résolurent mes énigmes. Mon parchemin vous a permis d'atteindre cet endroit où je vis. Je me réjouis de votre venue.

 

Nos amies demeuraient étonnées. Elles ne s'attendaient pas à un tel accueil. Il leur demanda si la route n'avait pas été trop éprouvante. Elles racontèrent leur cheminement et leur nuit dans l'ancien refuge.

Soudain, le vieil Amérindien les interrompit. Il leur proposa d'aller se baigner dans l'eau claire avant que la nuit tombe, ce qu'elles firent sans hésiter. Il leur offrit ensuite à boire et à manger. Il leur proposa des fruits, et elles purent en goûter encore d'autres, inconnus pour elles, aux nombreux arbres qui entouraient le lac.

Pendant qu'elles séchaient en jeans et en salopette tout en mangeant sur une terrasse haute, il leur décrivit le but de sa démarche. Il se sentait vieillir. Or, avant de mourir, il souhaitait réaliser un rêve. L'homme aveugle, ému, serrant une nouvelle fois les mains de Caroline et de Rivière d'Etoiles, expliqua qu'avant de rendre son dernier souffle, il voulait tenir le soleil entre ses mains.

-Ne me prenez pas pour un fou, précisa aussitôt l'Amérindien. Je sais que personne ne peut tenir le soleil entre ses mains. Je ne parle pas du soleil qui passe dans le ciel. Je parle de celui qui chauffe l'eau du lac, de celui qui par sa présence en ce cratère de volcan permet à tous les arbres de pousser, à la nature de se montrer si généreuse, abondante, luxuriante.

Nos deux amies écoutaient, curieuses.

-Un énorme diamant taillé en brillant, sans doute le plus gros du monde repose dans l'eau, à quelques mètres de profondeur. J'espère pas trop, car j'aimerais que vous alliez le chercher et que vous me l'apportiez. Soyez très prudentes, car quand vous vous en approcherez, vous risquez, si vous le regardez, d'être éblouies et de devenir aveugles.

Les deux jeunes filles se taisaient toujours. Le vieil homme poursuivit son étrange récit.

-Mes yeux sont éteints, donc je puis, sans danger, les tourner vers le soleil. Je le fais parfois, car cela me fait apercevoir une vague lueur. Mais si je tenais ce diamant qui se trouve là dans l'eau, entre mes mains, comme il concentre en lui les rayons venus du soleil, il atteint une luminosité aussi forte à peu près que celle de l'astre du jour. Ainsi, pour une fois, je serais ébloui par toute cette lumière dont je rêve, mais dont je fus privé ma vie entière.

-Et où se trouve ce brillant, monsieur?

-Il repose quelques mètres en-dessous de la surface de l'eau. Je suis hélas incapable d'aller le chercher. J'ai choisi de demander ce service à des enfants afin de ne pas soulever la convoitise de gens qui voudraient ensuite le posséder. Il doit rester ici pour chauffer ce lieu. Je voulais des enfants intelligents et audacieux, comme vous deux. Accepterez-vous, demain, de plonger pour aller chercher la pierre merveilleuse? Allez au bord de l'eau, tout au bout de la jetée et vous l'apercevrez en vous penchant.

Les deux amies coururent sur une belle avancée de pierres bleues et aperçurent, assez loin et assez bas, quelque chose qui brillait. La pierre semblait située à six ou huit mètres de profondeur. Ce ne serait pas facile de l'atteindre, mais elles étaient décidées à tenter, demain, de lui apporter son précieux diamant, et le lui mettre entre les mains.

 

Le vieil homme installa les jeunes filles dans une chambre splendide. Deux bons lits les y attendaient. Mais, malgré leur fatigue, curieuses, elles voulaient en savoir plus. Qui construisit ce palais? Et pourquoi? Qui découvrit ce lieu idyllique et planta les arbres? D'où vient le fabuleux diamant? Qui le tailla, puis le laissa là?

Elles retournèrent vers le vieil Amérindien. Il répondit à toutes leurs questions.

-Depuis bien longtemps, ce lieu semble connu par les hommes-médecine de plusieurs peuplades, dit-il. Autrefois, ce cratère servait de cachette à des familles entières quand la guerre éclatait, comme cela arrivait souvent.

"La vie était rude ici. On ne trouvait rien à manger et il régnait un froid glacial.

"Un jour, un homme-médecine amérindien tailla ce diamant, extrait d'une mine abandonnée aujourd'hui. Il découvrit le jeu entre la pierre et la lumière, et la chaleur qu'il créait en concentrant en lui les rayons du soleil. Une fois la pierre plongée sous l'eau, un été que la glace du lac avait fondu, cet homme-médecine réussit à provoquer un réchauffement de l'atmosphère et le lieu devint habitable. Il vint vivre ici avec toute sa famille et sa peuplade.

"Puis ce cratère devint un endroit de réunion de chefs, de sachems. Les années passèrent. On y vint de moins en moins souvent. Puis on le laissa à l'abandon.

"Mon père le redécouvrit et l'aménagea pour moi, son fils aveugle, afin que je ne m'égare pas sur les pistes et que je ne manque jamais de rien.

Caroline et Rivière d'Etoiles écoutèrent ce récit, fascinées de bout en bout. Puis, épuisées, elles allèrent se coucher dans la belle chambre qui leur était attribuée.


Le lendemain, elles s'apprêtèrent à tenter de prendre la pierre. Caroline n'hésite pas à plonger. Elle hésite un peu trop rarement d'ailleurs. D'après sa maman, cette fille est un vrai casse-cou.

Après avoir salué leur hôte et déjeuné de fruits, elles s'éloignèrent vers le point lumineux repéré la veille. Par chance, des rochers assez hauts le surplombaient. Elles y grimpèrent. Pendant ce temps, le vieil Amérindien s'assit tout au bout de l'estacade, la jetée de pierres bleues qui s'avançait au milieu du lac.

Rivière d'Etoiles sauta, mais, même de très haut, elle ne parvint pas à descendre jusqu'au diamant. Caroline plongea plusieurs fois mais elle ne réussit pas non plus à l'atteindre.

À tour de rôle, pieds nus, juste vêtues l'une de son jean, l'autre de sa salopette, elles sautèrent encore et plongèrent de leur mieux, mais elles n'atteignaient jamais le brillant situé assez profondément.

L'idée vint de Caroline. Elle saisit une grosse pierre et la garda entre ses mains. Elle s'avança jusqu'au bord du promontoire et sauta dans l'eau en la tenant. Elle se sentit descendre, descendre, descendre avec la lourde pierre. Quand elle parvint au niveau du fameux diamant, elle la lâcha, attrapa le brillant et remonta rapidement respirer à la surface.

Immédiatement, Rivière d'Etoiles apporta un drap, et en recouvrit le diamant afin que son amie ne soit pas éblouie. Elles l'apportèrent ainsi emballé au vieil homme.

Lui ne bougeait pas, assis au bout de la jetée de pierres bleues, dos à son palais, au milieu de ses montagnes chéries, spectacle merveilleux qu'il ne pouvait apercevoir. Il semblait plongé dans une profonde méditation.

 

Nos deux amies, encore toutes mouillées, les cheveux dégoulinant sur les épaules et le dos, posèrent la précieuse pierre, recouverte par son drap, sur les genoux de l'Amérindien.

Après un instant de silence, il dégagea la pierre. Elle brillait comme un soleil. Caroline et Rivière d'Etoiles se tournèrent, éblouies. Pour la première fois de sa vie, l'homme aveugle put tenir le soleil entre ses mains.

-Je vois! s'écria l'Amérindien. Je vois, je vois ! Oh c'est beau, la lumière ! Quelle merveille ! Quel bonheur !

Mais un instant après, les exclamations de joie se transformèrent en cris de douleur.

-Ça brûle, mes mains brûlent.

Il ne pouvait plus détacher ses mains de la pierre. La peau se colle à la matière quand elle chauffe fort ou que le froid est trop intense.

Peut-être as-tu déjà remarqué cela en touchant un glaçon.

Hurlant de douleur, l'homme se leva et fit un pas en avant, en titubant. Avant que les deux filles, muettes, sidérées par le drame atroce, puissent intervenir, le vieil Amérindien tomba dans le lac. Il lâcha le diamant, le brillant soleil aux dix mille facettes. La pierre s'enfonça dans les eaux profondes, insondables du milieu du lac. Elle disparut tout à fait.

L'homme flottait à présent sans vie à la surface de l'eau, la tête tournée vers les profondeurs. Mort. Le choc, l'épreuve, l'émotion avaient eu raison de son vieux cœur fragile.

Les deux amies tentèrent de le retirer de l'eau pour le sauver, mais peine perdue. Il n'était plus qu'un corps inerte.

Alors, impressionnées, elles revinrent doucement vers le palais. Elles y passèrent la journée, visitant la demeure et les jardins. Elles plongèrent plusieurs fois pour tenter de ramener la pierre vers la surface. Mais elle avait disparu pour toujours dans l'abîme incroyablement profond du cratère du volcan où nos amies se trouvaient.

Le soleil se coucha et les deux amies s'étendirent dans la chambre que le vieil homme leur avait attribuée, après avoir encore mangé plusieurs fruits délicieux.


Le lendemain matin quand elles s'éveillèrent, elles frissonnèrent. Une fine couche de neige recouvrait le palais, les terrasses, la jetée de pierres bleues. Toutes les plantes et les arbres étaient gelés. Elles sortirent du palais en grelottant et regardèrent autour d'elles. Déjà, les pommes, les oranges, les cerises, les goyaves, tous les fruits devenaient durs comme de la pierre.

Le soleil du lac, le précieux diamant, reposait profondément sous les eaux à présent, dans l'ombre perpétuelle des abysses. Il n'attirait plus les rayons du soleil à lui. Il ne réchauffait donc plus l'eau ni l'air ambiant du cratère.

Pas question pour les deux jeunes filles de plonger. Déjà, une fine pellicule de glace recouvrait la surface du lac. Elles la brisèrent pour vérifier, mais l'eau leur parut vraiment trop froide. Et d'ailleurs, si elles avaient eu le courage de plonger dans cette eau glaciale, elles n'auraient pas pu atteindre l'incalculable profondeur du lac tout au fond duquel se trouvait le soleil que le vieil Amérindien avait tenu entre ses mains.

Un dernier regard en arrière avant de retrouver le tunnel qui menait vers la vallée. Le corps de l'homme flottait, figé au bout de la jetée, tombeau somptueux pour l'ultime occupant de ce lieu de rêve.

Elles se remirent en route. Elles redescendirent vers la vallée. Elles marchaient en silence, encore impressionnées par leur aventure et leur rencontre.

Elles n'oublièrent jamais l'homme qui voulut tenir le soleil entre ses mains.