Divers enfants

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N°7

L'étang de la fillette

     Lorsque les guides arrivèrent au camp, elles découvrirent une grande prairie entourée de bois. Un endroit magnifique. Le terrain était légèrement incliné et au bas de celui-ci coulait un ruisseau de deux mètres de large aux eaux claires. Tout s'annonçait très bien.

Seules deux tentes étaient montées, celle des animatrices et celle de l'intendance et du matériel. Rafiki, la cheftaine, siffla un rassemblement.

Les cinq équipes se précipitèrent, avec chacune sa chef de patrouille: la CP, la seconde et les autres filles. Elle leur proposa de commencer par monter les tentes. Elles pouvaient choisir leur endroit dans la prairie et s'installer où elles le voulaient. Le matériel rassemblé pour chaque patrouille, les attendait dans l'herbe.

Au moment de s'éloigner, l'une des CP, celle des kangourous, au joli totem de Daim, s'adressa à la cheftaine.

-Rafiki ?

-Oui.

-Tu viendras  m'aider s'il te plaît? L'ambiance dans ma patrouille n'est pas fameuse cette année.

-Oui, tu as raison, répondit la cheftaine. Ta seconde...

-Le copain de ma seconde vient de la lâcher, juste avant le camp, ma troisième repasse tous ses examens à la fin des vacances, et mes deux petites nouvelles qui font leur premier camp doivent tout apprendre. Je ne suis pas gâtée cette année-ci.

-Tu n'es pas gâtée mais tu sais te débrouiller. Tu y arriveras, encouragea Rafiki. Allez, prenez le matériel et commencez. Je vais vous rejoindre.

 

Daim et sa patrouille des kangourous décidèrent de placer leur tente tout en haut dans la prairie, à l'angle du bois.

Les installations allaient bon train quand les plus jeunes aperçurent un peu plus loin, à une quinzaine de mètres, une petite fille qui les regardait, appuyée contre un arbre. Elles avertirent les membres de la patrouille. Toutes les guides s'approchèrent. Elle paraissait avoir huit ou neuf ans.

Elle semblait fort négligée. Elle portait un t-shirt usé et une salopette en jean bleu délavé, sale, trouée et déchirée. Ses cheveux blonds étaient en désordre. Elle les observait.

-Viens, cria Daim. Viens dire bonjour.

Puis, se tournant vers ses compagnes, elle ajouta :

-Elle habite sans doute là-bas au village à la sortie du bois et cela l'intéresse de voir ce que l'on fait ici.

La petite fille s'approcha.

-Bonjour, sourit Daim, comment t'appelles-tu ?

-Caroline.

-Bonjour Caroline. Je te présente la patrouille des kangourous. On s'installe ici pour le camp.

-Je vois. Je peux rester avec vous ?

-Oui, et viens quand tu en as envie.

-Je peux vous aider à monter la tente?

-Oui, bonne idée.

-Il ne faut pas vous installer à cet endroit, affirma Caroline.

-Pourquoi ?

-Parce qu'aujourd'hui il fait beau, mais en cas d'orage, toute l'eau qui tombe dans la forêt coule là-bas, sur le plan incliné et ensuite, elle se rassemble et traverse la prairie. Le ruisseau passe juste où vous voulez planter la tente. En cas de forte pluie, pendant la nuit, vous vous réveillerez dans l'eau.

-Oh zut, maugréa Daim, il faut tout recommencer. Merci de nous le dire. Tu nous évites bien des déboires pour la suite. Allez les filles courage, on défait tout.

 

À ce moment-là, Rafiki, la cheftaine, arriva.

-Vous démontez le camp ?

-On se déplace. Caroline que voici, nous explique qu'en cas d'orage, un ruisseau traverse le pré.

-Ah bon ! s'inquiéta la cheftaine. Merci. Tu habites au village ?

-Oui, murmura la petite fille en montrant d'un geste vague l'autre côté du bois.

-Vous avez une aide charmante. Tant mieux. Bon travail les guides. Ça ira ?

-Oui, répondit Daim. On s'en sort. On se sent bien depuis l'arrivée de la petite. Sa présence nous unit.

 

 Vers le soir, les patrouilles se préparèrent à aller chercher leur repas à la tente des intendantes. La CP des kangourous se tourna vers Caroline :

-Tu ne retournes pas souper chez toi ?

-Pas encore, soupira la petite fille.

-Mais il fera bientôt noir ! Tu n'as rien mangé depuis tantôt. Tu dois avoir faim.

-C'est quand même trop tôt. Personne ne m'attend chez moi.

-Tu habites toute seule ?

-Mes parents sont morts.

-Je suis désolée, murmura Daim.

-Ma tante habite avec moi, mais elle est méchante. Elle crie toujours sur moi. Parfois, elle me frappe, même quand je n'ai rien fait. Elle ne m'aime pas. Alors, je m'en vais toute seule dans le bois, toute la journée. Pour cela je suis contente de votre arrivée. Je pourrai venir vous dire bonjour de temps en temps.

-Bien sûr. Viens aussi souvent que tu veux. Mais maintenant, tu devrais peut-être quand même retourner souper chez toi.

-J'ai un morceau de pain en poche, murmura Caroline. Je n'y ai pas touché depuis ce matin.

Elle sortit un bout de baguette de sa poche. Pas très grand...

-Si vous voulez, je le partage en cinq, un morceau pour chacune d'entre vous.

Les filles se regardèrent ébahies par la générosité de cette enfant. D'abord Daim voulut refuser, puis elle sentit qu'elle devait accepter. La petite fille partagea son pain, déjà bien sec, en cinq parts égales et donna un morceau à chacune des guides.

-Et toi ? s'étonna la seconde.

-Moi, ça ne fait rien, murmura la petite. Je peux attendre.

-Maintenant vous restez là, commanda la CP, toi aussi Caroline. Je vais chercher la suite du repas chez les intendantes et j'arrive.

Et bientôt auprès de la tente montée, installée, les six filles s'assirent dans l'herbe et partagèrent joyeusement leur premier repas de camp.

 

Le lendemain matin, quand les guides s'éveillèrent, Caroline attendait déjà appuyée contre un arbre. Quelques instants plus tard, un coup de sifflet retentit.

Rassemblement.

Toutes les guides se dirigèrent vers les cheftaines.     

-Aujourd'hui on monte les coins de feu, les tables, les bancs, expliqua Rafiki. Mais voilà, nous ne disposons que de très peu de bois pour construire ces installations. Je vous demande d'être très économes. Tout le matériel nécessaire se trouve ici. Bonne chance, bonne journée, bon travail. Il va faire très beau.

 

La patrouille de Daim se retrouva avec quelques troncs de sapins assez minces. Les guides se demandèrent comment s'y prendre avec si peu de bois. Certains projets allaient être sacrifiés.

-Moi, je sais où on trouve beaucoup de bois, affirma Caroline.

-Tu crois qu'on pourrait l'emprunter ? demanda Daim.

-Je crois bien. Il traîne au croisement de deux routes. Du bois à brûler. Un grand tas, coupé depuis longtemps. Personne ne viendra le chercher avant la fin du mois d'août. Vous n'allez pas rester les deux mois ?

-Oh non, on ne campe que quinze jours, répondirent les guides.

-Alors, vous pourriez l'utiliser pour vos constructions. Vous le remettrez en place à la fin du camp. Personne ne vous le réclamera.

 

Daim envoya sa seconde chercher Rafiki. La cheftaine écouta l'explication de Caroline.

-Génial, dit-elle. Puisque tu es certaine qu'on peut profiter de cette aubaine, eh bien, on va prendre ce bois. Tu veux bien nous conduire ?

Elle emmena toute la compagnie des guides à travers la forêt, jusqu'à l'endroit où se trouvait une énorme réserve de rondins et de troncs de sapins. Les guides en ramenèrent une belle quantité et tout le monde en reçut suffisamment pour entreprendre et réaliser tous les projets. La journée passa à monter des coins de feu, construire des bancs et créer des tables.

Caroline courait d'une patrouille à l'autre. Son joli visage, ses éclats de rire, réjouissaient chacune. En plus, elle savait très bien faire des nœuds. C'était extraordinaire de la voir nouer l'angle de deux branches, serrer des rondins avec une habileté et une rapidité jamais vues, même par les guides les plus chevronnées. Elle prétendit que des scouts qui campaient l'an passé, lui avaient appris la technique du brelage.

Le brelage est une technique qui consiste à serrer des nœuds pour fixer deux ou plusieurs pièces de bois en contact l'une avec l'autre pour faire des constructions stables. Les scouts et les guides consacrent quelques jours à cela à leur arrivée pour monter leurs tentes en hauteur sur des pilotis ou installer leur coin cuisine pour la durée du camp.

La petite fille passa donc la journée allant de patrouille en patrouille. Tout le monde la demandait. Elle créa par sa gentillesse une ambiance très agréable. Au soir, les travaux avançaient bien.

À midi, elle partagea le repas des guides. Daim, la CP s'aperçut que de nouveau, Caroline n'avait dans la poche de sa salopette qu'un petit morceau de pain pour toute la journée. Décidément, on ne faisait vraiment pas très attention à cette gamine au village. Heureusement que la compagnie campait.

Elle devint peu à peu la mascotte sympathique que tout le monde voulait recevoir dans sa patrouille, que tout le monde souhaitait voir à ses côtés.


Le troisième jour, la cheftaine expliqua le premier grand jeu. Il consistait à partir à la découverte des environs.

-Dans la région, précisa Rafiki, on peut visiter une vieille tour abandonnée, voir une croix en pierre à une croisée de chemins, repérer un chêne millénaire dans une clairière et enfin s'approcher d'un étang, appelé l'étang de la fillette.

La cheftaine ajouta qu'elle ne savait pas très bien pourquoi il s'appelait ainsi.

-Puisque la photographie est notre thème de camp cette année, chaque patrouille disposera d'un appareil numérique. Vous allez photographier chaque endroit nommé. La première patrouille qui ramènera les quatre clichés demandés aura gagné. Voici des cartes de la région, une pour chaque équipe.

 

Daim et les autres guides retournèrent vers leur tente et déchiffrèrent la carte.

-Si vous voulez, dit Caroline, je peux vous conduire. Je connais ces endroits, on peut même y aller à travers tout. Ça ira plus vite.

La chef de patrouille regarda les autres guides.

-Qu'en pensez-vous ?

-Après tout, suggéra la seconde, on ne nous impose pas de suivre les chemins.

-Non, les cheftaines promettent la victoire à la première qui ramènera une photo de chaque endroit.

-Alors, on y va. On te suit, Caroline.


La patrouille se laissa guider par la petite. Elle passait, intrépide, à travers tout. Il faut dire qu'elle était équipée pour cela. Comme la veille et comme le jour précédent, elle portait la même salopette en jean bien usée, déchirée, assez sale et aux pieds, des pantoufles de gymnastique, brunes d'avoir marché dans la poussière et dans la boue.

Elle courait toujours droit devant, ses cheveux retenus en deux tresses à moitié défaites. Les autres filles tentaient de la suivre.

-Voici la vieille tour, annonça-t-elle, en arrivant essoufflée au sommet de l'une des collines. Photo. Et si on descend par là, on arrive à l'étang de la fillette.

Les guides le photographièrent à son tour.

-Venez par ici, suivons le chemin qui mène au croisement. Vous y verrez la croix de pierre dont vous devez prendre un cliché.

Elles y arrivèrent trois quarts d'heure après. Il ne restait plus que le chêne millénaire.

-On y passera en revenant, promit Caroline. On traverse le grand bois, là-bas, et puis la clairière.

Le chêne annoncé se trouvait au milieu de ce lieu de gagnage. À cet endroit, le gibier vient chercher sa nourriture.  Les guides photographièrent l'arbre aussitôt.

La patrouille de Daim fut de loin la première à revenir au camp. Les cheftaines la félicitèrent. Les quatre photos étaient prises et le jeu gagné. Bien entendu, grâce à Caroline.


Quand toutes les patrouilles furent revenues, après le repas de midi, et vu l'écrasante chaleur qui régnait ce jour-là, la cheftaine proposa une baignade dans la rivière qui coule de l'autre côté de la colline. Toutes les guides allèrent se mettre en tenue de bain.

-Tu n'as pas de maillot, Caroline. Tu viendras quand même avec nous ? demanda Daim.

-Oui, je vous accompagnerai. Cela ne fait rien. J'irai comme cela.

Toute la compagnie se mit en route et marcha à travers bois jusqu'à la rivière. Là-bas, ce ne furent que rires, éclaboussures, chants et cris de joie. Caroline se mit pieds nus et entra dans l'eau avec sa vieille salopette. Elle joua avec toutes les jeunes filles.


Mais les plus beaux jours d'été se terminent parfois brutalement par la pluie. Le ciel se couvrit, devint noir et un orage éclata.

Caroline expliqua que tout près de là, existait une petite grotte et que tout le monde pourrait s'y tenir à l'abri. On la suivit et toute la compagnie se retrouva dans la grotte. Chacune tentait de se sécher comme elle pouvait, puisque l'on sortait de la rivière, et que toutes étaient en plus mouillées par la tempête.

-Si vous voulez, suggéra leur amie, je peux vous dire pourquoi on appelle l'étang du bas, l'étang de la fillette. Ma grand-mère me l'a expliqué quand j'étais petite.

Les guides s'assirent en rond et Caroline, se levant au milieu d'elles, raconta :

 

-Il y a bien longtemps, habitait par ici une très pauvre famille avec sept enfants. Six garçons et puis, une petite fille de six ou sept ans. Leur papa était mort, et leur maman bien malade ne pouvait pas aller travailler. 

‘'Ils étaient si pauvres que parfois les enfants allaient dormir sans rien recevoir à manger de la journée. Leurs habits étaient en loques, usés et déchirés. Leur maison ressemblait à une cabane en bois au toit percé de trous, continua Caroline, enfin c'est ce que ma grand-mère m'a raconté. Les garçons essayaient bien de travailler par-ci par-là, mais ils ne gagnaient pas grand-chose.

‘'Pendant l'hiver, vint une forte tempête. Il neigea sans arrêt pendant plusieurs jours. La couche atteignit trente à quarante centimètres. Et la neige qui s'accumulait était tellement lourde qu'une partie du toit s'écroula. Et ainsi, dans la pauvre cabane, il n'y eut presque plus d'endroit pour s'abriter. Ils ne pouvaient plus se chauffer non plus. Ils manquaient de bois. Ils dormaient sous les étoiles.

« En plus, ce jour-là, les enfants ne reçurent rien à manger. Au soir, ils se couchèrent par terre parce qu'ils n'avaient pas de lit. Ils s'enroulèrent dans une couverture. Leur maman se privait pour eux. Malade, elle toussait tout le temps. Même sous la couverture, ils grelottaient dans cette nuit glaciale, comme les nuits d'hiver où il ne neige plus, où tout reste blanc, et où le ciel s'illumine d'étoiles. On entend craquer la neige par moments. 

‘'La fillette, enchaîna Caroline, ne pouvait pas dormir parce qu'elle souffrait trop du froid et de la faim. Elle se leva, pieds nus. Elle ne portait qu'une petite robe mince. Elle sortit hors de la cabane et elle marcha comme ça dans la neige.

‘'Elle arriva au bord d'un ruisseau, me raconta ma grand-mère. Elle s'avança sur l'eau durcie, glacée. Tout à coup, elle tomba, sans force.

‘'Elle voulut se redresser, mais un petit vent glacé l'engourdit lentement. Maintenant, elle ne tremblait même plus, elle restait couchée par terre dans la neige. Elle allait mourir.

‘'Tout à coup, elle aperçut quatre lumières qui tournaient autour d'elle. Une bleue, une rouge, une jaune et une verte, détailla Caroline.

Toutes les guides, même les cheftaines écoutaient, suspendues aux lèvres de leur mascotte et fascinées par son récit.

‘'La fillette, qui mourait de froid et de faim, gémit.

-Je voudrais que ces lumières deviennent des fées. Alors, je pourrais prononcer quatre vœux. À la fée rouge, je demanderais des bonnes choses à manger, à la fée bleue, des vêtements chauds, la fée verte du bois pour nous chauffer. Quant à la fée jaune, je la supplierais de nous fournir des ardoises pour refaire le toit.

‘'Elle avait à peine murmuré cela, qu'elle aperçut une table chargée de nourriture auprès d'elle, au pied d'un arbre. Elle se redressa, tendit ses mains vers ce qui se trouvait là et mangea.

‘'Sur le côté, elle découvrit une coffre, grand ouvert, et dans lequel se trouvaient toutes sortes d'habits, des manteaux, des bottes, des écharpes, des gros pulls. La fillette prit un manteau et des bonnes chaussures. Elle emporta le plus de provisions qu'elle pouvait et retrouvant ses forces, elle courut jusqu'à sa maison. Là, elle réveilla sa mère et ses frères.

-Venez dans le bois, on trouve plein de nourriture et beaucoup de vêtements.

‘'Elle revint avec ses frères et sa maman à l'endroit où se tenaient les quatre fées lumières. Ils mangèrent, ils s'habillèrent. Puis ils emportèrent du bois pour se chauffer et une montagne de tuiles pour refaire le toit de la maison.

‘'Dès le lendemain matin, les garçons se mirent à l'ouvrage et en deux jours, le toit fut refait. La maison était chauffée à présent. Ils recevaient à manger et portaient des habits chauds.

‘'Le soir du troisième jour, poursuivit Caroline, selon ma grand-mère, au milieu de la nuit, la fillette sortit de nouveau de la maison, avec un manteau, des bottes, une écharpe et des gants, cette fois. Elle voulait aller remercier les quatre fées, qui lui avaient sauvé la vie et celle de toute sa famille.       

‘'Elle marcha dans la nuit jusqu'à la rivière. Il neigeait et la tourmente se fit de plus en plus forte. Les flocons tourbillonnaient.

‘'À cause de cela, la fillette se trompa de direction. Au lieu de descendre le long de la rivière, elle monta un peu plus haut. En tous cas, elle se perdit. Malgré son manteau, ses gants et son écharpe, elle sentit le froid la saisir dans la neige et dans la nuit. Peu à peu, elle ralentit sa marche.

‘'Elle voulut s'arrêter près de la petite rivière, mais elle glissa dans l'eau à un endroit où le dégel faisait fondre la couche de glace. Elle se mouilla jusqu'à la ceinture. Elle essaya de sortir de l'eau, mais elle n'y arriva pas. Ses jambes gelées ne répondaient plus. Ses lourds vêtements la gênaient.

‘'Elle resta presque sans bouger dans l'eau et de nouveau, elle vit les quatre lumières tournoyer autour d'elle. Les quatre lumières se rassemblèrent en une seule, très lumineuse, comme un soleil. La fillette murmura :

-Oh ! Le soleil se lève. Le printemps arrive.

‘'Ce furent ses dernières paroles. On ne la retrouva jamais.

‘'Au printemps, quand la neige fondit, la rivière en crue amena des cailloux, de la terre, des branches, qui recouvrirent le corps de la petite fille, enfin ce qui en restait. Cela forma peu à peu un espèce de barrage, là dans la vallée. Derrière un barrage, on trouve toujours un étang, et voilà l'origine de celui de la fillette.

-Quelle belle histoire, murmura Rafiki. Tu racontes très bien, mais c'est très triste ton récit...

Toute la compagnie se taisait. Les guides émues, impressionnées, observaient Caroline. Toutes se sentaient unies autour d'elle. Toutes se percevaient comme des grandes sœurs.

L'orage passé, le soleil revint. Elles retournèrent au camp et ce soir-là, elles mangèrent toutes ensemble avec leur mascotte.

Sans elle, leur camp n'aurait pas été le même...


Le lendemain très tôt, les cheftaines rassemblèrent les guides. Le premier jour du hike arrivait. Elles allaient devoir préparer leur sac à dos, se mettre en uniforme, prendre leurs affaires, leur sac de couchage, et partir pour deux jours. Rafiki la cheftaine prit Daim, la CP des kangourous, à part.

-Il ne faut pas que Caroline vous accompagne. Elle doit retourner chez elle, le soir. Je veux bien qu'elle joue à la mascotte pendant le camp, mais pas pendant votre hike. Arrange-toi pour toi qu'elle ne vous suive pas. Elle passe le plus clair de son temps avec ta patrouille. Débrouille-toi gentiment mais avec fermeté.

-Je vais essayer, promit Daim.

Quand elle revint, leur amie se trouvait déjà au milieu des jeunes filles. Les guides chargèrent leurs sacs à dos. Rafiki leur apporta une carte.

-Voilà, le premier et le deuxième points de rendez-vous se trouvent soulignés. Vous logerez là cette nuit. Vous avez une longue marche à faire tout au long de la journée. On passera vous voir de temps en temps. Bon hike.

Puis, Rafiki se tourna vers Caroline.

-Petite fille, nous t'aimons beaucoup, mais tu ne peux pas nous accompagner. Tu comprends, les guides partent pour deux jours, et elles ne reviendront pas ici ce soir. Alors, si tu les suis, où logeras-tu ? Retourne chez toi. On se reverra demain soir si tu veux.

Appuyée contre un arbre, elle regarda la cheftaine, avec un petit air triste. Et quand les guides partirent, elle les suivit de loin...


Vers midi, la patrouille de Daim s'arrêta pour le repas. La cheftaine venait de la rejoindre. Toutes observaient Caroline assise contre un arbre à deux cents mètres d'elles. Elle n'osait pas s'approcher.

-Elle n'a rien à manger. Elle marche depuis ce matin comme nous. Elle a sûrement faim. Il faut qu'on lui donne quelque chose, dit une des plus jeunes filles.

-Si vous partagez avec elle, affirma Rafiki, elle continuera à vous suivre au lieu de retourner chez elle.

-Elle est gentille avec nous, répliqua une des guides.

-Grâce à elle, on a trouvé du bois pour nos constructions, lança une autre.

-Ses nœuds de brelage tiennent comme jamais, se souvint une troisième.

-Elle partage toujours son morceau de pain avec nous, fit la quatrième.

-Moi, je veux bien lui donner tout mon dîner même si je dois jeûner jusqu'au soir, affirma une autre.

-Pauvre petite fille. Tu vois bien qu'elle a faim, Rafiki. Elle nous regarde.

-Vous êtes toutes généreuses, conclut la cheftaine, mais le problème n'est pas là. Si vous partagez, elle vous suivra, et ce soir, on fera quoi avec elle ?

-Elle dormira avec nous. Sa méchante tante se passera d'elle pour une fois, se rappela l'une des petites.

-Elle doit retourner à sa maison pour la nuit. C'est dur, mais il ne faut rien lui donner, ordonna Rafiki en s'éloignant.

La patrouille des kangourous se remit en route après le repas. Sans rien dire, l'une des jeunes guides laissa un paquet avec une tartine, une autre oublia un fruit, une troisième ‘'perdit‘' sa gourde. Bref, Caroline trouva sur son chemin, tout ce qui lui fallait pour se nourrir. Elle les suivit.


Au soir, elles arrivèrent dans une prairie, où se trouvait une grange en pierre. Elles y entrèrent. Elles virent des bottes de paille et du foin, mais, curieuse surprise, une autre patrouille de leur compagnie se trouvait là. Normalement, pendant un hike, chaque équipe se sépare des autres et campe à un endroit différent.

-Que faites-vous là ? demanda Daim.

-On loge ici ce soir...

-Mais nous aussi !

-Pas possible, regarde ta carte convenablement, réagit l'autre CP.

Les cartes montraient un point de ralliement clairement indiqué. La grange en pierre où elles se trouvaient.

Tout à coup, la porte s'ouvrit, et une troisième patrouille se présenta bientôt, suivie par la quatrième et puis par la cinquième. Rafiki et les autres cheftaines arrivèrent en voiture et rejoignirent les guides.

-Que faites-vous toutes là ? s'étonna Rafiki.

-Tu indiques sur nos cartes qu'on campe ici.

-Toutes ensemble! Mais non, jamais! Analysez vos itinéraires convenablement.

-Mais regarde...

Chaque CP montra sa carte à la cheftaine. Le point du ralliement du premier soir indiquait clairement la clairière et la grange en pierre, pour toutes.

-Je ne comprends pas... murmura Rafiki. Tant pis. Mangeons ensemble. Vous resterez ici cette nuit et puis demain, vous vous séparerez, nous allons revoir les cartes.


Au soir, après le repas, elles chantèrent, assises sous les étoiles. La cheftaine aperçut Caroline au milieu des guides.

-Et toi, où dormiras-tu ? interrogea Rafiki.

-Je ne sais pas, répondit la petite fille. Je peux me mettre où on veut, dans la paille ou ailleurs, cela m'est égal. Quand ma tante me punit, je dois dormir par terre dans un coin...

-Dis-moi d'abord ton nom de famille. Je vais téléphoner à ta tante pour l'avertir.

-Pour lui dire quoi ? demanda Caroline.

-Pour lui annoncer que tu restes avec nous cette nuit.

-Je m'appelle Caroline Lamain.

Rafiki sortit son téléphone portable, elle consulta les renseignements, mais ne trouva aucun « Lamain » dans la région.

-On ne peut pas avertir ta tante. Tant pis, il va falloir que l'on se débrouille.

-Si tu veux, proposa l'une des guides, je peux lui passer mon sac de couchage parce que celui de ma copine est très large. On pourra dormir à deux dedans.

-C'est très gentil, déclara la cheftaine. Proposition acceptée. Voilà, ton sac de couchage, Caroline. Installe-toi quelque part et bonne nuit.

Elle se glissa dans le sac et toute la compagnie s'endormit en entourant la petite fille.

 

Les guides se réveillèrent au milieu de la nuit. Toutes. Les cheftaines étaient parties.

Le sac de couchage de Caroline semblait lumineux. Celles qui en avaient, braquèrent leur lampe de poche et constatèrent qu'il était vide. La petite fille semblait avoir disparu.

Elles cherchèrent partout, même dans les environs. Elle ne répondait pas à leurs appels.

Alors, ouvrant le sac prêté à Caroline, elles découvrirent un petit papier épinglé et plié. Il contenait un message.

'Vous ne me verrez plus, mais je reste dans le cœur de chacune d'entre vous. Et puis sachez que je ne m'appelle pas Caroline. Je m'appelle Amitié. ‘'

Beaucoup de guides eurent les larmes aux yeux. Et en rêvant à l'Amitié déguisée en fillette et qui les liait toutes, elles s'endormirent.

Je vous en souhaite autant pour chacun et chacune à tous vos camps.