Magali

Magali

N°29

L'hirondelle

     Magali jouait au salon avec son petit frère, Julien. Le bébé se trouvait dans son parc en bois. Notre amie faisait des constructions de cubes que le petit garçon renversait avec plaisir et grands éclats de rire. Maman prenait sa douche à la salle de bain.

Tout à coup, le téléphone sonna. Notre petie curieuse décrocha.

-Bonjour, c'est Magali.

-Bonjour, Magali, répondit une voix. Je suis la fermière. Les petits veaux et les petits agneaux sont nés. Tu peux venir les voir ma chérie.

-Merci beaucoup. J'arrive avec maman et Julien.


Ils se mirent en route une demi-heure plus tard. Arnaud, le grand frère de huit ans, n'était pas revenu de chez son amie Manon. Maman lui laissa un mot. Elle attacha Julien dans sa voiturette et Magali put la pousser jusque dans la cour de la grande ferme.

Les deux dames entamèrent une longue conversation au pied de l'escalier de pierre du logis principal. Comme notre amie s'impatientait, la fermière s'interrompit un instant.

-Ouvre la quatrième porte, là à droite. C'est la bergerie. Tu y verras les petits agneaux. Tu peux même les caresser si tu veux.

Magali compta soigneusement une, deux, trois, quatre portes et entra dans l'étable des moutons. Elle franchit une barrière et la referma derrière elle. Les brebis et leurs agneaux se trouvaient là, couchés sur la paille. Un ravissant spectacle. Cela bêlait à qui mieux mieux.

Elle caressa plusieurs brebis et même certains petits agneaux tout doux et tout tièdes.


Mais, en même temps, elle entendait des cris d'oiseaux, comme des appels au secours très apeurés.

Elle s'avança plus vers le fond de la bergerie et découvrit l'origine de ces cris. Dans un coin de la pièce, à l'angle de deux murs blanchis à la chaux, une hirondelle gisait sur la paille. La pauvre petite se traînait et poussait des cris désespérés.

L'oiseau appelait, terrorisé, parce qu'il avait remarqué que le chat de la fermière s'approchait. Il se tenait à moins d'un mètre. Il venait de fléchir ses pattes. Il s'apprêtait à bondir, toutes griffes dehors, pour croquer la pauvre hirondelle, dont l'aile était blessée, et qui du coup, ne pouvait plus s'envoler. Une proie facile pour ce félin.

Magali, voyant cela, rassembla son courage. Elle tendit les bras vers l'oiseau et le prit dans le creux de ses mains. Le chat sauta et griffa le bras droit de notre amie, avant de se sauver.

-Méchante bête, hurla la fillette. Va-t'en. Je ne veux pas que tu croques les petits oiseaux malades.

Puis, tenant l'hirondelle dans la main gauche, elle repassa prudemment entre les petits agneaux et les brebis, ouvrit la porte de la bergerie, la referma derrière elle et se dirigea vers les deux dames qui bavardaient encore, ignorant le drame qui venait de se jouer.


-Maman, regarde, le méchant chat de la fermière...

À ce moment-là, notre amie se rendit soudain compte qu'elle parlait devant la fermière justement. Elle hésita à continuer sur sa lancée, se trouvant peut-être impolie.

-Tu peux le dire, interrompit la gentille dame. Mon chat est très sauvage, mais pour attraper et croquer les souris, c'est un champion.

-Le méchant chat, reprit Magali, encouragée par les propos de la cultivatrice, voulait manger l'hirondelle. Regarde, maman, son aile est blessée. On devrait la soigner. S'il te plaît, emportons-la à la maison. 

-Toi aussi, tu es blessée! Tu saignes, ma chérie.

-Le chat m'a griffée.

Les deux dames entrèrent à l'intérieur du bâtiment. La fermière désinfecta la longue égratignure, puis la fillette se tourna vers sa mère. Elle insista.

-S'il te plaît, on peut la garder ? On s'en occupera à la maison.

-Je ne sais pas comment on soigne les oiseaux, répondit maman.

-Cela ne sera pas bien difficile, dit la fermière, en se tournant vers la fillette. Tu enfermeras d'abord l'hirondelle dans une cage.

-Je ne veux pas, interrompit notre amie en souriant. Je ne la mettrai pas en cage, parce que je ne veux pas qu'elle soit prisonnière.

-Il faut la protéger, insista la dame. Un autre chat pourrait l'entendre, venir dans ta chambre quand tu n'es pas là et croquer ton hirondelle.

-Oh oui, alors certainement, je la mettrai dans une cage.

-Ensuite, tous les matins, tu lui pésenteras une assiette avec de la pâtée pour petits oiseaux. Si elle mange bien, elle réussira à reprendre ses forces et elle guérira. Un jour, tu la verras essayer de s'envoler. Ce jour-là, tu pourras ouvrir la grille et la laisser partir.

-Maman, tu veux bien ? supplia la petite fille en salopette rouge.

-D'accord. Tu peux emmener ton hirondelle. On l'installera dans ta chambre.


Magali, tout heureuse, revint à la maison. Son petit frère Julien regardait tout le temps vers sa grande sœur, se demandant qui chantait entre ses mains.


Maman choisit une jolie cage qu'elle posa dans la chambre de notre amie. La fillette y fit entrer l'oiseau. Elle étala un peu d'ouate sur le fond pour lui créer un petit lit douillet, puis elle l'observa.

-Je vais te faire de beaux dessins, promit la fillette.

Elle prit ses marqueurs et du papier blanc et y dessina de l'herbe, des fleurs, des branches d'arbres, des feuilles, un soleil lumineux et un ciel bleu. Elle plaça les dessins contre la cage. Ainsi, son amie ne se sentait peut-être pas prisonnière.

L'hirondelle ne criait plus « au secours », elle chantait à présent. Elle n'avait plus peur.

-Maman, on a de la pâtée pour petits oiseaux ?

-Non, ma chérie.

-Alors, on en achète au magasin?

-D'accord.

En revenant, notre amie en présenta une petite assiette. L'hirondelle mangea de bon appétit. Magali souriait de bonheur.


Tous les jours, avant de partir à l'école, l'oiseau la réveillait par ses cris joyeux. La fillette descendait prendre son petit déjeuner, et au lieu d'avaler sa tartine entière, elle ne mangeait que les croûtes. Elle détachait le milieu, le plus tendre, y versait un petit peu de lait et l'offrait à son hirondelle.

Au soir, lorsqu'elle revenait de l'école, elle regardait longuement son amie. Elle parlait avec elle et lui racontait sa journée. Elle décrivait ses copains, ses copines, sa maîtresse, et lui détaillait tout ce qui s'était passé.

L'oiseau semblait écouter avec beaucoup de plaisir et répondait en poussant ses cris aigus.


Après deux semaines environ, revenant un soir de l'école, Magali découvrit qu'elle volait dans la cage.

-Voilà, tu es guérie !

Mais la fillette hésitait à la laisser partir. Elle était devenue son amie, à présent. Magali avait pris l'habitude de se réveiller avec ses cris le matin, de bavarder avec elle après l'école, de l'écouter bien souvent.

Les jours de congé, elle venait la voir au moins dix fois par jour.

Cela lui faisait de la peine d'ouvrir la cage et de la laisser s'envoler. Mais elle songea d'un autre côté, que quand on a un ami, on ne le garde pas prisonnier, enfermé derrière des barreaux.

Alors, la petite fille aux couettes noires et à la salopette rouge se résigna. Elle ouvrit la porte grillagée et l'oiseau disparut en poussant des cris joyeux.


Notre amie pensait ne plus jamais la revoir.

Pourtant, le même soir, au moment d'aller dans son lit, elle entendit des cris d'hirondelle. Cela venait de son jardin. Elle regarda par la fenêtre et reconnut sa copine. L'oiseau installa son nid sous les vitres de notre amie.

Ainsi, tous les matins, Magali fut de nouveau réveillée par les gazouillis, et tous les soirs, avant de s'endormir, elle pouvait un peu bavarder avec elle.


Au bout de quinze jours, la fillette remarqua qu'elles étaient deux à présent. Elle distingua les deux voix différentes. Sa copine s'était trouvé un compagnon, un amoureux sans doute. Et ils n'arrêtaient pas de pousser des cris joyeux.

Deux semaines passèrent encore, et ce qui devait arriver avec des amoureux, arriva. Magali découvrit des petits œufs dans le nid. Et l'hirondelle couvait. Notre amie lui offrit à nouveau de la pâtée pour petits oiseaux.

Quelques temps plus tard, la fillette se réveilla un beau jour en entendant les appels aigus des oisillons. Ce qu'ils pouvaient crier fort ! Elle mit même ses mains sur ses oreilles, pour ne pas être agacée par leurs jeux.

Et ce fut ainsi tous les matins. Et au soir, un joyeux concert l'accueillait à présent. La voix du papa hirondelle, celle de la maman et la gamme suraiguë des bébés. Quel bruit cela faisait !


L'automne arriva. Les oiseaux s'envolèrent vers les pays du Sud. Les bébés accompagnaient leurs parents. Ils étaient capables d'entreprendre le long voyage, la longue migration, pour éviter l'hiver.

Quand ils partirent, notre amie pensa que cette fois-ci, elle ne les reverrait jamais plus. Elle les suivit longtemps des yeux dans le ciel tourmenté de nuages. Quand ils eurent disparu, elle crut entendre leur chant, mais ils étaient déjà loin.

Elle ferma la fenêtre, les larmes aux yeux, abandonnant le nid vide aux rigueurs de l'hiver.


Un matin de printemps, Magali eut une bonne surprise. L'hirondelle revenait avec son compagnon. Elle reconnut aussitôt sa voix. Les bébés s'étaient dispersés à gauche et à droite parce qu'ils étaient devenus grands, mais son amie était de retour à son nid, sous sa fenêtre.

Elle tenait quelque chose dans son bec. Elle le posa devant la fillette. Magali découvrit un petit coquillage tapissé de nacre bleue, rose et blanche. Le soleil y brillait comme un arc-en-ciel.

C'était un petit cadeau rapporté des pays du Sud et des plages dorées où se trouvent de si beaux coquillages. Elle l'avait tenu pendant toute sa migration vers le Nord pour l'offrir à son amie.

Magali y perça un petit trou avec l'aide de sa maman et y glissa une ficelle. Elle le mit autour de son cou. Il pendait juste à la hauteur de la poche de sa salopette rouge. Elle sautillait de joie.

Et l'hirondelle chantait.