Les quatre amis

Les quatre amis

N°22

Le domaine de Trollendröm. Anne, partie 2.

     "Soldarmö le Grand"... "son ombre était lumière"... "Il ne connaissait pas le chiffre".

Trois phrases mystérieuses, incomplètes, car en partie effacées, écrites en braille et en suédois, sur la plaque en bois découverte dans la maison de Anne et de son grand-père.

Si tu n'as pas lu la première partie de cette passionnante aventure, arrête-toi ici et découvre "Le secret de la maison qui craque", 4 Amis 21.

À la fin du récit précédent, nos quatre amis, Jean-Claude, Christine, Philippe et Véronique avaient accompagné leur amie à l'aéroport. Elle partait pour la Suède, où une nouvelle vie l'attendait, chez une tante qui l'adoptait. Elle avait promis de donner des nouvelles.

Il pleuvait à torrent ce matin de juin contre les vitres du salon chez Jean-Claude et Christine mais cela n'empêcha pas nos quatre amis de lire avec grand intérêt la lettre qu'elle leur écrivait. Elle semblait heureuse dans son lointain pays, chez sa nouvelle maman. Elle terminait son texte par une invitation.

Venez, je vous attends avec impatience. J'ai peut-être une piste concernant les trois phrases. À bientôt, je vous embrasse, votre amie Anne.


Elle les accueillit à l'aéroport de Stockholm.

Au premier coup d'œil, Jean-Claude reconnut son regard franc, ses yeux clairs, ses cheveux blonds coiffés en une longue tresse qui descendait à la taille... Une jeune fille vive, intelligente, et dont il était secrètement amoureux.

-Salut les amis, dit-elle. Dépêchons-nous! Il faut d'urgence prendre le train pour Uppsala. Le dernier convoi de ce soir part dans quelques minutes. Nous arriverons à la nuit. Sinon, nous devrons dormir sous les ponts de la ville.

Un petit bisou échangé, et les voilà partis.

Ils arrivèrent à la célèbre ville universitaire de Suède. Il faisait encore clair car les jours d'été sont longs dans le Nord. Ils découvrirent une jolie maison, entourée d'un jardin. La tante, qui adoptait Anne, l'occupait. 

Elle les reçut d'une manière charmante, félicitant sa fille adoptive d'avoir de bons amis. Puis elle ajouta:

-Je pars demain matin pour un congrès aux États-Unis. Je serai absente toute la semaine. Anne, je te laisse de l'argent dans le tiroir, autant qu'il en faut. Tu sais faire à manger et tu te débrouilleras avec tes copains, j'en suis certaine. La maison est à vous. Amusez-vous bien, je vous laisse la place...

Oh, j'en entends qui lisent ce récit et qui rêvent d'avoir des parents pareils...

Après le repas du soir, nos amis demandèrent à leur amie de raconter ses découvertes dans l'enquête concernant son arrière-grand-père, joueur d'orgue aveugle et sans doute créateur de l'étrange plaquette aux trois énigmes.

Elle avait progressé dans ses recherches. La jeune fille évoqua une immense propriété appartenant sans doute à un oncle de sa famille, le domaine de Trollendröm.

Elle expliqua que ce vaste domaine s'étend sur cinquante kilomètres de large et soixante de long. La taille d'un département. Il est traversé par une rivière, parsemé de bois et de forêts et englobe même une montagne entre ses murs.

-Je dis "ses murs", ajouta leur amie, car il est ceinturé par un rempart de deux à trois mètres de haut.

La seule entrée consiste en une porte de fer énorme qui s'ouvre le matin et le soir pour quelques instants, le temps de laisser passer trois ou quatre voitures. Une porte contrôlée par des caméras placées sur le mur de chaque côté des lourds battants d'acier. Impossible de passer sans être vu.

Anne avait bien sûr interrogé sa tante, professeure de psychiatrie à l'Université. Elle n'avait jamais mis les pieds dans cette étrange propriété. Un cousin lointain l'habitait pourtant. Elle se souvenait qu'à l'âge de vingt ans - elle en avait maintenant cinquante-cinq - elle l'avait rencontré lors d'un barbecue familial...

Téléphone privé, aucun référence sur Facebook ou autre. Anne n'avait pas réussi à le contacter. 

-Il vit comme un vieil ours, avait expliqué la nouvelle maman de la copine de nos amis. Ça lui ferait du bien de vous rencontrer. Cela mettrait un peu de vie dans sa morne solitude. Hélas, il ne s'en rend pas compte.

-J'irai avec mes amis, avait déclaré Anne. On passera par les murs s'il le faut et on ira le saluer. Il pourra peut-être nous donner des informations sur Soldarmö le Grand.

-Eh bien, allez le surprendre dans son domaine, pour votre bonheur et le sien. Vous serez en famille dans ce vaste domaine.

Enfin, concernant la plaque écrite en braille, Anne ne savait rien de neuf, mais elle espérait qu'ils trouveraient une explication en visitant le domaine de Trollendröm.


Le lendemain de bonne heure, ils montèrent tous les cinq dans un bus qui les conduisit quelques centaines de kilomètres plus au Nord. Ils descendirent au centre d'un petit village. Anne les emmena à l'entrée du parc. Ils marchèrent d'un bon pas. À dix heures moins cinq du matin, ils s'arrêtèrent devant la fameuse porte en fer, haute, noire, fermée. Aucune sonnette.

Quelques instants plus tard, Anne leur conseilla de se précipiter derrière un taillis. Ils virent approcher trois voitures, des Volvos dernier modèle. Elles klaxonnèrent sous le regard noir et fixe des caméras. La porte s'ouvrit. Les voitures entrèrent et les lourds battants se refermèrent derrière elles.

-Voilà, dit leur amie. Si on veut en savoir plus, il faut aller de l'autre côté de ces remparts, mais par un autre moyen. Ici, on n'a aucune chance. J'ai essayé, mais sans résultat. On ne m'a pas ouvert.

-Comment fera-t-on? demanda Jean-Claude.

-J'ai tout préparé, répondit-elle en souriant. À huit cents mètres d'ici, se dresse un grand arbre dont les branches passent au-dessus du mur. J'ai caché un sac contenant une corde et un crochet dans les broussailles. On lance la corde. Le crochet se fixe à une branche. On grimpe, on passe au-dessus du mur et on saute de l'autre côté. Puis on verra bien...

-On ne peut pas entrer là comme des voleurs, dit Véronique.

-On va saluer un lointain cousin qui s'enferme comme un vieil ours. Il sera sans doute étonné de nous rencontrer, mais pas fâché de faire notre connaissance.

-Et moi, je suis curieuse, affirma Christine. 

-Je vous accompagne, déclara Philippe.

-Si Anne y va, j'y vais, confirma Jean-Claude.

-Je ne vais pas rester toute seule ici, dit Véronique en souriant.

-Allons-y, décida Anne. Après tout, ils sont, paraît-il, de ma famille, là, de l'autre côté.

Ils saisirent la corde. Au troisième lancer, elle s'accrocha à une branche. Ils grimpèrent tous les cinq, retirèrent la corde et la firent pendre de l'autre côté du mur. Ils descendirent et la laissèrent en place pour pouvoir éventuellement repasser par là rapidement, en cas de besoin.

 

lls se trouvaient dans un bois de sapins assez sombre. Ils le traversèrent, passant à travers tout.

Après une marche de quelques minutes sous les arbres, ils entendirent un bruit étrange. Cela ressemblait à "tch...tch...tch...". Ils avancèrent dans cette direction, prudemment. Ils arrivèrent au bord d'une voie ferrée. Une simple voie, deux rails et des traverses. Ils comprirent que le "tch..." venait d'une locomotive.

Ils longèrent ces rails et parvinrent en vue d'une petite gare, au milieu des bois. Un train attendait le long du quai. Une locomotive à vapeur qui semblait sortie d'un musée, puis le tender, ce petit wagon qui suit juste derrière et où on entrepose le bois ou le charbon pour alimenter la chaudière de la machine motrice, et enfin trois wagons de voyageurs, vides.

Nos amis s'approchèrent. Ils ne rencontrèrent personne sur le quai. Ils entrèrent dans le bâtiment. Personne derrière les guichets, ni sur les bancs, ni dans les bureaux voisins. Des lumières brûlaient partout, mais tout était désert.

Ils ressortirent et se dirigèrent vers la locomotive. Ils ne virent pas âme qui vive, et notamment aucun machiniste. Dans le tender, s'accumulait une belle provision de bois. Ils longèrent les wagons vides. Ils montèrent dans l'un d'entre eux.

Soudain, tandis qu'ils le parcouraient, ils entendirent le "tch...tch...tch..." accélérer son rythme. Nos amis perçurent une légère secousse. Le train partit... les emmenant vers le centre du domaine.

Un instant, ils songèrent à sauter du wagon. Mais déjà le convoi prenait de la vitesse. Trop tard pour le quitter sans risquer de se blesser.


Le train passa sous les arbres de la forêt. Nos amis regardaient, anxieux, le paysage défiler. Puis, au sortir du bois, le décor devint plus impressionnant. Des rochers déchiquetés, des collines couvertes de plantes épineuses, des vallées de plus en plus profondes.

Ils approchaient d'un viaduc qui enjambait un torrent coulant quarante mètres plus bas. Le convoi s'arrêta au milieu du pont.

Impossible de quitter le wagon. Il n'y avait aucun passage pour piétons le long du rail. Nos amis, en se penchant, observèrent l'avant du train. Ils ne virent pas de conducteur dans la locomotive !

Et personne dans les wagons. Ils se trouvaient seuls dans ce train fantôme qui venait de s'arrêter au beau milieu d'un précipice que le rail franchissait sur un pont de fer.


Le convoi s'ébranla après quelques minutes. Il entra dans la montagne par un tunnel totalement noir. Aucune lumière ne s'alluma.

Le train avançait lentement dans l'obscurité oppressante. Il ralentit, puis s'arrêta. 

Un phare puissant, éblouissant, illumina l'espace du souterrain. 

Un instant plus tard, une porte de garage s'ouvrit et une voiture ancienne, genre belle américaine des années trente, arriva en trombe sur le quai. Elle freina. Les pneus crissèrent. Quatre hommes en sortirent, armés de mitraillettes. Trois autres individus s'approchèrent à pied par une entrée latérale. Ils se couchèrent à plat ventre et se mirent à tirer avec leurs armes sur ceux de la voiture. Les autres ripostèrent aussitôt. Un règlement de compte entre deux bandes rivales, dans un bruit infernal.

Nos amis, terrorisés, ne songèrent plus qu'à se cacher. Ils se baissèrent à quatre pattes et se glissèrent entre les fauteuils en bois. Mais ces gens risquaient de visiter le train. Dehors, la fusillade continuait.

Philippe eut une idée. Il leva la planche d'un des sièges, faisant apparaître sous la banquette un espace coffre où on pouvait se cacher. II y sauta en compagnie de Véronique et Christine suivit. Ils s'allongèrent à plat ventre. Jean-Claude ouvrit une autre banquette et s'y précipita avec Anne. Ils replacèrent le couvercle dans sa position exacte, laissant juste une petite fente pour regarder et pour écouter.

Après quelques instants, ils entendirent des bruits de portes qui claquaient. Deux hommes entrèrent dans le wagon. Nos amis virent défiler des bottes brunes et le bord inférieur de grands manteaux noirs. Ils aperçurent aussi la pointe d'une mitraillette.

On parlait dans une langue qu'ils ne connaissaient pas. Cela ressemblait à de l'italien, selon Véronique qui crut reconnaître quelques mots comme ceux inscrits sur ses partitions de piano qu'elle apprend à jouer. Anne confirma plus tard que ce n'était pas du suédois. 

Les hommes passèrent et repassèrent. Puis les portes du wagon claquèrent à nouveau et l'obscurité redevint totale. Le convoi se mit en route, en marche arrière.

Les quatre enfants sortirent prudemment de leur cachette, craignant que quelqu'un soit resté dans le wagon. Le train sortit du tunnel et s'arrêta de nouveau sur le viaduc, au-dessus du précipice. Personne à bord. 

-Il faut quitter ce convoi au plus vite, dit Philippe. Où sommes-nous? Dans quel monde nous sommes-nous fourrés ?

-Curieux, étrange, réfléchit Jean-Claude. Ça ressemble... 

Le garçon ne finit pas sa phrase.

-On se croirait au cinéma, murmura Christine. Que font ces bandes de voleurs dans la propriété de ton oncle? Anne.

-Cela faisait peur, avoua Véronique. Je voudrais bien... Elle s'interrompit.

Le train venait de redémarrer et retournait à l'intérieur du tunnel. Nos amis se cachèrent à nouveau sous les banquettes, mais cette fois, le convoi ne s'arrêta pas. La lumière revint à la sortie du tunnel.


De l'autre côté de la montagne, le décor changea radicalement. Ils traversaient à présent une zone assez désertique. Du sable, des rochers, et quelques plantes rabougries comme on en voit dans les régions désolées à perte de vue.

Et tout à coup, sous les yeux ahuris de nos amis, vers la droite, dans un tournant du rail, apparut un village du Far West! Comme s'ils arrivaient en plein cœur de l'Ouest des États-Unis, il y a plus de cent ans.

Le train ralentit et s'approcha d'une petite gare. À gauche se trouvaient des tas bien rangés de traverses de chemin de fer. À droite, on apercevait le quai, encombré de planches en bois entassées le long du rail. La locomotive siffla deux fois.

Nos amis sortirent de leur wagon et longèrent le bâtiment désert comme l'autre. Puis ils suivirent une rue en terre bordée d'une quinzaine de constructions en bois.

Ils dépassèrent d'abord une église et son clocher et puis en face, une petite ferme. Plus loin, à droite, une buanderie. "Chez Li" était gravé sur une enseigne. Juste à côté, une école, fort délabrée. Elle contenait pourtant encore quelques bancs. Plus haut, un General Store. Dans la vitrine, des caisses d'oranges, de poires, de bananes semblaient attendre des clients... invisibles.

À l'intérieur, se trouvait tout ce que l'on vendait dans les villages perdus de l'Ouest. Des vêtements, du tissu, de la corde, des armes dans une armoire vitrée fermée à clé, des sacs de blé, des selles de cheval, des boissons, de la nourriture. Et pas un marchand en vue pour vous servir.

Les enfants s'approchèrent du comptoir et remarquèrent cinq paniers, bien mis en évidence. Chacun contenait une orange, une pomme, et une poire.

-Le hasard fait bien les choses, fit remarquer Philippe. On est cinq, et je vois cinq paniers.

-Je ne crois pas au hasard, affirma Anne. Quelqu'un nous a préparé notre collation de dix heures, dirait-on.

-On pourra toujours la prendre en repassant, proposa Christine.

-Oui, d'accord. Allons visiter le reste du village, dit Véronique.

Ils ressortirent de ce General Store.

À droite, sur une pancarte qui grinçait au vent, on pouvait lire "shérif". Pas de policier dans le bureau, bien sûr. Et aucun prisonnier dans la prison.

Et puis, plus haut, le saloon. Nos amis entendirent le bruit d'un piano mécanique qui jouait. Ils entrèrent dans l'établissement par la porte à deux ventaux. Ils longèrent des tables et s'approchèrent du bar.

Cinq verres étaient posés sur le comptoir. Cinq Cocas servis jusqu'à ras bord et bien pétillants.

Philippe empoigna l'un d'entre eux.

-Attention, avertit Jean-Claude, c'est peut-être empoisonné.

-Mon Coca, affirma Philippe, j'en bois moins souvent maintenant, mais j'en connais le goût par cœur. Si quoi que ce soit s'y trouve mêlé, je le saurai. Je vais vous goûter ça les gars, avant que vous en preniez.

Il but une gorgée.

-Parfait. Par contre, cria le garçon d'une voix forte, puisque nous sommes si bien observés, je signalerai que dorénavant, je préfère mon Coca avec trois glaçons. À bon entendeur, salut!

-Tu ne crains rien! toi, s'inquiéta Véronique.

Philippe répondit par un sourire et glissa un bisou dans le cou de son amie.

Là-dessus, il vida son verre, comme les autres d'ailleurs. La locomotive siffla deux fois.

-Dépêchons-nous, dit Jean-Claude, ou le train partira sans nous.

Ils sortirent du saloon, retraversèrent le village en courant, arrivèrent à la gare et montèrent dans leur wagon. Le convoi démarra aussitôt.

-Oh zut! fit Véronique. On a oublié les paniers de fruits au General Store.

-Il faudrait tâcher de ne pas rater le pique-nique suivant, remarqua Anne. On n'a rien emporté à manger avec nous.

-Je suis certain, dit Jean-Claude avec gravité, que nous sommes observés. Pourquoi? Comment? Et par qui? On dirait le jeu du chat et de la souris.

-Dans ce jeu, répondit leur amie, je préférerais être le chat.


Le train traversait une région un peu moins désertique, à présent. Il roula une petite demi-heure sans s'arrêter. Ce domaine de Trollendröm était décidément immense. On approchait maintenant de la fin de la matinée.

Dans un tournant, nos amis découvrirent un nouveau décor: une tour japonaise à sept étages, splendide, située à deux cents mètres des rails. Le convoi s'arrêta le long d'un quai, désert. La locomotive siffla deux fois.

-On sort ou on reste ? demanda Jean-Claude.

-Moi, réfléchit Anne, je pense qu'on nous invite à sortir. On ferait peut-être bien d'y aller. Après tout, allons la visiter, ça n'engage à rien.

-Ça n'engage à rien, répétèrent les autres. Si le train part, on se débrouillera.

-Il nous appellera comme au village cow-boy, affirma Philippe.

Ils quittèrent donc leur wagon et suivirent une allée de gravier blanc bordée de petits arbres en fleurs. Ils arrivèrent au pied de la tour assez haute. Sept toits superposés et chacun d'eux peint d'une couleur différente.

Une grande porte double était ouverte, donnant accès à une pièce du bas, toute ronde. Le mur formait un cercle complet et le long montait un escalier. Ce mur, peint en noir, ne comportait aucune décoration. Personne. Nos amis décidèrent d'aller à l'étage.

Tout à coup, les lumières s'éteignirent. La porte d'entrée se ferma brutalement et l'escalier qui menait au premier disparut. Les marches entrèrent dans le mur.

Nos amis se trouvaient dans une immense boîte cylindrique fermée. Il y faisait tellement noir qu'ils ne voyaient plus leur main placée devant les yeux. Affolés, ils se demandaient déjà comment et par où ils allaient s'échapper, quand ils virent apparaître un rayon laser bleu. Il perça l'obscurité.

Il se déplaça lentement, montant et descendant, comme une vague, balayant la pièce de gauche à droite, sans doute à la recherche des enfants. Quand le rayon s'approcha d'eux, ils se roulèrent à terre et passèrent en-dessous. Quand le rayon revint, ils s'aplatirent à nouveau. Et ainsi, bougeant, courant, sautant, se plaquant au sol, ils évitèrent de se trouver dans le champ du spot lumineux.

Deux minutes après, un second laser, un rouge cette fois-ci, se mit à traverser la salle en compagnie du bleu. Ils purent encore l'éviter, à condition de réagir vite. Mais cette gymnastique devenait épuisante. Un rayon vert se rajouta. Et, enfin, un jaune. 

Tout à coup, Véronique fut prise dans l'un d'entre eux et un flash éblouissant se produisit. Et puis les lumières continuèrent leur balayage infernal. Philippe fut touché à son tour. Et un nouveau flash illumina la pièce une seconde! Chaque fois que l'un d'entre eux passait dans le champ d'un des lasers, un éclair éclatait.

Dès qu'ils furent repérés tous les cinq, les lasers s'éteignirent. Les lumières s'allumèrent mais la porte ne s'ouvrit pas. Les marches d'escalier, entrées un peu plus tôt dans le mur, ressortirent, les invitant à monter à l'étage supérieur.

Nos amis, à bout de souffle, trempés de sueur, le cœur battant la chamade par l'effort accompli pour tenter d'éviter les lasers, grimpèrent l'escalier l'un derrière l'autre en silence.

L'étage avait un décor de style japonais. Meubles, tables basses en laqué, tapis, magnifiques étampes ici et là. Sur le mur rond, dépourvu de fenêtre, étaient accrochés une dizaine d'écrans de télévision ultraplats. Cinq d'entre eux s'allumèrent. Des images montrant nos amis en train de se rouler par terre pour éviter les rayons apparurent et les firent sourire.

Sauf cette circonstance angoissante dans laquelle ils se débattaient depuis quelques heures, ils auraient bien ri de se voir ainsi courir, sauter, esquiver, se coucher au sol, pour échapper aux observateurs, alors qu'ils étaient photographiés par des caméras infrarouge qui les suivaient en permanence.

Sur la table se trouvaient cinq plateaux avec un repas chinois qui semblait succulent. Ils s'assirent tous les cinq et mangèrent. Un des Cocas contenait trois glaçons...

Sitôt leur repas terminé, une grande porte s'ouvrit. Ils retournèrent vers le train par un escalier extérieur. La locomotive siffla deux fois, comme pour les appeler. Ils remontèrent dans leur wagon. Le convoi s'ébranla.

Cette fois, ils décidèrent de quitter le train en route pour échapper aux caméras qui sans doute, les surveillaient. Mais comment faire sans se blesser?


On traversait des champs, des prés fleuris, et de temps en temps, un petit bois de bouleaux ou de sapins. Tout en réfléchissant, ils remarquèrent que leur train ralentissait dans les tournants.

La bonne formule serait donc de sauter pendant un virage vers la gauche, afin de ne pas être vus depuis la locomotive au moment où ils sortiraient du côté droit. Il faudrait bondir dans l'herbe haute et bien y rouler, la tête fléchie et protégée par les bras, afin d'atterrir le mieux possible, en espérant ne pas tomber sur un paquet d'orties ou dans quelque roncier.

Tous adoptèrent la proposition.

Ils ouvrirent la porte de leur wagon en vue d'un large tournant. Ils sautèrent à tour de rôle au moment qui leur paraissait le plus opportun. Il valait mieux ne pas trop réfléchir.

Ils roulèrent dans l'herbe. Ils s'en tirèrent avec quelques écorchures, quelques vêtements déchirés et salis. Le train continua sa route, sans s'apercevoir, semblait-il, que nos amis l'avaient quitté.

Et maintenant, que faire?


Levant les yeux, ils aperçurent à une hauteur d'environ trois cents mètres, un château accroché sur un pic rocheux et situé à un bon deux kilomètres de là à vol d'oiseau. La construction impressionnait, tant par son site de nid d'aigle inaccessible et imprenable que par ses cinq tours orgueilleuses, reliées entre elles par des chemins de ronde vertigineux. Il dominait l'ensemble du domaine de Trollendröm. Ses hauts murs en pierre rose foncé et ses toits en cuivre qui avait viré au vert à cause de l'oxydation, découpaient le ciel telles des flèches pointant vers le bleu. Splendide !

 -Il faut nous rendre là-bas, affirma Jean-Claude.

-Ah non, au contraire, dirent les autres. Il faut fuir cet endroit. Si des gens réunis quelque part nous observent, ils nous attendent là.

-Oui, acquiesça leur copain, mais alors on sortira du domaine et nous n'aurons pas découvert son secret. Il suffit de suivre la voie dans l'autre sens, en se cachant si un train passe. On retourne à la corde et on se sauve. Mais je crois, au contraire, qu'il vaut mieux avoir le courage de visiter le château et de tirer tous ces mystères au clair. Rencontrer ton mystérieux oncle, Anne.

-D'accord, calcula Philippe. Je crois aussi qu'il faut aller jusqu'au bout. Essayons d'atteindre ce nid d'aigle. Continuons. On ne fait rien de mal. On tente d'élucider une énigme.

-Encore une chance que ma tante ne nous attende pas, ajouta Anne. Par contre, si nous sommes prisonniers, personne ne s'inquiètera de notre sort...

-Oh oui! confirma Véronique. Personne ne va venir nous délivrer ou nous chercher en cas de problème.

Les quatre amis décidèrent pourtant unanimement de poursuivre les recherches pour aider leur amie dans sa quête aux réponses aux trois mystérieuses phrases.

 "Soldarmö le Grand"... "son ombre était lumière"... "Il ne connaissait pas le chiffre".


Ils marchèrent droit vers le château et traversèrent un bois de sapins. Ils s'arrêtèrent au bord d'un à-pic vertigineux au-dessus d'une rivière assez large. Ils cherchèrent à gauche et à droite un passage, un sentier permettant d'aller là en-dessous. Ils ne virent rien. Pourtant, ils réussirent leur descente en s'accrochant à des rochers et des arbres déracinés. Ce fut périlleux, mais ils aboutirent sur une petite plage de sable au bord de la rivière.

Là se trouvaient une dizaine de kayaks et de canoës bien rangés. Bien sûr, personne, ni sur les embarcations, ni sur le sable.

Ils pensèrent que la meilleure formule pour traverser ce cours d'eau était de monter dans les canoës - des monoplaces -, quitte à dériver un peu. Ils choisirent cinq embarcations et les mirent à l'eau. Le courant de la rivière les emporta. Ils pagayèrent de leur mieux, Anne en tête.

Ils suivirent le cours d'eau pendant une demi-heure car il les rapprochait du château.


Tout à coup, ils aperçurent un viaduc. Pas celui où ils s'étaient arrêtés tantôt avec le train, un autre. Le château le dominait du haut de ses fablaise abruptes.

S'approchant du pont, ils entendirent une sorte de grondement. Cela faisait penser à une chute d'eau, une cascade. Il fallait quitter les canoës d'urgence. Ils poussèrent leur embarcation vers un des piliers du viaduc et s'accrochèrent aux barres d'acier. Ils sortirent des bateaux et les laissèrent partir dans le courant. Puis, s'aidant l'un l'autre, ils grimpèrent de barre en barre jusqu'au tablier du pont et réussirent à se hisser juste en-dessous des rails.

Ils étaient tout proches du niveau de la voie quand ils entendirent une locomotive arriver. Ils se cachèrent tous les cinq sous les traverses et regardèrent.

-Notre train, cria Véronique.

-Non, répondit Anne. Je me rappelle que notre locomotive était verte. Celle-ci est rouge.

-Tu as raison, assura Jean-Claude. C'est un autre convoi.

Ils ne purent pas voir si quelqu'un occupait les wagons. Le train s'arrêta devant une porte fermée par deux immenses battants. L'entrée d'un tunnel sous la falaise, sous le château. La locomotive siffla deux fois. Les battants s'ouvrirent.

-Allons-y, proposa Philippe.

-Vite, avant que les portes se referment, ajouta Christine.

Tous les cinq sortirent de leur cachette et se hissèrent sur les rails. Ils suivirent en courant le dernier wagon et entrèrent dans le tunnel. Les portes se refermèrent derrière eux. Ils se trouvaient trois cents mètres en-dessous des tours du château qu'ils avaient aperçu tantôt, dans une gare souterraine mal éclairée. Le convoi était arrêté. Il ne semblait y avoir personne.


Il ne faisait pas tout à fait noir. Il régnait une lueur bleutée. Nos amis ne savaient pas d'où elle venait. Ils se rappelèrent les hommes armés dans l'autre tunnel et décidèrent de se cacher. En se couchant par terre et en rampant, hélas dans la boue, ils se glissèrent sous les wagons.

Tout à coup, les lumières se firent plus fortes et plusieurs personnes arrivèrent en courant. Ces gens portaient des tenues comme au Moyen Âge. Ils entrèrent dans les wagons et ressortirent peu après, étonnés.

Anne entendit deux ou trois mots échangés entre eux, en suédois. "Tu as vu quelqu'un?"." Non, et toi?" "Moi non plus. Où se cachent-ils?" Elle ne perçut rien d'autre. Le train repartit. Les lumières s'éteignirent. Les personnes s'en allèrent par une petite porte à gauche, et l'ambiance bleutée du tunnel, un bleu très foncé, régna à nouveau dans la gare.


Nos amis se hissèrent prudemment sur le quai et se dirigèrent vers une issue aperçue sur leur droite. Derrière cette porte se trouvait, à gauche, un ascenseur, et à droite, un escalier en colimaçon large et en pierre. Les dalles étaient usées au milieu. Certaines étaient fissurées.

Ils grimpèrent, grimpèrent, et grimpèrent encore, préférant éviter l'ascenseur. Cela n'en finissait pas. À un certain moment, Christine s'arrêta, essoufflée comme ses amis et murmura :

-Je me demande combien de marches on a fait.

-Six cent soixante-six, affirma Philippe. Je les compte.

-Six cent soixante-six! Mais où va-t-on?

-Au château, répondit Anne.


Ils gravirent près de mille marches avant de déboucher dans une grande salle sombre. Un long couloir filait vers la gauche, traversé par des rayons lasers. L'expérience laser, ils l'avaient déjà subie une fois, ils ne désiraient pas la revivre une seconde fois. Ils se déplaceraient tout à coup et les repéreraient de nouveau. Or nos amis voulaient conserver leur avantage.

Ils choisirent donc de suivre un petit escalier latéral, très étroit cette fois et de nouveau en colimaçon. Ils grimpèrent encore une centaine de marches et débouchèrent au sommet d'une des tours du château. Prudents, ils s'avancèrent à quatre pattes vers les créneaux.

D'un côté, on découvrait un paysage somptueux. La rivière suivie tantôt coulait trois cents mètres plus bas. Elle déroulait ses méandres entre bois et champs, et brillait au soleil. Ils aperçurent la tour japonaise, et même, beaucoup plus loin, le village cow-boy. Vers l'horizon, ils devinèrent la présence du tunnel et la forêt de sapins par où ils étaient entrés.

De l'autre côté, par un autre créneau, ils observèrent le rail ressortant du château. Il semblait dessiner un cercle immense dans le domaine de Trollendröm. Ils virent une ferme. Des animaux, vaches, chevaux, moutons paissaient paisiblement dans l'herbe. Nos amis ne distinguaient pas très bien le reste du paysage. Personne en vue nulle part, bien entendu.

Par un autre créneau encore, ils regardèrent le centre du château-fort, imposant avec ses quatre autres tours qui formaient un demi-cercle sur l'éperon rocheux. Les tours communiquaient l'une avec l'autre par des petits couloirs étroits et bordés de meurtrières. Des chemins de ronde, sans doute.

La tour centrale, la troisième, était dotée d'un pont qui menait à un énorme bâtiment cubique, une sorte de donjon imposant. Ce bâtiment massif, trapu, en brique sombre, comportait cinq étages. Il était entouré de fossés, des douves remplies d'eau, qui le séparaient, d'un côté, de la montagne, et de l'autre, des cinq tours. Aucun signe de vie, sauf au rez-de-chaussée où nos amis remarquèrent des lumières allumées.

Prudents, ils décidèrent d'attendre que la nuit tombe pour quitter leur cachette et explorer les lieux.

Ils s'assirent en cercle au sommet de la petite tour, appuyés contre les murs de vieilles pierres. Ils bavardèrent pendant deux heures, échangeant leurs émotions et leurs espoirs. Vers l'horizon, le coucher de soleil splendide, faisait rougeoyer les pierres roses des tours, celles brun foncé du bâtiment central, et les toits de cuivre vert.


Ils se redressèrent sitôt la nuit venue. Les lumières en bas étaient éteintes.

Observant bien, ils virent tout à coup une draisine, un petit véhicule adapté à la voie ferrée, équipée d'un moteur, quitter le souterrain et partir en direction de la ferme. Elle s'éloigna vers l'entrée de la vaste propriété. Ils comptèrent trois, quatre personnes, mais ils ne purent pas les reconnaître. Peut-être s'agissait-il des occupants des voitures entrées ce matin par la grande porte noire.

La draisine s'éloigna et le silence retomba. Nos amis se sentaient bien seuls à présent dans le château de Trollendröm, cet étrange et prodigieux nid d'aigle.

Un peu rassurés, mais quand même impressionnés par leur solitude, ils quittèrent leur tour et suivant le chemin de ronde, ils atteignirent la deuxième, puis la troisième, celle du milieu. Ils passèrent sur le pont et s'avancèrent, au niveau du quatrième étage, vers le donjon central.

Là, ils descendirent un long escalier étroit qui conduisait tout en bas du bâtiment. À gauche et à droite, sur les murs, se trouvaient des peintures qui semblaient très anciennes et représentaient des chevaliers dont les noms étaient inscrits en lettres gothiques. Aucun ne s'appelait Soldarmö le grand, celui qu'ils recherchaient.

Arrivés au rez-de-chaussée, ils suivirent un couloir mal éclairé et débouchèrent au pied d'un autre escalier qui remontait vers les étages. Ils ouvrirent avec prudence une porte latérale. Ils découvrirent des bureaux assez modernes, avec des téléphones, des ordinateurs, des écrans géants, etc... etc... Vides, bien sûr. Ils refermèrent la porte.

Ils suivirent l'escalier et parvinrent au premier étage. À droite, un couloir menait vers une grande cuisine bien équipée.

Au deuxième étage, toujours à droite, ils visitèrent une splendide salle à manger décorée d'une immense cheminée et parée d'armures du Moyen Âge. Ils regardèrent partout, même dans les armures. Ils ne découvrirent aucune caméra.

Encouragés par le silence, ils progressèrent vers le troisième étage. Une enfilade de salons très luxueux. Plus à droite encore, se trouvait une grande bibliothèque garnie de tables d'étude, et surtout, de livres à ne plus savoir qu'en faire. Ils en comptèrent des milliers et certains semblaient très anciens. 

L'avant-dernier étage, le quatrième, consistait en une série de chambres à coucher relativement banales.

-Au moins, fit remarquer Christine, si on ne sait plus quitter le domaine, on pourra toujours dormir ici.

Ils montèrent à l'étage supérieur, le cinquième. Nettement moins luxueux. Le sol en briques, les murs plutôt froids. Le couloir ici, faisait le tour du bâtiment tel un chemin de ronde le long du donjon. Ils avaient fait à peine trente pas qu'une grille, une sorte de herse, dégringola derrière eux dans un bruit de ferraille, empêchant tout retour en arrière.

II fallait continuer. Le couloir tournait à droite. Ils poursuivirent leur progression et une seconde grille s'abaissa derrière eux.

Silencieux, inquiets, ils avancèrent encore et virent que le couloir se terminait en cul-de-sac sauf à droite. Là, c'était ouvert. Ils entrèrent. Pas d'autre choix. La porte se referma derrière eux d'un coup sec.


Ils se trouvaient à présent dans une pièce fort sombre, froide, sinistre à souhait. Cinq paillasses avec cinq oreillers dont la couleur faisait hésiter entre le sale et le moisi, traînaient sur le sol. Sur une planche douteuse, se trouvait un pot avec de l'eau et cinq gobelets.

Ils se retournèrent car ils venaient d'entendre un bruit derrière eux. Au mur, un écran de télévision s'alluma. Nos amis regardèrent, ébahis, les premières images qui défilaient. « Bienvenue au domaine de Trollendröm »

-Impossible de s'échapper, fit Jean-Claude. Les deux fenêtres sont pourvues de barreaux solides et serrés. Aucune possibilité de s'enfuir par là.

-En plus, ça donne sur les fossés, sur les douves, cinq étages plus bas, ajouta Christine.

Leur télévision passa d'abord un documentaire sur les chemins de fer, depuis les premiers trains jusqu'à ceux de nos jours.

-Documentaire intéressant, jugea Véronique, mais tout à fait hors de circonstance.

-Moi, cria Philippe, puisque apparemment nous sommes repris, observés et écoutés, j'ai faim. Je veux un steak cuit à point, des frites, de la compote de pommes, et un Coca avec trois glaçons, bien sûr.

-Euh, moi aussi, mais je préférerais une limonade! demanda Anne.

-Nous aussi, nous aussi, confirmèrent les autres.

Sitôt le documentaire sur les chemins de fer terminé, un autre film commença. Il donnait des explications concernant la construction de tours japonaises. Puis un court métrage décrivit la vie à la ferme et ses animaux. Ensuite défilèrent des extraits de journaux télévisés concernant la mafia et son histoire, y compris les règlements de comptes dans les rues de Chicago dans les années 1930.

À ce moment, un étrange grondement retentit dans le mur. Un panneau s'ouvrit à un endroit que nos amis n'avaient pas repéré. Un monte-charge se trouvait là, sur lequel ils aperçurent cinq assiettes avec steak, frites, compote de pommes et les boissons, l'une d'elles remplie de glaçons. Ils sortirent les plateaux et le panneau se referma.

La télévision commença un grand film : "Il était une fois dans l'Ouest", du réalisateur Sergio Leone.

-Tant qu'à faire, amusons-nous. C'est du très bon cinéma.

Ils le regardèrent tout en mangeant, assis sur les paillasses.

Le repas était fini depuis longtemps, le film se terminait. L'écran s'éteignit. La petite lumière du plafond aussi. II faisait tout à fait noir dans la pièce. Onze heures du soir. Tout était silence à l'extérieur comme autour d'eux. Nos amis, rapprochant les paillasses les unes des autres, se couchèrent en se demandant vraiment ce qu'ils allaient devenir.

Ils bavardèrent un peu puis finirent par s'endormir.


Anne s'éveilla la première. Elle ouvrit les yeux.

-Mon Dieu!

Elle se tourna.

-Réveillez-vous! Réveillez-vous!

Les autres se redressèrent.

-Regardez, on n'est plus au même endroit que tantôt!

Ici, le plafond était bas et voûté, comme dans une vieille cave. Quelques toiles d'araignée et quelques mousses sinistres pendaient au plafond. Ça sentait le renfermé. Aucune fenêtre. Ils étaient couchés sur des lits de camp, et plus sur des paillasses. Quelle heure pouvait-il être? Ils regardèrent leur montre: deux heures du matin.

- On nous a drogués, les amis, sinon on se serait éveillés pendant qu'on nous déplaçait, s'exclama Jean-Claude.

-Un somnifère dans notre nourriture, songea tout haut Véronique.


Ils ne virent qu'une sortie, une porte sombre, fermée. On n'entendait absolument rien. Philippe saisit la clenche.

-Bon, j'ouvre?

-Oui, d'accord, dirent les autres.

Ils parlaient tout bas, pour qu'on ne les entende pas. Pourtant, quelqu'un les écoutait-il encore à pareille heure de la nuit ?

Philippe ouvrit la porte centimètre par centimètre. Un chien se mit à pousser des aboiements féroces. Ceux qui se trouvaient juste à côté du garçon aperçurent un abominable molosse qui grondait en montrant les crocs, prêt à bondir, peut-être dressé pour tuer.

Ils claquèrent la porte d'un coup sec.

Les cinq enfants, raides de peur, enfermés dans cette cave sans issue, gardée par un chien énorme, une espèce de dobermann ou de rottweiler, ou pire encore, se regardèrent, catastrophés, effrayés, et surtout prisonniers, comme des rats dans un piège.  

Aucune autre sortie. Pas de fenêtre. Au sol, aucune trappe n'apparaissait entre les dalles humides et froides.

-Bon, soupira Philippe.


Il enleva son t-shirt et se mit torse nu.

-Qu'est-ce qui te prend? demanda Véronique.

-Il faut bien que l'un d'entre nous se sacrifie, affirma le garçon. Christine, tu veux bien me prêter ton canif ?

Philippe ouvrit la lame.

-Que vas-tu faire? interrogea Jean-Claude.

-Je vais aller me battre avec le chien et le tuer.

-Il va te mordre, te blesser.

-Tu veux y aller à ma place ? demanda Philippe.

-J'hésite, répondit son ami, qui est pourtant un courageux garçon.

-Tu préfères rester ici et attendre ?

 -Non, mais...

-Écoute, je refuse que cette bête féroce déchire nos compagnes. Je vais me battre. Tant pis si je suis blessé ou mordu, c'est mon rôle de garçon, parce que j'ai plus de force. Je me sacrifie pour elles.

-Tu es vraiment gentil, encouragea Véronique.

-Tu peux m'embrasser, dit le garçon. Les héros aiment les bisous de leur dulcinée avant le combat où ils risquent leur vie.

-Oui, consentit la jeune fille.

Anne, Jean-Claude et Christine assistèrent en souriant au doux bisou sur la joue.

Philippe reprit la poignée de la porte en main.

-Ne me suivez pas. Je vous appellerai quand le danger sera écarté.

Il entra et referma très vite derrière lui. On entendit des aboiements féroces et puis plus rien.


-Venez, cria leur ami.

Ils ouvrirent la porte. Ils entendirent de nouveau les aboiements féroces et aperçurent Philippe au centre d'un hologramme représentant un chien.

-Oh, mais c'est un hologramme... Tu le savais! cria Véronique.

-Je suis assez bon observateur, souriait Philippe. Ce n'était pas un chien, mais une construction électronique, avec quelques bons micros bien placés.

-Oh! monsieur joue les courageux. Il se met torse nu. Il emprunte un canif. Il réclame un bisou. Oh! cria Véronique, mais merci quand même.

-À propos, par ici, je ne vois aucune sortie. Un couloir aveugle. Il n'y a ni porte, ni fenêtre, ni trappe, ni rien du tout. Allez, je reviens, rendez-moi mon t-shirt.

II se rhabilla en souriant.


Dans un coin de la cave se trouvait une bouche d'aération couverte de poussière et de mousse et tenue par six vis bien serrées et un peu rouillées déjà. Le conduit ne semblait pas large, mais nos amis décidèrent de tenter leur chance. Christine saisit son canif et s'attaqua aux vis, puis elle ôta la grille. On pouvait se glisser là-dedans en rampant et tâcher de s'enfuir de ce côté.

Le couloir sombre, tapissé de poussière, sentait mauvais. Ils aboutirent assez vite à une échelle en fer qui descendait dans un tunnel étroit. Ils l'empruntèrent. Ils se trouvaient à présent dans une sorte d'égout. Une vase infecte leur venait jusqu'aux genoux.

Après un instant d'hésitation entre la gauche et la droite, ils s'avancèrent en file indienne vers le côté gauche. Ils apercevaient une échelle à cinquante mètres dans la demi-obscurité qui régnait à cet endroit éclairé par quelques ampoules électriques de faible puissance. Ils pataugèrent quelques minutes en silence. Parfois un clapotis lointain les surprenait. Un rat sans doute.

L'égout continuait, mais ils décidèrent d'escalader cette échelle. Elle menait à une trappe. Ils la levèrent et se hissèrent dans un couloir. Des portes, à gauche, donnaient dans des bureaux, mais pas les mêmes que ceux découverts en venant. Ici, c'était allumé.

Montant un escalier, ils virent une grande cuisine bien équipée, à gauche toujours. Ils ne touchèrent à rien. L'escalier continuait, de plus en plus luxueux, menant dans une superbe salle à manger de style moyenâgeux. Elle ressemblait à celle vue hier soir, mais les peintures au mur étaient différentes.

Poursuivant leur exploration silencieuse, ils atteignirent le quatrième étage. Des magnifiques salons. Des meubles de prix, comme on en voit chez les antiquaires, le tout du meilleur goût. Ils s'arrêtèrent un instant devant une bibliothèque encore plus fournie que la précédente et dont certains livres dorés à l'or fin semblaient vraiment très anciens.

D'autres salons encore, tous plus beaux les uns que les autres, continuaient en enfilade. Ils s'y sentaient mal à l'aise dans leurs vêtements crasseux. Par les fenêtres, on apercevait le domaine de Trollendröm presque dans son entièreté, sous la lumière de la lune.

Enfin, passant à l'étage du haut, le cinquième, ils aboutirent dans un couloir décoré d'un tapis rouge et bien éclairé de lustres en cristal. Il menait vers une magnifique double porte rehaussée de dorures. On se serait cru dans le palais d'un roi.  


Ils poussèrent la double porte et entrèrent dans une vaste chambre à coucher, meublée en son centre d'un lit à baldaquin. Et sur ce lit, appuyé sur deux ou trois coussins, se trouvait un homme aux cheveux grisonnants, qui les regardait en souriant. Il portait un peignoir bleu foncé noué sur un costume. Il leva les yeux et observa les cinq amis. Eux, stupéfaits et ne sachant que croire, ne bougeaient plus. Ils se tenaient debout, sales, le cœur battant la chamade, dans ce décor somptueux.

Anne se ressaisit la première et balbutia un « excusez-nous, monsieur » en suédois. L'homme leur parla en français.

-Laquelle d'entre vous s'appelle Anne?

-C'est moi, monsieur, répondit la jeune fille, en s'avançant d'un pas.

-Bonjour, chère cousine, ou plutôt chère petite nièce.

-Vous, vous, vous...

-Bienvenue au domaine de Trollendröm !

Nos amis se regardèrent. L'homme se redressa et s'assit au bord du lit, tout près d'eux.

-Vous m'avez échappé trois fois.

-Comment ça? demanda Philippe.

-Mes collaborateurs et moi, on vous a cherchés dans le tunnel où se trouvent évoquées les scènes violentes de la mafia. Où étiez-vous cachés? Ça m'intéresse.

-Nous nous trouvions en-dessous des sièges, dans le coffrage en bois des banquettes, dit Philippe.

-Bravo! On n'y a pas pensé, poursuivit leur hôte. Et puis, on vous a retrouvés, mais vous avez de nouveau disparu après la tour japonaise.

-Oui, on a sauté du train, expliqua Jean-Claude.

-Dangereux, mais courageux. J'apprécie votre intrépidité. Et puis, vous êtes réapparus dans la tour près du donjon. On vous a déplacés dans une cave. On comptait vous éveiller au matin et vous offrir un somptueux petit déjeuner, bien mérité, au château, mais vous vous êtes encore une fois enfuis...

-En ouvrant la bouche d'aération, raconta Christine. J'ai dévissé la grille.

-Incroyable! Et quel cran! Je vous admire. Si tous mes clients se montraient aussi habiles que vous, où irions-nous? 

-Des clients? dit Véronique. Quels clients, monsieur ?

-Voyez-vous, mon grand-père était le frère cadet de l'arrière grand-père de Anne. Un homme de génie. Il créa ce château et ce parc avant même que d'autres en reprennent l'idée dans le reste du monde et imaginent ce qu'on appelle des parcs d'attraction, où se rassemblent vingt, trente mille personnes à la fois, où on se bouscule dans des longues files d'attente. Ici, il inventa un espace où une famille à la fois vient passer une journée inoubliable.

Nos amis écoutaient en silence.

-Ici, on s'occupe de vous à chaque instant, poursuivit l'homme. On tâche, selon vos goûts, de vous terroriser, de vous intriguer, de vous amuser. J'ai un peu modifié la surveillance de ce parc, qui se faisait autrefois à cheval... J'ai modernisé les choses, vous avez vu, sans doute, les écrans de télévision... On observe maintenant les clients avec des caméras. On utilise des lasers, vous les avez remarqués.

-En effet, dit Christine en souriant. Vous pouvez le dire...

-On vous a suivis dans tous vos déplacements, sauf aux moments de vos disparitions.


L'homme observa les cinq enfants un moment sans parler.

-J'espère avoir réussi à vous étonner, dit-il.

-Ah ça, pour nous étonner, répondit Anne, vous avez réussi, mon oncle.

-J'espère que je vous ai... intéressés.

-Oui, certainement. On a eu souvent peur, ajouta Véronique, mais ça a renforcé notre amitié et nous a intéressés.

-Oui, au fond, nous avons passé une incroyable journée, commentèrent Anne et les quatre amis.

-Et moi, dit l'homme au peignoir bleu, je suis heureux de te rencontrer, Anne, ainsi que tes amis. Vous êtes vifs, intelligents, audacieux... j'aime cela.

 

Ainsi s'achève l'épisode du domaine de Trollendröm.

Les bribes de phrases de la plaque en bois restent un mystère. Soldarmö le grand... Son ombre était lumière... Il ne connaissait pas le chiffre...

Découvre vite la suite et fin dans « Le temple de Soldarmö » au numéro 23.