Christine

Christine

N°41

La cabane de l'épouvante

     Avec les pluies de ces derniers jours, tout était détrempé. Mais ce matin, un grand soleil éclairait la forêt et la maison où habite Christine. Elle se réveilla tôt. Rapidement, elle passa sa salopette, son t-shirt, ses baskets, et, refaisant ses tresses, elle descendit l'escalier de bois qui mène à la salle de séjour.

Pendant le repas, son papa lui demanda d'avoir la gentillesse d'aller jusqu'à ce lac situé assez loin de leur maison. Il faut presque trois heures de marche pour s'y rendre, et trois autres heures pour en revenir, bien sûr. Ses parents sont responsables du débarcadaire et de la barquette qui s'y trouve attachée. Il s'agissait de vérifier si l'embarcation était toujours en bon état, et n'était pas pleine d'eau à cause des vents et des pluies des jours précédents.

Christine accepta volontiers, mais elle en profita, avec un regard malicieux, pour demander la permission d'aller faire un petit tour sur l'eau. Ses parents le lui interdirent. Notre amie s'indigna.

-Vous me prenez toujours pour une petite fille. Vous ne vous rendez pas compte que j'ai dix ans. Je suis capable de ramer dans une barquette.

-Nous n'en doutons pas une seconde, répondit la maman. Mais il n'y a pas âme qui vive autour de ce lac. S'il t'arrive n'importe quoi sur l'eau, si tu es en difficulté, tu auras beau appeler, personne ne viendra t'aider. Personne ne viendra te secourir. Tu ne pourras compter que sur toi-même.

-Cela ne fait rien, répondit Christine. Je suis débrouillarde. Et puis, au pire, si la barquette coule, je sais nager. Je regagnerai la berge à la nage.

-Bien, conclut papa. Puisque tu as tout prévu, vas-y. Fais un tour sur l'eau, mais reste prudente.

Notre amie, souriante, radieuse, énergique, remercia. Puis elle se fit un pique-nique qu'elle emballa et qu'elle glissa dans son sac à dos avec une gourde pleine d'eau. Elle vérifia la présence de son canif au fond de sa poche. Ainsi équipée, elle embrassa ses parents et partit pour le lac.


Elle suivit pendant une heure et demie un long chemin de terre creusé d'ornières profondes à la surface desquelles dansaient des moustiques. Dans certaines d'entre elles des grenouilles pondaient leurs petits têtards. Puis elle entama un sentier bordé de fleurs et de mûriers. Il se déroulait par vallées et collines. Elle passa ensuite sous un grand bois de sapins et traversa deux gués. Elle eut de l'eau jusqu'au-dessus des genoux. Elle en profita pour se rafraîchir en s'arrosant généreusement au pied d'une petite cascade. Enfin, elle atteignit le grand étang.

Le débarcadaire était en bon état. Le fond de la barquette avait dix centimètres d'eau, mais elle eut tôt fait de l'écoper. Elle détacha alors la frêle embarcation, saisit les rames et partit pour une belle promenade vers le milieu du lac.


Un peu de vent ridait la surface de l'eau. Par contre, il faisait très chaud. Christine avait le projet d'atteindre un îlot fleuri. De là, elle pourrait observer une partie du lac que l'on ne peut pas apercevoir depuis la berge et le débarcadaire, car une importante courbure en cache la vue.

Pour bien comprendre la suite de la terrible aventure de notre amie, il faut savoir que derrière cette courbure se trouve une étendue de terre émergée, inaccessible à pied car encerclée par une vaste zone de dangereux marécages. Si tu marches à cet endroit, tu risques de t'enfoncer dans la boue jusqu'aux genoux si tu es chanceux, mais tu peux aussi bien t'enliser jusqu'au cou dans la vase ou en avoir au-dessus de la tête et disparaître à jamais.

Notre amie avait déjà tenté d'atteindre cette bande de terre en marchant le long des rives du lac, mais sans succès, à cause du marécage. 

Découvre ou relis : La tour du lac vert. Christine n°24.

Aujourd'hui, pour la première fois, elle pourrait y parvenir en barquette.


Après avoir ramé de longues minutes en direction du milieu du lac, elle eut tellement chaud qu'elle s'arrêta. Elle transpirait. Elle défit les bretelles de sa salopette pour ôter son t-shirt. Puis elle remonta les jambes de son pantalon le plus haut possible. Elle fut tentée de les couper avec son canif pour en faire un short, mais c'était sa meilleure salopette et elle décida de la garder intacte pour se protéger du froid au retour de l'hiver.

Elle posa son t-shirt à côté de son sac à dos sur la même planche. Elle plongea une main dans l'eau et s'arrosa le visage et le cou. Elle reboutonna sa salopette.

Elle continuait à ramer doucement.

Elle aperçut enfin, au-delà de la courbure de la rive du lac, la bande de terre émergée qu'elle rêvait de découvrir. Elle repéra au loin une cabane en bois. Elle ressemblait à une petite maison. Christine l'observa un moment. Elle semblait abandonnée, et bien solitaire.

Notre amie arrêta de ramer. Seul le clapotis des vagues venant mourir sur les bords de sa barquette faisait un léger bruit mouillé.

Elle entendit alors, venu dirait-on de la cabane, une sorte de grincement ou de sifflement régulier. Ça réveilla fortement sa curiosité.

Elle perçut aussitôt après, un autre son, celui de remous à la surface de l'eau à environ vingt mètres d'elle. Elle se redressa et scruta cet endroit. Des bulles de plus en plus nombreuses montaient vers la surface du lac et éclataient.

Christine observait cela avec une certaine inquiétude, car l'étrange phénomène se déplaçait et se rapprochait lentement. Cela signifiait qu'un être vivant, un animal probablement, et assez grand, nageait en direction de son frêle esquif. Les bulles et les remous atteignirent le côté gauche de son bateau.

Soudain, un long bras ressemblant à s'y méprendre à un bras de pieuvre et couvert de ventouses, vint frapper le bord de l'embarcation. Il la déséquilibra et faillit la faire chavirer. Notre amie se réfugia vers le bord droit de la barque pour tenter de faire contrepoids. Elle tenta ensuite de se débarrasser de ce tentacule, en lui donnant des coups de pied. Elle ne risquait rien car elle avait gardé ses sandales de toile. Elle ne réussit pas à le faire partir.

Alors, se tenant avec une main, elle plongea l'autre dans la poche de sa salopette, en sortit son canif et ouvrit la lame la plus longue. Elle taillada à trois reprises le bras de la pieuvre, qui aussitôt se retira.

La barquette après un vif mouvement de roulis, s'immobilisa sur l'eau. Les bulles à présent éclataient à gauche et à droite de la coque. Ce qui indiquait que la bête se trouvait en dessous d'elle. Le cœur de Christine battait la chamade. Elle tremblait, épouvantée.


Soudain, un bras géant, plus grand que le précédent, s'abattit sur le côté droit. Il déséquilibra l'embarcation et la retourna.

Notre amie se retrouva dans l'eau. Elle nagea aussi vite qu'elle pouvait en direction de la terre émergée la plus proche d'elle, celle entourée du marécage et où se trouvait la cabane qu'elle venait d'apercevoir. Elle eut de la chance car la bête s'acharnait sur les restes du bateau et ne semblait pas avoir remarqué sa fuite à la nage.

Christine se hissa sur la berge et se tourna vers le lac. Elle était trempée. Ses longues tresses dégoulinaient. Sa salopette lui collait à la peau. Elle était sauvée mais avait perdu son t-shirt, son repas et sa gourde.


Elle hésita un moment, puis réflexion faite, elle s'approcha de la cabane. Le côté gauche était percé d'une fenêtre fermée par deux volets, fixés par un clou recourbé.

Notre amie entendait encore ce bruit étrange, ce grincement sinistre qui faisait frissonner. Elle l'écouta un moment, puis, constatant qu'il venait depuis l'autre côté de l'abri, elle partit observer l'habitation afin d'en connaître la provenance.

Elle dépassa une porte retenue par un solide verrou glissé à l'extérieur.

Lorsque Christine découvrit le côté droit de la cabane, elle comprit aussitôt la provenance du bruit étrange qui lui faisait si peur depuis qu'elle s'était hissée sur la terre émergée.

Un ruisseau quittait le marécage et alimentait le lac. Une ancienne roue en bois, une roue à aube, tournait lentement, entraînée par le courant assez paresseux. Roulant sur son axe, elle grinçait abominablement. Elle était vieille et couverte de mousse. En plus, ça dégoulinait chaque fois qu'une des palettes sortait de l'eau.

Ce bruit expliqué, notre amie se rassura un peu, mais, maintenant, il s'agissait de retourner chez elle.


Comment faire ? Sur trois côtés, stagnait l'immense marécage. Si elle s'aventurait là-dedans, elle risquait de s'enliser et de disparaître dans les boues et les vases pour toujours. Le quatrième côté consistait en la berge du lac. Nager les cent mètres qui la séparaient du débarcadaire n'était pas un problème pour cette fille intrépide et sportive, mais il y avait la bête...

En observant l'eau du lac, tandis qu'elle réfléchissait, Christine vit quelque chose de blanc qui flottait à petite distance. Elle reconnut son t-shirt.

Glissant aussitôt la main dans la poche de sa salopette, elle en sortit son précieux canif qu'elle n'avait heureusement pas perdu dans son bain forcé et se tailla un très long bâton. S'en servant comme d'une canne à pêche, elle réussit à accrocher son vêtement et à le tirer vers elle. Elle le sortit de l'eau puis le tordit soigneusement, pensant le remettre sur elle, mais elle décida plutôt de l'accrocher à une branche d'arbre bien exposée au soleil afin de le sécher un peu. Elle referma la lame de son canif et le remit dans sa poche.

Elle s'éloigna vers la gauche dans l'espoir de pouvoir passer le marécage. Hélas, après avoir fait quelques pas dans la vase, son pied enfonça soudain et elle eut de la boue jusqu'au-dessus du genou. Elle retira vivement sa jambe. Encore un peu et sa sandale de toile restait au fond.

Elle fit demi-tour et tenta la même expérience de l'autre côté. Elle pourrait toujours contourner le lac par l'autre rive, mais l'expérience fut encore plus malheureuse. Elle glissa dans la boue et se retrouva étendue sur le ventre en poussant un cri. Elle parvint à s'en sortir mais dégoulinait à présent de vase qui sentait mauvais le poisson pourri. Elle en eut même dans ses beaux cheveux bruns.

Elle revint vers la cabane et entra dans l'eau claire du lac pour se laver, mais elle resta juste au bord pour ne pas attirer la pieuvre.

Ensuite, à nouveau trempée, elle retourna sur la terre ferme. Elle s'approcha du petit chalet.


Elle décrocha le clou qui fermait les volets de la seule fenêtre, puis les écarta.

Elle poussa de nouveau un cri. Une horrible tête de mort se trouvait juste derrière la vitre. Les deux trous des yeux, ceux du nez et les affreuses dents bien visibles. 

Remise de sa frayeur, elle constata que c'était un épouvantail placé à l'intérieur, sans doute pour décourager ou effrayer les visiteurs éventuels. Mais pourquoi ?

Christine, curieuse et voulant tâcher de comprendre, glissa le verrou. La porte s'ouvrit vers l'extérieur. Prudente, notre amie observa les lieux avant d'entrer. La cabane était vide, sauf un grand coffre placé contre le mur. Il mesurait un mètre de haut, deux mètres de long et un mètre de large.

Notre amie s'en approcha et tenta de lever le couvercle, mais elle ne put le déplacer que d'un centimètre environ. Il était retenu par un cadenas et elle ne disposait pas de la clé.

Elle ressortit et retourna au bord de l'eau. Comment retourner chez elle? Le temps passait. Elle s'assit un moment sur la berge pour réfléchir.

Elle se releva assez vite, avec la sensation que quelqu'un l'observait derrière son dos.

Tu connais certainement cette désagréable impression. Tu penses que quelqu'un te suit en rue et lorsque tu te retournes, tu ne vois personne. Ça fait peur. C'est angoissant.

Christine sentit de nouveau son cœur battre un peu trop fort.

Se retournant, elle comprit que quelque chose avait changé près d'elle. Elle se demandait quoi.

Soudain, elle comprit. Son t-shirt n'était plus accroché à la branche à laquelle elle l'avait mis à sécher. Il n'était pas tombé à terre. Il avait bel et bien disparu. Pendant qu'elle visitait la cabane, quelqu'un s'en était emparé.

Elle eut encore plus peur de cette présence humaine que de la pieuvre.

Notre amie a l'habitude de rencontrer des animaux dans sa forêt. Très astucieuse, elle réussit toujours à se sortir de ces rencontres parfois amicales mais parfois un peu dangereuses, entre autres grâce à son pouvoir de leur parler et de les comprendre, que nous lui connaissons et qui suscite l'admiration de ses parents. Mais avec un être humain...

Christine observa de nouveau la fenêtre de la cabane et constata que l'épouvantail avait disparu. Elle retourna à l'intérieur, se disant que le mystère et l'explication de tout cela se trouvaient dans le coffre.

Elle s'agenouilla près du couvercle et entreprit de découper l'attache qui tenait le cadenas et le bloquait. Elle sortit pour cela la lame-scie de son canif.

Ce n'était pas un travail facile. Elle sciait en gestes réguliers. Le bois était bien entamé quand le couvercle du coffre se mit à vibrer devant elle. Il était encore retenu par l'anneau du cadenas et ne pouvait donc pas s'ouvrir. Ces vibrations l'épouvantèrent car cela signifiait qu'à l'intérieur du coffre, quelqu'un ou quelque chose remuait avec violence et se montrait particulièrement menaçant et agressif.

Christine voulut sortir de la cabane, mais, à ce moment précis, la porte se referma avec violence. Elle se retrouva prisonnière dans la pièce.

Elle aperçut une paire de bottes en cuir par une fente entre les planches disjointes. Ces bottes ressemblaient à celles d'un cow-boy. Aux talons se trouvaient de chaque côté un éperon métallique. Les bottes bougèrent, cela voulait dire que quelqu'un les chaussait. Notre amie tambourina sur la porte.

-Je ne vous ai rien fait. Laissez-moi partir. Je vous en supplie. Ne me gardez pas ici prisonnière. J'ai peur.

Puis, décidée et courageuse, elle se précipita vers la fenêtre. Elle comptait la faire voler en éclat avec son canif. Mais au même instant, les deux volets furent rabattus avec violence et le crochet qui les tenait fermés fut glissé.

Christine était enfermée dans la cabane de l'épouvante sans aucun espoir d'en sortir. Elle ne savait même pas si celui ou celle qui la tenait prisonnière était un homme ou une femme. Elle s'assit sur le coffre et sentit des larmes couler le long de ses joues.


Pleurer ne sert à rien. Notre amie le sait bien. Et ses parents l'avaient avertie. Elle devait se débrouiller seule pour se tirer d'affaire.

Après avoir bien réfléchi, elle pensa que l'unique solution pour se sauver était de connaître d'abord le contenu de ce fameux coffre.

Elle sortit à nouveau son canif de la poche de sa salopette et entreprit de scier cette latte en bois qui retenait l'anneau du cadenas. Elle le fit, cette fois-ci, non pas avec la scie un peu bruyante, mais avec la longue lame bien aiguisée. C'était plus discret.

Elle parvint à ses fins après un long moment et beaucoup de sueur. Elle put enfin ouvrir le fameux coffre de la cabane de l'épouvante.

Ce n'était pas un coffre! Les parois entouraient une fosse de deux mètres de profondeur environ, au fond de laquelle notre amie vit de l'eau. La cabane était située sur la berge. Christine conclut que l'eau qui se trouvait là venait du lac et que ce qui avait fait vibrer le couvercle du coffre tantôt, ne pouvait être que la fameuse pieuvre rencontrée en arrivant sur la barquette.

Elle referma le coffre et s'assit dans la poussière le long du mur opposé et se demanda vraiment comment elle allait pouvoir sortir de ce guêpier.


Après un long moment pénible de réflexion, elle conclut que la seule issue pour elle était d'entrer dans ce coffre, se glisser dans l'eau, nager sous la surface aussi loin qu'elle pouvait vers le lac, et de là, à la nage toujours, rejoindre le débarcadaire situé à cent mètres environ. Mais il y avait la pieuvre. Et l'homme ou la femme avec les bottes de cow-boy.

Christine décida d'attendre que la nuit tombe pour entreprendre son projet d'escapade. Elle resta donc assise dans la poussière. Il faisait chaud. Elle avait faim. Elle n'avait rien mangé ce midi puisqu'elle avait perdu son pique-nique à cause de la bête. Elle n'avait plus rien à boire non plus.

Elle attendit en silence. Elle pensait à Mathieu, son copain, à ses parents et à tous ceux qu'elle connaît, qu'elle aime et qu'elle voulait revoir.

Enfin, après un temps qui lui parut interminable, le soleil se coucha. L'intérieur de la cabane devint plus sombre.


Quand il fit quasiment noir, elle réouvrit le coffre. Un bras de pieuvre sortit et frappa le sol à sa recherche. Christine, terrorisée, bondit sur le couvercle, sortit la lame de son canif et taillada ce bras qui se retira et disparut, laissant quelques remous derrière lui. Puis l'eau du fond du coffre fut de nouveau immobile.

-Plonger là-dedans, songea notre amie, quelle horreur!

Elle risquait de rencontrer cette bête particulièrement agressive et se trouver avec elle dans l'eau et sans défense car là, dans le lac, si la pieuvre attaquait, son canif serait sans doute inutile. Pourtant, il fallait se décider.

Notre courageuse amie enjamba le coffre. Ensuite, se tenant aux planches du bord supérieur, elle se laissa doucement glisser. Ses pieds puis ses genoux se trouvèrent vite dans l'eau. Maintenant, elle devait soit se lâcher, soit remonter. Si elle lâchait le bord auquel elle se tenait, elle ne pourrait pas revenir en arrière. L'eau était profonde sous la cabane. L'aventure était sans retour.

Après un dernier moment d'hésitation, Christine glissa dans l'eau froide et noire sans bruit. Puis, prenant une grande inspiration, elle nagea sous l'eau du mieux qu'elle pouvait. Quand elle fut vraiment à court d'air, elle remonta à la surface.


Elle se trouvait à quelques mètres de la berge. Elle regarda vers la bande de terre émergée, mais elle ne vit personne. Elle continua à nager, et malgré son angoisse terrible de rencontrer la bête et son impatience d'avancer, elle se contenta de faire doucement la brasse, afin de créer le moins de remous possible et de bruit pour ne pas attirer la pieuvre.

Étrange, cette pieuvre. Normalement, on en trouve uniquement dans les eaux salées. Pourtant, notre amie se souvenait avoir lu un livre l'hiver passé, où des aventuriers avaient rencontré un poulpe géant au fond d'une grotte.

Tandis qu'elle nageait, elle observait parfois le reflet argenté de la lune, brisé en petits éclats par les vaguelettes et qui dansait près d'elle. Ça au moins, c'était beau à voir et un peu rassurant.

Christine parvint à parcourir d'un trait la distance qui la séparait du débarcadaire. Là, elle se hissa hors de l'eau froide, bien fatiguée, mais trouva en elle la force de courir sur le long chemin qui la menait chez elle. Elle arriva bien tard à sa maison, épuisée et affamée.


Pendant qu'elle mangeait, elle raconta à ses parents, très inquiets, ce qui lui était arrivé. Aussitôt, sa maman téléphona aux gendarmes. Celui du village avertit ses supérieurs. Une demi-heure plus tard, notre amie monta l'escalier pour aller enfin dormir dans sa chambre. Son papa l'appela. Le commandant François était au bout du fil. Elle redescendit.

Christine a déjà rencontré plusieurs fois ce chef de militaires et ses hommes. (cfr "la chambre 313", Christine n°2; "Opération bébé-crapaud" n°22; "Le météorite", n°31, "La forêt interdite", n°33)

- Alors, jeune fille, dit le commandant François, on dirait que tu as de nouveau vécu une terrible aventure. Décidément, cela t'arrive souvent, ces choses-là.

-Je m'en passerais bien, répondit notre amie.

-Nous avons reçu la mission d'aller arrêter cet individu qui t'a enfermée. Nous avons besoin de toi comme guide. Il faut, ajouta le militaire, que nous intervenions rapidement. Ne lui laissons pas le temps de se sauver. Je me mets en route avec trois de mes hommes et nous serons chez toi aux environs de six heures du matin. Il est minuit. Va te reposer, tes parents te réveilleront quand nous arriverons. Auras-tu le courage, à ce moment-là, malgré ton épuisement, de nous conduire jusqu'au lac et de nous montrer la cabane?

-Oui, promit Christine. Je le ferai.

-Merci, répondit le commandant François. À demain.

Christine se coucha.


Elle eut l'impression qu'elle venait de fermer les yeux, quand elle sentit la main de sa maman la réveiller.

-Courage ma chérie, les soldats viennent d'arriver. Ils t'attendent au salon.

-Déjà, murmura notre amie.

-Oui. Il est six heures du matin.

-Oh, soupira notre amie, j'ai l'impression de m'être à peine endormie.

-C'est normal, expliqua sa maman. Quand on dort trop peu, on perçoit cette sensation. Habille-toi vite.

Elle enfila sa salopette. Elle passa un nouveau t-shirt, remit ses sandales de toile hélas bien sales et descendit l'escalier. Le commandant François attendait avec ses trois soldats. Elle en reconnut deux qu'elle connaissait bien. Le soldat Robert et le soldat Bertrand. Tous étaient équipés de fusils, de matraques, de jumelles et d'un énorme sac à dos.

-Bravo Christine, tu as vraiment du cran, félicita le chef militaire. Viens. Le véhicule tout-terrain nous attend dehors. En route.


Elle leur expliqua le chemin à suivre au fur et à mesure qu'il se déroulait.

Ils empruntèrent ensuite à pied le sentier vers le lac. Il faisait encore sombre dans le bois silencieux. Christine marchait devant. Après une heure et demie, ils arrivèrent au débarcadaire. 

L'aube dessinait ses premières lueurs de l'autre côté du lac. Le soleil se levait derrière les collines lointaines. Deux soldats ouvrirent leur énorme sac et en sortirent chacun un canot pneumatique bien plié qu'ils gonflèrent aussitôt. Puis, saisissant des rames qu'ils avaient emportées, ils embarquèrent tous. Les soldats Robert et Bertrand se trouvaient sur un zodiac. Christine, le commandant François et un troisième soldat, Yves, sur l'autre.

Ils se séparèrent afin de prendre la zone de terre émergée de la cabane en tenaille, quitte à patauger dans les marécages. Ils pagayèrent un long moment. Ils communiquaient d'un bateau à l'autre par talkie-walkie.

Soudain, celui du commandant François grésilla. Le soldat Robert appelait.

-Commandant!

-Oui, j'écoute, répondit l'officier.

-Nous venons de remarquer, à une quinzaine de mètres de notre embarcation et venant vers nous, des remous et des bulles. Cela se rapproche assez rapidement.

-J'ai oublié d'en parler, s'écria Christine. Il s'agit d'une pieuvre. Faites très attention. Elle va sortir un de ses bras et attaquer votre bateau.

-OK, répondit le commandant François, reprenant le talkie-walkie. Vissez vos silencieux sur vos armes afin de ne pas attirer l'attention de notre cible par les détonations et abattez-moi cette bête si elle se montre agressive.

Quelques instants après, chacun des soldats tira à deux reprises et l'immense pieuvre mourut. Elle flottait à présent, renversée sur le dos à la surface de l'eau.

Puis, chaque embarcation alla de son côté, à l'intérieur du marécage. Lorsqu'elles ne purent plus progresser à cause des branches mortes et des roseaux, il fallut débarquer dans l'eau noire et continuer à pied. Le commandant François proposa à notre amie de rester dans le zodiac, mais elle refusa. Elle voulait les accompagner, parce qu'elle est curieuse, et surtout, elle ne voulait pas rester seule.


Christine, enfonçant dans la vase, pataugeait à côté des militaires. Ils n'eurent pas trop de difficulté à atteindre la bande de terre émergée. Là, progressant par les deux côtés à la fois comme une tenaille, les soldats donnèrent l'assaut et coururent jusqu'à la cabane. Ils enfoncèrent la porte. C'était vide. Ils ouvrirent le coffre. Personne ne s'y trouvait. Leur cible avait disparu.

Le militaire se fit expliquer par Christine comment elle avait réussi à s'enfuir de sa prison. Il fut sidéré par le cran, le courage de notre amie, qui avait osé plonger dans ce trou noir, passer sous l'eau, malgré la présence éventuelle de la pieuvre, et puis nager jusqu'au débarcadaire. Il se demandait si ses hommes auraient eu l'audace de le faire. Elle rougit, émue, et fière. 

Le commandant demanda au soldat Yves de suivre le même trajet en passant par le coffre, afin de s'assurer que personne ne se cachait au fond. Il plongea et nagea sous l'eau. Il réapparut à la surface du lac. Il n'avait rien remarqué d'anormal.


Alors, l'officier obligea notre amie à se coucher à plat ventre dans la cabane, près du coffre et de ne plus bouger. Les soldats allaient fouiller les environs et il était possible qu'ils doivent utiliser leurs armes. Le commandant ne voulait pas risquer qu'une balle perdue vînt blesser la courageuse jeune fille.

Christine se coucha donc à plat ventre dans la poussière. Elle laissa la porte légèrement entrouverte et put suivre la progression des militaires qui s'éloignaient en éventail vers le marécage qui entourait complètement la bande de terre en l'encerclant. Après quelques instants, elle n'entendit plus rien. Les soldats n'étaient pourtant pas loin.

Malgré le silence, elle ne perçut pas le léger grincement d'une latte au plafond de la cabane au-dessus d'elle. Elle n'entendit pas l'individu chaussé de bottes de cow-boy se glisser par une large fente qu'il venait d'ouvrir. Elle ressentit un choc lorsqu'il sauta d'un bond à côté d'elle et la menaça d'un long couteau pointu qu'elle sentit la piquer dans son cou.

-Lève-toi et tais-toi, murmura l'homme tout bas. Un cri et j'enfonce la lame.

Christine, terrifiée, parvint à se maîtriser et à ne pas hurler. Son cœur battait la chamade. Elle transpirait de peur, à présent.

L'individu la saisit par le poignet. Il serrait tellement fort que notre amie avait mal.

-Tu vas me servir de bouclier, murmura-t-il. Ainsi, je pourrai m'enfuir malgré ces soldats.

Il la traîna vers la porte mais il la relâcha un instant. Il observa la position des militaires.

Profitant de ce bref instant où elle n'était ni menacée par le couteau ni tenue par le poignet, Christine se tourna vers le coffre dont le couvercle était resté ouvert. Elle fit deux pas agiles et silencieux dans sa direction et, d'un mouvement souple, réussit un plongeon dans l'eau froide. Elle nagea de toutes ses forces puis remonta à la surface et hurla.

-Commandant François, le bandit est à l'intérieur de la cabane, venez vite le prendre.


L'homme fut rapidement maîtrisé. Une fois encore, Christine, par son intrépidité, était parvenue à se débarrasser de son agresseur. Les militaires emmenèrent le prisonnier sous bonne garde sur un des zodiacs, puis le long des sentiers et enfin en Jeep.

Lorsque notre amie revint à la maison, épuisée, vers onze heures du matin, le commandant François loua son courage et son endurance.

 

L'homme s'avéra être un malade mental, échappé d'un asile. Il s'était réfugié dans cette cabane isolée. Il y vivait depuis quelques jours, enfermé dans sa maladie, son monde différent du nôtre : la paranoïa. Les malades atteints de cette pathologie croient que toutes les personnes qu'ils rencontrent leur veulent du mal.

Effrayé par l'arrivée de Christine, il avait réagi à sa manière, en l'emprisonnant, pour l'empêcher de lui nuire, croyait-il. Il fut reconduit dans son asile et soigné.

Christine put enfin se reposer, bien en sécurité, chez elle. Le lendemain, elle se retrouva en forme et prête pour de nouvelles aventures.