Béatrice et François

Béatrice et François

N°4

Nouvelles peintures de tante Louise. 2.Le Rouge et le jaune

     Quelques jours ont passé depuis l'aventure du blanc et du noir.

Tu te souviens, toi qui lis ces lignes, que Béatrice avait reçu de sa tante Louise du Brésil un bien étrange cadeau, des peintures à mettre sur soi et qui te changent en animal. Elle avait choisi le noir et était devenue un chat noir pendant que son ami François s'était transformé en un petit chien blanc. Simplement, en mettant de cette peinture sur leurs poignets, leurs chevilles et autour de leur cou. Ça s'était bien terminé, après quelques frayeurs, mais la maman de Béatrice avait confisqué les pots de peinture et les avait enfermés à clé dans le tiroir de son bureau.

Or aujourd'hui, un samedi en début d'après-midi, Béatrice passa devant le bureau et remarqua le tiroir grand ouvert.

Elle prit le pot de rouge et celui de jaune qu'elle n'avait pas encore essayés. Elle emporta aussi le bleu qui sert à l'animal qu'on est devenu, pour redevenir un enfant. Il faut y tremper sa patte.

Elle appela ensuite son ami au téléphone.

-Allo, François ?

-Béatrice! Quelle bonne surprise!

-Peux-tu venir chez moi ? J'ai repris mes peintures de Tante Louise. On va bien s'amuser.


Le garçon arriva quelques minutes plus tard.

-Que choisis-tu ? Le rouge pour devenir un oiseau ou le jaune pour te changer en girafe?

-Le jaune, répondit François.

Tante Louise écrit dans sa lettre qu'il faut faire trois choses avant de jouer à ce jeu-là. Ouvrir une porte et une fenêtre pour pouvoir revenir dans la chambre quand on sera devenus des animaux, dévisser déjà le couvercle du pot de bleu, car on ne réussira pas avec les pattes, et enfin, prévenir les parents.

-Tu ne peux pas avertir tes parents, Béatrice, puisque tu as repris les pots de peinture sans demander la permission.

-Tant pis, réfléchit la fillette. Pas besoin de leur dire. On n'ira pas loin. On restera dans la maison.


François mit du jaune autour de ses chevilles, de ses poignets, puis autour de son cou. Béatrice fit de même avec le rouge et devint un bel oiseau rouge. Se retournant sur ses pattes, elle vit son copain se métamorphoser en… serpent!

Tante Louise est distraite, on le sait. Elle avait dû se tromper en achetant les pots magiques chez un sorcier le long du fleuve Amazone au Brésil où elle habite. Le garçon n'était pas devenu une girafe, comme annoncé, mais un long serpent jaune.


Juste à ce moment, les deux enfants, changés en animaux, entendirent des pas dans l'escalier. La maman de Béatrice montait à l'étage. Elle entra dans la chambre de sa fille.

Notre amie, oiseau rouge, s'envola par la fenêtre pour aller se cacher et se posa sur une branche d'arbre au fond du jardin. François, serpent jaune, se glissa aussi vite qu'il pouvait sous le lit de sa copine.

-Béatrice, appela la maman.

Elle se dirigea vers la fenêtre et la ferma.

-Ma chérie, où es-tu ?

Elle s'approcha de la table sur laquelle notre amie écrit ses devoirs et étudie ses leçons.

-Je t'ai déjà dit de fermer tes pots de peinture quand tu ne t'en sers plus. Sinon ils sèchent.

La maman revissa le pot de bleu, puis ressortit de la chambre.


Béatrice, oiseau rouge, quitta son arbre et vint se poser sur le bord de la fenêtre. Elle cogna contre la vitre avec son bec.

François, serpent jaune, rampa sous le lit et se hissa, avec difficulté, jusque sur l'appui de fenêtre.

-Comment allons-nous faire ? s'inquiéta le garçon. Je réussirais bien à monter sur ta table, Béatrice, mais ta maman a revissé le couvercle du pot bleu. Je n'ai pas de pattes pour l'ouvrir.

-Essaye avec tes dents ?

-Ça n'ira pas. Le pot va tourner sur lui-même et je ne peux pas le tenir avec fermeté.

-Peux-tu ouvrir la fenêtre ?

-Impossible, répondit le garçon changé en serpent.

Ils hésitèrent quelques instants tous les deux. Ils réfléchissaient.

-J'ai une idée, dit François en sifflant à travers la vitre pour que sa copine l'entende.

Bien sûr, nos amis ne peuvent plus parler, sauf le langage des oiseaux et des serpents, mais les animaux communiquent entre eux et se comprennent.

-Va chez moi, dit le garçon devenu serpent. Tu peux voler d'arbre en arbre. Pose-toi derrière la vitre de la chambre de mes petites sœurs. Quand elles te verront, elles t'ouvriront. Je leur ai raconté notre aventure du chien blanc et du chat noir. En te voyant, elles y penseront peut-être. Elles nous aideront à redevenir des enfants.


Béatrice, oiseau rouge, s'envola. François, serpent jaune, retourna se cacher sous le lit. Il avait peur qu'on lui fasse du mal. Souvent les gens n'aiment pas les serpents. Ils en ont peur. Ils les tuent parfois.

De son côté, l'oiseau rouge survolait les jardins.

Elle vit une pie quitter son arbre. Curieuse, notre amie s'approcha des hautes branches où se trouvait son nid. Une clé en or brillait au milieu des plumes. Ça lui donna une idée.

Notre amie craignait que la pie revienne. Mais la clé était tentante. Avec une pareille clé dans le bec, les petites sœurs de François penseraient peut-être à une chasse au trésor et la conduiraient jusqu'à sa propre maison pour aller chercher leur frère, puisqu'il jouait chez elle.

Béatrice s'élança, saisit la clé d'or, et s'enfuit à tire-d'ailes jusque chez François. Elle se posa sur l'appui de fenêtre de la chambre des fillettes.


-Regarde, Olivia, le bel oiseau, dit Amandine. On dirait un perroquet. Il tient quelque chose dans son bec. Ça ressemble à une clé. Ouvre la fenêtre. Laissons-le entrer.

Olivia, la plus grande, elle a cinq ans et demi, ouvrit. Béatrice, oiseau rouge, se précipita vers la table et y posa la clé.

-Je me demande à quoi sert cette clé, dit Amandine du haut de ses trois ans et demi.

-Elle ouvre quelque chose, mais sûrement pas une porte de maison.

-C'est peut-être la clé d'un trésor, risqua la plus petite.

-D'accord, mais où se trouve ce trésor ? demanda Olivia.

-Interrogeons François.

-Oui! Il va nous aider à découvrir le trésor.

Bravo, songea Béatrice, oiseau rouge. Voilà juste ce que j'espérais. Votre frère est chez moi. Je vais vous suivre et je pourrai entrer dans ma maison.

-Maman, cria Olivia, où est François ?

- Chez son amie Béatrice. Allez le chercher les filles, et dites-lui de revenir. On va bientôt passer à table.


Olivia et Amandine sortirent de leur maison et marchèrent sur le trottoir en se donnant la main.

-Regarde, dit Olivia à sa sœur, l'oiseau rouge nous accompagne.

Les deux petites, bien sûr, ne se doutaient pas que cet oiseau était Béatrice et que leur frère, devenu un serpent, se cachait sous le lit dans la chambre de son amie.


La maman de Béatrice, entretemps, revint dans la chambre de sa fille.

-Allez, ma grande, viens, dit-elle en l'appelant. Je vais changer les draps de ton lit. Tu vas m'aider.

Le serpent jaune François, entendant cela, prit peur. On allait le voir sous le lit. Il se glissa aussi vite qu'il pouvait sous l'armoire contre le mur de la pièce.

Mais le garçon, le long serpent, ne remarqua pas que vingt centimètres de sa queue dépassaient entre les pieds du meuble.

La maman le vit et poussa un cri. Elle courut à la porte de la chambre et appela son mari.

-Chéri, dit-elle, viens vite. Il y a un grand serpent dans la chambre de Béatrice. Prends un couteau à la cuisine. Il faut le tuer.


Le serpent François ne savait plus que faire. Il tremblait de peur. Le père de son amie montait l'escalier.

-Où est-il ?

-Là, sous l'armoire, montra la maman de Béatrice. Sois prudent, c'est un jaune, il sont souvent venimeux.

Le papa hésitait, malgré le long couteau qu'il tenait en main avec fermeté.

-Vas-y, tue-le, reprit la maman.

-Comment faire ? hésita le papa.

- Coupe-lui la tête.

-Oui, mais il va me serrer avec sa queue et tenter de m'étouffer.

- Coupe-lui la queue.

-Si je fais cela, je risque qu'il me morde.

- Coupe-le en deux, au milieu, alors.


On sonna à la porte, en bas. C'étaient Olivia, Amandine et l'oiseau rouge Béatrice qui les accompagnait.

Laissant son mari à ses hésitations, la mère de notre amie descendit l'escalier pour aller ouvrir.

-On vient chercher François, madame, dit Olivia. Il doit revenir à la maison, maintenant.

-Il n'est pas ici, les filles.

-On peut aller dire bonjour à Béatrice ?

-Je ne sais pas où elle est.

Amandine et sa sœur montaient déjà l'escalier.

-N'allez pas dans sa chambre, avertit la maman. Un grand serpent s'y cache. On va le tuer.

-Oh, je voudrais bien le voir, lança Amandine qui n'a pas vite peur.

Au même instant Béatrice, oiseau rouge, se précipita dans l'escalier.

-Mon Dieu, songeait-elle. Papa va tuer François. Il ne sait pas qu'il est devenu un serpent.


Les deux petites couraient dans l'escalier pour aller découvrir la bête. L'oiseau rouge vola au-dessus des fillettes et entra dans la chambre en coup de vent.

Le père de Béatrice se trouvait toujours à un mètre de l'armoire, se demandant comment tuer cet affreux monstre.

Béatrice aperçut le pot de bleu posé sur la table qui lui sert de bureau. Hélas, on le sait, le couvercle était vissé. Comment faire comprendre aux parents qu'il fallait l'ouvrir ?

Elle se posa, oiseau rouge, sur le couvercle du pot et se mit à chanter à tue-tête le bec bien ouvert.

Olivia et Amandine arrivaient. Elles s'arrêtèrent à l'entrée de la chambre.

-Oh, fit Olivia, l'oiseau est sur le pot de bleu !

-Tu le connais ? demanda la maman qui venait d'arriver à son tour à l'entrée de la chambre.

-François nous a raconté que quand il est devenu un petit chien blanc et son amie, un chat noir, ils ont dû tremper leur patte dans ce pot de bleu pour redevenir des enfants.


La maman de Béatrice comprit au quart de tour. Elle dévissa le couvercle sous le regard attentif de l'oiseau qui aussitôt se précipita pour y pousser sa patte. Béatrice apparut, avec un reste de peinture bleue au bout du doigt.

-Chéri, dit-elle aussitôt, range ton couteau. Le serpent jaune, c'est François.

Notre ami, qui tremblait de peur, osa enfin se glisser hors du bas de l'armoire. Il se hissa sur la chaise puis sur la table de Béatrice. Il trempa sa queue de serpent dans la peinture bleue et se métamorphosa en garçon.


Olivia, bouche bée, n'en revenait pas. Elle n'avait pas envisagé une seule seconde que ces animaux étaient son frère et son amie. Elle tenait encore en main la clé d'or que Béatrice, quand elle était oiseau rouge, avait vue et prise dans le nid de la pie.

Quel trésor pouvait-elle bien ouvrir ?

François choisit un carton blanc et y écrivit : 

Nous avons trouvé une clé dorée dans le nid d'une pie. Celui ou celle qui l'a perdue peut venir la récupérer en appelant au 0476 72 41 07, le téléphone de mon père.

Il se rendit avec sa copine et ses sœurs à la boulangerie proche de chez eux. Ils demandèrent la permission de coller la petite annonce sur la porte d'entrée ou sur le comptoir. La charmante boulangère accepta.


Il ne se passa rien pendant trois jours. Personne ne téléphona. Nos impatients amis se demandaient si les gens qui avaient perdu leur clé reviendraient un jour à ce magasin.

-Peut-être était-ce des voyageurs, des touristes venus d'un autre pays, imagina Béatrice.

-Ou alors, ils ne mangent jamais de pain, supposa François.

Mais le mercredi suivant, la fillette, venue jouer chez son copain, eut le bonheur de décrocher le téléphone à la cinquième sonnerie à la demande de son copain et entendit une voix qu'elle ne connaissait pas.

-Bonjour, dit notre amie. Je m'appelle Béatrice.

-Bonjour, Béatrice. Tu as découvert une clé dans le nid d'une pie ?

-Oui, madame, répondit la fillette. Vous pouvez venir la chercher ce soir vers six heures. Nos parents seront de retour.

-Merci mille fois, dit la voix aimable et polie, celle d'une dame âgée en apparence. Nous passerons vers dix-huit heures mon époux et moi.


On sonna à la porte à six heures du soir, juste. François était revenu chez son amie, accompagné par ses petites sœurs, aussi curieuses que leur grand frère. C'est à cet endroit-là, en effet, qu'ils avaient fixé le rendez-vous. Les enfants ouvrirent. 

Un monsieur et une dame, qui avaient l'âge d'être des grands-parents, se présentèrent puis entrèrent dans le salon, répondant à l'invitation des parents de Béatrice.

Nos amis remarquèrent qu'ils portaient un coffret sous le bras.

François leur confia la clé. Ils la glissèrent aussitôt dans la serrure du coffre et ouvrirent. Il était rempli de médailles et de pièces de monnaie anciennes.

La charmante dame sortit un grand sac de pièces d'or en chocolat de sa sacoche. Elle l'offrit aux enfants avec un beau sourire.

Nos amis se partagèrent les pièces après avoir remercié le couple âgé, très heureux d'avoir retrouvé leur clé perdue et qu'ils n'espéraient plus récupérer.