Isabelle

Isabelle

N°44

Perdue dans les bois

     Un grand soleil régnait sur les plaines, les bois et le village. Isabelle avait très chaud. Elle demanda à ses parents la permission d'aller jusqu'à l'étang en contrebas du grand champ de fleurs.

Notre amie de cinq ans et demi a des cheveux blonds que ses parents lui coiffent en deux longues tresses. Elle porte très souvent une salopette jaune, un t-shirt blanc et des chaussures de toile.

-Tu peux aller jouer près de l'étang, mais fais attention de ne pas y tomber. Et pour te rendre là-bas, mets la vieille salopette bleue, insista maman. Tu reviens souvent toute sale de cet endroit plein de boue, mais je sais que tu t'y amuses bien. Et c'est le plus important.

Isabelle retira la jolie jaune et passa celle en jean, une vieille salopette que ses trois frères ont mise quand ils étaient petits garçons. Elle est usée, avec des larges trous aux genoux. Les poches arrière sont décousues. Mais Isabelle peut la salir sans s'inquiéter.

Elle attacha les bretelles et passa des sandales de toile aux pieds. Elle emporta sa poupée préférée avec elle.


Notre amie traversa le jardin, passa sous la clôture et descendit le long du grand champ de fleurs. Elle aperçut le saule pleureur qui se trouve au bord de l'étang. Elle aime jouer là-dessous. D'abord on y est à l'ombre et tout près de l'eau et puis, les branches qui descendent jusqu'au sol forment une petite maison bien agréable.

Tout en parlant avec sa poupée, assise contre le tronc du vieux saule, elle aperçut un oiseau fascinant. Certaines de ses plumes étaient vertes, d'autres plutôt oranges, presque rouges. Il poussait un cri étrange.

Isabelle, curieuse, voulut le voir de plus près. Elle emporta sa poupée et tenta de contourner l'étang. L'oiseau s'était posé de l'autre côté au milieu des herbes hautes, des roseaux et des fleurs.

Plus elle avançait, plus le sol devenait boueux et spongieux. Mais comme ses vieilles sandales de toile étaient déjà sales, ça ne changeait pas grand-chose, pensa-t-elle.

Notre amie disparaissait presque au milieu des roseaux à présent. Ils étaient tellement hauts, que seule sa tête dépassait, tache blonde dans le vert des hautes herbes, sous le bleu du ciel.

Elle ne voyait plus l'étrange animal. Où se cachait-il donc? Elle chercha un peu à gauche, un peu à droite, mais tout à coup, derrière elle, venant du champ de fleurs, elle entendit deux voix qui ne la rassurèrent pas. Elle écouta.

-On va cacher notre butin ici pour quelques jours, pour échapper aux policiers.

-Comment allons-nous faire ?

-J'ai emporté une pelle. Creusons un trou, là, sous le saule. Enterrons le sac près de cet étang. Personne ne vient jamais à cet endroit.

-Tu es sûr ?

-Tout à fait.

-Et s'il y a quelqu'un ?

-J'ai mon fusil, dit l'autre.


Entendant ces voix, Isabelle comprit qu'elle avait affaire à des voleurs. Son cœur se mit à battre très fort. Elle avait peur.

Elle se baissa et malgré la boue qui couvrait le sol, elle avança à quatre pattes, en s'éloignant de plus en plus vers l'autre côté de l'étang. Elle se faufila, profitant des roseaux et des joncs.

Les deux hommes approchaient. Ils ne pouvaient pas apercevoir notre amie au milieu des herbes hautes. Elle était bien cachée. Elle se déplaçait à présent, les pieds dans la boue, une boue noire qui borde les étangs. Une boue qui contenait sans doute des poissons morts, des branches pourries, des feuilles moisies. Cela ne sentait pas très bon.

Isabelle s'y enfonçait un peu plus à chaque pas. Ça lui venait jusqu'aux genoux à présent. Heureusement, les deux voleurs s'arrêtèrent de l'autre côté, au bord de l'eau.

-Bon, je crois qu'on peut creuser ici. Pas la peine d'aller nous salir plus loin, dit l'un d'eux.


Isabelle voulait retourner au plus vite à la maison. Mais les deux bandits lui barraient le chemin. Impossible de revenir en arrière pour l'instant. Elle continua à avancer en pataugeant, mais la boue devenait de plus en plus abondante et l'herbe plus rare et moins haute.

La pauvre fillette dut marcher à quatre pattes là-dedans pour poursuivre son chemin, sinon elle risquait d'être vue. Elle en avait partout sur elle à présent.

Puis le marécage devint encore plus profond. Bientôt, la fange se changea en vase beaucoup plus liquide, et puis ce fut de l'eau.

Isabelle put se redresser et marcher, plongée jusqu'aux bretelles de sa salopette.

Elle arriva au bord d'une vallée étroite et sinueuse. La rivière y descendait de cascade en cascade, de rocher en rocher.

Notre amie pensa qu'en s'accrochant à ces rochers, elle parviendrait au fond du ravin et qu'en le suivant un moment, elle réussirait à remonter ensuite pour retourner chez elle, par le bois de sapins.


Elle entreprit donc prudemment la descente. Ce ne fut pas chose facile. Ces pierres couvertes de mousse et de fougères et perpétuellement arrosées par l'eau qui éclaboussait tout de gouttelettes, étaient glissantes.

Isabelle grelottait, tout à fait trempée, même ses tresses dégoulinaient. En plus, il faisait plutôt frais ce matin-là. Par contre, l'eau des cascades, débarrassée de la boue, lava un peu ses vêtements et contribua à enlever en partie la saleté qu'elle avait accumulée sur ses bras et sur ses jambes.

La fillette parvint à un endroit plus délicat. Les derniers mètres avant le fond de la vallée, avant le lit de la rivière. Ça descendait très fort, comme une falaise au bord de la mer.

Elle s'arrêta sur une grosse pierre pour regarder comment aller plus bas. Mais ce rocher était mal fixé. Il se descella et la fit tomber dans une mare bordée de roseaux.

À deux reprises, elle se cogna contre une pierre pointue. Quand elle arriva tout en bas, elle était de nouveau dans la boue. Elle se redressa lentement. Elle saignait un peu au coude. Sa cheville lui faisait mal.

En se voyant ainsi blessée et sale, la petite fille couverte de boue s'assit par terre et se mit à pleurer.


Elle pleura plusieurs longues minutes, mais personne ne vint la consoler.

Elle se leva entre deux sanglots et se décida à marcher. Impossible de revenir à la maison en escaladant le plan incliné assez raide qu'elle venait de dégringoler. Elle risquait de tomber à nouveau et de se faire encore plus mal.

Les parois abruptes de la vallée, à gauche et à droite, lui semblaient infranchissables, comme des falaises. Il fallait suivre le lit de la rivière.

Isabelle avançait dans l'eau, parfois sur la berge gauche, parfois sur la berge droite. Elle traversait régulièrement le cours d'eau, heureusement pas très profond, parce que tantôt un côté était impraticable à cause des ronces, et tantôt l'autre, à cause des orties. Trois fois elle s'enfonça jusqu'aux genoux dans de larges mares de boue que la rivière faisait en stagnant çà et là.

Elle marcha ainsi longtemps, très longtemps. Il n'était pas loin de midi à présent. Elle avait soif. Elle n'osait pas boire l'eau de la rivière. Elle avait un peu faim. Mais elle ne vit rien à manger, ni myrtilles ni mûres. Elle devait absolument revenir à la maison.


Soudain, elle eut l'impression que la chance lui souriait. Elle aperçut sur sa gauche, un petit sentier qui montait vers un grand sapin au sommet de la vallée.

-Chic, se réjouit Isabelle.

Elle serra sa poupée dans ses bras. La pauvre poupée était aussi sale que la fillette, car elle était tombée dans la boue également.

-On va sortir de la vallée et revenir à la maison, lui chuchota notre amie à l'oreille.


Isabelle suivit l'étroit sentier qui, au fur et à mesure qu'il montait entre les pierres et les souches de sapins, devenait vertigineux.

Parvenue aux trois quarts, elle entendit un petit bruit pas très rassurant. Elle vit des abeilles.

La fillette fit encore quelques pas, mais les abeilles de plus en plus nombreuses voltigeaient autour d'elle. Elle en aperçut beaucoup accrochées au grand sapin. Une reine avait logé son essaim au soleil.

Notre amie eut peur, et désolée, redescendit le sentier. Elle se retrouva au bord de la rivière.

De nouveau, elle s'assit sur un tronc d'arbre et pleura. Elle avait vraiment faim à présent et soif. Elle était sale et se demandait par où retourner à la maison.

Puis elle se leva et se remit à avancer, pataugeant dans la rivière, dans la boue, se griffant aux ronces, se piquant aux orties, enjambant des troncs d'arbre et des branches pointues qui déchiraient encore un peu plus au passage la salopette.


Peu à peu, les berges s'aplanirent. Isabelle aperçut un plan incliné qu'il lui paraissait possible d'escalader. Il menait au bois de sapins. Elle dut le gravir à quatre pattes, dans la terre et les cailloux. Elle s'écorchait aux genoux, car la salopette était trouée.

Elle parvint à se hisser à la lisière des grands arbres. Elle observa les lieux, mais elle ne vit que des sapins partout, et des fougères lui cachaient la présence éventuelle d'un chemin. Elle n'était jamais venue à cet endroit. La petite fille hésita, puis marcha droit devant elle.

Elle pensait que sa maison devait se trouver un peu vers la gauche, mais elle n'en était pas certaine. Elle avança à travers tout en se baissant souvent pour éviter les branches basses des arbres qui voulaient la griffer.

Elle avait envie de pleurer, mais la peur de s'asseoir là toute seule, loin de chez elle était plus grande. Elle ne s'arrêta pas.

Après quelques minutes, elle arriva à un chemin en terre. Pour la première fois depuis son aventure, Isabelle eut un petit sourire.

-Cette fois-ci, je crois que je vais retrouver ma maison, dit-elle à sa poupée.

Mais par où fallait-il aller sur ce chemin qu'elle venait de découvrir ? Vers la gauche ou vers la droite ? Elle n'en savait trop rien. Il n'y avait aucune indication. De profondes ornières confirmaient que des tracteurs passaient parfois par là. Ces ornières étaient pleines de boue et de petits moustiques qui dansaient à leur surface. Les deux côtés de la route se ressemblaient. Par où aller ?

Isabelle choisit la gauche.

Hélas, ce choix était mauvais. Il fallait prendre à droite pour revenir à la maison, mais notre amie ne le savait pas.


Le chemin s'enfonçait sous les arbres. Elle contournait les grandes ornières en longeant le bord de la route, en évitant autant que possible les ronces et les orties.

Plus elle marchait, plus elle avait soif et faim. Sa tête tournait. Elle grelottait à l'ombre des grands arbres, lors des coups de vents.

Soudain, vers la gauche, elle crut apercevoir des myrtilles.

-Quelle chance! sourit la fillette.       

Hélas elles n'étaient pas encore mûres. Elle en cueillit pourtant quelques-unes encore vertes, mais déjà un peu bleues. Il fallait tirer fort pour les arracher à leur branche. Elle mit une poignée en bouche, la mâcha soigneusement, mais elle recracha le tout, malgré qu'elle avait si faim. Elles étaient trop sûres.

Elle continua sa marche, mais hélas toujours dans la mauvaise direction et donc en s'éloignant de sa maison. Le chemin devenait de plus en plus impraticable d'ailleurs. Elle aurait dû s'en rendre compte.


Isabelle poursuivit sa route sans trop réfléchir, marchant au rythme de sa peur et de sa fatigue grandissante.

Elle s'approcha d'un arbre, rempli de baies rouges.

-Des groseilles! dit-elle à sa poupée. Elles semblent bien mûres.

Elle en cueillit une poignée et les mit en bouche. Elle mâcha, mais elle découvrit un drôle de goût.

Elle avait tellement faim qu'elle avala la première bouchée, puis la seconde, mais alors, elle s'arrêta.

Et tout à coup, elle frémit.

-Mon Dieu! dit-elle. Ne serait-ce pas ces petits fruits rouges que mangent les oiseaux ? Maman dit que c'est du poison... du sorbier.

La tête d'Isabelle tournait, parce qu'elle avait faim. Elle avait toujours aussi soif, car les fruits acides ne l'avaient guère désaltérée.

Elle poursuivit sa route. Elle était très fatiguée. Cela faisait bien trois heures qu'elle marchait à présent, c'est beaucoup pour une petite fille. En promenade, elle demandait toujours à ses frères, Benoît ou Bertrand, de la porter sur leur dos pour revenir à la maison. Mais les grands frères n'étaient pas là.

Et soudain, le chemin s'arrêta. Elle se sentit vraiment perdue cette fois, au milieu du bois.


Isabelle s'assit par terre contre un tronc d'arbre et encore une fois trouva des larmes au fond de son cœur. Elle serra sa poupée et se mit à pleurer, pleurer, pleurer.

De temps en temps, entre deux sanglots, elle appelait papa ou maman. Elle appelait Benoît, Bertrand, même Benjamin, le plus jeune de ses trois frères. Mais ils étaient tous bien loin. Ils ne pouvaient pas l'entendre.

La fillette pleura encore, appuyée contre le tronc d'arbre, la tête illuminée par un rayon de soleil. Elle avait mal au ventre, peut-être à cause des baies rouges de sorbier. Elle pleurait, perdue. Pauvre petite fille...

 

Quand les larmes furent toutes épuisées, elle écouta un moment les bruits de la forêt. Elle entendit au loin, le son d'une musique.

Isabelle se mit debout. Elle regarda autour d'elle mais n'aperçut que des arbres, de l'ombre, des massifs de ronces ou de hautes fougères.

Pourtant là-bas, quelqu'un écoutait un poste de radio. Une maison... des gens... Cela pouvait aussi bien être une sorcière, un loup-garou, un ogre. Un de ces êtres, qui peuplent les histoires qu'on lui raconte. Mais n'importe quoi valait mieux que d'être perdue et toute seule. Fatiguée, mais courageuse, elle se remit en route.

Elle quitta le chemin en terre et avança à travers tout, à travers les fougères qui se dressaient plus hautes qu'elle et l'entouraient. Elle marcha vers la musique. Et plus elle s'approchait, mieux elle l'entendait.


Tout à coup, elle aperçut un petit poste de radio, couché sur une souche d'arbre, au milieu d'une clairière. Deux hommes assis tout près, buvaient à leur gourde. Il était quatre heures de l'après-midi.

C'étaient des bûcherons.

Isabelle fit quelques pas vers eux. L'un des hommes se tourna et l'observa.

-Tiens, une petite fille. Que fais-tu là ?

-Quelle pauvre gamine toute sale! constata l'autre. Tu es tombée ?

Isabelle fondit de nouveau en larmes et marcha vers les deux hommes. 

-Comment t'appelles-tu ?

-Isabelle, monsieur.

-Que fais-tu ici ?

-Je me suis perdue.

-Où habites-tu ?

-Je ne sais plus.

- Dis-nous le nom de ton village. On va te reconduire chez toi. As-tu faim ? As-tu soif ?

-Oh oui! supplia Isabelle, en levant un visage plein de larmes et d'espoir.

L'un des hommes lui tendit sa gourde. Elle but de l'eau. Les bûcherons fouillèrent leurs sacs. Il leur restait une tartine au fromage. D'habitude, Isabelle n'aime pas les tartines au fromage. Mais elle la mangea avec plaisir. Ça lui parut bon, parce qu'elle avait très faim.

-Alors, as-tu retrouvé le nom de ton village ?

-Oui, fit Isabelle. J'habite à Méanjoie.

-Je crois qu'on a assez travaillé pour aujourd'hui. Prenons nos outils et rentrons. Viens avec nous. On te reconduit chez toi.


Les deux hommes, donnant la main à notre amie, s'éloignèrent sur une route en terre. Mais la marche était longue jusque là-bas et la petite fille était vraiment épuisée. Les deux bûcherons s'en aperçurent rapidement. 

L'un d'eux souleva Isabelle et la mit sur son dos. Il ne fallut pas longtemps pour que, en confiance, elle s'endorme. L'homme sentit la tête de notre amie se poser sur ses épaules. L'autre ramassa la poupée qu'elle venait de lâcher.

Ils arrivèrent enfin en vue de Méanjoie et réveillèrent Isabelle.

-Petite fille, voici ton village. Nous ne savons pas où tu habites. Il faut nous indiquer ta maison.

Ils posèrent notre amie à terre et courageusement elle marcha, accompagnée par ses deux sauveurs.

Ils sonnèrent.

Papa, Maman, Bertrand, Benoît et Benjamin, très inquiets, ouvrirent la porte, si heureux de retrouver la fillette.

Maman tendit les bras et Isabelle s'y précipita.

-Je suis couverte de boue, dit-elle.

-Ma chérie, s'écria maman. Je retrouve ma petite fille. Cela m'est bien égal qu'elle soit sale.

Maman serra Isabelle. Papa les enlaça toutes les deux. Et les trois grands frères les entourèrent en souriant.


Papa se tourna vers les deux bûcherons et les remercia chaleureusement.

Isabelle reçut enfin à manger, prit un bon bain et se changea. Elle retrouvait sa maison, avec bonheur.

Elle expliqua longuement son aventure à ses parents. Les grands frères écoutaient. Elle évoqua bien sûr l'arrivée des deux voleurs qui avaient enterré un sac près de l'étang et qui avaient provoqué sa fuite.

Maman téléphona aux gendarmes puis, prenant leur petite fille courageuse par la main, les parents se rendirent sur les lieux. Les gendarmes creusèrent à l'endroit qu'Isabelle leur indiqua. Ils découvrirent tout ce que les deux bandits avaient volé.

Grâce aux empreintes de doigts qui se trouvaient sur les objets que le sac contenait, ils trouvèrent les voleurs.

Ainsi notre amie contribua à mettre deux méchants bandits en prison.

Elle en fut très fière.