Christine

Christine

N°46

Les grenouilles

     Christine avait passé toute la matinée à travailler avec son papa dans la forêt. En milieu d'après-midi, elle revenait vers sa maison, à vélo. En roulant fort vite dans une descente, elle croisa un rang de grenouilles. Elles traversaient le chemin en terre et avançaient en sautant dans la poussière.

Cette jeune fille de dix ans a le don, on le sait, de parler aux animaux: les quatre pattes, les deux pattes et les serpents et comprendre ce qu'ils disent.

Elle freina et dérapa vers la droite. Elle entra dans un massif de fougères et de ronces. Un peu égratignée et pas très contente d'avoir de nouveau sali et déchiré sa salopette, elle se redressa et s'adressa aux grenouilles.

- Que faites-vous là? Pourquoi quittez-vous votre étang? Vous risquez qu'on vous écrase sur le chemin.

- Nous nous rendons au lac vert, répondit la première grenouille, celle qui semblait mener le rang. Notre reine nous y convoque ce soir.

- Il y a une réunion pour vous toutes au lac vert? s'étonna Christine.

- Oui, sous la pleine lune.

Les grenouilles s'éloignèrent.

- Je savais que les abeilles et les fourmis avaient une reine, murmura notre amie, mais je n'avais jamais entendu parler d'une reine chez les grenouilles...

 

Elle remonta sur son vélo et revint à la maison.

À la nuit tombée, Christine passa dans sa chambre, prête à aller dormir. Chachou le hibou vint comme tous les soirs se poser sur l'appui de fenêtre. Il a appris à notre amie à utiliser son don pour parler aux animaux lorsqu'elle était encore petite. Elle évoqua la réunion des grenouilles au lac vert.

- Je vais aller voir, dit le hibou et je reviens te donner des nouvelles.

Chachou arriva une demi-heure plus tard, en proie à une grande agitation.

- Je n'ai jamais vu ça, dit-il en hululant. Des centaines de grenouilles sont rassemblées au bord du lac vert. Elles coassent toutes. Cela fait un bruit! Je n'ai jamais entendu un tel vacarme ni assisté à une telle agitation.

- Pourquoi se réunissent-elles?

- Je n'en ai pas la moindre idée, répondit le rapace.

Et le hibou partit.

Christine appuya la tête contre son oreiller et mit du temps à s'endormir. Elle avait l'impression d'entendre les coassements là-bas, au loin, dans la forêt. Elle aurait été bien étonnée si elle avait pu se trouver au lac vert en ce moment...


Il y régnait une agitation intense sous la pleine lune. Des centaines de grenouilles entouraient le lac. L'eau n'y est pas verte, mais la surface est recouverte par un tapis de fines petites plantes qu'on appelle des lentilles d'eau.

Méfie-toi, si tu vas au bord d'un lac caché sous ces fines feuilles. Tu auras l'impression de pouvoir y marcher. Mais on enfonce facilement.

Des centaines de grenouilles étaient donc réunies sous la lune qui baignait l'endroit de sa belle lumière, un bleu foncé légèrement argenté. Sur une large pierre plate située au bord de l'eau, entourée de ses douze confidentes et conseillères, se trouvait leur reine. 

- Je pense que tout le monde est présent, dit-elle. Les crapauds, faites-les taire.

Six gros crapauds coassèrent et obtinrent le silence. La reine prit la parole.

- Peuple des grenouilles, je vous ai convoqué cette nuit parce que notre trésor court un grand danger. Vous savez qu'il est situé au fond de l'étang du village. Or on m'a rapporté que des humains, des pêcheurs, y viennent parfois. Leurs hameçons ont déjà touché notre coffre en or à plusieurs reprises. Si les hommes le découvrent, vous les connaissez, ils risquent fort de l'emporter.

La reine des grenouilles regarda autour d'elle. Un silence impressionnant régnait sous la lune et le vent léger faisait danser un voile de brume sur les eaux.

- Je propose donc de déménager ce coffre et de le placer ici au fond du lac vert, où personne ne vient.

On entendit un murmure coassant d'approbation.

- Malheureusement aucune d'entre nous n'a la force de porter ce coffre en or jusqu'ici. Nous avons pensé, mes douze conseillères et moi, de demander aux tortues. Mais les tortues de ces régions ne sont pas assez grandes ni assez fortes. Nous avons envisagé de solliciter l'aide des grands aigles, ceux des hautes collines, au-delà de la forêt. Mais ils refusent de plonger au fond d'un étang et craignent que leurs serres griffent le métal.

Un nuage passa devant la lune. La reine attendit le retour de la lumière.

- Nous avons alors demandé l'assistance des renards. L'un d'eux nous a expliqué que pour transporter un coffre il faut des mains.

Les grenouilles se taisaient, écoutant leur reine.

- Or des mains, seuls les humains en ont. Aussi, après avoir bien réfléchi, poursuivit la reine des grenouilles, je pense demander de l'aide à une jeune fille qui habite notre forêt. Elle s'appelle Christine. Elle a le don de parler aux animaux. On m'a vanté son courage, son agilité, mais surtout son honnêteté.

Un murmure approbateur s'éleva parmi les grenouilles. Mais l'une d'entre elles cria:

- Elle est honnête, reine. Elle ne nous volera pas notre trésor. Mais son grand défaut est la curiosité. Elle risque d'ouvrir notre coffre en or et de connaître notre secret.

- Je sais, dit la reine. Je ne le sais que trop bien. Or personne ne peut découvrir ce secret. J'y ai songé et voici ma proposition. Trois crapauds, ici présents, me suggèrent d'installer un piège dans notre boîte en or. Si cette jeune fille ouvre notre coffre, le piège fonctionnera et le secret sera sauvé. Mais je l'avertirai, car je ne veux pas lui faire du mal et je ne désire pas la prendre en traître.

- Es-tu bien certaine, reine, que le piège fonctionnera? lança une jeune grenouille.

- Sera-t-il suffisamment efficace? Les humains sont intelligents, cria un crapaud depuis l'autre côté du lac.

- Oui, répondit la reine. Le piège que nous installerons dans le coffre a un effet inattendu et sûr.

Les grenouilles acceptèrent la proposition.

- Demain, conclut la reine, j'irai parler à Christine. Bien. La nuit est limpide, mes amies. La lune brille dans le ciel splendide, alors chantons.

Un lent et mélancolique concert de coassements monta de la brume et des joncs vers les milliers d'étoiles.


Le lendemain, Christine aperçut douze grenouilles plus une s'approcher de sa balançoire. Elle venait de s'y asseoir en attendant le repas du soir. Elle s'arrêta et les observa.

- Bonjour, jeune fille. Je suis la reine des grenouilles.

- J'ai entendu parler de toi hier pour la première fois et aujourd'hui j'ai la chance de te rencontrer.

- Merci, répondit la reine. Le peuple des grenouilles a un service important à te demander. Voudrais-tu nous aider? 

- Je veux bien, dit notre amie. Vous chantez si bien la nuit. Je vous entends parfois.

- Voici de quoi il s'agit. Nous possédons un trésor depuis toujours enfermé dans un coffre en or. Il repose actuellement au fond de l'étang qui se trouve près du village. Nous souhaitons déplacer ce coffre vers le lac vert situé au cœur de la forêt. Mais il est trop lourd pour nous. Accepterais-tu de le porter jusque-là?

- Avec plaisir, affirma Christine.

- Je dois t'avertir, précisa la reine, que tu ne pourras pas ouvrir ce coffre. Ne prends pas cela mal, jeune fille, mais si tu l'ouvres, il t'arrivera un malheur car il contient un piège.

- Tant pis, répondit notre amie. Je transporterai ton coffre en or pour vous faire plaisir à toutes.

- Merci beaucoup, répondit la reine. Quand crois-tu pouvoir mener cette opération?

- Demain je dois étudier mes leçons et faire mes devoirs avec maman. Mais après-demain, je crois avoir le temps d'assurer le transport. Le trajet me semble bien long, réfléchit Christine et tu me dis que le coffre est lourd, ce ne sera pas facile.

- J'y ai songé, répondit la reine. Je te propose d'amener dans un premier temps le trésor jusque près de ta maison. Tu pourras placer la boîte dans un arbre creux, pas très loin d'ici. Puis, un autre jour, tu la transporteras jusqu'au lac vert.

- D'accord, répondit notre amie. Tu peux compter sur moi.

- Je t'attendrai après-demain près de l'étang du village, conclut la reine.


Le jeudi suivant, Christine mit sa vieille salopette en jean des randonnées et ses tennis usées. Elle savait que l'étang serait boueux et qu'il faudrait y entrer. Elle le connaît d'ailleurs bien. Il se situe à quelques centaines de mètres du village.

Quand elle y arriva, la reine des grenouilles l'attendait. Pas de pêcheur en vue. Chance, car elle n'aurait pas accepté que la jeune fille sorte le trésor de l'eau sous le regard de ces gens.

Notre amie entra dans l'étang. Comme prévu, ce n'était pas propre et assez boueux. Elle ne voulut pas se mettre pieds nus, craignant de se blesser la plante des pieds aux pierres ou aux branches parfois pointues qui traînent souvent au fond de l'eau.

Progressant doucement dans la vase trouble, elle en eut rapidement jusqu'au niveau du ventre. À ce moment, la grenouille lui indiqua qu'elle arrivait au bon endroit. Fouillant le sol avec son pied, notre aventurière toucha en effet une boîte. Pour la saisir, elle dut plonger entièrement sous l'eau.

Quand elle se redressa, ses longues tresses dégoulinaient et ses vêtements étaient trempés d'eau sale, mais elle tenait le lourd coffre en or entre ses mains.

Elle sortit de l'eau et se dirigea vers sa maison. À plusieurs reprises, elle posa le coffre sur le sol, le long du chemin, pour se reposer un peu. Elle séchait en même temps sous le soleil.

Enfin, elle parvint à deux pas de chez elle, là où se trouvait l'arbre foudroyé dont avait parlé la reine. Notre amie vit un trou ovale à mi-hauteur du tronc principal. Elle y glissa le coffre, puis revint chez elle, se promettant de placer un mouchoir blanc à sa fenêtre le jour où elle entreprendrait la seconde moitié du transport.


Au soir, elle évoqua le coffre avec son hibou.

- Tu l'as ouvert? demanda Chachou.

- Non, répondit Christine, je ne peux pas. La reine a dit que si je l'ouvrais, il m'arriverait un malheur. Il contient un piège.

Chachou, pour une fois, joua un vilain petit rôle.

- Et tu la crois?

- Pourquoi pas? répondit notre amie.

- Aurais-tu peur de quelques grenouilles à présent? demanda le hibou. C'est nouveau! Je m'étonne que tu n'aies pas regardé le contenu de ce coffre, toi toujours si curieuse. Il est grand?

- Assez, murmura Christine. La taille d'une boîte à chaussures, tout en or.

- Comme tu veux..., répondit le hibou.

Il ne finit pas sa phrase et s'envola. Mais il avait planté la petite graine de la curiosité au fond du cœur de notre amie.

Et tu sais combien cette graine pousse vite et finit par envahir toutes tes pensées.


Le lendemain, au milieu de la matinée, entre deux leçons avec sa mère, Christine se rendit jusqu'à l'arbre creux. Elle regarda le coffre. Un rayon de soleil en illuminait l'or. Elle caressa le couvercle doucement du bout des doigts et revint chez elle sans l'avoir ouvert.

L'après-midi, juste après le goûter, elle retourna à l'arbre creux. Elle souleva le coffret et le posa à ses pieds. Comme il n'y avait aucune grenouille en vue, c'eût été aisé de vite l'ouvrir. Il ne comportait même pas de serrure. Il suffisait de lever le couvercle vers le haut. Pourtant elle replaça le coffre dans le tronc de l'arbre. Elle se méfiait du piège dont la reine des grenouilles lui avait parlé.

 

Au soir, notre amie n'arrivait pas à dormir. Elle se tournait et se retournait sans cesse dans son lit. Elle entendit même ses parents monter se coucher.

N'en pouvant plus, elle se leva, s'habilla rapidement et sortit de la maison. Elle se dirigea vers l'arbre creux.

Elle marcha à pas de loup, bien décidée à apaiser sa curiosité. Elle jeta un regard dans le creux de l'arbre. Un rayon de lune faisait briller l'or du coffre.

Christine observa un temps de silence. Elle ne bougea pas pendant quelques minutes.

Lorsque tu arrives près d'un étang et que des crapauds ou des grenouilles chantent, ils arrêtent leur coassement dès qu'ils te repèrent. Mais si tu ne bouges pas et que tu te tais pendant quelques minutes, les grenouilles croient que tu as disparu. Elles ont une mauvaise vue. Elles se remettent à coasser.

Christine attendit donc un moment puis, comme aucune grenouille ou aucun crapaud ne manifestait sa présence, elle saisit le coffre à deux mains, le sortit du creux de l'arbre et le posa sur le sol. Elle s'assit sur ses talons. Puis elle leva lentement, prudemment, le couvercle. Elle n'aurait pas dû...

Tu l'aurais fait, toi?

Elle poussa un « oooh! » d'admiration.

L'intérieur était tapissé de velours rouge. Sur un coussin rouge également, se trouvait une grenouille taillée dans une pierre précieuse bleu foncé, un saphir. Ses yeux étaient deux petits brillants éclatants! L'ensemble lui parut d'une finesse parfaite et d'une incroyable beauté.

Christine saisit la précieuse grenouille et l'observa à la lumière de la lune.

- Quelle merveille! murmura notre amie. D'où tiennent-elles un trésor pareil?

Soudain elle perçut une odeur étrange. Elle renifla cette senteur, proche de celle qu'émettent certains champignons. Puis elle replaça délicatement la grenouille sur le coussin. Elle referma le coffre, le reposa à l'intérieur de l'arbre creux et revint à sa chambre. Elle se coucha et s'endormit paisiblement.


Le lendemain lorsque son père l'appela pour prendre le petit déjeuner, elle voulut répondre: « oui, papa », mais tout ce qui sortit de la bouche de Christine, c'était « coa, coa, coa ».

Inquiète, elle se leva, s'habilla rapidement, puis tenta à nouveau de parler, mais elle n'émit que des « coa, coa, coa ».

Le piège !

Elle descendit l'escalier en pleurant et s'approcha de ses parents. Elle murmura « coa, coa ».

Mais la reine des grenouilles ne savait pas, ou avait oublié, qu'à défaut de parler, les humains peuvent écrire.

Les larmes aux yeux, Christine prit une feuille de papier et décrivit son aventure à ses parents, sans toutefois préciser le contenu du coffre. Elle n'évoqua pas la fameuse pierre précieuse.

À quoi aurait servi de conduire notre amie à l'hôpital?

Elle envisagea une autre solution. Elle voulait aller trouver la reine des grenouilles au lac vert et lui avouer sa curiosité et son geste malheureux. Peut-être que la reine se montrerait clémente et accepterait de lui pardonner...


Christine partit aussitôt après le petit-déjeuner. Elle choisit d'en profiter pour déplacer le trésor et le conduire au lac vert.

Arrivée près des roseaux, elle appela la reine. Elle vint rapidement avec ses douze suivantes et ne se rendit pas compte de la trahison de notre amie, car Christine parlait la langue des grenouilles avec elle. La reine ne semblait avoir rien remarqué. Elle indiqua à quel endroit il fallait poser le coffre en or, tout au fond du lac vert.

Notre aventurière entra dans l'eau et s'y enfonça jusqu'au cou. Elle se baissa pour poser le précieux objet tout au fond, sur le sol de graviers. Puis elle sortit du lac.

- Tu as rendu un grand service à mon peuple, jeune fille. Je te remercie. Si un jour je peux faire quelque chose pour toi, appelle-moi.

- Reine, murmura Christine d'une petite voix.

- Oui.

- Je dois t'avouer quelque chose.

- Je t'écoute...

- J'ai ouvert le coffre et j'ai vu le précieux saphir bleu.

Christine sentit des larmes couler sur ses joues. Elle ajouta qu'elle regrettait sincèrement son geste et demandait pardon.

La reine des grenouilles observa longuement la jeune fille en silence.

- Tu nous as rendu un grand service et tu es punie. Je n'aime pas cela.

Christine se taisait.

- Nous avons reçu cette précieuse grenouille il y a près de mille ans. Tu le sais peut-être, il y avait autrefois un château dans la forêt. Un couple princier y habitait avec leur petit garçon. Aujourd'hui il ne reste que quelques ruines de ce château, en un lieu que nous appelons "le carré de la mort". 

Découvre l'incroyable aventure qui se déroule dans ce lieu terrible : Le carré de la mort. Christine n°3.

- Un jour, l'enfant tomba dans l'eau des douves. Il fut sauvé par les grenouilles. En remerciement cette généreuse princesse nous fit ce prestigieux cadeau. Si tu nous promets de ne jamais révéler notre secret, il est possible que tu puisses retrouver ta voix. Je te préviens que ce sera difficile. Tu devras te rendre au grand marécage et découvrir trois îles: celle aux orties, celle aux chardons et celle aux houx.

La reine se tut un instant. Elle observait notre amie. 

- Mais avant de t'expliquer les détails, je veux te poser une question, pour tester tes connaissances du monde des animaux.

Christine se taisait toujours et reprenait espoir.

- Voici ma question, dit la reine des grenouilles. Je vais te nommer quatre animaux. Le hérisson, la chauve-souris, le phoque et le kangourou. Combien, parmi ces animaux, allaitent leurs petits? Aucun, un, deux, trois ou les quatre?

Connais-tu la réponse, toi ? Réponds avant de lire la suite...

Christine réfléchit. Elle savait que la chauve-souris donne du lait à ses bébés car c'est un mammifère. Le phoque? Le kangourou? Peut-être... Quant au hérisson...

Pour finir, elle répondit que tous les quatre allaitaient leurs petits.

- Bravo, répondit la reine des grenouilles. Tu connais bien le monde des animaux. Je te félicite. Ces quatre animaux sont des mammifères. Voici ce que tu vas faire pour ta voix. Rends-toi au grand marécage. Tu y chercheras une petite boîte en or cachée sur l'île aux orties. Il te faudra ouvrir cette boîte. Elle contient une pince en or et tu en as besoin si tu veux retrouver ta voix. Pour cela, tu devras trouver une clé sur l'île aux chardons. Tu pourras alors sortir la pince en or de la boîte. Tu chercheras ensuite une fleur des marais. Elles s'ouvrent souvent près de l'île aux houx. Tu saisiras un pétale blanc ou rose de cette fleur avec la pince et tu le poseras sur ta langue. Tu le laisseras fondre doucement.

Notre amie écoutait avec attention.

- Remets ensuite la pince dans sa boîte, referme-la à clé et repose clé et boîte où tu les as trouvées. Ce coffret appartenait aussi à la princesse d'autrefois. Elle a dû les oublier un jour...

- Merci, répondit Christine, dans le langage des grenouilles. Je tenterai de faire cela ce soir ou demain.

- Avec un peu de chance et beaucoup de courage, tu retrouveras ta voix, murmura la reine des grenouilles.

- Je ne t'oublierai jamais, reine. Merci pour ce que tu fais pour moi.

- Le peuple des grenouilles te remercie, jeune fille.


Christine revint chez elle. En écrivant, elle expliqua à ses parents ce qu'avait proposé la reine des grenouilles.

Le grand marécage est un endroit où la rivière qui vient des hautes collines déborde. Christine connaît ce lieu terrible. Ce vaste marais s'étend sur près de dix kilomètres. Elle s'y est déjà rendue avec son père à plusieurs reprises. Elle sait où il faut mettre les pieds pour ne pas s'enfoncer et disparaître sous la boue comme dans des sables mouvants...

Elle partit le lendemain de bonne heure. Papa lui avait expliqué que les îles en question étaient probablement situées au Sud du marécage.

Elle entra dans l'eau, dans la vase, dans la boue. Ce n'était vraiment pas amusant. Ça lui venait jusqu'à mi-jambe souvent, jusqu'au ventre parfois.

Elle se guidait en observant un rocher ici, un tronc d'arbre mort là. Elle écoutait le chant des grenouilles et des crapauds.

Elle surveillait les serpents d'eau qui pouvaient s'approcher, les rats qui fuyaient à la nage. La boue sale imprégnait ses tennis, sa vieille salopette. Mais le pire ennemi, c'était les moustiques. Ils pullulent en ces lieux. Après une demi-heure, n'en pouvant plus, Christine s'immergea complètement afin de se couvrir d'une couche de vase et d'éviter ainsi d'être piquée sans cesse.

Enfin, elle atteignit la première île, celle aux orties. Elle vit la boîte en or, mais elle ne put pas l'ouvrir. En la secouant, elle entendit un petit bruit. La pince en or sans doute...

Un peu plus loin se trouvait l'île aux chardons. C'était nettement plus désagréable. Les feuilles acérées la piquaient à travers ses vêtements ou l'égratignaient. Christine tailla un bâton et défricha une partie de l'île. Elle réussit ainsi à dénicher la petite clé. Elle ouvrit la boîte et en sortit la pince en or.

Se tournant alors vers l'Est, elle parcourut quelques centaines de mètres dans l'eau sale et parvint à un endroit où les houx se développaient en abondance. Certains buissons atteignaient plusieurs mètres de haut. C'était très beau, mais plein de feuilles aux pointes coupantes.

Christine se faufila, poussant parfois de petits cris quand elle se blessait. Elle découvrit bientôt, flottant sur l'eau, une grosse fleur blanche. La fleur des marais! Elle en saisit un pétale avec la pince en or et le posa délicatement sur sa langue. Il avait un goût un peu amer.

Puis, avant de repartir, elle remit la pince dans la boîte en or. Elle plaça la clé sur l'île aux chardons et la boîte en or sur l'île aux orties, comme la reine des grenouilles avait demandé. Elle revint ensuite directement chez elle.

 

Quand elle arriva près de la porte de la maison, notre amie, le cœur serré, risqua d'appeler ses parents. Sa voix était-elle revenue? Elle cria:

- Papa, maman!

Oui, elle avait réussi ses épreuves et retrouvé la parole humaine. Elle courut embrasser et serrer bien fort père et mère. Elle parlait à nouveau!

Christine n'a jamais oublié le peuple des grenouilles et sa reine. Elle n'a jamais révélé le contenu du coffre...