Epouvante - Horreur

Epouvante - Horreur

N°13

La poupée de la sorcière

     Si les histoires d'horreur te font peur, si la nuit, tu fais vite des cauchemars, si tu es seul(e) dans ta chambre à lire ces lignes et que l'orage dehors menace, alors ne va pas plus loin et sélectionne une autre histoire.

Si le craquement d'une armoire dans le silence pesant te fait sursauter puis rire, si les morts-vivants t'amusent, si tu aimes avoir un peu peur, continue...

     En l'an 1750, dans la forêt où habite notre amie Christine, se trouvait une cabane, une petite maison en bois. Une sorcière y habitait, une femme pas bien méchante, mais fort négligée. Elle portait une robe noire déchirée. Ses doigts étaient déformés, par le rhumatisme sans doute. On la disait guérisseuse, souvent avec raison. Elle connaissait les herbes, les feuilles, les plantes. Elle savait fabriquer des poudres qui parfois soulageaient les douleurs ou les maladies des personnes qui venaient la consulter au fond des bois.


À cette même époque, vers 1750 donc, un château, aujourd'hui en ruines, existait toujours dans le village situé à l'entrée de la forêt. Là, habitaient un duc et son épouse, la duchesse. Ce jeune couple avait un garçon de presque un an.

Un jour, le bébé tomba gravement malade. La maman, très inquiète comme son mari, remarqua les hésitations des soigneurs appelés au chevet du petit. À cette époque, les médecins ne connaissaient pas encore grand-chose et leurs remèdes étaient bien pauvres. L'enfant, couvert de plaques rouges, souffrait d'une forte fièvre et transpirait beaucoup. Il ne buvait plus, il ne mangeait plus.

La duchesse emballa son petit dans une couverture et partit un matin dans la forêt, vers la maison de la sorcière. Elle emportait avec elle un beau jambon à titre de paiement. La guérisseuse refusait l'argent.

Parvenue à l'humble demeure, elle frappa à la porte. La vieille femme la fit entrer.

-Bonjour madame la duchesse, que me vaut votre visite?

-Mon enfant est très malade. Voulez-vous bien regarder? Le voici. Je vous apporte aussi ce jambon. Vous saurez en faire bon usage. 

-Merci, répondit la sorcière. Montrez-moi ce petit à présent.

La maman ouvrit la couverture et posa le bébé bien mal en point sur une table. La vieille femme tapota l'enfant au visage, au ventre, au dos, aux jambes, puis se retira dans le coin le plus sombre de sa maison. Elle saisit un récipient en cuivre et y versa différentes poudres. Elle concocta ainsi un remède. Elle présenta le mélange dans un sachet.

-Voilà, madame. Vous mettrez une pincée de ces herbes dans chaque biberon de votre petit. J'espère qu'il guérira vite.

La duchesse remercia et retourna au château.


Sitôt revenue chez elle, elle prépara un biberon, y ajouta une pincée de poudre de la guérisseuse et tendit la tétine à son bébé. Le petit garçon but quelques gorgées... et mourut dans les bras de sa maman.

Ce n'était pas la faute de la sorcière.

Le duc, bouleversé par la mort de son enfant, entra dans une très vive colère lorsqu'il apprit qu'on avait versé des poudres mystérieuses dans le biberon de son petit garçon.

Il quitta aussitôt le château à cheval, accompagné par cinq de ses soldats. Ils traversèrent la forêt, passant à travers tout, et arrivèrent à la maison de la vieille femme. Le duc descendit de cheval et d'un coup de pied, ouvrit la porte de la demeure.

-Tu as tué mon enfant. Tu vas voir comment je me venge. Pose les mains sur la table.

Elle s'exécuta et mit ses mains sur le meuble.

Alors, levant son sabre, le duc l'abattit avec force, tranchant les deux mains de la sorcière au niveau du poignet. Le sang gicla. La femme hurla. Le duc rengaina son arme et retourna au château avec ses hommes.

La sorcière mourut peu de temps après et sa maison tomba dans l'oubli.


Cent cinquante ans plus tard, vers 1900 donc, ce chalet de bois servait de refuge à des chasseurs. Surpris parfois par un orage, ils venaient s'y abriter un moment.

Puis on interdit la chasse dans cette forêt. La baraque retomba dans l'oubli.

Et nous voilà aujourd'hui.

Christine recevait Myriam chez elle pour quelques jours. C'était un vrai bonheur pour les deux copines.

On se souvient de Myriam, cette jeune fille aveugle âgée de dix ans comme son amie. Elles se sont rencontrées au cours d'autres aventures que tu peux lire. (cf: La tour du lac vert, Christine 24; Les statues d'or, Christine 25; La bête, Christine 26; Le témoin aveugle, Christine 27).

      
Un matin, Myriam dit à Christine:

-Cette nuit, je me suis éveillée et j'ai entendu un bébé pleurer dans le bois.

-Où ça? demanda notre amie.

Myriam indiqua la fenêtre et la forêt d'un geste de la main.

-Mais... personne n'habite par là, s'étonna Christine. Un bébé pleurait, dis-tu?

-Oui, assez loin d'ici, dans cette direction. J'ai vraiment entendu les pleurs d'un petit enfant.

-Étrange, murmura notre amie.


Au déjeuner, le papa expliqua aux deux jeunes filles que là-bas dans les bois, dans la direction indiquée par Myriam, se trouvait une cabane abandonnée. Elle servait de refuge autrefois pour des chasseurs lors d'orages ou de pluies violentes. Certains prétendaient qu'une sorcière y aurait vécu, il y a bien longtemps.

Christine proposa à son amie de l'accompagner jusqu'à cette maison, par curiosité.

L'après-midi, elles partirent à travers les fourrés. Plus aucun chemin ne conduisait à cette cabane. À de nombreuses reprises, elles durent contourner un endroit trop boueux, enjamber le tronc d'un arbre, éviter des massifs de ronces ou d'orties. Elles descendirent au fond d'un ravin, passage périlleux, puis escaladèrent l'autre côté, et ce ne fut pas plus facile. Christine aidait Myriam en lui donnant la main, en lui annonçant les obstacles.

Elles parvinrent enfin devant la maison en planches, abandonnée. Le toit était couvert de feuilles mortes et de mousse. Deux petites fenêtres sans vitres, mais barrées d'une tige de métal rouillé étaient envahies de toiles d'araignées.

Christine ne remarqua rien en regardant dans ce chalet. Il faisait trop sombre à l'intérieur. Elle frappa. Personne ne répondit.

Elle insista et la porte s'entrouvrit. Elles entrèrent toutes deux dans la cabane.

C'était vide. Ni tapis, ni fauteuils, ni meubles, ni cadres aux murs. La lumière du jour passait par les fenêtres étroites et par la porte, laissée grande ouverte à présent. Une cheminée noircie occupait une partie du mur du fond.

-Personne n'habite dans cette maison, affirma Christine. Mais peut-être que des gens sont venus se réfugier ici pendant la nuit et sont repartis, mais ça m'étonnerait fort, vu la couche de poussière.

-Oui, sans doute, fit Myriam. Cela sent le moisi et le renfermé ici. Je n'aime pas ça. Je sens comme un malheur ici... Allons-nous-en.

Les deux amies quittèrent la cabane sans se retourner.


Au soir, Christine insista auprès de sa copine.

-Cette nuit, si tu entends pleurer le bébé, réveille-moi.

-Promis, dit-elle aussitôt.


Au milieu de la nuit, elle secoua Christine en lui chuchotant à l'oreille:

-Réveille-toi, réveille-toi. Écoute là-bas, dit-elle, en indiquant la direction avec son doigt. Tu entends?

Notre amie tendit l'oreille. Oui, dans la forêt, en direction de la cabane qu'elles avaient visitée l'après-midi, elle entendait pleurer un bébé.

Les deux jeunes filles comprirent que si elles voulaient en avoir le cœur net, il fallait se rendre à cette maison abandonnée de nuit.

Elles sont aussi curieuses et audacieuses que toi...


Elles s'habillèrent rapidement. Christine passa la salopette qu'elle porte toujours lorsqu'elle se lance sur les sentiers, Myriam mit son pantalon bleu et son t-shirt. Elles chaussèrent leurs baskets. Elles sortirent par la fenêtre, pour ne pas inquiéter les parents de notre amie.

D'abord, elles marchèrent à quatre pattes dans la corniche, puis elles passèrent sur le toit du hangar qui jouxte la maison. Se glissant par une lucarne, elles descendirent de poutre en poutre et parvinrent sur le sol.

-On y va?

-Oui, on y va, mais j'ai très peur, affirma Myriam.

-Moi aussi, avoua Christine. Seule, je ne sais pas si j'oserais y aller.


Elles s'éloignèrent en direction de la maison où l'on entendait pleurer le bébé. Christine hésita plus d'une fois, ne retrouvant plus sa route dans la nuit, mais Myriam, habituée à l'obscurité, en avait retenu les étapes.

-À mon tour, dit-elle, de te conduire en évitant les ronciers, les massifs d'orties et en t'indiquant les troncs d'arbres à enjamber, le ravin à franchir.

Elles atteignirent la cabane abandonnée. Elles écoutèrent. On n'entendait plus pleurer personne. Aucune lumière n'apparaissait dans le chalet.

Les deux filles poussèrent la porte et entrèrent. C'était toujours aussi vide. On apercevait moins la poussière et les toiles d'araignées dans la nuit, mais la lune, presque pleine, répandait çà et là sur le plancher des rayons lumineux argentés.

Soudain, Christine observa une faible lueur.

-Myriam, je vois un peu de lumière, à gauche dans la cheminée.

Intriguée et prenant son amie par la main, elle entra dans l'espace noirci. Tournant son regard vers le haut, elle aperçut une porte sous laquelle, par une fente, passait un mince rayon lumineux.

Sur le côté gauche de la cheminée se trouvait une échelle en fer rouillée. Celle-ci permettait sans doute d'atteindre le grenier de la maison abandonnée.


Christine chuchota la description des lieux à l'oreille de son amie et lui proposa de la suivre. Elle plaça les mains de Myriam sur l'échelle mais elle grimpa la première. Elle parvint à la porte du grenier.

Elle colla son oreille un instant contre le bois, mais elle n'entendit rien. Alors elle saisit la poignée et ouvrit doucement. Elle mit un pied et puis l'autre sous le toit du chalet. Myriam, qui suivait son amie, se glissa à son tour dans la pièce basse et sombre.

Il n'y faisait pas tout noir parce qu'un rayon de lune, celui dont on devinait la lumière sous la porte, passait par une lucarne et éclairait le sol.

Un grand fauteuil tournait le dos aux filles et juste à côté, se trouvait un berceau d'enfant, un berceau ancien: une caisse en bois, avec simplement des planches courbes en-dessous, pour pouvoir bercer le bébé en le balançant.

Les deux amies s'avancèrent vers le petit lit. Elles écoutaient. Elles ne perçurent aucun bruit dans la pièce. Christine contourna le fauteuil. Il était vide. Myriam s'approcha du berceau et poussa un cri.

-Un bébé! Christine, il y a un bébé!

Très étonnée, notre amie se tourna vers sa copine.

-Tu vois vraiment un bébé?

-Je te jure. Ça n'a duré que le temps d'une seconde, comme un flash, mais j'ai vu, moi qui ne vois normalement pas, un bébé là-dedans.

Christine regarda à son tour. Elle ne vit qu'une vieille couverture chiffonnée.

-Viens Myriam. Il n'y a personne ici. Partons.

Les deux amies redescendirent par l'échelle, parvinrent dans la cheminée, puis retraversèrent la pièce du bas. Elles refermèrent la porte et retournèrent à travers bois, sous la conduite prudente de Myriam, très fière de mener sa copine par la main.


Le lendemain matin, les deux amies décidèrent de retourner à la cabane afin de fouiller plus à fond l'étrange et mystérieux grenier découvert pendant la nuit.

Parvenues à la maison abandonnée, elles entrèrent dans la pièce du bas.

Juste à ce moment-là, elles entendirent un grincement régulier. Ça provenait du plafond. Comme si là-haut, quelqu'un balançait doucement le berceau de gauche à droite, à côté du fauteuil.

Silencieuses, effrayées, elles écoutaient ce grincement qui venait du grenier. Se donnant la main, elles s'avancèrent jusqu'à la cheminée.

-On monte? chuchota Christine.

-Si tu oses, je te suis, souffla Myriam.


Les deux audacieuses aventurières escaladèrent lentement et en silence l'échelle en fer rouillé de la cheminée. Christine saisit fermement la poignée de la porte. Elle écouta encore. Elle n'entendait plus rien. Myriam non plus. Pas plus de grincement que de pleurs de bébé.

Poussant la porte elles entrèrent dans la soupente. Les deux jeunes filles effectuèrent doucement les quelques pas qui menaient au fauteuil qui leur tournait le dos. Personne dans ce fauteuil. Et pas de bébé dans le berceau.

Christine toucha la couverture chiffonnée. Elle laissait deviner une forme qu'on pouvait prendre pour celle d'un petit enfant immobile qui serait caché dessous. Elle écarta la couverture prudemment et découvrit une poupée.

Une laide poupée aux gros yeux rouges, au visage sale, ratatiné comme une vieille pomme. Les cheveux pendaient, gris, comme des fils de toile d'araignée. Elle était couverte d'une robe brune.

-Que vois-tu? demanda Myriam, inquiète du silence de son amie.

-Une horreur, répondit Christine. Je n'ai jamais vu une poupée aussi vilaine. Une vraie poupée de sorcière.

Elle la tendit à sa copine qui voulait la toucher pour comprendre le dégoût qui impressionnait son amie.

Myriam prit donc la poupée de la sorcière. Elle passa la main sur le visage, poussa un cri et la laissa tomber dans le berceau. Mais en tombant, la poupée cogna sa nuque contre le rebord en bois. Au même instant, Myriam sentit une vive douleur à la base de son crâne, à la nuque précisément.

-Aïe! cria la jeune fille. Qui me frappe dans le dos? Qui me frappe? dit-elle encore en insistant.

-Personne ne te frappe, affirma Christine. Il n'y a personne dans le grenier à part nous deux.

-J'ai très mal. Comme si on avait tenté de m'assommer.

-C'est juste au moment où tu as laissé tomber la poupée, au moment précis où elle s'est cognée contre le bord du berceau, que tu as eu soudain très mal à la tête. Viens, on va emporter cette horreur avec nous chez mes parents pour la détruire. Maman te donnera un médicament et ton mal de tête passera.


Christine emmena son amie par la main. Elles descendirent l'échelle, après avoir refermé la porte du grenier, puis elles quittèrent la maison abandonnée.

Parvenues au ravin qu'il fallait descendre puis remonter, nos deux amies s'en approchèrent doucement pour ne pas tomber.

Myriam, qui voulait tenir la poupée, elle la serrait entre ses mains, coinça son pied dans une racine. Elle lâcha la poupée en essayant de rétablir son équilibre et ne pas chuter. La poupée tomba dans le ravin et se cogna à des cailloux qui se trouvaient au fond. Elle abîma son front ratatiné à trois endroits.

Quelques instants plus tard, Myriam glissa à son tour et se blessa également au niveau du front, trois égratignures qui saignaient.

Les deux amies en étaient certaines à présent. Cette poupée maléfique, ensorcelée, rendait coup pour coup à la personne qui la heurtait, le mal qu'on lui faisait, même sans faire exprès.


-Myriam, dit soudain Christine, détruisons cette horreur et vite.

-Je suis tout à fait d'accord avec toi. Mais si on fait du mal à la poupée, elle nous en fera à son tour.

-Comment faire? réfléchit son amie. Et en plus je pense que c'est toi qui dois la détruire, Myriam, afin que ton mal de tête et ta blessure au front disparaissent quand elle sera brisée.

-Oui, mais comment s'y prendre pour qu'elle ne se venge pas sur moi? Suppose qu'on la casse en la jetant en bas d'un escalier par exemple, je risque ensuite de tomber et de me briser bras et jambes, à mon tour, s'inquiéta la jeune fille.

-Tu as raison. D'accord avec toi, reprit Christine. Il faut chercher un autre moyen ou alors, te protéger à fond pendant l'opération. Tu pourrais peut-être la jeter à l'eau, attachée à une grosse pierre et la noyer et toi, tu t'éloignerais vite du bord du lac.

-Elle pourrait faire en sorte que je glisse dans la baignoire ce soir et que je meure évanouie. Et je n'oserai plus aller nager avec toi dans la rivière...

-Écoute-moi, Myriam. Tu m'inspires une bonne idée. Je te propose de prendre cette poupée et d'aller au lac qui se trouve à deux heures de marche d'ici. Là, je rassemblerai des branches mortes sur une grande pierre plate et j'allumerai un feu. Toi, tu passeras ton maillot. Lorsque le feu aura fait un tapis de braises brûlantes, tu les situeras puisque tu perçois la chaleur, tu jetteras la poupée dans les flammes. Je te conduirai aussitôt au bord du lac. Tu y plongeras et tu resteras dans l'eau. Ainsi la poupée ne pourra ni se venger ni t'atteindre. Quand elle sera réduite en cendres, elle ne pourra plus rien te faire, et tu seras délivrée de cette horrible malédiction.

-Bonne idée, se réjouit Myriam. On fait cela, Christine. Risquons. D'accord et surtout, je te fais confiance.


L'après-midi, les deux amies partirent pour le lac, emmenant un sac à dos avec elles. Une longue marche pendant laquelle elles restèrent silencieuses, impressionnées par la terrible partie qu'elles allaient jouer. Elles se donnaient la main. Myriam portait la poupée.

Quand elles parvinrent au bord du lac, Christine rassembla du bois. Elle frotta une allumette et fit un feu sur une grande pierre plate. Lorsque les braises apparurent nombreuses, elle proposa à son amie de se mettre en maillot... et de jeter la poupée dans les flammes.

Myriam hésita un dernier instant, puis lança la poupée. Christine conduisit immédiatement sa copine dans l'eau du lac. Elle s'y plongea jusqu'au cou.

Notre amie revint surveiller le feu. La poupée brûlait lentement.

Soudain, en un instant, le ciel se couvrit de nuages sombres. Un éclair traversa le ciel. Les deux jeunes filles n'avaient pas prévu cela. La foudre risquait de frapper Myriam plongée dans l'eau du lac, mais dont la tête dépassait la surface pour respirer.

La sorcière contre-attaquait. Christine réfléchit un quart de seconde, sauta dans l'eau toute habillée et prit son amie entre ses bras.

-Que se passe-t-il? s'inquiéta Myriam.

-Je te serre contre moi et je reste à tes côtés. Moi je n'ai rien fait à cette poupée, donc elle ne peut pas me causer du mal. Si je te tiens dans mes bras, la foudre ne peut pas t'atteindre parce qu'en tombant sur toi, elle me blesserait ou me tuerait en même temps que toi.

Les deux amies attendirent courageusement dans l'eau. L'orage se déchaînait avec une violence incroyable. La foudre frappa dix fois les arbres au bord du lac. La pluie froide et serrée tomba comme sous une douche.

Puis, peu à peu, les éléments se calmèrent et les nuages disparurent. Le soleil revint dans le ciel bleu.

Christine se hissa hors de l'eau et se précipita vers le feu. L'orage l'avait éteint. La poupée avait brûlé, mais pas complètement hélas. Il restait la tête et les yeux. Ils semblaient regarder notre amie fixement. Myriam sortit du lac à son tour et s'assit. Elle grelottait.

       
Christine s'éloigna, trouva des branches sèches sous les sapins et revint en les traînant. Elle réussit à rallumer le feu.

Alors, Myriam, courageusement, prit ce qui restait de la poupée et posa le tout sur les braises. Ça s'enflamma aussitôt.

Nos deux amies se glissèrent à nouveau dans l'eau.

Soudain, Christine, qui faisait face à son amie, vit une immense tête de dragon apparaître à la surface de l'eau. Ce dragon ouvrit la gueule. Il s'apprêtait à cracher des flammes.

Christine fit un bouclier avec son corps, se plaçant entre son amie et le dragon avec un courage incroyable.

Le dragon fumait par le nez, par les oreilles, par la bouche. Ses yeux terrifiants menaçaient la jeune fille mais ne pouvaient rien lui faire. Peu à peu, l'immense tête se consuma et disparut dans les flots. Les amies sortirent à nouveau de l'eau.

Le mal ne peut rien contre l'amitié sincère et la bravoure véritable.


La poupée cette fois-ci avait brûlé complètement, même la tête, mais il restait les yeux, intacts dans les braises. Des yeux en porcelaine.

Christine saisit un bâton et les fit rouler vers elle. Elle les tendit à Myriam qui les prit en main.

-Place-les sur cette pierre plate à tes pieds, proposa son amie. Je vais te donner un gros caillou et tu les détruiras définitivement en les écrasant.


Au moment où Myriam prit les yeux dans ses mains, elle s'écria:

-Christine! Je vois le ciel bleu. Et là, un oiseau vole au-dessus des grands sapins. Oh, des fleurs... Comme c'est beau! Oh! mon amie, maintenant je te vois...

Myriam ne connaissait le visage de son amie qu'en le touchant avec ses mains.

-Tes longues tresses, tes yeux bruns. Oh! mon amie.

Émues, elles se jetèrent dans les bras l'une de l'autre.


-Myriam, murmura Christine, avec une voix désolée, il faut détruire les yeux de la sorcière. C'est encore un piège.

-Si je les brise, s'écria la jeune fille, je serai de nouveau aveugle. Mais je ne veux pas passer toute ma vie en tenant des yeux de sorcière dans mes mains. Je ne veux pas voir le monde à travers les yeux d'une sorcière. C'est dur, mais je vais les détruire. Sinon, tôt ou tard, ils me porteront malheur.

Des larmes coulaient le long des joues de la jeune fille.

-Oui, c'est décidé. Je vais le faire, Christine. Mais tu n'imagines pas comme c'est pénible de ne pas voir.

Elle posa pourtant les deux yeux sur la pierre plate.

Une dernière fois, elle regarda autour d'elle. Le bleu du ciel, le vert des arbres, le jaune, le rouge, l'orange des fleurs, la couleur des flammes, le visage de son amie.

Puis elle saisit un gros caillou et le jeta avec force sur les deux yeux qui se trouvaient à ses pieds. Ils éclatèrent. Un peu de jus verdâtre gicla sur les deux filles. Elles se précipitèrent dans l'eau pour s'en débarrasser.


Puis Christine prit son amie par la main et elles retournèrent, après avoir éteint le feu, vers la maison où on les attendait.

Myriam pleurait. Aveugle à nouveau. La poupée de la sorcière avait réussi à lui faire le pire mal imaginable, lui rendre un instant la vue pour la lui ôter ensuite.

 

Découvre le dernier épisode de cette magnifique histoire d'amitié : Les pierres de lumière. Christine 29.