Isabelle
N°56
N°56
Derrière la maison d'Isabelle, fleurit le jardin. Au fond de ce jardin se trouve une barrière. Lorsqu'elle passe cette barrière, elle entre dans le grand champ. Au bout de ce champ, coule une petite rivière. Parfois notre amie se promène sur la berge de cette rivière. En la remontant ainsi, elle arrive au petit pont de bois. Il porte la route qui quitte le village et va dans la forêt. Lorsqu'on passe ce petit pont de bois, on arrive à l'étang.
Isabelle, cinq ans et demi, aime s'asseoir là, sur un tronc d'arbre couché. Elle fait de toutes petites miettes de biscuits, toutes petites, car elle ne les destine pas aux canards. Elle les pose autour d'elle et les libellules viennent les manger. Elle adore les libellules, surtout les bleues, si jolies à regarder.
Ce jour-là, elle venait d'arriver lorsque, sautant sur des nénuphars ronds, une petite grenouille s'approcha. Chose incroyable, elle était bleue, bleue comme le ciel bleu! Isabelle très étonnée l'observait avec attention.
Un instant plus tard, venu du milieu de la mare, elle aperçut un canard aux plumes rouges, rouges comme une tomate bien mûre.
- Il faut que je raconte ça à papa et à maman, se dit notre amie.
Elle se leva et courut à la maison.
On ne voulut pas la croire! Papa affirma qu'une grenouille bleue et un canard rouge, ça n'existe pas. Maman prétendit qu'Isabelle se trompait dans les couleurs.
Quant aux trois grands frères, Bertrand, dix-neuf ans, Benoît, treize ans et Benjamin, sept et demi et qui partage la chambre d'Isabelle, ils ne se privèrent pas de se moquer de leur petite sœur.
- Tant pis si vous ne me croyez pas! dit-elle. Moi, je le sais bien, parce que je les ai vus.
Le lendemain, Isabelle repassa la barrière du fond du jardin. Elle longea la rivière, franchit le pont de bois et s'assit au bord de l'étang. De nouveau, elle vit la grenouille bleue et le canard rouge venir vers elle.
- Dommage que papa et maman ne soient pas là. Ils diraient que j'ai raison s'ils vous voyaient, soupira notre amie.
- On ne te croit pas? demanda le canard rouge.
- Non, ils se moquent même de moi à la maison, murmura Isabelle.
- Ils se moquent de toi! s'étonna la grenouille bleue.
- Et vous parlez en plus! s'émerveilla la fillette.
- Oui, nous ne sommes pas des animaux comme les autres. Mais, puisqu'on ne te croit pas, nous allons t'aider, fit la grenouille.
- Moi, dit le canard rouge, je vais te confier une bille rouge comme mes plumes, rouge comme une tomate bien mûre.
- Elle est belle, remercia Isabelle.
- Oui. Malheureusement, tu devras me la rendre. Mettons dans trois jours.
- D'accord, promit notre amie.
- Fais bien attention à cette bille, poursuivit le canard. Elle possède un étrange pouvoir. Il ne faut jamais la laisser au soleil. Si tu la mets au soleil, elle chauffe de plus en plus. Elle brûlera tout ce qui se trouve autour d'elle. Elle peut même provoquer un incendie.
- Je comprends. Je la placerai toujours à l'ombre.
- Quant à moi, enchaîna la grenouille bleue, je vais te prêter une bille bleue, bleue comme moi, bleue comme le ciel bleu. Méfie-toi, cette bille possède elle aussi un pouvoir étrange. Il ne faut pas la placer la nuit dans un rayon de lune, car si la lumière de la lune tombe sur elle, il va faire froid, de plus en plus froid. Tout gèlera autour d'elle. La neige apparaîtra. Cette bille change tout en glace et en givre.
- D'accord, dit Isabelle.
- Et surtout petite fille, avertirent ensemble le canard rouge et la grenouille bleue, il ne faut jamais que la bille bleue et la bille rouge se cognent, car si elles se touchent, il se passera quelque chose de terrible.
- Quoi ça? demanda notre amie.
- Nous n'allons pas te le dire. Sois prudente et à bientôt.
- Merci, lança Isabelle en se levant.
Elle retourna chez elle rapidement.
Arrivée à la maison, elle montra les deux billes à ses parents. Elle les avait glissées chacune dans une poche différente de sa salopette jaune, ainsi elles ne risquaient pas de se rencontrer.
Papa ne voulut de nouveau pas croire sa petite fille.
- Cette bille me paraît tout à fait ordinaire, ma chérie. On te raconte n'importe quoi. Viens avec moi au jardin. Au soleil. Je vais te montrer que cette bille n'a aucun pouvoir.
Papa prit la bille rouge et la plaça dans l'herbe, au grand soleil.
En quelques instants, la bille devint brûlante. L'herbe autour d'elle noircissait. Un rond de petites flammes apparut et tous furent bien obligés de croire notre amie.
Il fallut jeter deux seaux d'eau pour éteindre le feu et refroidir la bille. Isabelle courut la mettre à l'ombre. Puis elle la glissa de nouveau dans l'une de ses poches. Pas avec la bille bleue, évidemment.
Ce même jour-là, l'après-midi, David, un des meilleurs copains d'Isabelle, vint jouer avec son amie. À un certain moment, elle lui montra les deux billes reçues de la grenouille bleue et du canard rouge.
- Comme elles brillent! fit David. Tu m'en donnes une?
- Je ne peux pas, parce que je dois les rendre.
- Tu me prêtes la rouge jusqu'à demain?
La fillette accepta. Ils jouèrent encore un peu, puis David retourna chez lui.
Si tu as fait bien attention, tu as remarqué qu'Isabelle a oublié de prévenir son ami de l'étrange pouvoir brûlant de la bille rouge.
David revint chez lui et joua avec la bille un moment sur le tapis du salon, à l'ombre. Puis sa maman lui proposa de regarder un dessin animé à la télévision. Le garçonnet vint s'asseoir près de sa mère, après avoir posé la bille sur un coussin du fauteuil près de la fenêtre ouverte. Ce coussin était au soleil!
Cinq minutes plus tard, la maman s'essuya le front. Elle transpirait.
- Quelle chaleur, tout à coup! Je vais couper le chauffage.
La maman se leva, regarda le thermostat, mais le chauffage était éteint.
- Moi aussi j'ai trop chaud, gémit David.
Il ôta son t-shirt et se mit torse nu.
Le papa du garçon entra à son tour au salon.
- Qu'il fait chaud dans cette maison! Les radiateurs doivent être brûlants.
II posa sa main sur un radiateur. Il était froid.
- Que se passe-t-il? Oh! je vois de la fumée...
Soudain, tournant les yeux vers le fauteuil, ils virent des flammes. Il fallut trois seaux d'eau pour les éteindre et refroidir la bille brûlante.
David vint la rendre à son amie, en lui disant que c'était vraiment trop dangereux.
La fillette regarda son copain, mit sa main devant sa bouche et s'excusa. Elle avait oublié de l'avertir de l'étrange pouvoir de la bille du canard rouge.
Cette nuit-là, Isabelle se réveilla un peu avant deux heures du matin. Il faisait tout noir. Les parents dormaient. Bertrand, Benoît et Benjamin, les grands frères, dormaient également; Benjamin se trouvait au-dessus d'Isabelle sur le lit superposé.
Notre amie ouvrit les yeux. Elle s'était éveillée parce qu'elle avait froid. Elle grelottait sous sa couette.
Papa laisse souvent ma fenêtre ouverte, se dit-elle.
Mais non, la fenêtre était fermée, mais couverte de givre et de neige.
- Que se passe-t-il? s'inquiéta notre amie.
Elle se leva, pieds nus dans sa robe de nuit blanche à petites fleurs bleues. Le tapis était gelé. On aurait pu y faire des glissades.
Tremblant de froid, elle s'approcha de la table où elle avait posé son verre d'eau hier soir avant de se coucher. Elle voulut boire un peu. L'eau était devenue un glaçon.
Isabelle aperçut alors la bille bleue sur l'appui de fenêtre. Elle se trouvait juste dans un rayon de lune bleu argenté. Elle était glacée. Notre amie la prit en main, la réchauffa doucement en soufflant dessus et en la frottant. Le givre et la neige disparurent. Le tapis dégela lentement et le glaçon dans le verre redevint de l'eau.
La fillette posa la bille sur la table, hors du champ du rayon de lune puis se recoucha. Elle se rendormit.
Le lendemain, Benjamin aperçut les deux billes de sa petite sœur. Il eut envie de les lui prendre. Il en possède trente-cinq dans un sac et les collectionne.
- Elles brillent, admira le garçon. Tu m'en passes une ou les deux?
- Je ne peux pas, répondit Isabelle. Elles ne m'appartiennent pas. Je dois les rendre demain.
Benjamin insista, à sa manière.
- Si tu veux, on peut jouer aux billes tous les deux. On pourrait même aller devant l'église. Il y a une surface bien plate couverte de dalles et d'un peu de sable. L'endroit idéal. Si tu gagnes, je t'offrirai mes trente-cinq billes.
- Et si je perds? demanda notre amie avec prudence.
- Si tu perds, tu me donneras la bille bleue et la bille rouge.
- Mais tu devras me les rendre demain matin.
- D'accord, promit Benjamin d'une voix très évasive.
Ils allèrent devant l'église et commencèrent leur jeu. Or bien souvent, un grand frère de sept ans et demi joue mieux qu'une petite sœur de cinq ans et demi.
Benjamin gagna rapidement la bille bleue et puis la bille rouge.
- Elles sont magnifiques, dit-il.
- Tu me les rendras demain, insista Isabelle.
- Oui, demain.
Benjamin tenait la rouge dans sa main gauche et la bleue dans sa main droite. Soudain, il fit un geste qui les rapprocha. Elles se cognèrent et le garçon disparut dans un éclair.
Trois secondes plus tard, le ciel devint tout noir et un violent orage éclata. En quelques instants, Isabelle fut trempée de la tête aux pieds. Ses cheveux, ses longues tresses dégoulinaient. Sa salopette ruisselait et ses sandales de toile bleue baignaient dans une flaque de boue. Elle courut à la maison.
- Tu es bien trempée, dit papa. Et où reste ton frère?
- Je ne sais pas, répondit Isabelle. Il a disparu.
- Comment ça, il a disparu?
- Oui, dans un éclair, tout à coup.
- Benjamin a été foudroyé? s’inquiéta la maman, arrivée dans la pièce.
- Je ne sais pas, répondit notre amie.
- Il n'est pas allé chez un copain ou chez une copine?
- Je ne crois pas, affirma la fillette.
- Vous vous êtes disputés, demanda papa.
- Non, pas du tout.
Ils sortirent tous trois de la maison. Papa et maman passèrent un imperméable à cause de la pluie. Isabelle n’enfila pas le sien. Elle était déjà trempée, alors un peu plus ou un peu moins... Et puis, elle risquait de mouiller l'intérieur de sa veste.
Ils arrivèrent devant l'église. Ils appelèrent Benjamin mais le garçon ne répondit pas. Ils revinrent à la maison, après l'avoir cherché dans les broussailles et derrière les arbres sur la place.
Pendant qu'Isabelle passait des vêtements secs, les parents téléphonèrent aux copains et aux copines de Benjamin, mais tous les amis répondirent qu'ils ne l'avaient pas vu de toute la journée.
Alors, très inquiets, les parents appelèrent la police. Une équipe se mit rapidement en route pour chercher le garçon dans les rues du village et même dans les bois. Ils s'accompagnèrent de chiens policiers. Mais ces chiens ne flairèrent aucune piste. Benjamin avait bel et bien disparu.
La pluie cessa. Isabelle suivit son idée : retourner près de la grenouille bleue et du canard rouge. Ils lui avaient confié la bille bleue et la bille rouge qui avaient fait disparaître Benjamin. Elle se dirigea vers l'étang.
Le canard rouge n'était pas là. La grenouille bleue se trouvait sur un nénuphar.
- Mon frère m'a pris les billes que vous m'avez données. Et il les a fait se cogner entre ses mains. II a disparu dans un éclair.
- Oh! s'inquiéta la grenouille bleue. Tu ne le reverras jamais plus.
- On se dispute souvent, mais j'aime quand même mon grand frère. Je voudrais le retrouver.
- Alors, tu dois aller chez Coassette, répondit la grenouille bleue.
- Coassette?
- Oui, notre reine.
- Où habite-t-elle?
- Au fond des bois, près d'une cascade.
- Tu veux bien aller la chercher et lui demander de venir?
- Oh non! répondit la grenouille. Coassette ne viendra pas. C'est une reine. Tu dois aller chez elle.
- Alors j'y vais vite, avant qu'il fasse noir.
- Non, déclara la grenouille bleue. Coassette ne reçoit qu'au milieu de la nuit.
- Bon, j'irai avec mon papa ou ma maman.
- Pas possible. Coassette va se cacher en les voyant arriver. Elle n'osera pas se montrer si tu es accompagnée par tes parents.
- Je demanderai à l'un de mes frères, il m'en reste deux.
- Ils sont trop grands.
- Alors, réfléchit Isabelle, j'irai toute seule. Non, je n'oserai jamais... Ça fait trop peur, la nuit. Je peux aller avec mon copain David? Il a six ans.
- Oui, avec ton copain David. Écoute-moi bien, expliqua la grenouille bleue. Je vais te dire comment ça va se passer. Tu partiras de chez toi une heure avant minuit. Tu marcheras le long de la rivière. Tu apercevras sans doute une première puis une deuxième et une troisième grenouilles phosphorescentes, brillantes dans la nuit, comme un ver luisant, comme une luciole. Chacune de ces grenouilles te demandera où tu vas et te posera une question. Ne réponds surtout pas. Gardez bien le silence, toi et ton copain, car si vous leur parlez, la reine Coassette ne se montrera pas.
- Merci, murmura la fillette. Je vais tenter d'aller rechercher mon frère cette nuit.
Isabelle revint chez elle et raconta à ses parents ce que la grenouille bleue lui avait expliqué.
Notre amie alla se coucher à huit heures, comme tous les soirs, et s'endormit.
Maman la réveilla à onze heure moins cinq. David venait d'arriver, amené par ses parents. Notre amie passa sa salopette en jean et ses sandales de toile. Inutile de mettre des bottes, l'eau passerait par-dessus dans la rivière. Elle descendit l'escalier.
Elle était très fatiguée, mais elle partit en compagnie de son copain. Ils se donnaient la main. Les quatre parents les regardèrent s'éloigner. Ils étaient bien inquiets. L'aventure était périlleuse.
David n'avait pas du tout envie d'aller se balader dans les bois au milieu de la nuit. Mais pour sa meilleure copine, il rassembla tout son courage.
Après avoir passé le petit pont de bois, ils s'arrêtèrent quelques instants au bord de l'étang. On entendait les bruits de la nuit, le chant des grenouilles, les couincouinements des canards, le hululement d'un hibou, les aboiements d'un renard ou d'un chien, peut-être celui de la ferme, là-bas au loin.
Les deux enfants n'étaient guère rassurés. Pourtant ils marchèrent courageusement le long de la rivière. Ils aperçurent assez vite une grenouille lumineuse dans la nuit.
- Où allez-vous? demanda l'animal.
Nos amis ne répondirent pas.
- Vous allez chez Coassette?
Nos deux amis posèrent l'index sur leur bouche, pour montrer qu'ils se taisaient.
- Une question : Comment s'appelle le bébé du mouton?
Isabelle pensa à l'agneau, mais se tut.
- Vous le direz à Coassette. Traversez la rivière.
Isabelle et David sautèrent de rocher en rocher mais au milieu, ils eurent de l'eau jusqu'au-dessus des genoux. Puis ils continuèrent leur progression le long de la berge.
Ils arrivèrent, après une vingtaine de minutes, auprès d'une deuxième grenouille lumineuse. Elle les regardait, juchée sur un vieux tronc couvert de mousse.
- Vous allez chez Coassette?
Isabelle faillit répondre oui. Mais elle se tut heureusement à la dernière seconde.
- Voici ma question. Où trouve-t-on un crocodile qui fait tic-tac?
La fillette n'en avait pas la moindre idée. Mais David souriait et semblait connaître la réponse.
Nos amis furent obligés de traverser la rivière à nouveau. L'eau leur vint jusqu'au ventre. Leur marche aventureuse devenait de plus en plus difficile. Et ils s'enfonçaient bien loin dans la forêt.
Enfin, ils arrivèrent près d'une troisième grenouille lumineuse.
- Vous allez chez la reine Coassette?
Nos amis se turent à nouveau.
- Quand vous la verrez, vous lui direz le nom des cinq doigts de la main chez les humains. Vous trouverez la reine Coassette derrière la cascade située là plus loin. II faudra passer sous le rideau de la chute d'eau.
Isabelle et David traversèrent la rivière encore une fois.
Ils parvinrent devant un grand bassin au pied de la cascade. Ils entrèrent dans l'eau froide. Elle leur vint jusqu'au cou. Les deux enfants grelottaient dans leurs vêtements mouillés.
Ils passèrent sous la chute et se redressèrent trempés de la tête aux pieds cette fois. Ils se trouvaient maintenant entre un mur de pierres, couvert de mousse verte, et le rideau d'eau. C'était impressionnant. La cascade tombait de haut sur un chaos de roches qui faisaient gicler l'eau sans cesse sur eux, comme sous la douche.
Ils virent une grenouille qui les observait. Coassette!
- Vous pouvez parler, déclara la reine. Il est minuit. Je vous écoute.
Isabelle raconta qu'elle avait reçu une bille bleue et une bille rouge. Elle parla de son frère disparu dans un éclair. Elle demanda s'il était possible de le retrouver.
La reine Coassette regarda les deux enfants en silence un instant.
- Je veux bien vous aider. Mais pour cela il faudra répondre aux trois questions que mes amies vous ont posées lorsque vous passiez le long de la rivière. Commençons. Comment s'appelle le bébé du mouton?
- L'agneau, dit Isabelle en souriant.
- Et sa maman?
- La brebis, déclara David.
- Bien. Et où trouve-t-on un crocodile qui fait tic-tac?
Isabelle ne répondit pas. Elle ne connaissait pas la réponse. David semblait sûr de lui.
- Dans l'histoire de Peter Pan. C'est le fameux crocodile qui a avalé un réveil et qui fait si peur au Capitaine Crochet.
- Bravo, déclara Coassette. Mais connaissez-vous le nom des cinq doigts de la main?
Toi, les connais-tu?
- Le pouce, puis l'index, puis le majeur, commença Isabelle.
- Ensuite, l'annulaire, ajouta David. Et l'auriculaire, le petit doigt, compléta le garçon.
- Bravo, félicita la reine Coassette. Vous savez beaucoup de choses. Je vais te confier deux billes, petite fille. Une jaune pour remplacer la bleue et une verte pour remplacer la rouge. Garde-les chacune dans une main, retourne à l'endroit exact où ton frère à disparu, et là, fais se cogner les deux billes. Ce sera un peu impressionnant. Cela te fera peur, mais ton frère reviendra. Vous rendrez toutes ces billes à la grenouille bleue et au canard rouge demain.
- Merci, reine Coassette.
- Au revoir les enfants.
Les deux amis retournèrent jusqu'à leur maison en repassant le long de la rivière. Les trois grenouilles lumineuses avaient disparu.
Après un petit bisou, David retourna chez lui. Ses parents l'attendaient. Isabelle n'avait qu'une envie. Mettre sa robe de nuit bien sèche et aller se coucher. Elle était épuisée. Mais ses parents imposèrent à leur petite fille d'être encore un peu courageuse et d'aller toute de suite avec eux devant l'église pour faire revenir Benjamin.
Arrivée sur la surface de dalles et de sable où son frère avait disparu, Isabelle hésita. Elle avait peur d'entrechoquer les deux billes. Elle rapprochait toujours ses mains, puis les écartait l'une de l'autre, sans que les billes se touchent.
- J'ai froid, dit-elle d'abord.
- Tu auras bien chaud à la maison, promit maman.
- Je suis trempée, essaya Isabelle.
- Tu changeras de vêtements quand on reviendra à la maison, répondit papa.
- Je suis fatiguée, murmura notre amie.
- Courage, firent les parents.
Elle finit par accepter de cogner les deux billes. Elle vit un éclair passer entre ses doigts. Elle poussa un cri. Benjamin apparut.
Trois secondes plus tard, le ciel déjà noir de la nuit se couvrit de nuages et, comme l'autre fois, un orage se déchaîna. Pour Isabelle, cela ne changeait pas grand-chose. Elle était quand même toute mouillée. Mais papa, maman et Benjamin furent trempés à leur tour. Ils arrivèrent sains et saufs à la maison.
Bien au chaud dans leurs lits superposés, au moment de s'endormir, la fillette interrogea son grand frère.
- Benjamin, où te trouvais-tu quand tu as disparu avec la bille rouge et la bille bleue?
- Je ne sais pas, répondit le garçon. J'étais dans une étrange grotte pleine de perles et de billes de toutes les couleurs, avec des flaques d'eau partout. C'était plein de grenouilles.
- Ce devait être le palais de la reine Coassette, murmura Isabelle en s'endormant.
Le lendemain, elle se rendit à l'étang et remit les quatre billes au canard rouge et à la grenouille bleue.
Elle revint plusieurs fois au milieu des hautes herbes. Mais elle ne les revit jamais.