Béatrice et François

Béatrice et François

N°48

L'étrange habitant du trou de verdure

     Béatrice et François revenaient de la grande plaine de jeux située de l'autre côté du bois. C'était un samedi, en fin de matinée.

Pour arriver plus vite à la maison, ils avaient choisi de suivre un chemin à travers la forêt au lieu de longer les rues du village. Lors d'un embranchement, ils hésitèrent longuement. Fallait-il aller à gauche ou à droite? Ils optèrent pour la gauche. Mauvais choix, hélas...

Après une heure de marche, ils arrivèrent à un endroit qu'ils n'avaient encore jamais vu.

Ils se retrouvèrent au bord d'un petit précipice, de forme arrondie, comme un cratère de volcan, et profond d'environ dix mètres, assez abrupt et totalement vert. En effet, dans ce creux de rochers gris et de terre noire, de la mousse et des plantes vertes recouvraient le sol partout. Au fond, ils aperçurent une flaque d'eau, verte également.

La route s'arrêtait là.

 

Auprès de cette flaque, au pied d'un rocher d'une forme étrange, même menaçante, poussaient trois champignons aux teintes inhabituelles. Un bleu foncé, un jaune canari, et un rouge rubis. Jamais nos amis n'en avaient vu parés de ces couleurs. Intrigués et surtout curieux, ils décidèrent d'aller les observer de plus près.

S'accrochant aux branches d'un arbre déraciné, tombé dans le ravin, et s'en servant comme d'une échelle, ils descendirent doucement au fond du trou de verdure. Là, longeant la mare d'eau verte, ils atteignirent les trois champignons.

François tenta de les faire pivoter pour mieux les regarder, mais il ne réussit qu'à se faire mal. Ce n'était pas des champignons, mais de la pierre sculptée.

Béatrice s'avança à son tour. Elle avait son idée. Elle fit tourner l'un d'eux, comme le robinet d'un évier. Aussitôt un puissant jet d'eau sortit de terre. Il les arrosa copieusement de la tête aux pieds.

Cette eau était parfaitement claire, transparente. Le jet était ausi fort qu'une lance de pompier lors d'un incendie. En un instant, nos deux amis furent complètement trempés.

François hurla à son amie :

- Revisse le champignon.

- J'essaie, répondit Béatrice. Aide-moi, au lieu de crier.

Les deux enfants firent bientôt cesser ce déluge. 

Tant d'eau avait coulé que la vase verdâtre du fond de la flaque, tout près des champignons, avait été chassée et remplacée par de l'eau claire. Ils aperçurent quelque chose qui les intrigua.


En observant attentivement le lit caillouteux de la mare, ils découvrirent une chaîne en or. Ils essayèrent de la prendre.

Si tu aperçois un objet ou une pièce de monnaie dans le bois ou sur un chemin, tu les ramasses. Il n'y a aucun mal à cela. Le premier qui le voit, c'est à lui... sauf bien sûr, s'il s'agit d'un portefeuille ou d'un bijou vraiment précieux.

Béatrice et François, glissant les mains dans l'eau, saisirent la chaîne. Ils tirèrent de toutes leurs forces. Elle semblait accrochée à quelque chose et résistait à leurs efforts. Ils insistèrent et tout à coup, un bruit grinçant retentit. Une porte, dissimulée dans le rocher de forme menaçante, s'ouvrit, donnant accès à une grotte sombre et profonde. Un air froid en sortait. Nos amis, trempés, frissonnèrent.

Ils entendirent une voix grave les appeler.

- Entrez.

Les deux enfants se regardèrent. Effrayés, ils pensèrent un instant à la même chose : s'encourir. S'enfuir. Mais la voix continua.

- Entrez dans ma grotte. Ne tentez pas de fuir. Si vous vous encourez, je vous rattraperai avant que vous soyez sortis de la forêt.

Se sentant pris au piège, ils entrèrent tous les deux dans la caverne. Le rocher de pierre qui servait de porte, grinça après leur passage et se referma derrière eux. Nos amis étaient pétrifiés de peur et de froid.

 

S'habituant à la demi-obscurité de l'endroit, ils distinguèrent devant eux un être tout à fait étrange. Il ressemblait à un homme nain. Sa peau semblait couverte d'une écorce rugueuse comme celle d'un arbre. Ses yeux perçants étaient entourés de sourcils blancs. Ses cheveux, blancs également, tombaient jusqu'au bas de son dos. Ses pieds nus et ses mains se terminaient par des griffes noires au lieu d'ongles.

- Vous êtes des vilains curieux et de sales voleurs. Je vais vous punir, grogna l'être étrange, sans doute une sorte de sorcier.

- S'il vous plaît, supplia Béatrice, ne nous faites pas de mal.

- Vous avez été assez curieux pour descendre au fond du ravin, puis vous avez touché à mes champignons. Ensuite, vous avez tenté de voler la chaîne en or qui ouvre cette grotte.

- On ne savait pas que cela menait chez vous, affirma le garçon.

- Pardonnez-nous. Laissez-nous sortir s'il vous plaît. Nous ne sommes que des enfants, ajouta la fillette.


Béatrice et François ont sept ans et demi. Ils sont tous les deux en deuxième année primaire et fréquentent la même école. Ils habitent dans la même rue et sont grands amis. Ils se donnèrent la main.

- S'il vous plaît, répéta François. Laissez-nous sortir.

- Je veux bien vous laisser partir, affirma le sorcier, mais il faudra d'abord que je teste votre esprit, votre perspicacité. Puis, vous ferez un travail pour moi.

- Pas trop difficile, murmura Béatrice.

- Je commence par deux questions. Si vous y répondez juste, vous pourrez sortir, sinon, je vous garderai enfermés ici. Première question, continua l'étrange habitant. J'ai deux pattes, je suis un oiseau et pourtant je ne sais pas voler, mais je nage bien. Qui suis-je?

Les deux enfants pensèrent à des poules. Mais si tu cours vite derrière une poule, elle s'envole... Une autruche... Tu as déjà vu une autruche nager, toi?

Et tout à coup, François crut trouver.

- Un pingouin. Le pingouin ne sait pas voler.

- Non, coupa Béatrice. Les pingouins volent. Le manchot ne vole pas. Un manchot, monsieur.

- C'est bien, commenta l'étrange individu. Deuxième question. Je n'ai ni crayon, ni marqueurs, ni peinture et pourtant, lorsque je me couche, j'emporte toutes les couleurs avec moi, qui suis-je?

- Le soleil, affirma François, en un éclair.

- Bien vu, déclara le sorcier. Vous êtes très forts. Maintenant, suivez-moi, ordonna la voix. Voici votre travail.

 

Nos deux amis accompagnèrent l'étrange habitant jusqu'au fond de sa grotte. Là, ils aperçurent un coffre façonné dans un bois noir. Le curieux personnage l'ouvrit.

À l'intérieur, se trouvait un grand nombre de pierres précieuses. Les enfants virent des rubis, des saphirs, des émeraudes, des diamants, et quelques opales. Ils remarquèrent l'une ou l'autre turquoise. Toutes ces pierres précieuses avaient la taille d'une cerise, voire même pour certaines, d'une prune. Chacune était percée. Cela semblait des perles pour faire un collier, un collier qui vaudrait une fortune. Et c'est précisément ce que demanda l'étrange habitant.

- Fabriquez-moi un collier avec les cent pierres précieuses rangées ici, et je vous laisserai partir.

- Facile, dit Béatrice en souriant. Donnez-moi de la ficelle. Je vais vous le faire immédiatement.

- Je n'ai pas de ficelle, répondit le mystérieux individu.

- Sans ficelle, il n'y a pas moyen de faire un collier, affirma la fillette. Ou donnez-moi du fil de fer.

- Je n'en possède pas. Ici, tu ne trouveras rien que du naturel. Utilise plusieurs de tes longs cheveux. Noue-les l'un à l'autre si c'est nécessaire.

- Des cheveux, ça casse, précisa Béatrice. Votre collier ne sera pas solide. Les cheveux ne résisteront pas.

- Alors, transforme-les en fil d'or.

- Impossible, murmura François.

- Suivez-moi.

 

Les deux enfants accompagnèrent le sorcier, car c'en était un, ils en étaient sûrs à présent, jusqu'au fond de la grotte. Ils y découvrirent une grande pierre blanche, creusée en son centre. La cavité avait environ un mètre de profondeur. Elle était remplie d'eau.

- Voilà, dit-il. Si vous plongez complètement un objet dans cette eau, il sera en or quand vous l'en sortirez. Pour les êtres vivants, par contre, il suffit d'immerger une minuscule partie de leur corps : patte, museau, cheveu, doigt, dans cette eau magique et l'animal ou la personne se transformera en statue d'or. Mais elle mourra.

- Comment puis-je glisser l'un de mes cheveux au fond de cette eau? demanda Béatrice. Si je l'enfonce, je dois mouiller mes doigts dans le liquide et je serai transformée en statue.

- Voici une cuillère en or. Utilise-la. Pose quelques-uns de tes cheveux à cheval sur cette cuillère en or et ainsi, avec elle, tu pourras les plonger entièrement dans la fontaine sans toucher l'eau magique avec tes doigts.

 

Béatrice a de beaux cheveux bruns qui descendent jusqu'à la taille. Elle les noue souvent en une longue queue de cheval.

François l'aida à en arracher quatre. Ils les posèrent sur la cuillère et les plongèrent délicatement dans la fontaine de marbre blanc. Lorsqu'ils les ressortirent, les cheveux étaient transformés en fil d'or. La fillette les noua bout à bout et obtint ainsi un long fil solide.

Notre amie entreprit de réaliser le collier. Il suffisait à présent d'enfiler les pierres précieuses une à une. Elle en crée souvent chez elle, ou des bracelets, pas avec des rubis ou des diamants hélas, mais avec des jolies perles en plastique.


Pendant qu'elle s'occupait à son travail, François se souvint de cinq billes qu'il gardait dans sa poche. Il les sortit et les posa près de lui. Il observa la cuillère en or et cette eau magique au fond du bassin de marbre blanc.

- Que fais-tu? demanda Béatrice.

- Je vais profiter de cette eau pour transformer mes billes en or. Imagine mes copains quand ils verront que je joue avec elles à la cour de récréation.

- Ne fais pas ça, s'inquiéta la fillette. S'il te voit.

- Il ne me verra pas, affirma son copain. Il est parti de l'autre côté de la grotte.

- Ne fais pas cela, répéta Béatrice. Tu vas nous attirer un malheur.

Mais François n'écouta pas son amie. Il prit une de ses billes, la posa sur la cuillère en or, plongea la cuillère dans la fontaine, puis ressortit la bille... en or! Il plaça une deuxième et recommença l'opération. Il fit de même avec la troisième et la quatrième.


Il venait de poser sa cinquième bille sur la cuillère en or, quand tout à coup, il entendit la voix du sorcier, qu'il avait négligé de surveiller, crier d'une voix forte.

- Alors, ce collier, ça avance?

Notre ami se saisit. Sa main trembla et la bille tomba au fond de la fontaine. Le garçon ne pouvait pas plonger les doigts dans l'eau pour aller la rechercher parce qu'il se serait transformé aussitôt en statue d'or.

Béatrice avait quasiment fini.

- Voilà, dit-elle pour créer une diversion. Je n'ai plus qu'à faire le nœud avec le fil en or. S'il vous plaît, monsieur. Votre collier est terminé.

L'homme s'en empara et le glissa autour de son cou.

- Je suis content, fit-il. Vous allez pouvoir partir et je vais même vous faire un cadeau.

 

François songeait à sa bille. Il pensait que tôt ou tard, le sorcier l'apercevrait dans cette eau parfaitement transparente, cristalline. Que se passerait-il alors?

- Monsieur ?

- Oui, répondit l'homme.

- Que se passe-t-il, si un objet, même petit, tombe au fond de votre fontaine et y reste?

- C'est terrible, répondit le sorcier. Il risque de cristalliser autour de lui toute la puissance de la fontaine. Or, cette fontaine commande les eaux de la forêt. Tous les arbres de la région vont périr, les plantes vont mourir, les rivières vont se tarir. Il ne restera que des pierres et de la terre desséchée.

Notre ami, effrayé à cette idée, fixa les yeux de l'étrange habitant.

Rassemblant son courage, l'honnête garçon se tourna et avoua. Le courage et la franchise, cela va ensemble.

- Pendant que vous ne regardiez pas, j'ai voulu transformer mes billes en or. Mais, surpris par votre arrivée, j'ai eu peur. La cinquième a glissé au fond de l'eau...

Le sorcier s'approcha du rocher blanc et regarda. Puis, plongeant la main dans la source, sans se transformer en statue d'or, sans doute parce qu'il était magicien, il ressortit la bille et la garda entre ses mains.

- Donne-moi les autres.

François les tendit toutes les quatre.

- Je devrais te punir et te transformer en statue d'or pour ce que tu as fait, mais j'apprécie ton courage, et j'admire ton honnêteté. Si, en plus, tu es malin, je te laisserai sortir. Et vous recevrez quand même votre cadeau.

- Je suis vif d'esprit, affirma François. Je suis presque le meilleur de la classe.

- Nous allons voir ça, grommela l'étrange habitant.

 

François attendait en silence.

- Voici ton problème. J'ai placé trois boîtes sur cette étagère. Une en or, une en argent et une en bois. Chacune contient une énigme. La réponse à l'une d'entre elles est très difficile à trouver. La deuxième un peu moins et la troisième est facile. Ouvre le coffret qui te semble contenir la plus simple et réponds juste. Ton amie ne peut pas t'aider.

Lequel choisirais-tu, toi qui lis cette histoire?

Le garçon fut d'abord tenté par les beaux coffrets en or et en argent qui brillaient, mais, n'était-ce pas un piège? Prudent, il choisit l'humble boîte en bois. Il s'en saisit et l'ouvrit. 

Il regarda et lut rapidement la question écrite.

- "Je suis rouge quand j'ai chaud et gris quand j'ai froid" .

Notre ami pensa immédiatement au charbon. Il répondit :

- Les braises d'un feu, rouges bien chaudes, mais grises une fois refroidies.

- Très bien. Je vois que tu es très futé. 

Si François avait choisi la boîte en or, la question qu'il y aurait découverte aurait été :

"Je suis l'écriture universelle".

Ça veut dire, la même du Japon au Pérou, de la Norvège à l'Australie, bref, partout dans tous les pays du monde.

Aurais-tu trouvé la réponse?

Ce sont les notes de musique. L'écriture musicale est la même pour tous sur la Terre.

Le coffret en argent présentait aussi une énigme :

"Pourquoi appelle-t-on « laveur », le raton laveur".

Tu le sais?

La réponse est qu'il donne l'impression de laver sa nourriture dans l'eau avant de la manger.


Le sorcier s'éloigna et toucha un levier. Le rocher s'ouvrit.

Il tendit alors à nos amis une bouteille brune bien fermée, de la taille d'une canette de limonade.

- Voilà votre cadeau, dit-il. Ce récipient contient de l'eau magique de ma fontaine. Si vous y plongez entièrement un objet, une pièce de monnaie, une petite auto, un stylo, il sera transformé en or. Il faut que la chose soit entièrement immergée à l'intérieur de la bouteille, sinon cela ne fonctionne pas.

Les deux enfants écoutaient.

- Par contre, si vous préférez transformer un animal ou n'importe quel être vivant en statue d'or, il vous suffit d'y tremper un bout de ses plumes, de ses poils, de son doigt ou de sa patte. Une patte d'araignée suffit pour transformer toute l'araignée en or. Le bout de la queue d'un cheval, un de ses crins, par exemple, suffit pour transformer tout le cheval en statue d'or, mais l'animal sera mort.

- Merci, monsieur.

- Je vous confie la bouteille. Le liquide qui s'y trouve ne fonctionnera qu'une seule fois ! Adieu. Ne revenez jamais ici...


Nos amis s'encoururent et sortirent de la grotte. Ils revinrent chez eux fort inquiets car très en retard. En chemin, François dit à Béatrice :

- J'ai une bonne idée. Je vais prendre l'une de mes petites voitures. Elle va entrer complètement dans la bouteille, et j'aurai une auto en or.

- C'est ça, s'indigna son amie. Et moi, j'aurai quoi ?

- Je te la prêterai, tu pourras jouer avec, proposa le garçon.

- J'ai aussi une bonne idée, enchaîna la fillette. Je vais prendre les souliers d'une de mes poupées et les attacher soigneusement entre eux. Je vais les plonger dans la bouteille et ainsi, j'aurai des souliers en or pour ma poupée.

- Et moi? demanda le garçon.

- Tu pourras tenir ma poupée dans les bras.

- Cela ne m'intéresse pas, affirma François.

- Alors, mets une patte de ton chien. Tu auras un chien en or.

- Tu deviens complètement folle? répliqua François. Pas question de faire mourir mon chien. Mets le doigt de ton petit frère Nicolas dans la bouteille. Tu auras un petit frère en or.

- Mon petit frère ! cria Béatrice. Je n'accepterai jamais que l'on fasse du mal à Nicolas.

 

Ils étaient prêts à se disputer, quand tout à coup, ils eurent la  bonne idée...

Ils achetèrent au magasin, pour quelques sous, deux petits anneaux en plastique.

Arrivés chez François, ils les nouèrent entre eux avec du fil de fer. Ils plongèrent l'ensemble à l'intérieur de la bouteille et obtinrent deux anneaux en or. Le fil de fer qui les attachait se transforma en or également. Ils emportèrent chacun une bague à la maison.

Le garçon donna la sienne à sa mère, et Béatrice fit de même avec l'autre chez elle. Les mamans, émues par le joli cadeau, oublièrent de gronder leurs enfants pour leur retard.

 

Il restait le fil d'or. Béatrice, futée demanda à son copain s'il en ferait quelque chose...

- Je ne vois pas bien à quoi cela peut servir, répondit le garçon.

- Alors, je le garde, décida sa copine.

Et depuis ce jour-là, elle noue sa queue de cheval avec un fil en or.


Et toi, qu'aurais-tu fait avec cette petite bouteille? Qu'aurais-tu transformé en or? Un de tes jouets? Une carotte? La patte d'une araignée? Ton chien? Ton petit frère ou ta grande sœur? À toi de réfléchir...