Béatrice et François

Béatrice et François

N°49

La pâte à modeler de Tabatunga

     Tu connais le nom de Tabatunga? Non, sans doute.

Ouvre un atlas. Cherche l'Amérique du Sud, le Brésil plus précisément. Suis le grand fleuve Amazone du bout de ton doigt. Tu apercevras un de ses affluents, près de la Cordillère des Andes. Là se trouve un village qui se nomme Tabatunga. Suis-moi je t'emmène un peu en amont, à Tabatunga, qui n'apparaît pas sur les cartes.

La rivière est limoneuse. Mais à Tabatunga, avant de se jeter dans l'Amazone, elle dessine un long méandre où la vase se pose, décantant les eaux venues des montagnes, puis de la jungle.

Et cette boue possède d'étranges propriétés... Les habitants du village en font un commerce, celui de pâte à modeler. La pâte à modeler de Tabatunga.


Béatrice est en deuxième année primaire. Son meilleur ami, François, sept ans et demi comme elle, habite dans la même rue. Ils se voient très souvent.

Ce jour-là, un vendredi, ils revenaient à deux à la maison de notre amie. Ils étaient ensemble parce que leur instituteur donne habituellement un devoir de calcul la veille du weekend, branche dans laquelle la fillette n'est pas très forte, quoique bonne élève, alors que François y excelle. Il accompagnait sa copine, pour lui expliquer bien à son aise et faire leur devoir ensemble.

La maman les accueillit avec un grand sourire.

- Ma chérie, il y a un paquet de tante Louise pour toi.

- Tante Louise du Brésil? interrogea Béatrice.

- Exactement.

- En quel honneur? 

- Pour ton anniversaire.

- Mais c'est dans trois mois! Chic, se réjouit Béatrice, elle s'est trompée. Tante Louise, la distraite, dit-elle en se tournant vers son ami.

Les cadeaux de cette dame sont toujours surprenants.

Béatrice en a déjà reçu plusieurs, à l'occasion de Noël, de la Saint Nicolas ou pour ses anniversaires précédents. Mais ces cadeaux ont souvent des effets bizarres, inattendus et parfois effrayants.

Découvre-les dans : Le chat et le chien, n°3; Le rouge et le jaune, n°4; Les peintures de tante Louise, n°5; Le savon de tante Louise, n°11; La plante de tante Louise, n°19.


Cette fois-ci, notre amie vit un gros paquet brun que ses parents avaient posé sur la table, dans la chambre de leur fille.

Béatrice demanda aussitôt de l'aide. Le paquet, en effet, était bien étrange. Une sorte de boue poisseuse, collante, s'était mise à dégouliner sur la table et même sur le tapis.

Maman posa le gros colis sur une bâche qu'elle étendit sur le sol, et puis, nos deux amis l'aidèrent à tout nettoyer.


Quand ils furent de nouveau seuls, Béatrice tira sur la ficelle pour tenter d'ouvrir son cadeau. La corde lui resta dans les mains. Elle était pourrie. Le papier d'emballage était gras, huileux, rebutant, abîmé. Elle ouvrit et découvrit une lettre en très mauvais état. Elle apparut comme brûlée sur les côtés et au centre.

Chère Béatrice, cette pâ... eler est très... euse. Elle provient du village de Tabatunga. Elle crée pour du vra... tu mode... y pensa... ta tante Louise.

Béatrice réfléchit au sens de cette lettre. Elle relut.

- Chère Béatrice.

- Cette pâte à modeler, proposa François.

- Bonne idée! s'écria la fillette. Cette pâte à modeler est très curieuse...

- Ou dangereuse, proposa son copain.

- Surtout baveuse, ajouta Béatrice. Elle provient du village de Tabatunga. Ça c'est clair. Elle crée pour du vrai. Oh oui! pour du vrai.

- Tu modes... Il manque le "s". Non, je sais... Tu modèles... C'est une pâte à modeler, murmura François.

- Ce que tu modèles... y pensa... Elle crée pour du vrai ce que tu modèles en y pensant. Ça veut dire quoi, ce charabia?

- Je n'en sais rien, fit le garçon. Mais si j'étais toi, je ne toucherais pas à cela en tout cas.

- Oh si! affirma Béatrice. Oh si! J'ai envie de créer quelque chose tout de suite. Si cela devient vrai ensuite, ce sera très amusant.

Elle enfonça ses doigts dans la pâte à modeler. Une araignée sortit du paquet.

La fillette retira ses mains en poussant un cri. La grosse araignée sauta sur le tapis, se glissa derrière le radiateur, grimpa le long du mur, parvint à l'appui de fenêtre, et tomba dans le jardin.

- Oh, quelle horreur! frissonna notre amie. 


Mais elle étala de la pâte sur la table. Elle façonna un visage et fut bien étonnée de constater la facilité avec laquelle on pouvait modeler n'importe quoi avec cette bizarre plasticine.

- Que fais-tu? demanda François.

- Regarde. Tu reconnais ton visage? dit la fillette en souriant.

- Oh non! Je ne veux pas que tu me fasses avec cette pâte à modeler. Je ne sais pas ce qui va m'arriver.

- Allons, se moqua Béatrice, qui s'entêtait à continuer. Tu es bien froussard tout à coup.

Elle en reprit et forma le corps puis un premier bras. Son ami donna un coup de poing et écrasa la figurine.

- Puisque c'est comme ça, cria François, je m'en vais.

Il sortit de la pièce en claquant la porte.

 

Béatrice, accrochée à son idée, poursuivit et façonna le corps de son copain.

Quand ce fut terminé, elle sourit, le regarda et appela.

- Voilà, François. C'est fini, tu peux venir voir.

Mais le garçon retournait chez lui.

Notre amie, un peu penaude, fit son devoir de calcul tant bien que mal. Puis soudain, intriguée de ne plus voir la statuette qu'elle venait de créer, elle la chercha partout, mais elle avait disparu.


Le soir, pendant le repas, le téléphone sonna. Le papa de François appelait pour demander que son fils revienne à la maison. On l'attendait pour le souper.

- Votre fils? s'étonna la maman de Béatrice. Il n'est plus chez nous. Il est parti vers quatre heures. Il s'est disputé avec son amie.

- Il n'est toujours pas arrivé, affirma le père du garçon. A-t-il dit où il allait?

- Non, maman, il ne m'a rien dit, expliqua notre amie au bord des larmes à sa mère.

Après le repas, elle prit sa douche, puis elle mit son pyjama et se glissa dans son lit. Ses parents vinrent l'embrasser. Puis elle s'endormit inquiète, en pensant à son ami.


Elle s'éveilla une heure plus tard, dans la nuit, car elle s'entendait appeler par son nom.

- Béatrice! Béatrice!

Elle se redressa et s'assit dans son lit. Cela venait de la fenêtre. Soudain, là, derrière la vitre entrouverte, elle aperçut François! Le garçon mesurait à peu près quinze centimètres en tout, des pieds à la tête!

- Mon Dieu, que t'arrive-t-il?

- C'est ta faute! Tu m'as façonné avec la pâte à modeler de Tabatunga et elle m'a créé pour du vrai. Je suis devenu soudain tout petit, dans la rue, en retournant chez moi.

Béatrice se taisait.

- Un chat m'a suivi et j'ai cru qu'il allait me croquer. Puis un chien voulait m'emporter. J'étais mort de peur. Et impossible de retourner chez moi. Alors, je suis entré dans ton jardin. J'ai escaladé la gouttière et me voilà. S'il te plaît, fais quelque chose pour moi.

- Qu'as-tu autour du cou? demanda la fillette.

Il portait à présent un anneau en or.

- Je ne sais pas. Il est apparu juste quand j'ai rapetissé.

Il le retira. Béatrice prit l'anneau en main. Elle s'apprêtait à le glisser autour de son poignet, mais elle interrompit son geste.

- Attends. S'il m'arrivait quelque chose de terrible comme les autres fois avec les cadeaux de tante Louise, je ne veux pas rester en pyjama. 

Elle le retira et passa une salopette verte, un t-shirt et des baskets, ses vêtements d'aventurière.

- Voilà. Je te promets que je vais t'aider, François. Je suis honteuse. Je n'ai pas été gentille. Je te demande sincèrement pardon.

- Je te pardonne, dit-il en murmurant, mais fais-moi grandir.

Béatrice glissa son copain dans la poche de devant de sa salopette. La tête du garçonnet dépassait tout juste. Il se tenait au bord avec les mains. On aurait dit une maman kangourou avec son bébé dans sa poche.

Notre amie passa l'anneau à son poignet. Elle fut aussitôt prise d'une sorte de vertige. Elle ferma les yeux un instant.


Quand elle les ouvrit, elle se trouvait au bord d'un lac, dans la nuit, sous le ciel noir, quoique rempli d'étoiles. Une belle demi-lune se reflétait sur les vaguelettes, soulevée par la brise. Plus loin, au milieu du lac, la fillette aperçut une île, couverte d'arbres assez grands. Dans un coin de l'île, vers la droite, elle observa une vieille tour en pierre.

Devant notre amie se trouvait une barque attachée à un piquet par une chaîne et un cadenas, dont bien sûr, elle ne possédait pas la clé. 

Béatrice redressa la tête. Au loin, sur l'île, venant de la tour, elle entendit sonner une cloche onze fois.

- Onze heures du soir, se dit-elle.

Elle frissonna.

 

Soudain, quelque chose remua derrière elle, dans les fourrés et les roseaux. Inquiète, elle se retourna, en posant sa main sur la poche de sa salopette pour effleurer François et se donner un peu de courage.

Un homme s'approcha d'elle. Il portait un pantalon en velours brun et un gros pull en laine.

- Tiens, une petite fille! Que fais-tu là? Tu ne devrais pas être dans ton lit à cette heure-ci?

- Cet anneau à mon poignet m'a conduite ici, répondit notre amie. Mon copain est devenu tout petit par ma faute, parce que j'ai joué avec de la pâte à modeler de Tabatunga.

- Il ne faut jamais fabriquer des animaux ou des humains avec cette pâte, s'écria l'homme. Elle possède un pouvoir étrange. Ce que l'on modèle avec cette pâte, devient réalité.

- Je m'en rends compte, murmura François, qui se tenait au fond de la poche.

- Que puis-je faire? demanda Béatrice.

- Si tu veux rendre une taille normale à ton copain, tu dois aller sur l'île et y affronter le maître de la tour. Je vais essayer de t'aider.

- Oh merci! monsieur.


- Pour cela, je dois te poser trois questions. Chaque fois que tu répondras bien, je te remettrai une feuille d'arbre. Une en or, une en argent et une en cuivre rouge. Tâche de les gagner toutes les trois. Ton copain peut t'aider.

- Je suis prête, affirma notre amie.

- Moi aussi, renchérit François.

- Première question, annonça l'homme. J'ai quatre ailes, je ne suis donc pas un oiseau, mais je vole. Que suis-je?

Après un instant de réflexion, Béatrice répondit:

- Une libellule.

- Bravo! Voici la feuille d'or.

Notre amie la confia à François qui la glissa près de lui au fond de la poche de la salopette de son amie.

- Deuxième question. Combien de taches noires a une coccinelle rouge adulte sur le dos?

François s'écria.

- Elle en a sept.

- Bravo! répondit l'homme. Voici la feuille argentée. Elle t'appartient.

- Troisième question. Qu'est-ce qui est le plus lourd? Un kilo de plumes ou un kilo de clous?

Il faut répondre que les deux ont le même poids, puisque dans les deux cas, il s'agit d'un kilo.

Mais là, Béatrice comme François se trompèrent en répondant trop vite un kilo de clous.

- Tant pis, fit l'homme. Vous ne recevrez pas la feuille rouge. Vous devrez la gagner sur l'île.

Il sortit une clé de sa poche, ouvrit le cadenas et détacha la barque. Béatrice y monta et saisit les rames.

- Pose le bracelet en or sur les planches du quai, demanda l'homme. Si tu reviens vivante de ton aventure, tu le glisseras à nouveau au poignet et il te ramènera chez toi. Bonne chance!

Notre amie s'éloigna sur le lac. Elle rama dans la nuit sombre, sous la lune.


Quand elle parvint au bord de l'île qu'une brume enveloppait, l'horloge de la tour sonna douze coups. Minuit...

Béatrice accosta et mit les pieds par terre... enfin, dans dix centimètres de boue. Elle en eut par-dessus ses tennis. Elle pataugea vers la terre ferme.

Immédiatement, elle vit arriver un homme de petite taille, très souriant. C'était un nain.

- Bonjour, que viens-tu faire sur l'île?

- On m'a dit que si j'allais dans la tour, mon copain pourrait retrouver sa taille normale.

- Exact, répondit l'homme. Pour cela, tu vas devoir affronter le maître de cette tour. Ce ne sera pas facile, je te préviens. Es-tu prête à passer des épreuves?

Béatrice hésita un instant.

- S'il le faut. Tout est de ma faute. Je me suis entêtée en jouant avec la pâte à modeler de Tabatunga. Alors, je suis prête à faire n'importe quoi pour rendre une taille normale à mon copain.

- Bien. Mais avant d'aller plus loin, tu vas devoir faire des choix, des choix difficiles, car je ne peux pas te donner d'indices. Que préfères-tu? De l'eau ou du sable?

Béatrice choisit l'eau.

- Et que veux-tu? Avoir trop chaud ou avoir trop froid?

Elle choisit le trop chaud.

- Enfin, dit l'individu, imagine que tu marches dans un tunnel étroit, une sorte de couloir, que choisirais-tu d'affronter? Un crocodile, des scorpions ou des guêpes?

Elle opta pour les guêpes, parce qu'il fallait bien se décider. Mais elle avait de plus en plus peur.

- Bon. Voici un dé. Glisse-le dans ta poche. Mais avant de partir, tu dois choisir deux chiffres. De un à six.

Elle retint le trois et le six.

- Voilà! Ne les oublie pas. Peut-être qu'ils te porteront chance... Il faudra que tu gagnes trois perles dans la tour, une dorée, une argentée, et une en cuivre rouge. À propos, combien as-tu remporté de feuilles?

- J'en ai deux, expliqua Béatrice. Une dorée et une argentée. Je n'ai pas obtenu la rouge.

- Tant pis pour toi, dit l'homme. Je ne puis pas t'aider plus.

Et il s'encourut.


Notre amie s'approcha de la tour et y entra prudemment. Le rez-de-chaussée était totalement vide. Des murs de grosses pierres grises, couvertes de toiles d'araignées. Elle grimpa un escalier et parvint au premier étage.

Là, dans une chambre poussiéreuse, elle s'approcha d'un grand coffre aux planches disjointes.

Soudain, horrifiée, elle vit une longue patte toute noire sortir du coffre, puis une seconde, une troisième, une quatrième, une cinquième, une sixième. Une horrible mouche de près d'un mètre se faufila entre les planches et regarda Béatrice avec ses deux gros yeux à mille facettes chacun. Puis d'une voix rauque, la mouche parla.

- Que fais-tu dans ma tour?

- Je viens affronter le maître, pour que mon copain François retrouve sa taille normale qu'il a perdue par ma faute, car j'ai joué avec de la pâte à modeler de Tabatunga.

- Je suis maître de cette tour, affirma la mouche. Qu'as-tu choisi avec le nain?

- L'eau, le chaud et les guêpes.

- Pas facile! Il te faudra bien du courage. Sors par la porte, là à gauche, et bonne chance. Je t'accompagne. 

Béatrice aperçut une grille d'à peine cinquante centimètres de haut et quatre-vingts de large. Elle l'ouvrit. Derrière, commençait un toboggan. Ne voulant pas y glisser la tête en avant, comme elle fait parfois à la plaine de jeux, elle s'y plaça les pieds devant, puis se laissa aller. Elle fit trois tours en accélérant sans cesse et atterrit dans de l'eau. Son premier choix.


De l'eau particulièrement sale, répugnante, celle d'un égout... Ça sentait le poisson pourri. Des détritus flottaient à la surface.

Notre amie se redressa, ruisselante de la tête aux pieds. Sa longue queue de cheval trempée collait sur elle, comme ses vêtements sales à présent. François était tout mouillé dans la poche. Il avait failli boire la tasse.

La fillette entendit la voix de la mouche.

- Tu dois trouver une perle en or dans cette eau. Mais d'abord, tente d'échapper aux rats, aux deux rats qui s'approchent de toi.

Elle vit avec effroi, dans la vague lueur du souterrain dans lequel elle se trouvait, le sillage de deux énormes rats qui nageaient vers elle.

- S'ils te mordent, ils te donneront une maladie effroyable et mortelle. La peste. Lance ton dé et arrange-toi pour éviter de faire l'un des deux chiffres que tu as choisis, sinon les rats t'attaqueront.

Béatrice lança son dé et réussit à faire un cinq. Les deux rats s'éloignèrent.

Elle dut patauger dans l'eau sale. Et soudain, sous la semelle usée de ses tennis, elle sentit quelque chose d'arrondi. Elle trouva le courage de plonger dans l'eau crasseuse, après avoir posé François sur une grosse pierre. Elle sortit une perle en or. Elle la glissa dans la poche de sa salopette, près de la feuille en or et de celle en argent ainsi que du dé qu'elle gardait précieusement. Elle replaça son copain en poche et s'apprêta à affronter la deuxième épreuve.

Si elle avait fait un trois ou un six, elle n'aurait pas pu ramasser la perle d'or, à cause des rats, et aurait dû monter à l'échelle située près d'elle, directement.

Si Béatrice avait choisi le sable au lieu de l'eau, à la fin du toboggan, elle aurait roulé dans une sorte de dune et là, aurait risqué de s'enfoncer dans des sables mouvants. En jouant au dé, elle aurait peut-être réussi à éviter de s'enliser. En cas de trois ou de six, elle serait remontée à l'échelle, mais n'aurait pas emporté la bille en or.


Notre amie gravit les échelons rouillés et parvint dans une chambre. Elle se mit à transpirer. Il y régnait une chaleur épouvantable. Une chambre sans fenêtre, sans aération, mais à l'angle de chaque mur, se trouvait une cheminée à feu ouvert et des grandes flammes y dansaient. Il faisait atrocement chaud, son choix.

- Prends la perle argentée qui se trouve dans un des foyers au milieu des braises.

Elle l'aperçut mais n'osa pas tendre la main, par crainte de se brûler.

- Lance le dé. Si tu fais le trois ou le six, que tu as choisis, tu seras obligée de quitter ce lieu immédiatement.

Béatrice lança le dé et fit un trois. Elle ne put donc pas tenter de prendre la perle argentée. Elle dut monter par l'échelle à la chambre supérieure.

Si elle avait fait autre chose qu'un trois ou un six, elle aurait pu saisir rapidement la perle au milieu des braises sans se brûler et la glisser dans sa poche.

Si elle avait choisi le froid au lieu du chaud, elle serait arrivée dans une grotte dont le sol était un lac gelé. Elle aurait aperçu la perle argentée sous la couche de glace. En jouant avec le dé, elle aurait peut-être réussi, en évitant le trois et le six, à ne pas mourir gelée en plongeant dans l'eau froide. Il lui aurait quand même fallu un fameux courage. Si elle avait fait un trois ou un six, elle n'aurait pas pu obtenir la perle d'argent et aurait dû sortir de la pièce glaciale, qui la faisait trembler de froid.


Béatrice monta donc à l'échelle sans ramasser la perle argentée. Elle déboucha dans un couloir qui ressemblait plutôt à un long égout. Cela sentait mauvais. C'était de nouveau sale et mal éclairé. Mais surtout, très rapidement, elle perçut un bruit qu'elle reconnut bientôt. Celui de centaines de guêpes qui volaient et venaient vers elle. Elle entendit la voix de la mouche.

- Lance ton dé. Mais cette fois-ci, tu dois réussir à faire un trois ou un six, sinon, sauve-toi, tu risques d'être piquée des dizaines de fois.

Béatrice lança le dé et parvint à faire un trois. Les guêpes s'éloignèrent et notre courageuse amie ne les entendit plus. Elle avança à quatre pattes dans ce cloaque infernal, toucha une perle, une perle en cuivre rouge qu'elle glissa dans sa poche.

 

Si elle avait fait autre chose que trois ou six, elle aurait risqué d'être piquée par les guêpes et aurait dû s'enfuir, sans pouvoir prendre la perle.

Si Béatrice avait choisi de rencontrer des scorpions, elle aurait dû jouer un trois ou un six pour éviter d'être piquée par eux.

Si elle avait choisi le crocodile, elle aurait dû faire un trois ou un six, afin que le crocodile soit endormi au moment où elle passait près de lui pour chercher la perle.

 

Elle monta encore à l'échelle rouillée. Elle parvint dans la pièce du premier étage de la tour.

- Bien! Pose devant moi ce que tu as trouvé.

- J'ai une feuille d'argent, une feuille d'or, une perle en or et une perle rouge et pas la perle d'argent et pas la feuille rouge.

- Tu vas devoir les gagner en risquant ta vie, murmura la mouche.

Elle frappa le bord de la caisse avec chacune de ses six pattes et six champignons apparurent. Un blanc, un rouge, un bleu, un jaune, un vert et un noir.

La mouche posa un carton noir devant elle.

- Sur ce carton est indiquée la couleur du champignon vénéneux. Les cinq autres ne te feront aucun mal. À toi de choisir. Mange un champignon, je te donnerai la feuille qui te manque. Mange un second et tu recevras la perle d'argent. Si tu choisis le champignon vénéneux, tu mourras.

Béatrice hésita. François n'osait rien dire. Enfin, elle se décida. Elle opta pour le blanc, puis le vert. Elle les mangea et ne fut pas malade. La mouche ouvrit le carton noir, la couleur du champignon vénéneux était écrite. Le jaune!

 

Si Béatrice avait mangé le champignon jaune, elle se serait évanouie. François serait sorti de la poche et aurait supplié la mouche de lui permettre de tenter une épreuve pour réussir à sauver sa copine. La mouche lui aurait donné sa chance, en une seule épreuve. La mouche aurait demandé: "Que faut-il ajouter à du jaune pour obtenir du vert?" Et François aurait dû répondre, bien sûr, "du bleu". En répondant cela, il aurait compris qu'il fallait manger le champignon bleu pour faire contrepoison au champignon jaune. Il l'aurait cueilli et l'aurait poussé dans la bouche de sa copine évanouie. Et Béatrice serait revenue à elle.

 

- À présent, montez dans la chambre supérieure. Vous y verrez un petit arbre japonais, un bonsaï. Que le garçonnet l'escalade, et toi, accroche ensuite les feuilles et les perles aux endroits prévus.

La mouche retourna dans sa caisse.


Béatrice grimpa l'escalier, parvint au deuxième étage et aperçut le bonsaï. Elle plaça son copain contre l'arbre. Le garçon s'y accrocha. Ils avaient à peu près la même taille. Béatrice fixa les trois feuilles et les trois perles qu'elle avait gagnées. L'arbre aussitôt se mit à grandir et François en même temps que lui. Il retrouva sa taille normale. Il sauta au cou de son amie et la félicita pour son courage.


Béatrice lui prit la main. Ils redescendirent les escaliers en courant, retrouvèrent la barque et quittèrent l'île. Ils ramèrent le plus rapidement qu'ils pouvaient en direction du quai. Quand ils y accostèrent, l'horloge de la vieille tour sonna une heure du matin.

Notre amie saisit le bracelet d'or qu'elle avait laissé sur les planches. Elle le glissa à son poignet, serra bien fort la main de son ami, puis, pris de vertige tous les deux, ils fermèrent les yeux.


Quand ils les ouvrirent, ils se trouvaient dans la chambre de Béatrice. Sains et saufs! Elle courut à celle de ses parents et présenta François. On appela immédiatement le papa et la maman du garçon et ils eurent bientôt le bonheur de pouvoir serrer leur enfant dans leurs bras.

 

Notre amie n'a jamais façonné d'animaux avec la pâte à modeler de Tabatunga. C'est bien trop dangereux. Elle se contente d'ébaucher quelques fleurs jolies. Elles forment des ravissants bouquets, pour du vrai.

Décidément, les cadeaux de tante Louise sont bizarres. Ils sont signés: l'aventure.