Patricia

Patricia

N°3

Un SMS de trop

     Patricia, onze ans, descendit le grand escalier et retrouva son petit frère Mickaël, six ans, devant la porte de sa classe. Le couloir, encombré à 15 H 30 par les enfants qui se dirigent vers la cour de récréation, bourdonnait de babillages, de sourires et de cris.

Le frère et sa grande sœur se dirigèrent vers les grilles de sortie de l'école. Inutile de regarder vers les parents, les leurs ne s'y trouvaient pas. Patricia serrait la clé de leur appartement dans la poche de son jean.

Ils suivirent tous deux un instant le trottoir de la large avenue, traversèrent, longèrent la plaine de jeux, puis marchèrent le long des façades et des jardins.

Arrivés devant leur immeuble, ils empruntèrent l'escalier et s'arrêtèrent au quatrième étage. L'ascenseur est interdit aux moins de douze ans, s'ils ne sont pas accompagnés.

Patricia ouvrit la porte de l'appartement et Mickaël se précipita vers la table de la cuisine où maman ou papa laissent toujours un goûter à leur intention.

La jeune fille y découvrit une enveloppe, adressée à son nom. Elle reconnut l'écriture de son père.

Elle l'ouvrit et lut.

"Ma chérie, redescends. Traverse la rue. Entre chez le libraire situé au coin du boulevard. Observe son présentoir à livres. Tu y découvriras : "Le carnaval des dieux" de Robert Ruark. Achète-le. Demande un emballage cadeau. Attention. Un message à ne pas égarer est glissé dans ce livre. Puis reviens chez nous. Emmène Mickaël. Papa."

L'enveloppe contenait un billet de cinquante euros. 

Patricia prit la main de son petit frère et descendit l'escalier. Elle traversa la rue et entra chez le libraire. Personne, sauf le vendeur qui lisait assis près de sa caisse.

Elle trouva le livre, le prit et le feuilleta. Elle aperçut une enveloppe fermée. Elle se présenta à la caisse.

- Ce livre ne s'adresse pas aux enfants, affirma le commerçant.

- C'est un cadeau pour mon père, répondit la jeune fille.

L'homme l'emballa. Notre amie paya, glissa la monnaie en poche et sortit du magasin. Elle revint à l'appartement avec Mickaël.

Au soir, elle remit le livre à son père.


Patricia lisait dans son lit avant d'éteindre la lumière. Papa entra et s'assit près d'elle.

- Merci pour tantôt, dit-il, tu m'as rendu un grand service.

- Quand tu veux, répondit la jeune fille en souriant.

Son père marqua un temps de silence. Il semblait hésiter avant de reprendre la parole.

- Accepterais-tu de m'aider encore? dit-il soudain.

- Bien sûr.

- Tu sais quel métier je fais, ma chérie.

- Tu es policier.

- Oui, mais un policier un peu spécial. Je ne m'occupe pas de la route, des contraventions ou des voleurs à la tire. Mon travail consiste, avec l'équipe que je dirige, à poursuivre des bandits particulièrement dangereux, à travers le monde. Des bandes organisées, internationales, qui menacent la sécurité de pays entiers. On m'a confié, depuis quelques jours, une affaire extrêmement grave.

Patricia écoutait étonnée. C'était la première fois que son père lui parlait ainsi. Il continua.

- Je poursuis une bande de criminels. Ils ont volé des missiles à têtes nucléaires, des fusées chargées de bombes atomiques, si tu veux. Elles sont cachées quelque part, personne ne sait où. Ils vont tenter de les revendre à un dictateur, un dirigeant de pays, qui ne pense qu'à faire la guerre, au lieu de construire des routes, des maisons, des écoles, des hôpitaux pour sa population. 

Notre amie se taisait et réfléchissait.

- Je suis une piste intéressante, grâce à quelqu'un qui, pour une raison ou pour une autre, me confie des indications assez précises, mais incomplètes actuellement. L'enveloppe du livre que tu as acheté pour moi tantôt en contenait. Je t'y ai envoyée pour que personne ne découvre que je mène l'enquête sur cette affaire. Cet individu reste anonyme, sans doute pour sa sécurité. Il va encore me contacter. Puisque tu acceptes de m'aider, je te donne ce téléphone portable. Tu le prendras avec toi en classe.

- On ne peut pas, Papa. Pas de GSM à l'école. Point numéro deux du règlement.

- Tu le cacheras au fond de ton cartable. Et c'est un secret. N'appelle pas tes copines ou tes copains avec. Ne révèle jamais, en aucun cas, et à personne, que tu l'as avec toi. En sortant de l'école, à 15 heures 30, tu l'allumeras chaque jour, et tu regarderas si je t'ai envoyé un SMS. Tu oseras?

- Oui, répondit Patricia avec fierté. Et tu peux me faire confiance. Je n'en parlerai à personne. Promis.

- Évite que Mickaël l'aperçoive.

- D'accord. J'irai avec lui à la plaine de jeux en face de l'école et j'allumerai le portable pendant qu'il jouera sur les balançoires.

- Merci pour ton aide, ma chérie. J'espère régler l'affaire en une ou deux semaines.


Deux jours plus tard, Patricia quitta l'école après la classe. Elle prit Mickaël par la main.

- On s'arrête un moment à la plaine de jeux, annonça la jeune fille.

Le petit garçon ébaucha un grand sourire et fila droit vers les balançoires. Notre amie alluma le portable et accéda aux messages. Elle en trouva un.

"Va au supermarché "proxy", juste derrière notre rue. Examine le tableau où des annonces sont affichées. Tu en découvriras une proposant la vente de chatons. Emporte ce carton avec toi. Ne perds pas l'enveloppe collée juste derrière. Merci. Papa."

Elle effaça le SMS et éteignit le portable qu'elle rangea au fond de son cartable.

- Viens, Mickaël.

- On part déjà?

Patricia se dirigea vers l'entrée du supermarché. Elle s'approcha du tableau d'affichage. Une vieille dame fouillait dans des magazines à la recherche de bons de réduction. Un homme jeune faisait tourner son stylo à bille entre ses doigts en lisant les annonces.

Notre amie, guère rassurée, l'observa un instant. Un espion?

Elle se tourna et lut les messages. Elle repéra aussitôt celui proposant des petits chats à vendre. Elle le détacha et le glissa dans la poche arrière de son jean.

Elle prit la main de son petit frère et sortit sans se retourner.

Elle parvint sans encombre à l'appartement, fit goûter Mickaël et s'attela à ses leçons pendant qu'il jouait au salon.

Au soir, elle remit l'enveloppe à son père, qui la félicita.


Le lendemain, un jeudi, la directrice de l'école appela Patricia juste au moment où son rang se dispersait dans la cour de récréation.

Elle fit remonter notre amie jusque devant la porte de la classe. Elle ouvrit avec son passe-partout. Deux policiers accompagnaient et observaient la jeune fille.

- As-tu un téléphone portable? demanda la directrice.

Notre amie sentit soudain son cœur battre la chamade dans sa poitrine.

- Ne nous mens pas. Nous allons fouiller ton cartable, lança un des policiers.

Patricia est toujours franche. Mais elle ne voulait pas trahir son père ni sa parole donnée de ne parler à personne de cet appareil.

- Non, madame, répondit-elle.

- Où se trouve ton banc?

Notre amie eut soudain une idée lumineuse. Il fallait oser. Elle prit le risque.

- Ici, madame, dit-elle en indiquant le cartable de son amie Chloé, sa voisine en classe.

Les policiers vidèrent le sac, et bien sûr, ne trouvèrent rien. Ils ne songèrent pas à vérifier les étiquettes sur les cahiers de Chloé.

Tout le monde ressortit et la directrice referma la porte à clé. Patricia rejoignit ses copines.


Au soir, après avoir écouté le récit de sa fille, papa expliqua que ces deux hommes n'étaient pas des policiers. Ils faisaient sans doute partie de la bande qui avait volé les missiles à têtes nucléaires. Ils avaient trompé la directrice.

- L'enquête avance à grands pas, ajouta-t-il, mais le danger augmente d'autant plus.

Le papa de notre amie lui proposa de reprendre le téléphone portable, si elle voulait. Courageuse et fière d'aider son père, elle choisit de le conserver encore quelques jours. Il le lui laissa, après un instant d'hésitation, vu le danger.


Le vendredi après-midi, Patricia quitta l'école avec un "bon weekend" à ses copines. Elle prit Mickaël par la main et traversa la rue. Le petit garçon se précipita vers une balançoire libre de la plaine de jeux. La grande sœur s'assit sur un banc au soleil. Elle avait un peu chaud dans son t-shirt et sa salopette en jean bleu. Elle alluma le GSM et découvrit un nouveau message.

"Descends le boulevard qui mène au port. Suis les quais et repère le grand porte-conteneur appelé "IRZA BEKIAN". Monte par la passerelle avec ton petit frère et dirige-toi vers l'avant du navire. Un ami viendra t'y chercher et te conduira à ma cabine. Papa."

Patricia appela Mickaël. Ils descendirent vers le port. Notre amie se souvint avoir suivi le même trajet, sous la menace d'un bandit, quelques temps auparavant. Cela ne la rassurait pas. (Lis ou relis : l'assassin est juste derrière toi. Patricia 2).

Ils longèrent les rails souvent encombrés de longs trains de wagon qui livrent les immenses conteneurs aux grues qui les chargent sur les grands bateaux. Cela sentait le cambouis et le mazout.

Elle s'approcha d'un navire plus grand que les autres. Une construction blanche de cinq étages barrait le pont au trois-quarts arrière. Le poste de pilotage, situé tout en haut, semblait défier l'horizon.

Elle lut "IRZA BEKIAN", écrit en lettres noires à l'arrière du bateau.

La grande sœur, donnant toujours la main à Mickaël, emprunta la passerelle et se dirigea vers l'avant du paquebot.

Elle s'assit un instant sur des caisses en bois tandis que son petit frère observait, fasciné, les grandes grues au travail.

Un homme, en costume de marin s'approcha de notre amie, lui demanda son nom, puis l'invita à le suivre.

Elle entra dans le bâtiment blanc par une petite porte arrière entrouverte. Cuisines au rez-de-chaussée, mess et cabines aux étages, et tout en haut le poste de commande de navigation.

L'homme ouvrit la porte d'une cabine au premier étage. Patricia entra avec Mickaël. Le marin arracha le GSM qu'elle tenait à la main, puis referma la porte d'un coup sec et tourna une clé dans la serrure. Personne ne se trouvait dans la pièce où notre amie et son frère se tenaient enfermés. Kidnappés. Prisonniers.

La jeune fille pensa au GSM. Elle comprit son erreur. Mais ce n'était pas sa faute. C'était un SMS de trop..., envoyé sans aucun doute par les bandits que son père poursuivait.


Notre amie regarda autour d'elle. Mickaël venait de comprendre, lui aussi, et pleurait à chaudes larmes.

- Courage, petit frère. On va réussir à sortir d'ici et à retourner à la maison.

- Tu crois vraiment?

- Oui. Et je reste à tes côtés. Je ne t'abandonnerai jamais.

Elle s'approcha de la fenêtre, un simple hublot, et vit avec inquiétude que le navire quittait le port.

La porte s'ouvrit. Un homme entra, vêtu d'un costume d'officier de la marine. Plusieurs galons dorés décoraient la manche droite de sa veste bleue. Le commandant du navire, sans doute, songea Patricia.

- Écoute-moi bien, fillette, dit-il. On ne vous fera aucun mal à toi et à ton petit frère. Tenez-vous tranquilles, ne nous embêtez pas et vous serez libres de circuler comme vous voulez et où vous voudrez à bord. Sauf pendant nos temps d'arrêt dans un port. Vous prendrez vos repas avec nous au mess. Si tu tentes quoi que ce soit ou que tu nous causes des ennuis, vous souffrirez, tous les deux.

Il tourna les talons et sortit. Un marin qui l'accompagnait, referma la porte, mais pas à clé.

Les deux enfants quittèrent leur cabine et passèrent sur le pont principal. Au loin, on distinguait la côte, les grues, le port, la ville. Ils observèrent ce paysage dont ils s'éloignaient, la mort dans l'âme, en pensant à leurs parents.

Après le repas du soir, Patricia revint à la cabine et installa Mickaël en haut, sur le lit superposé. Le petit garçon finit par s'endormir les joues baignées de larmes.

Sa sœur attendit un peu, pour être certaine de son sommeil, puis elle sortit explorer le bateau. Elle croisa plusieurs marins, indifférents à ses craintes, à sa peur.

Puis elle revint à la cabine, se coucha sur le lit du bas et s'endormit à son tour.


Le lendemain, notre amie décida de visiter le navire, sa prison, de fond en comble, en compagnie de Mickaël. Elle déambula de la proue à la poupe.

Elle remarqua, en longeant les immenses caisses-conteneurs, deux d'entre elles, éventrées à l'avant. Elle y jeta un coup d'œil curieux et observa quatre pointes de fusées. Les missiles volés?

Elle revint vers les cuisines et s'arrêta un instant au mess, le temps de boire une limonade avec son frère. Puis elle visita les deuxième et troisième étages. Les couloirs donnaient accès aux cabines de l'équipage.

Au quatrième, se trouvait le bureau du commandant. La porte ouverte lui permit d'entendre quelques mots d'une conversation. Elle n'en comprit pas grand-chose.

Puis ils parvinrent au cinquième étage. Le poste de pilotage du navire. Les quelques hommes qui s'y trouvaient ne leur prêtèrent guère attention. Ils redescendirent sur le pont principal.

- Midi, dit-elle à son frère. Le soleil se trouve presque au-dessus de nous. Il s'est levé à notre gauche. L'Est. Nous voguons donc vers le Sud...Si je pouvais...Si j'osais...


Patricia s'éveilla dans la nuit. Le grand navire tanguait. Le ciel s'illuminait d'éclairs. Le tonnerre grondait. La pluie battait les hublots. Le vent sifflait sa rage.

Minuit. Mickaël dormait à poings fermés.

La jeune fille se leva, quitta la cabine et mit son plan en action. "Ils sont tous en alerte à cause de la tempête", se dit-elle. "Peut-être pourrais-je atteindre le bureau du capitaine sans être repérée et envoyer un courriel à mes parents".

Elle monta trois étages.

La porte du commandant était ouverte, l'ordinateur allumé, posé sur la table.

Personne.

Elle entra, s'assit et tapa sur le clavier l'adresse de son père.

"Papa. Mickaël et moi sommes prisonniers sur un porte-conteneurs. L'IRZA BEKIAN. Nous voguons vers le Sud. Je crois avoir vu une ogive nucléaire à bord. Ne réponds pas à ce message. Patricia."

Elle envoya le texte, puis l'effaça. Elle sortit du bureau précipitamment. Elle ne croisa personne en retournant à sa cabine.


Le navire continuait sa route. La chaleur devenait accablante.

Deux jours plus tard, à l'aube, notre amie aperçut à l'horizon de la mer une montagne ceinturée de brumes à sa base et couverte de neige, au sommet. On s'en approchait.

Deux marins les forcèrent, elle et Mickaël, à retourner dans la cabine. Ils fermèrent la porte à clé.

Le bateau accosta. On chargea et déchargea des caisses, des sacs, quelques conteneurs.

Patricia observa le bassin du port par le hublot. L'eau sale, mazoutée à certains endroits, un peu vaseuse dans les remous, venait clapoter en vaguelettes contre la coque du navire, deux étages plus bas. La jeune fille se tourna vers son frère.

- Mickaël, dit-elle, je ne t'abandonne pas. Je te l'ai bien promis. Mais j'ai peut-être l'occasion de me rendre à un bureau de police. Je vais sortir par le hublot et me laisser tomber dans l'eau. Je nagerai jusqu'au quai. Là, je courrai vers le premier gendarme que je verrai et je reviendrai te délivrer à ton tour...

De la tête, le petit garçon fit signe qu'il comprenait.

Sa sœ‏ur se mit torse nu et pieds nus, ne gardant que sa salopette en jean sur elle, puis elle ouvrit le hublot. Elle se glissa sur le ventre, en arrière, les pieds puis les jambes dans le vide. Collée contre la coque blanche du bateau, elle se retint un instant par les mains, puis, courageuse, se lâcha.

Elle s'enfonça dans l'eau sale et remonta aussitôt à la surface. Elle nagea le long du bateau et aperçut une échelle en fer accrochée au béton du quai. Elle l'escalada.

Elle courut le long d'un train à l'arrêt, en s'éloignant de l'IRZA BEKIAN, et en se baissant pour qu'on ne la voie pas. Elle s'approcha, hors d'haleine d'un docker qui poussait une brouette.

- Aidez-moi, s'il vous plaît. Où se trouve le poste de police?

L'homme répondit quelque chose en espagnol.

"Zut", s'impatienta la jeune fille qui ne comprenait rien.

Levant les yeux, elle vit, peint en grand sur un entrepôt : "Santa Cruz de Tenerife". Les îles Canaries. On y parle espagnol.

Passant une arcade, elle se retrouva dans une rue animée, envahie d'odeurs d'huiles et de poissons.

Personne ne prêtait attention à cette gamine, pieds nus, vêtue d'une salopette sale et qui ressemblait à d'autres enfants pauvres, en loques, traînant sur le trottoir, en quête d'un petit travail ou de quelques sous.

Elle remontait vers le haut de la ville quand un véhicule tout terrain s'arrêta près d'elle. Trois marins en sortirent qui s'emparèrent d'elle, la forçant à entrer dans la voiture. Elle reconnut le commandant de l'IRZA BEKIAN, assis au volant. Ils la reconduisirent dans sa cabine.


Une heure plus tard, deux membres de l'équipage accompagnèrent leur capitaine à la chambre de nos amis. Sur son ordre, ils soudèrent le hublot.

- Ainsi, déclara le commandant de bord, tu n'iras plus te baigner dans l'eau des ports ni entreprendre des excursions inutiles. Tant pis pour vous deux si vous souffrez de la chaleur, faute d'aération. Je t'avais prévenue, fillette. Il faut rester sage.

Ils sortirent sans un mot. La salopette encore humide de Patricia était sale et le resta. Elle ne disposait d'aucun autre vêtement pour se changer.


Deux jours plus tard, des côtes avec leurs plages de sable apparurent sur la gauche. Notre amie entendit les mots "Cap Vert", sans savoir que ces îles se situent au large des côtes africaines.

Le commandant en second et un marin forcèrent les deux enfants à les suivre vers la salle des machines, dans les cales surchauffées.

- Des garde-côtes montent à bord et vont fouiller le navire, expliqua l'un d'eux. Ils vous cherchent. Le capitaine se demande qui les a avertis.

Les deux hommes emprisonnèrent nos amis dans un minuscule réduit, sans hublot, sans lumière, étouffant. Ils fermèrent la porte en fer à clé.

Patricia et Mickaël n'entendirent plus rien. Ils eurent beau appeler, crier, pleurer, personne ne vint. Les policiers montés à bord se contentèrent de visiter les cabines, le mess, les cuisines, le poste de commandement, le pont principal. L'un deux descendit quelques marches de l'escalier menant à la salle des machines, mais renonça à cause de l'obscurité et de la chaleur étouffante.

Notre amie, assise dans un coin, désolée de ne pas pouvoir agir pour signaler sa présence, sentit un objet près d'elle, au sol. Elle s'en saisit et y fit glisser ses doigts.

- Un tournevis, dit-elle.

Elle le dissimula au fond de la poche bavette de sa salopette.

Elle le cacha ensuite sous son matelas quand on vint lui ouvrir, trois heures plus tard, et qu'elle put rejoindre sa cabine avec son petit frère.

On était déjà loin des côtes.


Quatre jours passèrent. Il faisait de plus en plus chaud. Patricia, inquiète, ne voulait pas partager ses craintes avec son petit frère. Mais elle se demandait où on l'emmenait et pourquoi elle demeurait sans signe, sans nouvelle, de ses parents. Que ferait-on d'elle et de Mickaël une fois arrivés à destination?

Soudain le navire vira de bord et emprunta un large et puissant fleuve. Lequel? se demanda-t-elle.

Les berges disparaissaient derrière des haies de roseaux sauvages. Elle aperçut quelques villages de huttes ou de maisons basses. Elle en conclut qu'elle se trouvait en Afrique.


Enfin, le lendemain après-midi, on arriva en vue d'une ville accrochée au flanc d'une colline et d'un grand port. Elle aperçut un alignement de hangars et de grues.

Deux marins l'obligèrent à réintégrer sa cabine avec Mickaël et les enfermèrent à double tour.

Aussitôt Patricia saisit le tournevis qu'elle avait dissimulé sous son matelas l'autre jour et entreprit de démonter la poignée de la porte. Elle réussit à ouvrir quelques instants plus tard.

Elle prit son petit frère par la main, sortit, et referma derrière elle.

La jeune fille suivit un couloir puis descendit un escalier, heureusement sans croiser personne. Ils devaient tous être occupés à charger ou à décharger le bateau.

Elle parvint à la passerelle qui menait au quai. Les deux enfants l'empruntèrent en courant. Ils se retrouvèrent sur le béton gris, taché de cambouis, le long d'un train de marchandises.

Quelqu'un cria.

Patricia se retourna. Un marin de l'IRZA BEKIAN la montrait du doigt. Elle reprit la main de son frère et courut sans le lâcher.

- On se glisse sous ce wagon, ordonna-t-elle, pour se cacher à l'abri des regards.

Ils rampèrent entre les roues en acier. Un autre train de marchandise se mit en route sur la voie juste à côté.

- Tâchons d'y monter, lança notre amie.

Un wagon offrait un petit espace vide derrière une énorme citerne peinte en blanc. Une petite échelle s'y trouvait accrochée. Patricia aida Mickaël à escalader les quatre échelons en fer. Le convoi prenait de la vitesse. La jeune fille réussit pourtant à rejoindre son frère, en courant.

- Ouf, dit-elle, à court d'haleine. Ils ne nous rattraperont plus.


Le train roulait depuis plusieurs heures. Le paysage défilait. Ils traversèrent une zone de montagnes. Les rails longeaient le cours impétueux d'un torrent. Puis ce fut la savane. Quelques rares collines, des petits bois maigres, des hautes herbes. Parfois une piste ensablée traversait la voie. Ils dépassèrent quelques petites gares qui semblaient désertes.

Le soleil, étouffant, allait toucher l'horizon dans un embrasement de rouge et d'orange éblouissant.

- J'ai soif, se plaignit Mickaël. Et faim.

- Moi aussi. Mais on devra attendre que le train s'arrête, répondit Patricia en l'asseyant sur ses genoux.

- On était mieux sur le bateau. Là on recevait à manger et on dormait dans un lit.

- On était prisonniers, fit remarquer la grande sœur.

Ils roulèrent toute la nuit.


L'aube les tira d'un mauvais sommeil, pourtant bercé par le rythme régulier des roues passant les soudures des rails. Le convoi ralentissait.

Les deux enfants découvrirent des maisons, des gratte-ciels, des entrepôts. On arrivait en gare dans une ville. Le train allait enfin s'arrêter.

Patricia fit descendre son frère le long du rail, puis ils le longèrent, contournant les derniers wagons. Ils traversèrent plusieurs voies désertes et filèrent vers une haute clôture en mauvais état. Ils n'étaient ni les premiers ni les derniers à se faufiler par là.

Notre amie interrogea une dame qui tenait un bébé dans les bras. Elle parlait français. Elle lui indiqua l'emplacement du poste de police.

Passant devant la gare, la jeune fille lut : "Kinshasa". Elle crut se souvenir que c'est la capitale de l'ancienne colonie belge, le Congo, au centre de l'Afrique.

L'accueil chez les policiers fut attentif et généreux. Les deux enfants reçurent sandwiches et boissons, et racontèrent à un commissaire toutes leurs aventures depuis le SMS reçu à la sortie de l'école. Il prit aussitôt contact avec son collègue, le père de notre amie.

Au soir, Patricia et Mickael retrouvèrent enfin leurs parents.

Leur papa expliqua que grâce au courriel envoyé par sa fille depuis l'IRZA BEKIAN, le navire était suivi et surveillé, discrètement.

Une fouille peu méticuleuse au large des îles du Cap Vert, n'avait pas permis de retrouver nos amis, enfermés, on s'en souvient, dans un réduit étouffant au fond de la cale des machines.

Puis à Matadi, hier, des policiers, secondés par des militaires prirent le bateau d'assaut. Les marins et leur chef, le capitaine, furent vite maîtrisés et emmenés en prison. Les missiles furent déchargés sur les quais puis démontés. Les têtes atomiques désactivées. Mais pas la moindre trace des deux enfants...qui s'étaient sauvés en montant dans un train.

- Pardonne-moi, ma chérie, ajouta le père de notre amie. Tous tes malheurs viennent de ce téléphone portable que je t'avais confié. Mais j'admire ton courage et ta débrouillardise. Mickaël a la chance d'avoir une grande sœur pareille.

- C'était un SMS en trop, papa, mais je ne le savais pas...Quelle aventure !