Béatrice et François

Béatrice et François

N°51

Le voleur

     Béatrice et François, âgés tous deux de sept ans et demi, vont en deuxième année primaire à l'école, dans la même classe. Ils sont grands amis.

Ce jour-là, leur rang descendait, à midi, et les élèves se dirigeaient vers le réfectoire. Soudain, l'institutrice appela François.

- J'ai oublié de fermer la classe à clé et j'ai laissé mes affaires sur mon bureau. Tu veux bien aller chercher mon sac à main, François, et puis fermer la porte? Tiens, voici le trousseau de clés.

Notre ami remonta l'escalier et parvint à l'entrée du local. Il vit la porte grande ouverte. Il entra. Il aperçut Fabien, un garçon de la classe, un copain. Fabien venait d'ouvrir le sac de la maîtresse et d'en retirer le portefeuille. Il tenait un billet de vingt euros à la main. Les deux garçons échangèrent un regard, d'abord sans rien dire.

Puis Fabien prit la parole.

- Tu n'es pas un rapporteur! Tu ne vas pas aller raconter tout ça à madame.

François réfléchit un instant. Il trouvait ce vol très grave, mais il ne voulait pas rapporter.

- Si tu remets le billet en place et que tu me promets de ne plus jamais faire ça, alors je te fais confiance. Je me tairai, déclara notre ami.

L'autre garçon glissa les vingt euros dans le portefeuille et le portefeuille dans le sac. François le prit. Les deux élèves sortirent de la classe et fermèrent la porte à clé.

Lorsque notre ami remit les clés et le sac à l'intitutrice, Fabien observa et écouta. Mais François ne dit rien au professeur. Il en parla seulement à Béatrice, parce que c'est sa meilleure copine et qu'entre meilleurs amis on n'a pas de secret.

 

Béatrice fit remarquer que Fabien l'avait peut-être volée elle aussi. Elle se rappelait en effet qu'elle n'avait jamais retrouvé une petite chaîne en or avec une croix que sa grand-mère lui avait offerte pour sa communion. Peut-être était-ce lui qui l'avait prise. Elle avait dû la retirer en passant sa tenue de gymnastique. Elle avait laissé cette croix dans la poche de sa salopette et en remontant de la salle de sport, la croix ne s'y trouvait plus.

 

Le samedi suivant, comme tous les samedis, Béatrice reçut un billet de dix euros de son papa. Avec cet argent, elle va au magasin du coin où elle doit acheter une revue pour son père. Elle peut par contre garder la monnaie. Elle s'offre parfois des bonbons ou autre chose qu'elle aime collectionner. Cela dépend des jours.

La fillette adore effectuer cette petite course. Elle prend son temps. Elle feuillette l'une ou l'autre revue, elle tourne les pages d'une bande dessinée, en faisant bien attention de ne pas les abîmer. Puis elle achète le périodique de papa, elle paie et s'offre des bonbons ou des caramels et elle revient chez elle.

Ce jour-là, elle était la seule cliente dans le magasin. Le marchand écrivait dans un cahier, assis juste à côté de sa caisse.

Soudain, Fabien arriva. Il entra et ne remarqua pas la présence de sa copine de classe. Deux minutes après, un téléphone sonna dans la pièce à côté. Le vendeur quitta son poste et se dirigea vers le local voisin afin de répondre à l'appel.

Fabien marcha d'un pas rapide vers la caisse et poussa sur un bouton. Le tiroir s'ouvrit. Le garçon plongea la main et prit plusieurs billets de cinq et de dix euros. Il les fourra dans sa poche et s'enfuit.

- Mais Fabien! murmura Béatrice, pourquoi fais-tu ça?

 

Le patron du petit magasin revint à ce moment. II vit le tiroir ouvert et notre amie qui regardait, sidérée.

- Ne bouge pas petite fille. Plusieurs fois déjà on m'a volé de l'argent dans mon tiroir-caisse. Mais cette fois-ci, tu ne m'échapperas pas.

- Ce n'est pas moi, monsieur, s'indigna Béatrice.

- Ils disent tous ça, les voleurs. "Ce n'est pas moi, mais un autre". Reste là, j'appelle les policiers.

- Mais ce n'est pas moi, insista notre amie.

Elle sentait des larmes couler sur ses joues.

- Je ne suis pas une voleuse, continua la fillette. Demandez à mes parents.

 

Les policiers arrivèrent trois ou quatre minutes plus tard. Ils entrèrent dans le magasin.

- La petite est là, dit le marchand. J'ai dû sortir de la pièce quelques instants, et pendant ce temps, elle a ouvert mon tiroir caisse. Fouillez-la, vous trouverez l'argent.

- Ce n'est pas vrai, s'écria Béatrice qui pleurait. Je vous jure. Je ne suis pas une voleuse.

- Nous allons vérifier, décidèrent les policiers et si tu nous as menti, gare à toi.

Cependant, un policier ne peut pas fouiller une petite fille. Seule une femme policière peut le faire.

Ils appelèrent du renfort et une collègue entra dans le magasin. Elle fouilla notre amie et ne trouva bien sûr que le billet de dix euros dans la poche de sa salopette verte.

- Ça ne peut pas être elle, conclut la policière.

- Je vous l'avais bien dit, monsieur, insista Béatrice en regardant le patron du magasin droit dans les yeux. Vous le savez bien, je viens tous les samedis après-midi acheter une revue pour mon papa et puis quelques bonbons.

- Je suis désolé, regretta le vendeur. Désolé, je t'ai accusée à tort.

La policière interrogea notre amie.

- Tu n'as pas vu le voleur, par hasard?

Béatrice fit signe que oui. Mais elle n'est pas une rapporteuse non plus. Elle décrivit Fabien, ses cheveux, ses yeux, son habillement. Mais elle ne donna pas son nom. On ne le lui demanda d'ailleurs pas, ni s'il fréquentait la même classe, ni si elle le connaissait bien.

Le patron du magasin offrit trois bandes dessinées et un grand sac de bonbons à notre amie pour se faire pardonner.

Elle se précipita chez elle et raconta son aventure à ses parents.


Le lundi suivant, Fabien ne vint pas en classe. Le mardi non plus. Les enfants supposèrent qu'il était malade et qu'il restait chez lui.

Le mardi, en fin de journée, la maîtresse réunit les élèves autour d'elle.

- Mes enfants, je dois vous dire un mot au sujet de Fabien. Il a fait quelque chose de très grave samedi passé. Il est entré dans un grand magasin, un hypermarché, chaussé de vieilles sandales de gym aux pieds. Il s'est dirigé vers le rayon des chaussures. Là, il a choisi des baskets, vous savez ces baskets qui font de la lumière quand on marche. C'est joli en hiver. Il s'est mis pieds nus, Il a placé ses vieilles tennis dans la boîte à chaussures et a lacé les nouvelles baskets à ses pieds.

Tous les enfants écoutaient en silence le récit de l'institutrice.

- Puis, il s'est dirigé vers les caisses. ll n'y est pas arrivé. Fabien avait oublié que, dans les grands magasins, des caméras et des gardes surveillent. En plus, s'il avait atteint les caisses, une sonnerie aurait retenti.

Les enfants se regardaient sidérés. Chacun se taisait, impressionné. François échangea un clin d'œil rapide avec Béatrice. Ils se souvenaient de l'affaire du sac de madame.

- Des gardes ont arrêté Fabien, poursuivit la maîtresse. lls l'ont conduit chez le directeur du magasin. 

- C'est la troisième fois que tu voles dans mon établissement, déclara-t-il. Les deux premières fois, on t'a laissé faire. On a peut-être eu tort, mais tu es un enfant. Cette fois-ci, par contre, c'en est trop. J'appelle tes parents et les policiers.

- Et voilà, conclut l'institutrice. Fabien a passé trois jours dans une prison pour enfants. Ça existe. Il reviendra demain en classe. Je voudrais que vous le laissiez tranquille. Ne lui parlez pas de cela.

Un garçon, Ethan, leva le doigt.

- Madame, je crois que Fabien m'a volé deux euros. Vous vous souvenez, l'autre jour, on devait apporter deux euros pour l'excursion. Je les avais posés sur mon pupitre et je ne les ai plus retrouvés.

- Madame, déclara une fille qui s'appelait Alice, je crois qu'il m'a pris mon beau stylo que mon grand-père m'avait offert pour mon anniversaire.

- Et moi, enchaîna un autre garçon, Damien, j'ai l'impression que Fabien m'a chipé une bande dessinée dans mon cartable. Je voulais la prêter à mon ami Léon.

Plusieurs enfants décrivirent ainsi des petits vols qui s'étaient produits à l'école ces derniers temps.


Le lendemain Fabien revint en classe. Chacun l'observait du coin de l'œil. Les enfants le laissèrent tout seul à la récréation. Ce n'était peut-être pas la meilleure attitude.

Après la récréation, en classe, Fabien s'avança vers le bureau de l'institutrice. ll y posa un petit sac. Puis, il se tourna vers ses camarades.

- Voilà, je veux vous dire quelque chose. Je vais vous parler des voleurs.

À ce moment-là, le garçon baissa les yeux. Il ne pouvait plus soutenir le regard des autres.

- Les voleurs commencent souvent par chiper quand ils sont enfants, affirma Fabien. Une pièce de deux euros chez l'un, une bande dessinée chez un autre, un stylo, une croix en or... Ils pensent qu'on ne les découvrira pas. Ils ne se font pas souvent prendre. Mais un voleur éprouve beaucoup de difficultés à s'arrêter, précisa Fabien. Il veut toujours plus.

Tous les enfants se taisaient et observaient leur condisciple.

- Alors, plus tard, devenus grands, ces voleurs, au lieu de prendre une pièce de deux euros, braquent une banque. Au lieu de voler une croix en or, ils s'en prennent à une bijouterie. Au lieu de chiper un stylo, ils fauchent une voiture. Et un jour, ils sont pris et se retrouvent en prison. Et leur vie est brisée.

Fabien se tut un instant.

- Voilà, poursuivit le garçon. Je voudrais vous dire encore deux mots.

À ce moment-là, il leva les yeux.

- Je suis un voleur. Je vous ai pris beaucoup de choses, mais je vais tout vous rendre.

Il ouvrit le sac qu'il avait posé sur le bureau de la maîtresse.

- Tiens, Béatrice, voici ta croix en or. Tiens Alice, voici ta pièce de deux euros et toi Damien voilà ta bande dessinée et Romain, le stylo que je t'avais chipé.

Et Fabien rendit à chacun ce qu'il avait pris. Ensuite il ajouta une dernière chose.

- Toi, François, je veux te dire merci. L'autre jour, je tentais de voler dans le sac de madame. Tu m'as vu mais tu n'as pas rapporté. Tu m'as dit que tu me faisais confiance si je ne recommençais plus. Cela m'a fait réfléchir. Je veux mériter ta confiance. Hier et avant-hier, j'étais dans une prison d'enfants. Je ne veux plus jamais retourner dans cet enfer, et je ne veux plus jamais être un voleur. Heureusement, j’ai eu le droit de parler avec un psychologue offert par mes parents, et j’ai appris des choses.

Après un silence, le garçon continua.

- Mes amis, je vous le promets. Plus jamais je ne vais vous prendre quelque chose. Je vous le promets bien sincèrement, du fond de mon cœur. Si vous êtes gentils, vous me pardonnez.

Et puis Fabien, du bout des lèvres, osa en murmurant.

- Et si vous êtes très gentils, alors je suis de nouveau votre copain.

Tous les enfants de la classe applaudirent pour encourager l'ami retrouvé. Et Fabien n'a plus jamais volé personne. Il est devenu quelqu'un de très bien, honnête et sérieux.

Merci, François!