Magali

Magali

N°45

Le petit nid

     - On va couper tous les arbres de la rue, annonça papa.

C'était pendant le repas du soir. Magali, à table avec son frère Arnaud, huit ans, et le bébé Julien, écoutait, étonnée. Notre amie a quatre ans et demi.

- Pourquoi les coupe-t-on? demanda le grand frère.

- Il paraît qu'ils sont trop vieux. Mais ils prévoient d'en planter des autres.

- Ce n'est pas possible, lança Magali. Ils ne peuvent pas faire cela.

- Pourquoi? interrogea maman.

- Il y a un petit nid accroché à une branche de l'arbre devant chez nous. Trois oisillons viennent de naître. Je les ai vus en regardant par la fenêtre. Si on coupe l'arbre, ils vont mourir.

- Je crois, reprit papa, que les bûcherons n'ont pas pensé à ces oiseaux-là...

- Je ne veux pas qu'ils meurent, reprit Magali.


Une heure plus tard, dans la chambre à coucher, notre amie échangea quelques mots avec son frère.

- Arnaud, il faut faire quelque chose pour sauver les bébés oiseaux.

- J'ai peut-être une idée, répondit le garçon. Demain, on prendra une échelle pour monter dans l'arbre et on déplacera le nid. Tu iras l'installer dans un autre arbre, derrière le jardin, par exemple.

- Bravo, se réjouit la fillette. Tu m'aideras?

- Oui, promis.


Le lendemain, Arnaud et sa petite sœur s'approchèrent de l'arbre, le long du trottoir. Les oiseaux chantaient. On entendait les oisillons appeler leurs parents.

- Il est situé trop haut, fit le garçon. Viens, on va prendre une échelle à la cave.

Ce ne fut pas facile.

Les deux enfants descendirent l'escalier après avoir allumé la lumière. Ils soulevèrent la lourde échelle. Après plusieurs manœuvres délicates et quelques tâtonnements, ils réussirent à l'amener au pied de l'arbre.

Arnaud monta quelques échelons, saisit le nid en douceur, puis le tendit à sa sœur.

- Va l'installer quelque part. Moi, je m'occupe de remettre l'échelle en place.

 

Magali traversa la maison en tenant le nid dans lequel se trouvaient les trois oisillons qui, terrorisés, criaient à tue-tête. Elle ouvrit la porte de la cuisine qui donne dans le jardin et parvint à la barrière située tout au fond. Elle la poussa du pied.

Suivant alors le chemin en terre qui longe le champ de blé, elle parvint près d'un grand arbre, dont une branche paraissait accessible.

Notre amie se mit sur la pointe des pieds et plaça le petit nid à l'angle du tronc et de la branche.

Deux plus gros oiseaux se posèrent tout près. Le papa et la maman des oisillons sans doute. Ils chantaient et leur gazouillis semblait s'adresser à notre amie.

- Merci, faisait le papa oiseau, tu sauves nos petits.

- Merci, enchaînait la maman, tu es vraiment gentille.

Magali retourna à la maison, très contente.


Le lendemain, après l'école, notre amie se dépêcha d'aller vers l'arbre pour voir si tout se passait bien.

En arrivant, elle n'entendit rien, même tout près.

Étonnée, elle s'approcha encore. Les trois oisillons se tenaient serrés l'un contre l'autre. Ils semblaient avoir très peur.

Magali vit un gros oiseau, posé à côté d'eux. Elle reconnut la jolie pie qu'elle connaît bien pour l'avoir souvent rencontrée et observée. Elle l'appela.

- Jolie pie! jolie pie! jolie pie!

- Oui.

- Que fais-tu là?

- Tu vas immédiatement retirer ces bébés de mon arbre.

- Pourquoi?

- Ils n'ont pas arrêté de crier toute la nuit. Je deviens folle. Mets-les ailleurs, sinon, je les mange.

La fillette n'insista pas. Elle prit le petit nid entre ses doigts et le porta vers le ruisseau qui coule un peu plus loin.


Là se trouve l'arbre où vit l'écureuil aux yeux très doux. Lui, il mange des noisettes, pas des bébés oiseaux.

Notre amie posa le nid entre deux branches et s'éloigna. Les parents des trois oisillons chantaient.

- Merci, faisait le papa oiseau, tu sauves nos petits.

- Merci, enchaînait la maman, tu es vraiment gentille.


Le lendemain, après l'école, Magali vint voir si tout se passait bien. Elle s'approcha doucement de l'arbre aux écureuils. On n'entendait que le murmure du ruisseau qui coule tout près entre les herbes hautes.

Les trois oisillons se serraient de nouveau l'un contre l'autre, terrorisés. L'écureuil aux yeux très doux se tenait à côté d'eux. Il ne semblait pas content du tout. Notre amie l'appela trois fois.

- Écureuil aux yeux très doux! écureuil aux yeux très doux! écureuil aux yeux très doux!

- Oui.

- Que se passe-t-il? demanda la fillette.

- Enlève ces oiseaux de là. Ils sont insupportables. Ils n'ont pas arrêté de crier toute la nuit. Je n'ai pas pu dormir. Si tu les laisses dans mon arbre, je les jette à l'eau.

Elle prit le petit nid entre ses mains et s'éloigna.

- Pauvres petits, dit-elle en les regardant. Personne ne vous veut. Mais attendez, je vais vous conduire près du terrier du gentil lapin. Lui ne vous fera pas de mal.


Magali entra dans le champ de blé et s'arrêta à côté du terrier du lapin. Elle posa le nid par terre.

- Gentil lapin! gentil lapin! gentil lapin!

- Que veux-tu petite fille?

- Acceptes-tu que j'installe les bébés oiseaux à côté de l'entrée de ton terrier?

- Moi, je veux bien, répondit le gentil lapin, cela ne me dérange pas, mais ce n'est pas une bonne idée. Si tu laisses le nid à cet endroit, le renard viendra dans la nuit et les mangera.

Notre amie frissonna de peur.

- Je n'y avais pas pensé, dit-elle.

Magali reprit le nid entre ses mains et retourna vers sa maison.


- Que vais-je faire de vous? s'interrogea la fillette.

Elle venait d'entrer dans son jardin. Elle regarda la cabane en bois, située tout au fond, près de la haie. Le toit incliné est bordé par une petite corniche arrondie qui se termine par une gouttière.

- J'ai trouvé! Je vais vous installer dans la corniche le long du toit. Elle a juste la forme de votre nid. Vous serez bien là-haut. Et le renard ne pourra pas vous atteindre.

Magali posa ce qui restait du nid des trois bébés oiseaux dans la corniche et partit, joyeuse, vers sa maison. Leurs parents chantaient.

- Merci, faisait le papa oiseau, tu sauves nos petits.

- Merci, enchaînait la maman, tu es vraiment gentille.


Après le repas du soir, notre amie monta prendre sa douche puis elle se brossa les dents. Elle enfila sa robe de nuit rose à petits rubans, mais avant de se glisser au lit, elle alla à la fenêtre de sa chambre pour écouter les oiseaux. Ils chantaient.

Magali s'endormit très heureuse.


Mais elle se réveilla dans la nuit.

Il pleuvait. Des éclairs illuminaient par moment le ciel tout à fait noir. Elle entendait le tonnerre gronder avec force.

Magali se leva et regarda par la fenêtre. On voyait à peine, à cause des rideaux d'eau qui tombaient du ciel.

- Les oisillons! s'exclama la fillette. J'ai placé leur nid dans la corniche. Ils vont se noyer! Je dois aller les sauver.

Elle sortit de sa chambre et descendit l'escalier sans faire de bruit. Papa et maman dormaient. Arnaud, le grand frère aussi. Et surtout, il ne fallait pas réveiller le bébé Julien.

Magali traversa la cuisine et ouvrit la porte qui donne dans le jardin. Il ressemblait à une mare, à un étang noyé sous la pluie.

- J'arrive, cria notre amie.

Elle remonta à sa chambre, ôta sa robe de nuit et passa sa salopette rouge. Puis elle redescendit à la cuisine, ouvrit de nouveau la porte et se précipita, pieds nus sous l'averse.

Elle fut trempée en un instant. Ses couettes dégoulinaient sur ses épaules. Sa salopette lui collait à la peau. Elle courut au milieu des flaques d'eau.

Elle arriva à la cabane.

 

L'eau s'accumulait déjà dans la corniche. Les oisillons tremblaient, affolés.

Magali prit ce qui restait du nid entre ses mains. La pluie emporta le reste dans la gouttière où les petits oiseaux se seraient noyés, si notre amie n'était pas arrivée à temps.

La fillette courut vers la maison. Un coup de tonnerre la surprit. La pluie qui ruisselait noyait ses yeux et coulait le long de ses joues.

Elle entra dans la cuisine.

- Que vais-je faire de vous? dit-elle tout haut.

Elle ouvrit une armoire et prit un bol. Elle y plaça le reste du nid.

- Je vais vous prendre dans ma chambre. Là vous serez bien au chaud et à l'abri.


Elle remonta l'escalier, passa près de son lit et posa le bol sur la tablette de sa fenêtre.

- J'arrive, dit-elle. Soyez sages.

Elle passa un instant à la salle de bain pour se sécher. Elle revint en robe de nuit et se glissa dans son lit après avoir refermé la porte de sa chambre.

- Kiwi, kiwi, kiwi...

- On se tait, dit Magali.

- Kiwi, kiwi, kiwi...

- Silence ! C'est l'heure de dormir.

- Kiwi, kiwi, kiwi...

- Mais ! Allez-vous vous taire? Je vais me fâcher !

- Kiwi...

- Je t'ai entendu.

- Kiwi...

- Si vous chantez encore, je vous mets sur l'appui de fenêtre, mais dehors, sous la pluie.

Magali n'entendit plus rien. Elle s'endormit et les oiseaux aussi.


Au matin, ce fut un véritable concert de cris qui éveilla la petite fille. Les parents oiseaux appelaient de l'autre côté de la fenêtre et les oisillons éveillés hurlaient de ce côté-ci.

Elle se leva et ouvrit la vitre.

- Merci, faisait le papa oiseau, tu as sauvé nos petits.

- Merci, enchaînait la maman, tu es vraiment gentille.

Notre amie s'habilla, puis descendit boire son verre de jus d'orange et manger ses céréales, avant de partir à l'école.


Elle revint l'après-midi.

Elle monta, un peu inquiète, l'escalier menant à l'étage. Elle n'entendait rien.

Elle entra dans sa chambre et vit son chat Polipilou. Il tenait un des bébés oiseaux entre ses dents, prêt à le croquer. Magali cria.

- Polipilou! Polipilou! Polipilou!

Le chat la regarda et lâcha sa proie.

- Polipilou ! Méchant ! Va-t'en d'ici tout de suite.

Le chat se sauva. Magali ferma la porte. Puis elle prit le bébé oiseau et le posa dans son nid.

Au soir, elle demanda à papa et maman et Arnaud de bien fermer la porte de sa chambre et de veiller à ce que Polipilou n'y entre pas.


Quelques jours passèrent.

Tous les matins et tous les soirs Magali retrouvait ses amis sur le bord de la fenêtre. Ils chantaient pour le plus grand bonheur de notre amie.


Un après-midi, elle entra dans sa chambre et vit cinq oiseaux tourner en rond près du plafond. Les bébés savaient voler à présent et s'apprêtaient à partir avec leurs parents.

Elle entendit une dernière salve de cris.

- Merci, fit le papa oiseau, tu as sauvé nos petits.

- Merci, enchaîna la maman, tu es vraiment gentille.

- Merci, dirent les petits qui criaient très fort. Tu t'es bien occupée de nous. On t'aime. On ne t'oubliera jamais.

Ils s'envolèrent au loin.

Magali ne les a pas revus, mais elle sourit en pensant à eux, heureuse de les avoir sauvés.