Christine

Christine

N°49

Des lumières dans le lac !

     Quelle chance!

Christine recevait son ami Mathieu pour quelques jours dans la forêt où elle habite. Le garçon était en vacances. 

Les deux enfants passaient des journées merveilleuses dans les bois. Ils ont tous deux dix ans, et à leur âge, les balades, les baignades, l'aventure, sont autant de fêtes et de bonheur, sous la lumière du soleil.

Un après-midi de forte chaleur, Christine emmena son copain assez loin de chez elle au milieu de la forêt. La marche d'une bonne heure fut récompensée par une baignade dans un lac aux eaux cristallines.

 

D'un côté ce lac est envahi de roseaux et de toutes sortes d'herbes hautes, qui plongent leurs racines dans la boue. Mais de l'autre côté, l'eau est transparente et la rive encombrée de hauts rochers gris qu'il suffit d'escalader pour profiter d'un merveilleux plongeoir improvisé.

Nos deux amis jouaient là depuis une demi-heure, plongeant et nageant, lui en jean, elle en salopette, tous deux pieds nus. Ils venaient de s'asseoir un instant au soleil quand ils entendirent sonner un téléphone portable.

Très étonnés, ils se levèrent et regardèrent autour d'eux. Ils ne virent personne. La sonnerie sortait d'un creux entre deux rochers, tout près d'eux. Christine aperçut l'appareil, un portable de prix et s'en saisit. Elle ouvrit et écouta.

- C'est toi Loïc?

- Non, je m'appelle Christine. Votre téléphone se trouve...

Clac. La communication fut coupée.

 

- Il a raccroché, dit notre amie.

- Ça m'étonne, répondit Mathieu. Moi, si j'avais perdu mon portable et que quelqu'un réponde à mon appel quand je le fais sonner, je serais très content. Je le remercierais et je lui demanderais où il se trouve.

- Surtout un appareil de prix, ajouta notre amie.

- Il appartient peut-être à des voleurs, reprit le garçon. Ils ne veulent pas qu'on les rencontre.

- Alors, il faut aller porter l'appareil à la police. Prends-le.

Christine le tendit à Mathieu.

- Non, glisse-le dans une poche de ta salopette, dit le garçon.

- Prends-le, toi!

- C'est toi qui l'as trouvé.

- Tant pis, reprit son amie. Je ne veux pas avoir affaire à des voleurs. Je le laisse là. Je le remets où je l'ai trouvé.

Elle le posa sur un des rochers plats, près de l'eau.

 

Pendant ce temps-là, à quarante kilomètres de là...

- Chef, j'ai commis une erreur.

- Qu'as-tu fait, Jacques?

- J'ai formé le numéro du portable de Loïc.

- Ne me dis pas qu'il t'a répondu! Il en est bien incapable, comme tu sais.

- Une fillette a décroché. Elle dit s'appeler Christine.

Le chef des bandits, car nous avons affaire à une bande de malfaiteurs, se tut un instant.

- Réfléchis bien, Jacques. Que crois-tu que la gamine qui vient de trouver le portable de Loïc va en faire?

- Elle va le garder pour elle, chef.

- Mauvaise réponse. Tout le monde n'est pas des voleurs comme nous.

- Elle va le porter à la police, chef.

- Et que vont faire les policiers avec le portable, Jacques?

- Je ne sais pas, chef.

- Ils vont le confier à la police scientifique qui va l'ouvrir, écouter nos dernières conversations, lister les numéros d'appels, et on se retrouvera tous en prison. C'est ça que tu veux, Jacques?

- Non, chef.

- En ce cas, tu vas refaire le numéro de Loïc, et jouer à celui qui est très heureux de récupérer son appareil. Tu demanderas à la gamine où il se trouve. Tu lui diras de le laisser là, qu'on se promène justement tout près et qu'on arrive le reprendre dans quelques instants. Et tu remercies.

 

Christine et Mathieu entendirent l'appareil sonner au moment où ils s'apprêtaient à quitter le lac pour retourner à la maison. Notre amie s'en saisit et écouta.

- Bonjour, tu t'appelles Christine?

- Oui, monsieur.

- Tu as découvert le portable que j'avais perdu?

- Oui.

- Quelle chance! Où te trouves-tu?

- Au bord du lac de la forêt des Grands Ormes où j'habite. Il traînait entre deux rochers, tout près de l'eau.

- Merveilleux. Je me promène justement pas loin, en compagnie d'un ami. Pose-le à terre, bien en vue, j'arrive le prendre. Merci.

Il coupa la communication.

- Il vient le chercher, il est tout près, expliqua Christine en posant l'appareil sur une pierre plate.

Les deux enfants quittèrent ensuite le lac et retournèrent à la maison de notre amie.

 

À la nuit tombée, les deux enfants bavardaient dans la chambre en attendant l'arrivée de Chachou, le hibou de Christine.

Ce hibou lui a appris à parler aux animaux quand elle était petite. Notre amie possédait ce don en elle et le rapace l'a aidée à s'en servir. Elle parle, comme tu sais, aux quatre pattes, aux deux pattes et aux serpents.

Le hibou se posa sur le bord de la fenêtre de la chambre.

- Des lumières brillent dans le lac où vous vous êtes baignés cet après-midi, dit-il en hululant.

- Comment sais-tu qu'on s'y est baignés? demanda Christine en langue hibou. Je croyais que tu dormais le jour et que tu ne quittais ton nid que la nuit.

- Un corbeau se trouvait au sommet d'un sapin. Il vous observait jouer dans l'eau et me l'a raconté. Il a remarqué la présence de lumières dans le lac. Je ne voulais pas le croire. Je suis allé voir et c'est vrai.

- Étrange, réfléchit notre amie.

- Ce sont des ragondins qui font cela, ajouta le hibou.

- Des ragondins! s'étonna Christine. D'abord il n'y a pas de ragondins dans la forêt. Ensuite, je ne vois pas comment ces gros rats seraient capables de produire de la lumière.

- Tous les animaux s'en plaignent, ajouta Chachou. Depuis leur arrivée, ils nous empêchent d'aller boire au lac. Ils terrorisent nos petits.

Le hibou partit.

La jeune fille traduisit le message pour son copain.

- Il se passe décidément des choses étranges là-bas, affirma Mathieu. Tantôt un portable, à présent des lumières.

- Allons voir, proposa Christine.

- Je croyais que tes parents ne voulaient pas que tu sortes seule la nuit dans les bois.

- Avec toi, je ne suis pas seule. On passera par la fenêtre et par le toit du hangar. Je suis trop curieuse, répondit son amie. Habillons-nous vite. 

Chacun sortit de son lit et se changea rapidement, puis ils se mirent en route.

 

Ils arrivèrent au bord du lac une heure plus tard. La nuit était belle, éclairée par les lueurs de la lune. On apercevait son reflet argenté qui dansait sur l'eau. Les deux enfants ne repérèrent aucune autre lumière.

- Peut-être que ton hibou ou son ami corbeau confondent le reflet de la lune et une lumière dans le lac, dit Mathieu.

- Ça m'étonnerait, répondit Christine en escaladant les rochers pour tenter d'apercevoir d'autres lumières plus loin. Tiens, ajouta la jeune fille, regarde Mathieu, le portable est encore là.

- Pourtant je crois me souvenir qu'ils t'ont dit qu'ils se promenaient pas loin et qu'ils venaient le reprendre.

- En effet.

- Ramasse-le et cette fois emmenons-le pour le remettre à la police.

Christine le glissa dans une poche de sa salopette.

- Par contre, je me demande où se situent ces fameuses lumières.

- Peut-être du côté des roseaux, risqua le garçon. Allons voir.

Ils quittèrent la zone des rochers et longèrent le lac.

 

Plus ils avançaient à présent, plus le sol devenait fangeux. Ils se faufilèrent entre les herbes, plus hautes qu'eux, en pataugeant dans la boue, salissant les vieilles baskets qu'ils portaient aux pieds et le bas de la salopette ou du jean. Ça devenait de plus en plus profond. Mathieu s'arrêta.

- Tu viens? demanda son amie.

Le garçon hésita un instant, puis il la suivit dans la boue.

- Là, regarde, dit Christine en écartant les roseaux. Je vois des lumières au fond de l'eau.

Les deux amis apercevaient nettement deux lueurs, proches l'une de l'autre, à près de trois mètres de profondeur.

Un peu plus loin des remous agitèrent la surface de l'eau. Un animal s'approchait de notre amie. Il nageait à la surface. Elle vit son sillage sous la lueur de la lune.

- Mets-toi derrière moi, dit la jeune fille. Je crois qu'un ragondin arrive. Il faut se méfier de ces animaux. Ils mordent. Mais je vais tenter de lui parler.

 

Elle avait déjà de l'eau jusqu'au ventre. Elle retira le portable de la poche de sa salopette et le posa bien au sec sur une pierre plate au milieu des herbes hautes. Puis elle se baissa, ne laissant passer que la tête à la surface du lac. Elle tendit sa main gauche vers l'animal.

Le ragondin s'approcha encore et vint renifler la main de Christine.

- Que fais-tu là? demanda notre amie en langage animal.

- Tu parles aux animaux?

- Oui, et je voudrais savoir ce que tu fabriques ici. Combien êtes-vous?

- Cinq. Nous venons d'une forêt lointaine dans laquelle on nous chasse à coups de fusil.

- Vous pouvez vous installer au bord ce lac, mais n'empêchez pas les autres animaux de venir boire avec leurs petits. Avez-vous vu des lumières quelque part?

- Oui, là à droite, répondit l'animal. Sous la surface de l'eau. Au fond du lac.

- Qui fait ces lumières?

- Ce n'est pas nous. Ça a commencé un peu avant votre arrivée cet après-midi. Des hommes, venus par la route, ont installé les lumières, mais vous ne les avez pas remarquées car vous nagiez en plein jour de l'autre côté du lac.

Le ragondin partit. Christine rapporta à son ami ce que l'animal lui avait raconté.

- Allons voir, dit-elle.

 

Ils longèrent le lac, emportant le téléphone. Ils s'approchèrent assez vite des deux lueurs immobiles au fond de l'eau.

Les deux amis hésitèrent un instant, intrigués par l'étrange phénomène.

- Je vais voir, dit la jeune fille. Je suis quand même trempée jusqu'au cou.

Elle posa le portable au milieu des plantes sur une autre pierre qui affleurait à la surface, puis, rassemblant son courage pour dominer sa peur, elle plongea.

- Quelle audace! murmura Mathieu. Une vraie aventurière!

Christine nagea sous l'eau, avec salopette et baskets. Ça ne la gênait même pas. Elle en a l'habitude.

Elle se rapprocha encore des lumières et distingua les contours d'une voiture entièrement immergée et remplie d'eau. Elle aperçut une forme assise au volant du véhicule, une forme humaine.

Affolée, elle remonta à la surface et nagea vers son ami.

- Mathieu, va voir. C'est terrible! Il y a une voiture sous l'eau. Ses phares sont restés allumés. Mais j'ai vu quelqu'un dedans. Je crois qu'il est mort, mais je n'ai pas osé aller tout près.

Le garçon plongea à son tour et progressa sous l'eau. Il découvrit la voiture et s'en approcha. Un homme était assis à la place du chauffeur, ligoté sur son siège. Il ne bougeait plus mais gardait les yeux grands ouverts, les yeux d'un mort.

Horrifié à son tour, Mathieu remonta à la surface et retourna vers les roseaux où l'attendait sa copine.

- Des gens ont enfermé cet homme dans la voiture et l'ont noyé, dit le garçon. Ce doit être un règlement de comptes entre voleurs.

- Et dire qu'on a nagé dans cette eau!

Puis, après un moment de réflexion, notre amie ajouta :

- Ce doit être ce Loïc dont ils m'ont parlé... Il est grand temps d'aller raconter tout ça à mes parents et à la police.

Elle reprit le portable et le glissa dans la poche de sa salopette.

 

Pendant ce temps, Jacques et son chef arrivaient au bord du lac.

Nos deux amis ne s'en aperçurent pas, car les deux hommes avaient éteint les phares de leur voiture trois cents mètres avant de se garer derrière un massif de plantes. Puis, ils marchèrent en silence le long de l'eau, se dirigeant vers les rochers.

- Chef, je ne trouve pas le portable.

- La gamine t'a pourtant bien dit qu'elle le laissait là sur les rochers?

- Oui, chef.

- Attends, j'ai une idée. On va le récupérer facilement. Je vais prendre mon GSM et faire sonner celui de Loïc. On saura tout de suite où il est.

Le chef saisit son téléphone et forma le numéro de Loïc. L'appareil sonna, un instant plus tard, dans la poche de Christine.

- Je l'entends de l'autre côté du lac, chef.

- Oui, et il me semble apercevoir des mouvements entre les roseaux. Allons-y. Toi par la gauche et moi par la droite.

Les deux hommes saisirent leur lampe de poche d'une main, leur révolver de l'autre et avancèrent vers l'endroit où se trouvaient nos amis.

 

Christine, effarée, paniquée, murmura.

- Ça sonne dans ma poche, dit-elle à son copain.

- Coupe-le, vite, dit Mathieu.

- Je ne sais pas comment.

Le garçon s'empara de l'appareil et l'éteignit. La sonnerie cessa. Il reposa le portable sur la pierre plate, au milieu des roseaux.

- Regarde, quelqu'un vient, murmura Christine. Cachons-nous.

Les deux enfants se baissèrent, puis se couchèrent dans l'eau et la boue qui stagnait entre les plantes. Glacés de peur, ils essayaient de ne pas bouger.

Hélas, il fallait bien respirer. Ils gardaient la tête hors de l'eau.

Le chef repéra Christine, puis Mathieu, un instant plus tard.

- Sortez de là et venez par ici, commanda-t-il en menaçant les deux amis de son arme.

Les enfants approchèrent. Ils ne voyaient aucun moyen de s'échapper.

 

- Où se trouve mon téléphone?

Christine allait le dire, mais Mathieu interrompit son amie.

- Je l'ai jeté dans l'eau pendant qu'il sonnait, mentit le garçon.

- Tant mieux, personne ne le retrouvera dans la boue et la vase de l'étang.

- Que fait-on d'eux, chef? On les emmène avec nous?

- Non. On ne va pas s'encombrer de ces deux enfants-là. Il fait noir. Ils ne voient pas nos visages. Ils ne connaissent pas nos noms. 

L'homme se tourna vers nos amis.

- Vous allez plonger, dit-il. Ramassez une grosse pierre. Nagez jusqu'à la voiture engloutie et cassez les phares. Je parie que ces lumières restées allumées vous ont attirés ici tous les deux. Cela pourrait aussi intéresser des policiers. Allez, plongez. Exécution.

Nos amis s'enfoncèrent dans l'eau du lac. Ils s'approchèrent de la voiture immergée et brisèrent les vitres des phares avec une pierre.

Tout s'éteignit.

Christine et Mathieu remontèrent à la surface. Mais ils n'étaient pas encore débarrassés des malfaiteurs. Nos amis se tenaient de nouveau devant les deux hommes. Ils grelottaient de froid, trempés par les baignades répétées, et tremblaient de peur.

 

- Vous allez retourner dans l'eau et nager vers les rochers de l'autre côté du lac.

Les deux enfants n'avaient plus aucune envie de se retrouver dans l'eau une nouvelle fois, mais il fallait obéir. Ils s'enfoncèrent et entreprirent la traversée du lac à la nage.

Après une cinquantaine de mètres, Christine regarda en arrière, un instant, pour voir ce que les deux hommes faisaient.

- Ils s'en vont, dit-elle à Mathieu. On peut sortir de l'eau.

Ils atteignirent la berge proche d'eux.

Les bandits s'éloignaient en voiture. Ils n'allumèrent leurs phares que plus loin.

Christine courut chercher le portable de Loïc et le glissa dans sa poche. Les deux enfants retournèrent à la maison de notre amie trempés et glacés dans le froid de la nuit.

 

Ils y arrivèrent un peu après minuit. Ils réveillèrent les parents et racontèrent leur terrible aventure.

Le papa de Christine téléphona aussitôt à la police et une patrouille arriva une heure plus tard. La commissaire et son adjoint écoutèrent le récit de Christine et de Mathieu qui se réchauffaient avec un chocolat chaud.

On dressa des barrages routiers et les malfaiteurs furent arrêtés.

 

Le lendemain, une équipe de policiers revint, avec une dépanneuse. Ils demandèrent à nos deux amis de les accompagner pour indiquer l'emplacement de la voiture engloutie.

Une des policières s'équipa en tenue de plongée, mit un masque et se rendit sous l'eau, suivant les indications des enfants. Elle arriva très vite à la voiture et confirma la présence du mort.

La dépanneuse sortit lentement le véhicule de la vase et le corps fut placé dans un sac pour être conduit au laboratoire de la police scientifique.

Son identité fut bientôt confirmée. Il s'agissait en effet d'un dénommé Loïc, victime malheureuse des bandits qui finirent leurs jours en prison pour avoir tué cet homme et menacé nos deux amis.

 

Il restait quelques jours de vacances. Christine et Mathieu en profitèrent pour faire de belles balades dans les bois et nager dans la rivière proche.

Ils hésitèrent longtemps avant de replonger dans ce lac qui avait contenu un mort...