Isabelle

Isabelle

N°62

Le bracelet aux 7 vœux

     Vers minuit, une sorcière traversa le village où vivent Isabelle et sa famille. Tout le monde dormait. Personne ne la vit. Elle marchait vite et en silence. Elle suivit la route en terre qui longe l'église puis qui passe dans les champs. Ça mène à la forêt.

Elle s'arrêta au petit pont de bois, au-dessus de la rivière.

Là, elle se pencha un instant pour regarder couler l'eau. Le reflet de la lune brillait à la surface des petites vagues.

La vieille femme détacha un bracelet qu'elle portait au poignet. C'était un bracelet de cuir noir, plat, et décoré par sept coccinelles rouges. Elle murmura quelque chose, puis le jeta dans l'eau.

Elle se dirigea ensuite vers la forêt et disparut. On ne la revit jamais.

 

Le lendemain, un samedi, Isabelle partit dans l'après-midi se balader le long de la rivière qui coule derrière chez elle.

Du haut de ses cinq ans et demi, elle ne va jamais très loin. Papa et maman ne veulent pas qu'elle se perde dans la forêt. Le soleil brillait et les oiseaux chantaient.

Elle arriva au petit pont de bois et se pencha pour regarder passer des poissons. Elle aperçut un objet dans l'eau, entre les pierres.

Isabelle, qui ne savait pas que c'était un bracelet de sorcière, descendit le long du pont et se glissa entre les roseaux. Elle arriva au bord de l'eau. Elle se mit pieds nus et entra dans le courant.

Elle ramassa le bracelet noir puis remonta sur le pont.

La fillette compta les coccinelles collées sur le cuir. Sept! Puis elle le passa autour de ses doigts et le glissa à son poignet droit.

Elle entendit alors une voix qu'elle ne connaissait pas.

 

- Bonjour! Comment t'appelles-tu?

- Isabelle.

Notre amie se retourna pour voir qui lui parlait. Elle ne vit personne.

- Je suis là, dans le bracelet. Merci de m'avoir sortie de l'eau. Tu sembles bien gentille. Aimerais-tu recevoir des cadeaux?

- Oui.

- Je peux, si tu veux, t'en offrir sept.

- Je veux bien.

- Une seule condition, dit la voix. Après les avoir reçus, tu devras m'obéir sept fois.

- Que devrais-je faire?

- Ce que je te dirai.

Qu'en penses-tu, toi qui écoutes cette histoire? Aurais-tu accueilli les cadeaux? Oui? Mais après tu aurais dû obéir sept fois... sans savoir ce qu'on allait te demander...

Isabelle accepta. Aussitôt le bracelet rétrécit et serra le poignet de notre amie. Elle ne pouvait plus l'enlever.

 

- Que veux-tu comme premier cadeau? dit la voix.

- Je rêve depuis toujours d'avoir un vrai petit lapin blanc, dans une jolie cage dorée.

- Très bien. Retourne chez toi. Le lapin t'attend dans ta chambre.

Notre amie courut à la maison, monta l'escalier en trombe et ouvrit la porte de sa chambre. Elle découvrit un lapin doré dans une cage blanche!

- Ce n'est pas ce que j'avais demandé, dit Isabelle en parlant au bracelet.

Elle s'aperçut qu'il manquait une coccinelle. Il en restait six.

 

- Bon, que désires-tu maintenant? Deuxième cadeau.

- Je voudrais une poupée avec des tresses blondes et une salopette bleue, comme moi.

- Regarde sur ton lit.

La fillette se retourna. Elle trouva une poupée aux longues nattes noires et qui portait une salopette jaune. 

- Tu triches! dit Isabelle. J'avais demandé le contraire.

Le bracelet ne répondit rien. Il n'y avait plus que cinq coccinelles.

 

- Continuons. Qu'aimerais-tu recevoir à présent?

Notre amie se tut un instant, à court d'idées. Tout cela allait trop vite pour elle.

Tout à coup, elle trouva.

- Je peux demander quelque chose pour mes grands frères? J'en ai trois. Bertrand a dix-neuf ans, Benoît en a treize et Benjamin, qui partage ma chambre, en a sept et demi.

- Oui, tu peux, si tu veux, dit la voix.

- Benjamin est gourmand. Il adore le chocolat aux noisettes. Je voudrais que tu me donnes le plus gros bâton de chocolat aux noisettes qui existe au monde.

Une grande boîte apparut sur le tapis.

Isabelle appela son frère et l'ouvrit avec lui. Elle contenait six cent soixante-six petits bâtons de chocolat aux noisettes.

- Tu triches, bracelet! Tu ne fais jamais exactement ce que je te demande...

Par contre, Benjamin, très heureux, embrassa sa petite sœur et ouvrit un premier bâton qu'il dévora avec plaisir.

Il restait quatre coccinelles sur le bracelet.

 

- Je sais ce qui ferait plaisir à Benoît, déclara Isabelle. L'autre jour il voulait que papa et maman lui offrent un coffret pour sa console de jeux. La guerre des étoiles. Ils ont répondu que ça coûtait trop cher. Tu peux me le donner?

- Préviens ton frère, il va le recevoir dans cinq minutes, murmura la voix.

La fillette courut annoncer la bonne nouvelle à Benoît.

Il fit soudain très sombre dehors. Comme si la nuit tombait.

Un superbe feu d'artifice apparut dans le ciel noir. Les fusées se succédaient à un train d'enfer, illuminant l'espace de couleurs éclatantes. Le spectacle dura plusieurs minutes et fut de toute beauté.

Mais de nouveau, la réponse du bracelet ne correspondait pas à ce que notre amie attendait de lui. Elle n'avait pas demandé un feu d'artifice, mais un jeu vidéo. La sorcière ne savait peut-être pas ce que c'était...

Il restait trois coccinelles.

 

- Pour Bertrand, écoute-moi bien, dit Isabelle. Il adore lire. Donne-moi un gros livre, avec plein d'histoires passionnantes à découvrir.

Le livre apparut aussitôt sur le bureau du grand frère. La fillette s'en saisit et se tourna vers son frère de dix-neuf ans.

- Tiens, Bertrand. Regarde. Voilà pour toi, dit Isabelle avec un beau sourire.

Le jeune homme ouvrit le livre, somptueusement décoré. Il voulut lire les premières lignes en présence de sa petite sœur, mais c'était écrit en chinois!

 

Il restait deux coccinelles sur le bracelet.

Isabelle décida de faire plaisir à papa et à maman.

Pour papa, elle demanda un beau, grand, très grand bouquet de fleurs.

Un cactus apparut au milieu du salon, couvert de papillons qui s'envolèrent bien vite par la fenêtre. Le cactus était si grand qu'il touchait le plafond.

Papa le trouva très joli, mais un peu encombrant.

Isabelle n'était pas contente.

- Tu triches chaque fois. Tu ne fais jamais vraiment ce que je te demande.

 

- Et pour ta mère, tu veux quoi? dit la voix dans le bracelet qui ne possédait plus qu'une seule coccinelle.

- Ma maman dit qu'il faudrait acheter une nouvelle voiture, répondit notre amie. Je voudrais que tu lui en donnes une.

Isabelle entendit du bruit dans la rue. Elle courut chercher sa mère. Ils ouvrirent la porte de la maison et virent un carrosse doré tiré par six chevaux.

La dernière coccinelle avait disparu.

Il ne restait que le bracelet de cuir noir accroché au poignet de notre amie.

 

Sept fourmis rouges y apparurent.

- À présent, dit la voix, tu vas m'obéir sept fois...

 

- Que dois-je faire? demanda Isabelle.

- Prends des ciseaux et coupe tes deux tresses.

- Couper mes deux tresses! Ça je ne veux pas. 

- Tu dois, dit la voix dans le bracelet.

Notre amie sentit des larmes couler sur ses joues. Elle aime ses tresses et en est très fière.

Elle descendit l'escalier et prit une paire de ciseaux dans le tiroir de la cuisine.

Puis tout à coup, elle eut une idée.

- Tu veux que je coupe les deux tresses?

- Oui.

Notre amie retourna à sa chambre et coupa les deux tresses de la poupée qu'elle venait de recevoir du bracelet.

- Tu triches! dit la voix.

- Toi aussi tu triches, répondit Isabelle.

Une fourmi rouge disparut. Il en restait six.

 

- Et maintenant? Que veux-tu que je fasse?

- Tu coupes dans ta salopette.

- Mes parents seront fâchés si je fais ça. Je ne veux pas t'obéir.

- Tu refuses?

- Oui.

Le bracelet serra le poignet d'Isabelle de plus en plus fort.

- Arrête, ça fait mal! cria la fillette.

- Alors obéis.

Notre amie regrettait maintenant d'avoir accepté les sept cadeaux. Elle n'aurait jamais dû donner son accord d'obéir sans savoir ce qu'on lui demanderait de faire. Elle décida de se débarrasser de ce maudit bracelet.

Elle prit les ciseaux et tenta de le couper. Impossible. Ça lui faisait très mal, comme si elle se coupait un doigt. Il fallait obéir.

- D'accord. Je vais couper dans la salopette, dit-elle.

Isabelle venait d'avoir une idée.

Elle descendit l'escalier et entra dans le garage. Une vieille salopette en jean y était pendue à un clou. Les grands frères d'Isabelle l'ont mise à tour de rôle quand ils étaient petits garçons. Elle est usée, délavée, trouée. Mais notre amie la met quand elle va jouer à la rivière, derrière chez elle. Ainsi vêtue, elle peut se salir autant qu'elle veut et bien s'amuser, même dans la boue.

Isabelle la prit et coupa dedans.

- Voilà, dit-elle triomphante. Je fais ce que tu demandes. Je coupe dans la salopette.

Il restait cinq fourmis rouges sur le bracelet.

 

- Va voir ton frère Benjamin, et tire lui la langue trois fois, dit la sorcière.

- Il va me prendre pour une folle!

- Tant pis pour toi.

Isabelle réfléchit un instant.

- Mais oui! bien sûr! dit-elle. Quelle bonne idée!

La fillette descendit au salon et décrocha le cadre où se trouve une photo des quatre enfants. Isabelle regarda Benjamin droit dans les yeux et trois fois, elle lui tira la langue.

- Voilà! dit-elle triomphante.

- Pourquoi suis-je tombée sur une petite fille si intelligente et astucieuse, dit la voix. Voilà bien ma chance! Mais si tu crois que tu vas continuer à te moquer ainsi de moi, tu te trompes.

Il restait quatre fourmis rouges sur le bracelet.

 

- Occupons-nous de ton frère de treize ans, dit la sorcière. Va à la cuisine, prends un grand verre, remplis-le d'eau et de glaçons, puis verse le tout dans le cou de Benoît.

Isabelle descendit lentement l'escalier. Elle hésitait. Son frère allait sans doute se fâcher.

La mort dans l'âme, elle prit un grand verre dans l'armoire et y versa de l'eau du robinet. Puis elle y mit des glaçons.

Elle remonta l'escalier la peur au ventre. Benoît allait se mettre en colère. La main de notre amie tremblait et les glaçons s'entrechoquaient dans le verre.

Puis d'un coup, le visage de la fillette s'illumina. Elle but toute l'eau et avala les glaçons.

Ensuite elle entra dans la chambre de Benoît et inclina le verre dans son cou. Il ne restait plus une seule goutte d'eau.

- Vilaine gamine, dit la voix qui s'énervait. Tu m'as de nouveau trompée. Tu es très débrouillarde, mais je vais t'avoir.

Le bracelet ne comportait plus que trois fourmis rouges.

 

- Voici le tour de Bertrand, ton frère de dix-neuf ans. Je sais qu'il a peur des araignées. Prends-en une grosse quelque part et pose-la sur son lit.

Isabelle n'aime pas non plus ces animaux-là. Quand elle en voit dans sa chambre, elle appelle Benoît.

- Je n'oserai jamais en prendre une en main, se dit tout haut notre amie.

Puis une idée lui vint. Elle sourit malicieusement.

- Tu veux que je mette une grosse araignée sur le lit de mon grand frère? C'est bien ça que tu demandes?

- Oui, fit la voix.

- Bon, je t'obéis.

Isabelle retrouva au fond de son tiroir la fausse araignée que son ami David lui avait un jour offerte. Elle la posa sur l'oreiller du lit de Bertrand.

Quand le jeune homme se tourna, il eut d'abord un peu peur, puis il éclata de rire en voyant l'animal en plastique.

- Très drôle! dit-il à sa petite sœur.

Isabelle regarda le bracelet, il restait deux fourmis rouges.

 

- Ton papa, à présent, lança la sorcière invisible. Retourne à la cuisine. Prends le paquet de sel dans l'armoire, et verse-le, en entier, dans la casserole de soupe.

- Mais on ne pourra pas la boire! s'écria Isabelle. On devra la jeter.

- Tant pis! Et ainsi, toute ta famille se moquera de toi et en plus, tu seras punie.

Mais notre amie tenait déjà son idée.

Elle entra dans la cuisine et saisit un grand récipient vide et propre. Elle le posa sur la table. Elle y versa la soupe. Puis elle fit tomber tout le contenu du paquet de sel dans la casserole vide à présent.

- Et voilà, dit-elle. Le sel est dans la casserole, pas dans la soupe.

 

Dernière fourmi rouge.

- Tu crois m'échapper, maudite gamine! Tu te crois plus intelligente que moi. Tu te trompes. Allons dans le bureau de ta mère. Et cette fois tu vas m'obéir et puis te faire bien punir. Prends deux gros marqueurs dans ton cartable et dessine une araignée géante sur le mur. Une araignée toute noire, avec huit longues pattes rouges.

Isabelle réfléchit.

- L'araignée doit être sur le mur blanc?

- Oui, ainsi, tu seras punie et traitée de petite vilaine.

Isabelle prit un vieux drap de lit blanc. Elle y dessina une araignée géante. Puis elle choisit quatre punaises et fixa le drap sur le mur.

- Et voilà, dit-elle. C'est fini. Je t'ai obéi sept fois!

 

La dernière fourmi rouge venait de disparaître.

Le bracelet se détacha du poignet de notre amie et tomba sur le tapis. Il se tortilla comme un ver de terre, puis disparut.

Maman trouva le dessin amusant, puis proposa à Isabelle d'aller le clouer sur le mur du garage.

 

Drôle de bracelet! songea Isabelle. Il s'est moqué de moi. Il n'a jamais donné les cadeaux que je lui demandais. Mais je me suis bien débrouillée. Je ne voulais faire aucun mal à maman, à papa et à mes frères. Je les aime trop.