Magali

Magali

N°46

Trois petits vœux

     Magali jouait au jardin quand son ami, l'écureuil aux yeux très doux, arriva en courant sur l'herbe. Il semblait bien malheureux.

- Je n'ai plus de maison, dit-il.

- Tu n'as plus ton nid dans l'arbre, au bord du ruisseau?

- Non, un hibou me l'a pris.

- Comment est-ce possible?

- J'étais allé jouer dans l'eau ce matin, assez tôt. J'adore me baigner. Je suis resté un bon moment à sauter, à nager, à faire des cabrioles et quand je suis remonté dans mon arbre, un hibou occupait mon nid.

- Tu ne lui as pas demandé de partir?

- Je n'ose pas. Nous, les écureuils, nous avons peur de tout.

- Je viens avec toi, dit Magali en se levant. Moi, j'ai quatre ans et demi et je n'ai pas peur des hiboux.

- Tu es très gentille. Merci.

 

Magali poussa la barrière au fond du jardin et suivit la route en terre le long du champ de blé. Elle passa dans le pré qui mène à la rivière. L'arbre de son ami écureuil n'était pas loin. Elle aperçut le petit nid. Un hibou s'y trouvait et dormait bien tranquille.

La fillette l'appela trois fois.

- Vieil hibou! vieil hibou! vieil hibou!

- Que me veut-on? Pourquoi me réveille-t-on en plein jour?

- Vieil hibou, ouvre les yeux et regarde autour de toi. Es-tu dans ton nid?

Il se redressa et tourna la tête dans toutes les directions.

- Sapristi, dit-il, je me suis trompé.

- Ce nid appartient à un écureuil, affirma Magali. Tu dois le lui rendre.

- Je vais partir, s'engagea le vieil hibou. Mais le soleil brille. Il me fait mal aux yeux. Puis-je rester ici jusqu'au soir? Je promets de m'en aller à la nuit tombante.

La fillette se tourna vers l'écureuil aux yeux très doux.

- Tu es d'accord?

- Oui, il peut s'en aller tantôt, quand la nuit sera venue.

- Tu as entendu? Ce soir, au coucher du soleil, tu partiras.

- Promis, promis, fit le vieil hibou. Et encore toutes mes excuses. Je suis allé bien loin de mon arbre la nuit passée et en revenant ce matin, le soleil se levait et il m'a ébloui. Je me suis trompé de nid.

 

- Voilà, dit Magali en se tournant vers son ami écureuil. Ta maison te sera rendue ce soir.

- Merci, petite fille. Tu es très courageuse. Moi je n'aurais pas osé. Je veux aussi te faire plaisir. Peux-tu m'attendre ici cinq minutes?

- Oui, répondit notre amie. Je vais jouer au bord de l'eau.

L'écureuil partit dans le sous-bois. Il revint un peu plus tard avec une pomme de pin dorée étincelante.

- Voilà, dit-il. Elle est pour toi. Tu peux prononcer trois vœux. Tu peux lui demander trois cadeaux. Ce que tu veux.

- Merci, se réjouit Magali.

 

- J'aimerais que demain, tu m'accompagnes à mon école, reprit soudain notre amie. Je voudrais te montrer à tous mes amis et à mon professeur.

- Je n'oserais jamais, répondit le petit animal. Nous, les écureuils, nous avons peur de tout. Je ne veux pas venir en classe avec toi.

- Alors, dit Magali, ce sera mon premier vœu. Je souhaite que tu n'aies plus peur de rien.

Il y eut un instant de silence.

- Tu veux bien m'accompagner à l'école, à présent?

- Avec plaisir, répondit l'écureuil aux yeux très doux. Je verrai tous tes amis. J'irai dans leurs bras. Et je rencontrerai ton professeur.

- Tu n'auras pas peur?

- Moi? Je n'ai peur de rien. Pas même des hiboux.

Le premier vœu était réalisé.

 

Ce fut la fête en classe.

L'écureuil aux yeux très doux courut partout, sautant d'un banc à l'autre, d'un enfant à l'autre. Il monta sur le tableau, disparut derrière l'armoire, revint par la grande étagère, renversant les jeux et les dessins.

Chacun put le prendre dans les bras pour le caresser ou lui faire un câlin.

Il monta même sur la tête de madame l'institutrice, ce qui fit bien rire tout le monde.

Magali scintillait de bonheur.

 

Notre amie revint à la maison, à l'heure des mamans et des papas, avec son compagnon juché sur l'épaule. Elle songea qu'il lui restait deux vœux.

- Je sais ce que je voudrais, dit-elle à l'écureuil aux yeux très doux, mais je me demande si ce sera possible.

- Dis toujours, répondit le petit animal.

- J'ai déjà vu, après la pluie, de beaux arcs-en-ciel, mais quand on court vers eux, ils s'éloignent. Je voudrais un arc-en-ciel qui ne s'en irait pas et sur lequel je pourrais monter.

Une averse soudaine se produisit. En un instant la pluie mouilla l'herbe du jardin. Puis les nuages s'éloignèrent et un magnifique arc-en-ciel se forma, plus grand que la maison de notre amie. Il commençait dans le jardin et se terminait dans le champ de blé, au-delà de la route en terre.

- Vas-y, monte, dit l'écureuil aux yeux très doux.

Magali sortit de la maison sous les dernières gouttes qui tombaient encore et s'approcha de la lumière. Le rouge, l'orange, le jaune, le vert, le bleu, le violet, éclairaient le ciel encore sombre et couvert de nuages.

Notre amie fit trois pas. L'arc-en-ciel ne bougeait pas. Elle toucha le rouge du doigt. C'était doux comme de la ouate.

Une sorte d'escalier permettait de grimper. Magali posa un pied puis l'autre en se tenant à la colonne de lumière avec les deux mains et s'éleva peu à peu.

C'était merveilleux, incroyable.

La fillette arriva au sommet de l'arc. Elle s'assit un moment et regarda autour d'elle. Elle vit la forêt, encore noyée de pluie, le champ de blé illuminé de lumière et la maison qui brillait au soleil déjà revenu de ce côté.

L'arc-en-ciel diminuait. Il devenait peu à peu moins éclatant. Il était temps de repartir. Magali descendit marche par marche, à reculons, comme on descend d'une échelle. Quand elle mit pied à terre, l'arc-en-ciel disparut.

Elle s'éveilla comme d'un rêve.

- Merci petit écureuil, dit-elle, les yeux encore éblouis de lumière. Je suis très heureuse.

Notre amie revint à la maison. Il restait un vœu à prononcer.

 

Quand elle entra dans sa chambre, son petit chat, Polipilou, l'attendait couché sur le lit. Il semblait bien triste.

- Que se passe-t-il? demanda Magali.

- Je ne peux plus aller à la chasse aux souris.

- Pourquoi? 

- La nuit, quand tu dors, je sors de la maison et je retrouve mon copain, le chat gris. Nous allons à deux chasser les souris. Mais hier, nous avons rencontré une méchante chatte bleue. Elle habite la maison au bout de la rue. Elle nous a attaqués et nous a mordus et griffés. Elle nous a dit :

- Si je vous revois chasser les souris, gare à vous. Les souris du village sont pour moi, pas pour vous.

- Pauvre Polipilou, murmura Magali en caressant son petit chat.

Puis elle eut une idée.

- Je vais t'aider. Ce sera mon troisième vœu. Je veux que mon petit chat puisse de nouveau chasser les souris avec son copain.

 

- Je sais ce que tu dois faire, dit l'écureuil aux yeux très doux. Tu dois aller cueillir une herbe qu'on appelle « horribilis ».

- On en trouve où? demanda notre amie.

- L'herbe « horribilis » pousse dans le jardin des sorcières. C'est une herbe verte, un peu coupante et dont elle se sert pour fabriquer ses potions.

Magali se demanda où trouver une maison de sorcière.

 

Elle entra dans la chambre de son grand frère, Arnaud. Il a huit ans. Il était avec son amie Manon.

- Arnaud, y a-t-il une maison de sorcière dans notre village?

- Non, affirma le garçon. D'ailleurs les sorcières, je n'y crois pas.

- Pourtant, interrompit Manon, il y a une maison de sorcière à la sortie du village, le long de la route qui mène au bois, juste après le ruisseau. Mais peut-être que plus aucune sorcière n'y habite.

- Ça fait quand même peur, avoua notre amie.

Magali remercia les deux grands et partit avec l'écureuil aux yeux très doux vers la terrible maison.

Elle s'approcha d'une vieille chaumière dont le toit jaune était en paille, les murs en briques rouges et les fenêtres grises de poussière.

La fillette s'arrêta un instant au bord du petit ruisseau qui coulait devant l'étrange demeure. Elle n'était pas très rassurée.

Pourtant, notre amie ôta ses chaussures et passa dans l'eau. Elle s'assit dans l'herbe de l'autre côté et les remit aux pieds sans quitter la maison des yeux.

La porte brune était fermée. Des hautes herbes poussaient le long des murs de briques.

- Ce sont les « horribilis », murmura l'écureuil aux yeux très doux. Prends-en deux. Une pour ton chat et une pour son copain.

Magali passa en se baissant sous les fenêtres sales, couvertes de poussière et de toiles d'araignées. Elle se redressa pour regarder si quelqu'un habitait la chaumière. Elle ne vit personne.

Notre amie se retourna et tenta d'arracher deux « horribilis ». Il fallait tirer de toutes ses forces en tenant bien la tige à deux mains et en faisant attention pour ne pas se couper les doigts. Elle réussit à en arracher deux, au prix d'un gros effort.

 

Puis elle repassa devant la porte. Elle était ouverte à présent!

Pourtant, tantôt en arrivant, cette porte était fermée.

Magali se sauva en courant.

Elle retraversa le ruisseau sans se mettre pieds nus. Tant pis pour ses chaussures de toile. Notre amie n'osa même plus se retourner. Elle espérait que la sorcière ne la suivait pas.

Elle arriva tout essoufflée dans son jardin.

- J'ai eu peur, avoua-t-elle à son petit chat qui l'attendait.

- Moi, je n'ai même pas eu peur, fit l'écureuil aux yeux très doux.

- Oui, c'était mon premier vœu, dit Magali en souriant. Tu n'as plus peur de rien. Mais sois quand même prudent. Il ne faut pas jouer les casse-cou.

La fillette noua une des deux herbes « horribilis » autour du cou de Polipilou et l'autre autour de celui du chat gris qui venait d'arriver.

- Voilà, vous pourrez aller chasser les souris cette nuit. La méchante chatte bleue ne peut plus rien vous faire. C'est mon troisième vœu.

 

Après le repas du soir, Magali monta à sa chambre et regarda par la fenêtre. Le ciel noir se remplissait d'étoiles.

Notre amie aperçut les deux chats qui s'en allaient chasser les souris. Ils croisèrent la chatte bleue. Mais celle-ci aperçut les herbes « horribilis » attachées au cou des deux amis.

La chatte bleue s'enfuit en miaulant.

Le même soir, l'écureuil aux yeux très doux retrouva son nid, dans l'arbre, près de la rivière. Le hibou était parti.

Magali sourit et se coucha.

Cette nuit-là, elle rêva d'arcs-en-ciel.