N°60
Près de chez Magali se trouve un étang à moitié couvert par des nénuphars. Notre amie de quatre ans et demi adore de s'y rendre pour observer les canards, les grenouilles et les jolies libellules bleues.
Ce jour-là, elle aurait été bien étonnée d'entendre une vraie bagarre à cet endroit pourtant souvent paisible.
Un lézard et une libellule se disputaient ferme.
- Je suis la plus jolie, affirmait la libellule. Observe mon corps bleu, mes ailes fines, gros lourdaud. Je suis la reine de l'étang.
- Tu te trompes. C'est moi le plus beau, lança le lézard. Admire mes écailles vertes qui luisent au soleil.
- Tu trouves çà séduisant ? répondit la libellule. Regarde tes petites pattes trop courtes. Tu rampes par terre. Moi je vole !
- Méfie-toi, mes pattes sont petites mais je cours vite et je bondis avec souplesse sur mes proies. Ne t'approche pas trop. Je pourrais t'attraper et te manger.
- Ah oui ? Essaye ! Tu tomberas dans l'eau et je parie que tu ne sais même pas nager.
Magali arriva au bord de l'étang juste à ce moment.
Elle venait de commettre une bêtise...
Sa grand-mère, qu'elle appelle bonne-mamy, venait de lui offrir une splendide grosse bille qu'elle avait retrouvée au fond d'un tiroir de l'armoire de sa chambre.
Et notre amie avait eu cette idée saugrenue de monter au grenier, d'y ouvrir la fenêtre et de laisser rouler cette bille sur le plan incliné du toit. De là, elle passerait dans la corniche, puis entrerait dans la gouttière, pour ressortir au jardin. Comme sur un vrai toboggan.
La bille, en effet, roula très vite sur les tuiles du toit, suivit un instant la corniche, et disparut dans la gouttière le long du mur de la maison. Magali referma la fenêtre du grenier, courut dans l'escalier, sortit au jardin, mais la merveilleuse bille avait disparu...
La fillette chercha partout, les larmes aux yeux, mais elle ne la retrouva pas.
Elle se rendit à l'étang pour y demander l'aide de ses amis animaux. Elle entendit en arrivant la querelle entre la libellule et le lézard.
Elle s'approcha et les regarda. Ils cessèrent de se bagarrer.
- Arrêtez votre dispute, dit notre amie. J'ai besoin de vous. Ma bonne-mamy m'a offert une très belle bille qui brille au soleil. Hélas, j'ai fait une bêtise en la laissant rouler le long du toit de la maison puis dans la gouttière. Et je ne la retrouve plus. S'il vous plaît, aidez-moi. Toi la libellule tu peux voler partout. Et toi, le lézard, tu as de la colle sous tes pattes et tu grimpes sur les murs. Cherchez-la et apportez-la moi.
Les deux animaux, cessant un instant leur dispute, partirent aussitôt.
Ils revinrent une heure après.
- Je sais où se trouve ta bille, Magali, dit la libellule, et le lézard ira la chercher car elle est trop lourde pour moi. Mais quelle aventure ! Je vais te la raconter :
"Elle a d'abord glissé dans la gouttière et en sortant, emportée à toute vitesse, elle a roulé dans une flaque de boue. Voilà pourquoi tu ne l'as pas vue.
- Je vais aller la chercher, dit la fillette.
- Attends, reprit la libellule, ce n'est pas fini. Un raton-laveur qui passait par là l'a aperçue. Il l'a prise et est allé la laver dans l'eau du ruisseau. Ensuite il est parti l'offrir au petit faon qui vient de naître là-bas, dans le bois. Il voulait devenir son ami. Ils ont même joué ensemble un moment.
"Puis le faon a entendu l'appel du grand cerf qui voulait rassembler sa harde. Il est parti avec la biche, sa maman. La bille est restée là, parterre. Le raton-laveur est retourné dans son terrier.
"Une taupe s'en est approchée attirée par sa lumière brillante qui la faisait étinceler au soleil. Les taupes ont une fort mauvaise vue.
"Ce petit animal a songé que cette bille illuminerait les tunnels qu'elle creuse un peu partout. Elle l'a emportée avec elle.
"Mais au fond de la galerie souterraine, il n'y a pas de soleil. La bille ne brillait plus du tout. La taupe l'a remise au pied d'un arbre.
"Un perroquet rouge et jaune qui passait par là en volant l'a vue et l'a prise dans son bec crochu. Il l'a placée au bord de son nid.
"Mais un pivert a suivi le perroquet. Il s'est placé contre le tronc de l'arbre et a commencé à le marteler avec son bec pointu. D'habitude, ces oiseaux font cela pour faire tomber les insectes et les chenilles qu'ils mangent ensuite.
"Ta bille, Magali, continua la libellule, a roulé dans l'herbe. Le pivert l'a ramassée et s'est envolé vers son nid. Mais il l'a perdue en route, près d'un étang. Il ne l'a pas retrouvée.
"Des canards se sont approchés. Ils pensaient la prendre et la conduire sur leur ile. Leurs petits canetons s'amuseraient avec.
"Mais ils ont abandonné le projet.
"Sur un vieux mur de brique qui borde l'étang sur son côté gauche, se trouvait un corbeau noir. Lui aussi avait repéré la bille et la voulait.
"Il a agité ses ailes et a poussé des "croaa" "croaa" si menaçant que les canards se sont enfuis.
"Un garçon qui passait a vu la bille et a voulu la ramasser pour jouer avec ses copains. Mais le corbeau a poussé ses croassements en agitant ses ailes noires. Le garçon est parti en courant.
"Une fille l'a prise en main, mais le corbeau s'est de nouveau montré très menaçant.
"La fille s'est sauvée en la laissant à terre, dit la libellule.
- J'y vais, lança notre amie. Je n'ai pas peur des corbeaux.
- Elle n'est plus là, reprit la libellule.
"Un hirondelle s'en est saisie et l'a emportée dans son nid. Le corbeau a tenté de la poursuivre mais il ne vole pas aussi vite que l'hirondelle. Il a abandonné la poursuite.
"Ce nid se trouve juste sous le toit de la maison de tes parents, Magali. Mais je ne réussis pas à la prendre. Elle est trop lourde.
- Je m'en occupe et je te l'apporte, lança le lézard vert. Je sais grimper sur les murs.
Le petit animal disparut un moment, puis il revint avec la précieuse bille.
- Bravo, fit notre amie en souriant. Vous vous êtes montrés efficaces tous les deux. Mille mercis. Suivez-moi. Je vais vous donner des miettes de biscuits. Je sais que vous adorez ça.
Les deux petits animaux retournèrent à l'étang.
- Je suis la meilleure, déclara la libellule. J'ai retrouvé la bille de Magali.
- Oui, mais moi je la lui ai apportée. Elle était trop lourde pour toi. Je suis le meilleur.
- Sans moi, notre amie ne l'aurait jamais retrouvée, et toi non plus, affirma la libellule.
- Je suis allé la chercher dans son nid, répondit le lézard, ce que tu étais incapable de faire.
Et leur dispute recommença de plus belle.
On m'a dit qu'aujourd'hui, ils se bagarrent encore. Je crois que cette querelle ne finira jamais.
Tu les entendras se crier dessus si tu vas au bord de leur étang...