Christine

Christine

N°20

Le Loup

     Après trois jours de pluie, il faisait enfin beau.

Christine a dix ans. Elle habite dans une grande forêt avec son papa bûcheron et sa maman avec qui elle étudie à la maison. Notre amie ne va pas à l'école. Le village se trouve trop loin. 

Elle demanda un matin la permission de partir pour la journée. Elle avait envie d'aller jusqu'au lac, une longue promenade, mais elle aime bien nager à cet endroit. Comme elle ne devait pas aider son père à ramasser des bûches ce jour-là, et que ses devoirs étaient finis, ses parents lui permirent de partir pour la journée.

Comme d'habitude, lors de ses randonnées, elle mit sa salopette en jean usée et délavée par les pluies et les baignades et enfila ses tennis. Elle accrocha une gourde pleine d'eau à sa ceinture et elle plaça son canif dans la poche de sa salopette. Elle se fit une tartine garnie pour midi, qu'elle emballa et qu'elle glissa également dans sa poche. Elle arrangea une de ses tresses qui se défaisait et ainsi équipée, elle partit dans la grande forêt.

Christine marchait depuis une heure environ, lorsqu'elle entendit un bruit derrière elle. Elle s'arrêta et se retourna.

-Oh, renard! s'exclama notre amie.

-Bonjour, répondit le renard.

Notre amie possède un don, un don assez extraordinaire, celui de savoir parler aux animaux et de les comprendre. Pas tous, seulement les quatre pattes, les deux pattes et les serpents. Elle dialogue souvent avec ses amis dans la forêt et particulièrement avec un hibou qu'elle appelle Chachou et qu'elle voit tous les soirs avant de s'endormir.

Christine s'approcha du renard et le caressa. Elle l'avait rencontré tout petit et il était devenu un grand ami.

-Où vas-tu ? demanda le renard.

-Je me rends au lac, expliqua la jeune fille. Il fait beau. J'avais envie d'aller m'y baigner.

-Bonne idée, je t'accompagne, répondit le renard, nous ferons quelques pas ensemble.


Ils avançaient sur le chemin en terre et en boue, quand Christine aperçut au loin un animal qui ressemblait à un chien.

-Tiens ! murmura notre amie. Un chien ! On n'en voit jamais dans la forêt.

-Ce n'est pas un chien, mais un loup, dit le renard.

-Un loup ! s'étonna Christine.  Impossible ! Papa dit toujours qu'aucun loup ne vit dans notre forêt.

-Peut-être, murmura le renard, mais moi, je me sauve. Et toi, je te conseille de grimper dans un arbre.

La jeune fille suivit le conseil de son ami, et monta dans un chêne. Elle s'assit sur une grosse branche et scruta avec attention le chemin depuis son observatoire.

L'animal arriva et s'arrêta sous la branche, au pied de l'arbre que notre amie venait d'escalader.

-Bonjour, dit Christine.

-Bonjour, répondit le loup. Tu parles aux animaux ?

-Oui, un hibou m'a appris à comprendre vos langages. Tu es un chien ou un loup ?

-Je suis un loup.

-Mon père dit qu'il n'y a pas de loup dans nos bois !

-Et bien, maintenant, il y en a un ! Je viens d'une autre forêt, expliqua l'animal, mais je me suis perdu. Cela fait trois jours que je marche, sans rien manger. J'ai très faim. 

Il ouvrit sa gueule et fit apparaître entre ses babines, deux rangées de longues dents pointues.

Christine frissonna de peur, même dans son arbre. Elle se trouvait si loin de sa maison !

-Descends près de moi, demanda le loup.

-Oh non, je n'oserais jamais. Si je viens près de toi, tu vas me dévorer.

-Mais non, affirma l'animal. Je ne vais pas te manger, voyons. À quoi penses-tu là ?

-Pourtant je dis la vérité ! Tu connais l'histoire du petit chaperon rouge ? Le loup la mange à la fin.

-Oui, d'accord, il la mange. Mais ne reviens pas avec cette histoire ancienne. Et puis, cet animal mange d'abord la grand-mère... Belle erreur ! Plus de place dans son ventre pour la petite fille bien tendre... Comment t'appelles-tu? 

-Christine.

-Que fais-tu dans la forêt, toute seule ?

-Pas toute seule. Papa et maman n'habitent pas loin.

-Ah oui, susurra le loup, je ne les vois pas.

-Ils sont à la maison.

-Loin d'ici !

-Quand même, soupira Christine.

-Bon, donc, nous voilà seuls tous les deux. Si tu descendais, je ne devrais pas me tordre le cou pour te parler, affirma le loup.

-Je n'ose pas, avoua la jeune fille.

-Si tu veux un ami, dit le loup, il faut prendre des risques. Tu n'aurais pas, par hasard, quelque chose à manger ?

-Oui, répondit Christine, toujours incapable de dire un mensonge. J'ai emporté une tartine pour ce midi.

-Donne-la moi.

-Si je te la donne, il ne me restera rien à manger, j'aurai faim.

-Certainement moins faim que moi, répondit le loup. Tu sais moi, ça fait trois jours que je n'ai rien mangé. Je parie, continua le loup, que toi, tu as pris quelque chose ce matin encore.

-Oui, concéda notre amie. Mais quand même…

-Allons supplia le loup, fais un petit effort…

-Si je te donne ma tartine, tu partiras ?

-Mais non, je ne partirai pas ! Si tu m'offres à manger, nous serons amis. Les amis ne se séparent pas.

Christine hésita un moment. Puis elle alla dans sa poche, elle sortit sa tartine. Elle la déballa et la jeta au loup. Il en fit deux bouchées.

-Tu descends maintenant ?

-Si je ne descends pas, tu vas rester là ?

-Il faudra bien, répondit l'animal. Tu te prives pour moi... Maintenant nous sommes amis.

La jeune fille regarda attentivement le loup dans les yeux. Puis elle s'accroupit sur la branche et s'apprêta à sauter.


Toi, qui lis ce récit, réfléchis un instant. Serais-tu resté sur la branche ou serais-tu descendu ?


Christine sauta.

-Bravo ! Maintenant, tu peux venir me caresser.

Notre amie s'approcha lentement, très lentement, puis se décidant, elle lui caressa la tête. Peu à peu, son angoisse fondit. Elle se rassura et le loup lui lécha les mains.

-Nous voilà amis pour la vie, promit le loup. Il ne te reste vraiment rien à manger ?

-Tu ne sais pas te débrouiller pour trouver ta nourriture tout seul ?

-Par ici, je ne connais encore rien, expliqua son nouveau copain. Mais je trouverai bientôt.

-Si tu veux, suggéra Christine, on peut retourner chez moi. Je ne sais pas si maman voudra me donner quelque chose au milieu de l'après-midi, mais je peux toujours lui demander.

-D'accord, dit le loup. Je t'accompagne.


Lorsque Christine arriva, chez elle, à trois heures, maman s'occupait dans la maison. Le loup se cacha derrière un arbre.

-Maman, je pourrais avoir une tartine s'il te plaît, j'ai faim.

-Qu'as-tu fait de celle de ce midi, ma chérie ?

-Je… je ne l'ai pas mangée. Je l'ai donnée à un animal affamé.

-Je reconnais ma grande fille très généreuse, et qui se prive pour les autres. Mais moi, je ne nourris pas tous les animaux de la forêt. Bon. Fais-toi une tartine quand même.

-Maman ?

-Oui.

-Je peux aussi prendre le restant du poulet au frigo ?

-Comme tu veux, ma chérie. Je comptais te le réserver pour ton souper. Mais si tu préfères, tu peux le manger maintenant.

-Merci, sourit notre amie.

Elle prit le poulet, la tranche de pain et elle sortit. Elle se dirigea immédiatement vers le loup et lui donna le poulet. Quand on a un ami, on partage et on lui donne le meilleur.

À partir de ce jour-là, Christine et le loup devinrent des merveilleux compagnons.


Le lendemain, ils passèrent toute la journée ensemble. Le loup lui fit découvrir beaucoup de choses : les petits trèfles qui poussent le long des ruisseaux. Ils sont un peu sûrs, mais cela rafraîchit la bouche de les mâcher. Et certaines fleurs sucrées comestibles.

Il lui apprit à reconnaître les champignons des bois. Il faut distinguer les bons des vénéneux.

Souvent, Christine et le loup allaient à la rivière ou dans un étang. Ils se baignaient ensemble, ou bien jouaient à s'arroser, à se poursuivre dans l'eau.

Mais le jeu préféré de l'animal était : «au loup».

-Loup, loup, es-tu là? lançait la jeune fille.

-Oui, je mets ma chemise.

-Loup, loup, es-tu là? 

-Oui, j'attache mes chaussures.

Quand à la fin, il devait se jeter sur Christine, ils roulaient dans l'herbe en riant. Il ne lui fit jamais mal.


Le lendemain, le troisième jour après la rencontre avec le loup, papa ne se leva pas. Brûlant de fièvre, il ne pouvait pas aller travailler. Il pleuvait ce jour-là. Il appela sa fille et lui dit :

-Ma chérie, je voudrais que tu ailles rassembler des bûches, près des grands sapins. Un client doit venir ce soir. Il faut remplir une remorque. Maman viendra la chercher tantôt avec le tracteur, et te ramènera ici.

Christine aide volontiers son père, surtout quand ils vont ensemble au bois. Mais aujourd'hui, elle allait s'y rendre seule. Heureusement, le loup l'accompagnait.

Elle travailla toute la matinée, trempée sous la pluie. Certaines bûches traînaient dans la boue. Elle en couvrit partout sa salopette toute mouillée. Le loup l'aidait de son mieux, en saisissant des bûches entre ses dents et en les apportant à son amie.

Sa mère arriva vers midi avec le tracteur. Elle aperçut le loup.

-Ma chérie, c'est quoi cette bête-là ?

-Un loup, maman, murmura la jeune fille.

-Christine! Ne sais-tu pas que ces animaux sont des prédateurs extrêmement dangereux ?

-Pas celui-là, maman. Lui, il est très gentil. Regarde comme il m'aide. La remorque est déjà chargée.

-Aidée ou pas aidée, je ne veux plus entendre parler de lui.

-Mais... on est devenus amis.

-Non, ma chérie. Une petite fille ne peut pas devenir l'amie d'un loup. Je ne veux plus te voir avec cet animal. Tu as bien entendu Christine ?

Notre amie ne promit rien et revint avec sa mère, asssise sur le tas de bois dans la remorque. Il pleuvait toujours. Le loup suivait de loin. Puis elle entra se réchauffer et se sécher près du feu de la cheminée.


Le lendemain, Papa n'allait vraiment pas mieux. Il transpirait beaucoup. Après la visite du docteur, maman envoya sa fille au village chercher des médicaments.

Pour s'y rendre, il faut marcher près de deux heures, et en compter deux autres pour le retour.

Notre amie prit l'argent et partit, accompagnée de son loup, qui bien sûr s'arrêta et attendit à l'entrée du village. Elle acheta les médicaments et puis s'apprêta à revenir. Mais avant de se mettre en route, il lui restait quelques cents et maman avait dit qu'elle pouvait les employer à sa guise. Elle alla au magasin s'offrir quelques bonbons. Elle entendit plusieurs personnes parler du loup. La vendeuse demanda même à Christine :

-N'est-ce pas toi qui habite dans la forêt ?

-Oui, madame.

-Sois prudente ! Un loup erre dans ces bois. Une mauvaise bête, féroce, sanguinaire.

-Comment le savez-vous ? interrogea la jeune fille.

-Parce qu'il vient jusque dans nos fermes pour manger nos poulets et nos lapins. Il a même égorgé un mouton ! Bientôt les chasseurs se réuniront et lui donneront la chasse. Ils iront avec ton papa. Ils organiseront une battue dans la forêt.


Christine retourna à la maison avec son ami.

L'après-midi, elle s'assit contre un arbre à une centaine de mètres de chez elle. Elle lui demanda :

-Tu tues des poulets et tu égorges des moutons ?

-Oui, répondit le loup. Et toi, tu ne manges jamais du poulet peut-être ? Tu ne vois jamais du mouton ou de l'agneau dans ton assiette ?

-Oui, c'est vrai, répondit notre amie.

-Moi, de même. Je dois manger pour vivre. Tu ne peux pas sans cesse te priver de ton dîner pour me nourrir !

-Mais les chasseurs vont te tuer.

-Tu crois que les chasseurs me font peur? Autre chose, ajouta le loup, ton père est encore malade ?

-Oui.

-Pourquoi tu ne lui donnes pas une feuille bleue de l'arbre bleu ?

-Une feuille bleue ?

-Oui, expliqua l'animal. Cherche un arbre bleu dans ta forêt. Cueille une de ses feuilles, glisse-la sous l'oreiller de ton papa au soir. Le lendemain, il sera guéri.

-Je voudrais te croire, murmura la jeune fille. Mais un arbre bleu, ça n'existe pas.

-Pourtant, chaque forêt possède le sien, affirma le loup. Il doit s'en trouver un aussi dans la tienne. Pour le savoir, il suffit de suivre un papillon bleu. Tu veux essayer ?

-Je veux bien, sourit Christine.


Notre amie et le loup s'éloignèrent de la maison. Après une demi-heure environ, ils aperçurent un papillon bleu qui butinait une fleur. Ils le suivirent. Le papillon s'éloignait vers un endroit où se dressent de très grands rochers. Christine connaît bien ce lieu. Elle y est déjà allée plusieurs fois, notamment avec son père.

Le papillon bleu se glissa entre les rochers et disparut dans une grotte qui se trouvait au bout d'un passage étroit.

-Voilà, dit le loup. Il faut le suivre par là. On y va ?

-Pas maintenant, dit la jeune fille, il est trop tard. Il fera bientôt noir et je ne peux pas rester toute seule dans la forêt la nuit. Mais si tu veux, nous irons demain.

-D'accord. Rendez-vous ici, devant la grotte, demain matin, tôt.


Le lendemain matin, le cinquième jour, Christine s'apprêta à partir. Elle n'osa pas dire à maman qu'elle s'en allait pour toute la journée. On lui aurait interdit de s'éloigner à cause du loup. Elle ne prit donc ni sa gourde, ni ses tartines. Elle quitta discrètement la maison et marcha d'un bon pas jusqu'aux grands rochers. Elle aperçut son ami au pied de l'entrée.

La jeune fille escalada les roches et parvint près de la grotte à son tour. C'était tout noir là dedans. Notre amie regrettait déjà de ne pas avoir emporté une lampe de poche.

-Voilà, montra le loup, il suffit de te glisser par là.

Christine hésita et puis, pensant à son père et à la feuille bleue qu'elle allait sans doute découvrir ici, elle s'y faufila. Cela descendait en pente raide et boueuse. Soudain elle dérapa, puis elle roula vers le bas de la caverne.


Après avoir glissé tout un moment sur le dos, elle atterrit sur une dune de sable blanc. Elle se redressa et vit arriver le loup par le même chemin.

-Pourquoi me suis-tu ?

-On est des amis. Je veux t'aider… C'est glissant par ici. Je ne sais pas comment on va sortir, mais je reste à tes côtés. Un ami n'abandonne jamais son amie en difficulté.

Christine explora la caverne. Aucune trace de l'arbre bleu ! Étrangement, une porte apparut dans l'obscurité, à l'autre bout de la grotte. Une porte fermée, non pas avec une poignée, mais par deux mains de cuivre rouge.

Notre amie regarda avec attention, poussa, tira, serra, mais les mains ne bougeaient pas. Elles avaient l'air prêtes à recevoir quelque chose. Mais quoi ?

-Cherchons, proposa l'animal.

Il flaira les mains. Puis courut à droite et à gauche. La jeune fille le suivit. Il s'arrêta près d'une grosse pierre ronde.

-Voilà ! dit le loup.

Christine tenta de la soulever, mais elle était trop lourde. Elle la fit rouler sur le sol. Arrivée devant la porte, elle la leva péniblement et la posa entre les deux mains qui aussitôt s'écartèrent, laissant tomber la roche au sol, mais la porte s'ouvrit.


Notre amie et son compagnon passèrent dans une deuxième grotte. Ils y trouvèrent une belle étendue d'eau tout à fait transparente, un lac souterrain. Le loup s'y précipita pour boire. Christine se pencha et but aussi. Elle n'avait pas emporté de gourde avec elle, tu t'en souviens.

Aucune trace d'arbre bleu dans cette deuxième caverne.

Une ouverture, une sorte de boyau où il fallut ramper, permettait de passer dans la grotte suivante. Christine s'y glissa, suivie fidèlement par son loup.


Quelle horreur ! Le sol de la troisième était jonché de squelettes. Christine et son copain reconnurent des crânes humains et des longs os ! Des gens étaient morts à cet endroit ! Dans un coin de la grotte, se dressait une haute grille en fer, toute rouillée. Une bête, une sorte de monstre à six pattes, se tenait enfermée derrière ces barreaux. Elle grogna. Notre amie ne la comprenait pas car elle ne sait pas parler aux six pattes.

Christine enjamba plusieurs squelettes et s'approcha d'une étrange porte sans poignée, mais garnie de crochets ! Divers objets sculptés traînaient répandus sur le sol.

-Oh, un loup ! s'exclama la fillette en ramassant l'un d'eux.

-Pas très beau, jugea son compagnon. Et voici un chasseur ! Évidemment ! Quand on parle d'un loup, on découvre presque toujours un chasseur…

-Oh regarde, un soleil.

-Et cette vilaine bête ? demanda l'animal.

-Une chèvre, expliqua Christine.

-Oui… si on veut... Pas très bien sculptée. Pas très appétissante.

-Et ça ? On dirait un éclair, fit notre amie qui empilait les objets dans ses bras.

-Et un chou, dit le loup. Beurk !

-Que font là tous ces objets ? se demanda tout haut la jeune fille.

Sur la porte de bois, six crochets en rang semblaient prêts à recevoir les six objets. C'était sûrement ainsi qu'on ouvrait, mais dans quel ordre fallait-il placer les petites sculptures qu'elle venait de ramasser sur le sol ?

-Commence par le soleil, il se lève en premier, proposa le loup.

Notre amie accrocha le soleil. Ils entendirent un grognement, tout au fond de la grotte. La jeune fille se retourna et vit avec horreur, qu'un des barreaux de la cage s'enfonçait dans le sol. La bête, cachée derrière s'agita.

-Chaque fois qu'on se trompe à ce jeu, un barreau disparaît, s'écria Christine. Quand trois ou quatre barreaux auront disparu, la bête pourra sortir et nous dévorer. Dans quel ordre faut-il placer les objets ?

Aidez un peu votre amie, vous qui lisez. Avez-vous une idée ?


Tout à coup, Christine se souvint d'une histoire que son papa lui racontait quand elle était petite. Une histoire avec un chou qu'une chèvre veut manger. Pour que la chèvre ne mange pas le chou, on envoie le loup faire peur à la chèvre, et pour que le loup ne dévore pas la chèvre, on demande au chasseur de poursuivre le loup. Et pour que le chasseur accepte d'y aller, on appelle un orage. Et pour que l'orage ne se sauve pas vers la montagne, on demande au soleil de le menacer.

Notre amie prit successivement le chou, la chèvre, le loup, le chasseur, l'orage et le soleil. Elle les posa dans les six encoches et la porte s'ouvrit. Elle put entrer la quatrième dans la grotte avec son compagnon.

Toujours pas d'arbre bleu !


Christine trouva l'endroit sinistre, froid et sombre. Par terre, stagnait de la vase brune. Au fond, elle aperçut une porte. Plus les deux amis s'avançaient vers elle, plus ils enfonçaient dans la boue.

-Maman va me gronder, pensa à voix haute la jeune fille. Elle dit toujours que je rentre toute sale de mes randonnées. Tant pis. Je suis ici pour essayer de soigner papa.

L'eau froide et la vase lui venait jusqu'à la ceinture ! Elle toucha la porte. Mais comment l'ouvrir ? Elle ne vit rien. Pas de serrure, pas d'encoche, pas de sculpture. Rien !

Christine essaya de revenir en arrière, pour retourner dans la grotte précédente, mais la porte s'était refermée. On ne pouvait plus passer par là.

-Qu'allons-nous faire ? demanda notre amie à son loup.

-Je ne sais pas. Regardons partout. On ne va tout de même pas se laisser mourir de faim dans cette grotte.

-Ah non, affirma Christine.

Ils cherchèrent encore un moyen de sortir, mais ne trouvèrent rien.

-J'ai peur, murmura la jeune fille, le temps passe, quelle heure est-il, tu crois ?

-Je n'en sais rien, répondit le loup. Le début de l'après-midi sans doute. Nous avançons dans ces grottes depuis longtemps.

-Oui, je pense aussi, murmura notre amie. J'ai faim.

-Tu n'as rien emporté avec toi ?

-Non, répondit Christine. Je n'ai pas osé dire que je partais pour la journée. On me l'aurait interdit.

-Mais moi aussi, j'ai faim, grogna le loup. Allons, cherchons encore. Nous finirons par découvrir cet arbre bleu.

Tout à coup, la jeune fille sentit une sorte de levier sous ses pieds.

-Essaie de le faire bouger! s'exclama le loup.

Pour l'actionner, Christine dut plonger dans l'eau sale, jusqu'au cou ! Elle saisit le levier de toutes ses forces en bloquant sa respiration et en fermant les yeux. Elle bascula le levier et se redressa. Une sorte de fenêtre, un petit espace par lequel on pouvait ramper, venait de s'ouvrir. Notre amie s'y faufila, suivie par son copain. Ils débouchèrent dans la cinquième grotte.


-Quel froid ! dit la jeune fille.

Ils se trouvaient à présent sur un lac gelé. La grotte était belle, plus lumineuse que les autres. Les stalactites et les stalagmites en cristal de glace resplendissaient. À gauche et à droite, on devinait des paquets de neige.

Christine tremblait de froid ! Les pieds nus dans ses tennis, en simple t-shirt, sans veste, la salopette encore mouillée, elle grelottait. Elle sentait ses pieds se raidir de froid et ses mains aussi.

Toujours pas d'arbre bleu !

Elle aperçut une clé, sous la surface de la glace. Levant les yeux, elle découvrit la porte de sortie, couverte de givre, pas loin d'elle.

Il fallut casser la glace. Elle frappa de toutes ses forces avec une des pointes de son canif. Cela l'empêchait de mourir de froid. Elle créa un trou assez large pour y passer la main. La clé se trouvait plus profondément qu'elle le pensait : elle ne put l'atteindre. L'eau était tellement froide que sa main ressortit toute bleue.

-Comment allons-nous faire pour attraper cette clé ? On va mourir de froid ici.

-Élargis le trou, dit le loup. Je sauterai dans l'eau, et j'irai la chercher. Toi, tu m'aideras à ressortir.

-Merci, dit Christine. Tu es courageux !

-Surtout, je suis ton ami, ajouta le loup. Des amis s'entraident dans les moments difficiles.

L'animal sauta dans l'eau glacée. Christine le vit nager jusqu'au fond, ouvrir la gueule, prendre la clé, et remonter. Il posa ses pattes sur le bord de la glace. La jeune fille les saisit et tira de toutes ses forces. Elle glissa sur le dos. Le loup en sortant de l'eau, tomba sur notre amie. Ils furent tous les deux trempés.

Christine introduisit la clé dans la serrure, en tremblant de froid, et la porte s'ouvrit, une énorme porte épaisse de près d'un mètre. Notre amie avança avec son fidèle compagnon et tout se referma derrière eux.


La sixième grotte était la plus grande. Une forte chaleur les surprit et les réconforta. Sur la gauche se trouvait une rivière de lave volcanique, orange. Derrière cette lave, sur une île, poussait un arbre bleu, dont toutes les feuilles étaient bleues.

-Oooh! murmura la jeune fille, l'arbre bleu !

-Je le savais, affirma le loup. Va vite arracher une feuille. Emprunte l'arche de pierre qui passe au-dessus de la lave.

Au moment où notre amie s'approcha de l'arbre, cela remua et un dragon sortit son énorme gueule, hors de la roche liquide et bouillante.

-Ne touche pas à mon arbre bleu, ou je t'emporte dans mon bain de lave.

Christine, terrorisée, n'osa plus bouger. Maintenant, elle ne tremblait plus de froid mais de peur.

-Mon père est malade, très malade, dit-elle. Mon ami le loup m'affirme que si je place une feuille bleue sous son oreiller, il guérira. S'il te plaît, dragon, laisse-moi en cueillir une. Je ne veux pas te faire de mal. S'il te plaît, accepte...

-Tu sembles courageuse, répondit le dragon. Je veux bien te laisser cueillir une feuille de mon arbre. Mais d'abord tu devras résoudre trois énigmes. Si tu réponds juste, tu pourras prendre une feuille bleue et je t'ouvrirai les portes de la grotte. Tu pourras retourner chez toi. Si tu rates une seule des trois épreuves, tu resteras ici pour toujours. Maintenant, si tu veux sortir tout de suite, sans prendre de feuille, tu peux t'en aller.

-Que fait-on ? demanda le loup.

-Sors déjà toi. Inutile qu'on soit enfermés tous les deux ici.

-Ah non, répondit son compagnon. Je ne te laisse pas seule. Je suis ton ami, je reste à tes côtés.

-Alors, vous vous décidez ? grogna le dragon.

-Pose-moi tes énigmes, déclara la jeune fille. Je risque, car je veux sauver mon père.

-Bien, réfléchit le dragon en grattant son énorme tête avec une de ses pattes couvertes de griffes. Première question : je suis toute nue, et pourtant, je contribue à vêtir les gens.

Christine réfléchit un moment. Plusieurs idées lui vinrent à l'esprit. La grenouille, toute nue... n'habille personne, le mannequin d'une couturière... Puis, tout à coup :

-L'aiguille.

-Bien, dit le dragon des laves. Deuxième question : pourquoi construit-on un mur autour des cimetières ? On sait que d'un côté, les morts ne risquent pas de sortir de leurs tombes, et de l'autre, ceux qui vivent n'on guère envie d'y entrer.

-Contre les voleurs, risqua notre amie. Non, ils franchissent le mur ou bien ils ouvrent la grille.

-Pour que les renards et les loups ne viennent pas manger les morts, lança le loup.

-Bien. Troisième question : elle est la fille de ta mère et elle n'est pas ta sœur. Qui est-elle ?

Christine songea à une demi-sœur, une cousine, cela ne tenait pas. Puis, tout à coup :

-C'est moi.

-Bravo. Tu es la fille de ta mère et tu n'es pas ta sœur.

-Prends la feuille bleue que tu souhaites et sors ! Le rocher blanc, là-haut, mène à l'extérieur. Je l'ouvre.

Notre amie cueillit une des feuilles et sortit en courant avec son loup.


Elle arriva à la maison à la nuit tombée. Le ventre bien vide et couverte de boue. Elle se demandait comment sa mère allait l'accueillir.

Elle attendait sur le pas de la porte, les bras croisés.

-Cela ne me dit rien qui vaille, murmura le loup.

-Non, et cache-toi, il ne faut pas qu'elle te voie, soupira la jeune fille.

Notre amie s'avança.

-Christine. Tu es partie toute la journée dans cette forêt avec le loup. Tu m'as désobéi.

-Oui maman, mais…

-Pas de « mais maman». Dans ta chambre ! Et regarde-toi. Ta salopette est crasseuse !

-Mais maman, je…

-Dans ta chambre, et tu ne recevras pas à manger ce soir.

-J'ai faim.

-Monte dans ta chambre. Et ne redescends pas, tu es punie ! Tu sais bien que tu ne peux pas t'en aller ainsi toute la journée sans avertir. Tu es encore partie avec ce maudit loup, je parie.

-Laisse-moi t'expliquer…

-Silence !

Christine monta l'escalier.

-Et je ne laverai pas ta salopette. Tu la remettras demain. Si tu crois que je n'ai que cela à faire, laver tes habits, cria maman.


Avant d'entrer dans sa chambre, Christine se dirigea vers celle des parents. Elle poussa la porte. Son père était toujours au lit, malade. Il observa sa courageuse grande fille. Elle s'approcha.

-Papa, je viens t'embrasser. 

-Merci ma chérie, mais il faut obéir à maman.

En donnant un bisou à son père, elle glissa la feuille bleue de l'arbre bleu en dessous de son oreiller.


Christine monta à sa chambre. Elle enfila son pyjama et se glissa dans son lit.

Elle n'arrivait pas à s'endormir. Elle avait trop faim. Elle entendit des voix, en bas. Elle se demanda qui cela pouvait être. Elle se releva, ouvrit sa porte sans bruit et descendit quelques marches de l'escalier. Elle vit plusieurs chasseurs.

-Nous regrettons que votre mari ne nous accompagne pas demain à la chasse au loup. Nous serons une vingtaine et je vous assure qu'on le tuera. Pouvons-nous quand même fixer le rendez-vous ici, demain matin, à l'aube? Nous irons sans votre homme. Tant pis. C'est le meilleur chasseur.

Ils partirent et notre amie se précipita dans son lit.


Elle se réveilla très tôt, avant l'aube. Elle enfila sa salopette encore humide et très sale. Elle remit ses tennis pleines de boue et sortit de sa chambre par la fenêtre. Elle suivit la gouttière à quatre pattes. Elle sauta sur le toit du hangar où papa entrepose ses bûches et elle glissa en bas en passant de poutre en poutre. Elle courut vers le chêne, là où elle retrouve son loup tous les matins. Il arrivait.

-Sauve-toi, supplia Christine. Sauve-toi loin, les chasseurs veulent te tuer.

-Non, je reste avec toi.

-Tu ne comprends pas ! Les chasseurs arrivent, avec leurs fusils. Ils vont te tuer. Pars.

-Non, redit le loup. Les vrais amis ne se quittent pas.

Il refusait de partir. Christine voulait lui sauver la vie.

Alors, pour la première fois, elle qui ne fait jamais ça, elle lui mentit.

-Tu n'es plus mon ami. Je te déteste. Va-t'en sale bête !

Le loup regarda la jeune fille. Comme ses yeux soudain étaient tristes. Il s'éloigna lentement, en tournant la tête vers elle.

Les chasseurs approchaient.

-Tu ne m'aimes plus ? Je te croyais mon amie.

-Va-t'en! répondit Christine, au bord des larmes.

-La première fois que j'avais une amie... murmura le loup.

Il tenta de s'encourir. Un des hommes visa et tira deux fois. Les deux balles touchèrent l'animal en plein cœur.


Le loup fit demi-tour et trouva juste la force de se traîner jusqu'au pied du grand chêne. Christine assise, ouvrit tout grand ses bras. Elle prit son loup blessé et le serra contre elle.

Elle pleurait.

-Je t'ai menti, pour que tu partes, pour que tu te sauves. Tu es vraiment mon meilleur ami. Jamais je n'ai connu un ami comme toi.

Le loup léchait le visage de la jeune fille. Son sang coulait, se mélangeant à la boue de la salopette.

Soudain, il ne bougea plus. Il était mort dans ses bras.

Et Christine pleurait toutes les larmes de son corps en le serrant contre elle.

 

Le chasseur qui avait tiré s'approcha et notre amie reconnut son père.

-Papa ! Tu as tué mon ami. Et pourtant grâce à lui, tu es guéri. N'as-tu pas découvert ce matin une feuille bleue en dessous de ton oreiller ?

-Oui, une étrange feuille bleue.

-Mon loup m'avait proposé d'aller la chercher. Hier, je suis partie toute la journée avec lui, dans des grottes. On a trouvé l'arbre bleu. J'ai cueilli une feuille. Au soir, je l'ai glissée sous ton oreiller, en t'embrassant. Voilà pourquoi ce matin, tu es guéri. Et toi... et toi... et toi, tu as tué mon loup, mon ami.

Christine pleurait, pleurait, pleurait. Elle serrait le corps du loup dans ses bras.

Les autres chasseurs s'approchèrent. Ils faisaient un cercle autour d'eux. Notre amie ne les regardait pas . Elle serrait le corps de son loup contre elle.

-Non, murmura la jeune fille, non ! Je ne veux pas que tu sois mort. Mon loup, mon meilleur ami.

Elle le posa sur le sol.

Papa tendit la main vers sa fille.

-Je ne veux pas ta main, cria Christine. Je te déteste !

Elle s'encourut dans la forêt.

Un instant, papa voulut suivre sa fille dans les bois mais les chasseurs le retinrent.

-Laisse-la aller. Elle reviendra quand sa peine s'apaisera.

-Oui, murmura le papa, ému aux larmes à son tour.


Christine resta toute la journée dans les bois. Elle pleura longtemps, longtemps, longtemps.

Puis au soir, elle revint à la maison.

Une malheureuse jeune fille s'avança vers ses parents. Sale, affamée et si triste. Sa mère la vit la première.

-Christine !

-Tu ne m'as pas crue, maman. Tu ne m'écoutes jamais.

-Viens dans mes bras, ma chérie. Viens que je t'embrasse, ma grande fille.

Christine fit un pas vers sa mère puis s'arrêta.

-Je suis couverte de boue et du sang du loup. Je vais te salir.

-Et alors ? répondit maman, qu'est-ce que ça peut faire ? Je m'en fiche. Je veux embrasser ma fille. Je veux qu'elle me pardonne. Je t'aime plus que tout, ma chérie.

-Moi aussi, je veux te serrer dans mes bras, s'écria papa. Mon trésor le plus précieux du monde. Je voudrais tant que tu me pardonnes.

Devant la maison du bûcheron, au milieu de la forêt, papa, maman et Christine s'embrassèrent longtemps en pleurant. Ils se serrèrent très fort.

Après le repas du soir, notre amie monta à sa chambre. Maman et papa passèrent encore un long moment de tendresse, près d'elle...

-C'était mon ami, murmura Christine, en fermant les yeux.

Ses larmes coulèrent de nouveau, et longtemps.