Isabelle

Isabelle

N°5

Le Bébé

     Frédéric est un charmant bébé âgé de presque un an. Il vit avec ses parents dans une petite maison, située à quelques centaines de mètres de chez Isabelle. Notre amie va souvent jouer avec lui.

Ça la change de ses trois grands frères ! Bertrand, dix-neuf ans, Benoît, treize et Benjamin, sept! Chez Frédéric, elle se sent comme une grande sœur, et un bébé, c'est encore mieux qu'une poupée. Et puis, la maman du petit garçon raconte de belles histoires. En plus, elle fait d'excellentes galettes. Voilà donc trois bonnes raisons pour s'y trouver souvent.


Un mercredi après-midi, Isabelle se rendit chez son petit ami. Elle portait sa salopette jaune, son t-shirt blanc et ses tennis bleus. Il ne faisait pas très beau, mais très chaud. Un orage menaçait.

Vers quatre heures, le bébé se trouvait dans son parc au milieu du salon et notre amie jouait avec lui depuis plus d'une heure sans se lasser. La maman s'approcha des deux enfants.

-Ma chérie, oserais-tu rester un quart d'heure toute seule avec Frédéric ? Cela ne te ferait pas trop peur ?

-Oh non madame, dit Isabelle. Je ne suis pas si froussarde.

-Je dois aller chercher un médicament à la pharmacie. Il me faut cinq minutes en voiture pour atteindre l'autre village, puis cinq au magasin et cinq pour en revenir. Dans un quart d'heure, je serai de retour.

-Pas de problème madame, dit Isabelle en souriant. Je continue de m'occuper de lui. On s'amuse bien.

-Laisse-le dans son parc, et s'il pleure, ne t'inquiète pas, j'arrive.

-Je ne m'inquiète pas, madame, répéta la fillette.

Et la maman du bébé partit.


Notre amie poursuivit ses jeux avec le petit garçon. Le temps passait. Quinze minutes, trente minutes. La maman ne revenait pas.

Isabelle eut soif. Elle se rendit à la cuisine, prit un verre dans l'armoire et y versa de l'eau du robinet. Elle revint boire près du bébé. Frédéric se mit à pleurer. Isabelle le regarda.

-Peut-être que tu as soif aussi, se dit-elle.

Notre amie lui donna à boire en inclinant son verre devant la bouche du petit. Mais les bébés ne boivent pas ainsi. L'eau coula dans son cou et il redoubla ses cris.

Isabelle retourna à la cuisine. Elle trouva un biberon dans l'armoire, mais se demanda comment faire du lait à partir de la poudre qui se trouvait sur la table. Elle choisit plutôt d'ouvrir le frigo et vit du lait dans un carton. Elle en versa dans le biberon, revissa la tétine et revint au salon. Elle sortit Frédéric du parc. Elle s'assit dans un fauteuil avec le bébé sur les genoux et lui donna le biberon de lait froid. Le brave bébé avait soif et en but la moitié. Ensuite, il s'endormit.

La fillette le posa près d'elle, sur le divan.

Juste à ce moment, l'orage éclata. Des éclairs illuminèrent le ciel noir. La foudre se fit entendre, violente. Isabelle commença à avoir vraiment peur. Et la maman du petit qui ne revenait pas !

L'orage grondait tellement fort que Frédéric s'éveilla et se mit à pleurer. Isabelle tenta de le consoler en lui disant qu'il ne fallait pas avoir peur. Mais elle-même n'était pas fort rassurée ! Chez elle, à la maison, elle se réfugie près de ses parents ou dans la chambre des grands frères… mais ici, il n'y avait personne. La grande sœur, c'était elle.


Tout à coup, tandis qu'elle parlait avec le petit garçon, elle entendit un grand bruit, comme si on cassait une vitre à l'étage au-dessus.

D'abord, elle n'osa pas bouger. Elle craignait que ce soit un voleur. Mais on n'entendait plus rien à présent. Notre amie prit le bébé dans ses bras et, intriguée, elle monta lentement l'escalier, en silence.

La porte de la chambre des parents du petit battait. À cause du vent, peut-être ? Elle entra.

La fenêtre était grande ouverte sur la tempête qui faisait rage dehors. On l'avait sans doute mal fermée, et un coup de vent brusque venait de l'ouvrir. La vitre avait renversé un vase qui se trouvait sur une table. Ce vase, tombé par terre, était cassé. Voilà l'explication du grand bruit.

La pluie, soufflée par le vent d'orage, inondait l'intérieur de la pièce. Isabelle remarqua une flaque d'eau par terre.

Elle posa Frédéric sur le grand lit des parents et ferma la fenêtre, avec difficulté, à cause de la hauteur de la poignée. Ensuite, elle reprit le bébé, et sortit de la chambre.

Elle s'apprêtait à redescendre au salon.


Au même moment, Isabelle entendit un autre bruit, un bruit étrange, qui venait du grenier, une sorte de grincement, comme si quelqu'un bougeait sur les planches là-haut. Tout à fait comme si on marchait sous le toit de la maison.

Le cœur de la fillette se mit à battre la chamade. Elle eut vraiment peur. Elle en était sûre à présent, quelqu'un se déplaçait là-haut.

Elle redescendit bien vite l'escalier.

Au moment d'entrer au salon, toutes les lumières s'éteignirent d'un seul coup. Plus aucune lampe n'était allumée.

Notre amie essaya plusieurs interrupteurs tout en tenant le bébé dans ses bras, mais sans succès. La télévision était éteinte aussi. Isabelle regarda par la fenêtre. Elle ne vit aucune lumière dans les autres maisons. À cause de la violence de l'orage, tout le courant du village était coupé ! Maintenant, seules les lumières des éclairs illuminaient par instants le salon. Le fracas qu'elle entendait venait du tonnerre. Et en plus, ce bruit de pas étrange dans le grenier l'effrayait encore.

La fillette terrorisée se taisait, toute seule dans la maison, avec ce petit enfant dans les bras. Et la maman ne revenait pas ! Elle l'attendait depuis plus d'une heure, à présent.

Et si c'était les pas d'un voleur, là-haut ?

Isabelle se mit à trembler. Elle serra le bébé dans ses bras. Elle avait envie de pleurer.


Pendant ce temps-là, chez notre amie, maman et papa demandèrent à Bertrand, Benoît et Benjamin, les trois grands frères, où se trouvait leur petite sœur.

-Chez Frédéric, maman, répondit Bertrand.

-Ah bon. Cela me rassure. Elle va sans doute rester là-bas pendant l'orage et elle reviendra après la pluie.

Comme la tempête avait court-circuité toute l'électricité, Benoît, privé de sa console de jeux, se mit au piano, histoire de s'occuper un peu. Il proposa un petit concert aux parents et à ses frères, qui l'écoutèrent volontiers, assis au salon.


Isabelle tenait toujours le bébé dans ses bras, dans la maison de Frédéric. Elle hésitait. La pluie crépitait sur les vitres avec violence. Pourtant, elle envisageait de quitter cette demeure et de retourner chez elle.

Courageuse, elle n'allait certainement pas se sauver en abandonnant le petit garçon.

Elle se dirigea vers le hall d'entrée. Elle ouvrit une armoire, puis un tiroir, pour tenter de prendre un imperméable ou un manteau pour le bébé, mais elle n'en trouva pas.

Alors, serrant bien le petit contre elle et protégeant sa tête avec une de ses mains, notre amie ouvrit la porte et sortit sous la pluie. L'orage semblait se calmer. Les éclairs paraissaient moins nombreux, le tonnerre plus lointain. La pluie restait encore abondante. Elle tombait par vagues. L'eau coulait partout en torrents et les trottoirs se couvraient de grandes flaques d'eau.

Isabelle se trouvait à quelques centaines de mètres de chez elle tout au plus. Mais la fillette n'avait rien pour se protéger. Elle était venue chez Frédéric sans veste. En un instant, elle fut trempée. Ses tresses blondes ne dansaient plus sur ses épaules et l'eau dégoulinait dans son dos. Ses pieds étaient mouillés dans ses petits tennis de toile bleue.

Mais un bébé d'un an, c'est lourd pour une petite fille de six ans, enfin de presque six ans, de cinq ans et demi.


Isabelle parcourut la moitié du trajet. Sa salopette était toute mouillée à présent, et son t-shirt lui collait à la peau.

Elle arriva près d'une aubette de bus. Elle songea qu'elle pourrait s'y abriter et y reprendre des forces un moment. Elle s'assit sur un banc, sous l'auvent. Elle souffla un peu, le petit garçon posé sur les genoux.


Tout à coup, une grosse voiture s'arrêta à sa hauteur, sous l'averse. Une fenêtre s'ouvrit.

-Viens dans mon auto, petite fille. Je vais te reconduire chez toi, dit l'homme au volant.

Isabelle refusa. Sa peur revenait maintenant. Ses parents lui ont bien appris qu'il ne faut jamais parler avec des gens qu'on ne connaît pas et surtout, ne jamais monter dans une voiture conduite par des inconnus. Elle fit signe que non avec la tête. L'homme insista gentiment.

-Tu es toute seule avec ton petit frère, sous la pluie. Tu as froid. Tu ne veux pas que je te ramène chez toi ?

-Non, partez, supplia notre amie. Je ne veux rien.

Celui qui se tenait au volant n'avait que de très bonnes intentions. Il comprit qu'il faisait peur à la petite. Alors, plutôt que de l'effrayer davantage, il démarra sous la pluie.


Isabelle, un peu reposée, se remit en route. Trempée jusqu'aux os, le bébé bien protégé dans ses bras, elle arriva devant sa maison.

Elle sonna, mais la sonnette ne fonctionnait pas, puisqu'il n'y avait plus d'électricité ! Elle frappa à la porte, mais les parents n'entendirent rien. Benoît jouait du piano et tous les membres de la famille l'écoutaient, ravis.

La fillette réfléchit un instant. Elle se rendit au jardin. Elle pensait entrer par l'arrière, par la cuisine. Normalement, cette porte reste toujours ouverte, mais avec l'orage et pour éviter les courants d'air, les parents l'avaient fermée à clé ! Ils avaient aussi tiré les grandes tentures du salon. Elle eut beau frapper, tambouriner, ça ne servit à rien. Personne ne l'entendit, personne ne lui répondit.


Elle se retourna et vit la cabane au fond du jardin. Une vieille remise en planches, sans porte, où on range les pelles, les bottes, la tondeuse à gazon, les vélos. Elle se dirigea vers la maisonnette et s'assit à l'intérieur, par terre, gardant toujours le bébé dans ses bras.

Elle avait froid maintenant dans ses habits mouillés. Le vent qui tourbillonnait lui glaçait le dos à travers les planches de bois. L'orage avait cassé la chaleur et fortement refroidi l'atmosphère.

Dans la cabane il ne pleuvait presque pas, seulement quelques gouttes.

Frédéric ne pleurait plus. Il regardait la grande fille. Mais ses doigts étaient tout froids, et ses petites lèvres tremblaient.

Isabelle se montra une fois encore très courageuse. Elle décrocha les bretelles de sa salopette, enleva son t-shirt, puis remit ses bretelles torse nu. Elle enveloppa le bébé dans son t-shirt, pour qu'il ait moins froid. Comme une merveilleuse grande sœur!

Elle, par contre, elle grelottait maintenant. Et de temps en temps, le vent qui s'engouffrait dans la cabane la faisait frissonner encore plus.

Elle serrait le petit dans ses bras. Elle l'embrassait souvent. Elle ne pensait qu'à le protéger.


Tout à coup, Benjamin, le plus petit des trois grands frères de notre amie, celui qui a sept ans, en eut assez d'écouter le récital de Benoît. Il monta à sa chambre et regarda par la fenêtre pour voir si l'orage s'éloignait. Observant le jardin à la lueur d'un éclair, il aperçut sa petite sœur dans la remise.

Il appela les parents depuis le haut de l'escalier :

-Papa, Maman, Isabelle joue dans la cabane du jardin avec une poupée dans ses bras!

Il ne savait pas que c'était le bébé Frédéric et pas une poupée.

Les parents ouvrirent la porte de la cuisine et se précipitèrent vers les deux enfants. Papa prit sa fillette dans les bras. La maman emporta le nourrisson.

Isabelle se sécha et se changea. On s'occupa du petit.

Notre amie raconta en détail ce qui lui était arrivé après le départ de la mère de Frédéric. Les bruits de pas, les peurs, les frayeurs même, et la maman du bébé qui ne revenait pas. Les parents et les grands frères trouvèrent Isabelle très courageuse et très débrouillarde. Ils la félicitèrent.

-Tu aurais pu nous téléphoner, dit Papa.

Mais notre amie ne connaissait pas le numéro de téléphone de ses parents par cœur…


Enfin on frappa à la porte. La maman de Frédéric arrivait avec près de deux heures de retard !

Sa voiture, surprise par l'orage au retour de la pharmacie, avait dérapé dans un tournant et glissé dans un fossé. La maman du bébé avait aussitôt appelé une dépanneuse, qui n'était arrivée que près de deux heures plus tard…

Très inquiète, elle avait sans cesse songé à Isabelle, espérant que la fillette se débrouillait seule, sans avoir trop peur. Elle n'avait pas imaginé que notre amie puisse se montre aussi courageuse!

Elle la félicita à son tour.

-Tu as été merveilleuse pour mon petit. Tu es une seconde maman pour lui. Je crois que maintenant, Frédéric a une vraie grande sœur!

Notre amie souriait, très fière.

Puis, elle demanda ce qu'était le bruit entendu au grenier. La maman du bébé expliqua que lors de fortes pluies, la gouttière déborde et l'eau en s'accumulant dans les corniches provoque ces grincements, qui font penser à quelqu'un qui se déplacerait sur le toit.

Tout se terminait bien. Mais le jour de cet orage, reste un de ceux où Isabelle eut le plus peur de sa vie… jusque-là.