Isabelle
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Le monde merveilleux d'Aïnoa

     Minuit. La lune brillait dans le ciel noir.

Isabelle s'éveilla. Elle avait trop chaud sous sa couette. Elle se leva, pieds nus dans sa robe de nuit blanche à petites fleurs bleues. Elle s'approcha de la fenêtre grande ouverte sur cette belle nuit d'été.

Elle aperçut des lumières derrière chez elle, au-delà du jardin, dans la prairie aux fleurs, près de la petite rivière.

Tiens, se dit-elle. C'est quoi ça?

Elle avait bien envie d'aller voir, mais ses parents ne veulent pas qu'elle quitte sa chambre la nuit pour aller se promener dehors.

Elle regagna son lit en se disant qu'elle irait jusque-là demain matin.


Le soleil brillait le lendemain. Isabelle se dirigea l'après-midi vers la petite rivière et la longea. Elle vit un arbre déraciné et s'en approcha. Elle se rappelait que les lueurs aperçues cette nuit provenaient de là.

Elle découvrit un gros tronc creux comme une énorme paille, couché à terre. L'orage de l'autre jour et les vents forts qui l'accompagnaient l'avaient sans doute fait tomber.

Notre amie se baissa, mais ne vit rien dans cet espace creux. Juste une grande toile d'araignée tout au fond. Une abeille passa près d'elle.

Isabelle se redressa et revint à la maison un peu déçue, mais bien décidée à observer le phénomène la nuit prochaine...


Ce soir-là, elle se releva dès que son frère Benjamin, qui partage la même chambre et s'installe sur le lit superposé au-dessus d'elle, fut endormi. Elle regarda par la fenêtre.

Sa patience fut bientôt récompensée. Elle aperçut de nouveau des lumières, au bord de la rivière, près du tronc creux tombé.

Cette fois, se dit-elle, j'y vais.

Notre amie est vraiment très curieuse. Toi aussi je suppose... Tu irais voir, la nuit, là-bas, près du bois? Oui? Quelle audace!

Isabelle quitta sa robe de nuit blanche à petites fleurs et passa sa salopette bleue. Elle mit ses chaussures de toile et sortit de la chambre.

Elle descendit l'escalier, sans allumer, pour ne pas attirer l'attention de ses parents ou de ses trois grands frères. Elle ouvrit la porte de la cuisine et traversa le jardin.

Arrivée tout au fond, elle se glissa sous la barrière, car elle ne sait pas l'ouvrir. Le mécanisme est compliqué.

Elle courut à travers le champ de fleurs et s'arrêta au bord de la rivière. Un chien aboyait au loin. Celui de la ferme. Mais il ne viendra pas. On l'attache avec une chaîne.

Notre amie suivit le cours d'eau en le longeant et arriva en vue du tronc d'arbre creux.


Elle se pencha et aperçut soudain une toute petite fille assise à l'entrée.

- Bonjour, dit Isabelle.

- Bonjour, répondit la fillette.

- Comment t'appelles-tu?

- Aïnoa. Et toi?

- Isabelle. J'habite la maison de l'autre côté de la prairie. Au village.

- Moi je vis ici, au creux de cet arbre.

- Tu n'as pas peur toute seule?

- Non, répondit Aïnoa. Et puis j'ai mes amis près de moi. Tu veux les voir?

- Je reviendrai demain, en pleine lumière, promit notre amie. Maintenant, je dois retourner chez moi.

- À demain... Je t'attendrai.

- Oui, bonne nuit.

Isabelle retourna à la maison. Elle se remit au lit et s'endormit en songeant à la mystérieuse fillette qu'elle venait de rencontrer.


Elle revint dans l'après-midi à l'arbre creux couché le long de la rivière.

- Bonjour Aïnoa!

- Bonjour Isabelle! Suis-moi, je vais te présenter à tous mes compagnons. Mais d'abord, tu dois devenir petite comme moi, sinon tu vas les effrayer.

- Comment dois-je faire? demanda notre amie.

- Mange un de ces champignons jaunes à lignes bleues.

- Et pourrais-je retrouver ma taille normale après?

- Oui, tu mangeras un champignon bleu à lignes jaunes.

Isabelle devint comme sa nouvelle copine, pas plus grande qu'un doigt de ta main.

- Suis-moi, dit-elle, je te présente à mes amis.

Elles entrèrent dans le tronc creux.


- Voici d'abord Scara, dit Aïnoa.

Un joli scarabée noir et bleu s'avançait vers les deux fillettes.

- Bonjour Scara...

- Bonjour les filles...

- Il ne parle pas beaucoup, dit Aïnoa. Il se place tous les jours à l'entrée du tronc et il attend son amoureuse. Mais elle ne vient jamais. Parfois, je me moque un peu de lui. Je crie : Scara est amoureux! Scara est amoureux!

Les deux fillettes se mirent à lancer à tue-tête :

- Scara est amoureux! Scara est amoureux! Scara est amoureux!

- Taisez-vous, jeunes filles mal élevées, grogna le pauvre scarabée.

Elles s'éloignèrent en riant et s'avancèrent plus loin à l'intérieur du tronc en se donnant la main.


Elles s'approchèrent d'une grande toile d'araignée.

- Ça fait un peu peur, murmura Isabelle.

- Ne crains rien, dit Aïnoa. Tarentula ne nous fera aucun mal. Elle accepte même qu'on escalade sa toile. Viens. Bonjour Tarentula! On peut grimper sur ta toile?

- D'accord, mais ne la cassez pas. Il me faut des heures pour la réparer ensuite.

Les deux amies montèrent bien haut sur la toile, comme tu fais toi à la plaine de jeux. Les fils collaient un peu, mais quel bonheur!

- Merci Tarentula, dirent-elles en chœur en redescendant.


Elles marchèrent plus profondément dans le tronc creux. Une abeille passa près d'elles en volant.

- Viens, Isabelle, allons chercher du miel pour notre goûter.

- Elles sont nombreuses, dit notre amie d'une voix craintive.

- Oui, mais si tu ne les déranges pas, elles ne te font rien. Il faut juste les laisser travailler en paix.

Leur miel était délicieux. Les deux fillettes s'en régalèrent.


- Voici Crapote, mon amie grenouille, dit Aïnoa. Elle chante merveilleusement.

- Bonjour! lança Isabelle.

- Salut, les filles.

- Tu veux bien nous apprendre une de tes chansons? demanda Aïnoa.

- Avec plaisir!

La grenouille leur chanta un air très doux, qui parlait d'étangs, de roseaux et de clair de lune.

La nuit est limpide, l'étang est sans ride,

dans le ciel splendide, luit le croissant d'or.

Orme, chêne ou tremble, nul arbre ne tremble,

au loin le bois semble, un géant qui dort.

Alors dans la vase, ouvrant en extase,

leurs yeux de topaze, chantent les crapauds.

Des saisons entières, dans des fondrières,

un trou sous la pierre, est notre réduit.

Le serpent en boule, près de nous s'y roule,

quand il pleut en foule, nous sortons la nuit.

Nous aimons la mare, au reflet chamarre,

où dort à l'amarre, un canot pourri.

Quand la lune plaque, comme un vernis laque,

sur la calme flaque, des marais blafards.

Alors symbolique et mélancolique, notre lent cantique,

sort des nénuphars... *

Puis elle s'éloigna, sous les bravos des deux amies.


- Attention, cria soudain Aïnoa. Couche-toi à plat ventre vite!

Elles se baissèrent et rampèrent derrière un tas de feuilles mortes que le vent avait accumulées. Elles entendirent le sifflement sinistre de quelques moustiques qui passaient en rase-motte au-dessus d'elles, heureusement sans les voir.

- Ils font peur, dit notre amie dont le cœur battait à tout rompre.

- Oui, ils passent et repassent, surtout en fin de journée. Et il vaut mieux ne pas se trouver sur leur chemin car ils piquent fort.

Elles se relevèrent.

 

Deux libellules bleues apparurent et s'arrêtèrent près des deux amies.

- Viens, dit Aïnoa. Elles nous attendent. Nous pouvons monter sur leur dos. Notre petite taille nous le permet. Nous allons faire un beau voyage en profitant de leurs ailes.

Les deux amies se calèrent à califourchon sur le dos des deux insectes, chacune sur le sien.

- Tiens-toi bien! lança Aïnoa.

Elles s'envolèrent et quittèrent le tronc creux.

Quelle merveille! Elles passèrent au-dessus des roseaux en fleurs, frôlèrent la surface de l'eau de l'étang, puis s'éloignèrent vers les grands arbres de la forêt.

Les fillettes virent des nids d'oiseaux dans les branches. Des oisillons y chantaient, appelant leurs parents.

Elles passèrent au-dessus des champs et du grand pré aux fleurs. Puis elles revinrent en volant en rase-motte au-dessus de la rivière.

- Merci, crièrent-elles, folles de joie, pour remercier les libellules.

 

Une grosse mouche entra dans le tronc d'arbre. On l'entendait grogner.

- Mais où est la sortie? Mais où est la sortie? disait-elle à sa manière.

- Je l'appelle « Zozote », dit Aïnoa en souriant. Elle est bête, mais bête! Elle entre et ne retrouve jamais la sortie.

- Chez moi aussi, ajouta Isabelle. Quand une mouche se glisse dans ma chambre, même si la fenêtre reste grande ouverte, elle se perd dans les rideaux.

- Zozote est rigolote! dit bien haut Aïnoa. Zozote est rigolote!

- Zozote est rigolote! répéta notre amie en riant.


- Viens, je te présente la souris qui vit aussi dans le tronc. Elle connaît des histoires merveilleuses.

- Bonjour, gentille souris, lancèrent les deux fillettes. Tu nous racontes une histoire?

- Je veux bien, mais laquelle?

- Comme tu penses, dit Aïnoa. Je les trouve toutes si belles.

- Connaissez-vous celle des trois fleurs?

- Non, raconte-la-nous.

- Dans un champ, trois fleurs se disputaient. Une marguerite, un pissenlit et un coquelicot.

« Qui d'entre nous est la plus remarquable?

« Mes pétales blancs sont si propres, si frais... dit la marguerite.

« Mon jaune est bien plus lumineux. Il resplendit, déclara le pissenlit.

« Mon rouge est éclatant, lança le coquelicot. Tous les enfants le savent.

Elles se disputèrent ainsi, jusqu'au moment où une libellule bleue passa près d'elles.

« Toi, la marguerite, dit-elle, tes pétales blancs représentent l'aube, la couleur du ciel juste avant le lever du soleil.

« Et toi le pissenlit, ta couleur jaune possède l'éclat lumineux du soleil de midi.

« Et toi, le coquelicot, ton rouge ressemble à celui du soleil couchant.

« Vous êtes toutes les trois si belles. Vous illuminez les prairies et les champs de blé, chacune à sa manière.

- Et depuis, les trois fleurs ont cessé de se disputer. Elles sont même devenues amies, conclut la souris.

- Bravo! lancèrent les deux fillettes. Quelle belle histoire! Merci, gentille souris.


- Il faut que je retourne chez moi, dit Isabelle. Sinon, mes parents vont s'inquiéter.

- Des parents? interrogea Aïnoa. Ça sert à quoi? Moi, je n'en ai pas.

- Ils nous donnent à manger, répondit notre amie. Ils nous choisissent des vêtements. Ils nous protègent. Ils nous aiment. Ils nous embrassent, surtout le matin quand on quitte la maison pour partir à l'école et le soir, quand on va dormir.

- Moi, je mange le miel des abeilles, répondit Aïnoa. Et je connais tous les champignons. Je m'habille avec des fleurs et des feuilles. Je n'ai pas besoin de parents...

- Et comment crées-tu cette lumière que j'ai aperçue l'autre nuit?

- Facile! Il suffit de frapper bien fort les champignons « pouf ». Regarde!

Elles en frappèrent à tour de rôle avec les deux poings fermés. Ça résonnait comme des petits tambours et s'illuminait ensuite quelques instants.

- Tu vis bien seule avec tes amis, mais sans tes parents, s'émut notre amie en partant. Je reviendrai souvent te voir. Maintenant, je vais manger un champignon bleu à lignes jaunes, pour retrouver ma taille normale.

- À bientôt, lança Aïnoa.

- À demain, promit Isabelle.


Elle retourna chez elle en chantant la jolie chanson que Crapote, la grenouille, lui avait apprise.

- La nuit est limpide, l'étang est sans ride...*

Quel bonheur!

Aïnoa et Isabelle sont devenues des grandes amies.

 

* Chanson écrite par Marc Legrand et interprétée par Alain Souchon.