Les quatre amis
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Le passeur d'eau. Gillian, partie 3

     Lorsque Jean-Claude et Christine revinrent de l'école, leur maman leur remit une enveloppe trouvée le matin même dans la boîte aux lettres. Elle était aussi adressée à Philippe et Véronique.

Jean-Claude et sa sœur décidèrent de ne pas ouvrir le message avant le lendemain afin d'en découvrir le contenu avec leurs amis à la récréation. Elle était envoyée par Gillian, et venait d'Ecosse. Elle était rédigée en français puisque Gillian parle très bien notre langue.

Lis les aventures de nos quatre amis avec cette jeune fille dans les épisodes précédents avant de découvrir celui-ci.( 4 AB 14 La forêt de Gillian, 4 AB 15 La cathédrale des brumes).

Chers amis, venez à mon secours. Faites-moi le grand plaisir de me rejoindre, ici, en Écosse, pas à Bedmore, mais à l'adresse ci-dessous. J'ai de gros problèmes. Vous êtes mes meilleurs amis. Vous m'avez déjà aidée à deux reprises. Votre amie qui compte sur vous. Je vous embrasse tous les quatre. Gillian.

Quand elle crie au secours, se dirent nos amis, on la croit. Il se passe quelque chose de grave. Elle n'appelle jamais pour rien. Cette courageuse jeune fille ne crie pas au loup quand il n'y en a pas. Nos amis voulurent la rejoindre le plus vite possible. 

Pour Jean-Claude et Christine, ce fut assez facile de convaincre les parents de les laisser partir. Les voyages forment la jeunesse, affirme leur papa. Philippe payerait une partie des frais de route lui-même grâce à l'argent qu'il gagnait en s'occupant de bébés le mercredi après-midi. Véronique réussit à obtenir la permission de ses parents à force d'insistance.

Ils se retrouvèrent tous les quatre à la gare le premier jour des vacances. Comme l'autre fois, ils empruntèrent l'Eurostar jusqu'à Saint-Pancras à Londres, puis le métro. Ils sautèrent dans le train qui monte vers l'Écosse, et enfin dans un bus, qui roula longtemps dans de fort belles campagnes.

Vers six heures du soir, le chauffeur fit halte au milieu d'un bois, à un embranchement de deux routes.

-Les quatre enfants qui vont chez le passeur d'eau, vous descendez ici, annonça le conducteur.

Nos amis chargèrent leurs sacs à dos et sortirent du bus. Ils le regardèrent s'éloigner. Ils se trouvaient au croisement d'une route nationale par où le car venait de disparaître et d'une autre plus étroite, et en moins bon état. Il pleuvait et surtout ils ne virent personne.

Cinq minutes plus tard,  Gillian arriva à vélo. Trempée de pluie.


-Salut, les amis. Quel bonheur de vous voir! Désolée pour mon retard. Mais ce n'est pas ma faute. Suivez cette route, dit-elle, en les embrassant à la hâte. Je dois vite retourner travailler. Je ne peux pas abandonner le bac. Je dois reprendre mon poste. Je vous expliquerai. À tantôt.

-C'est loin? demandèrent les autres.

-À cinq kilomètres. Vous arriverez encore vite. Si vous voulez bien, je vais déjà y filer à vélo. Quand vous arriverez à la rivière, vous apercevrez une maison isolée en contrebas. J'habite là. Posez-y vos sacs et venez me rejoindre sur le bateau.

Gillian les embrassa encore et repartit.

Les filles, souvent plus observatrices que les garçons, remarquèrent que Gillian semblait fatiguée. Elle avait maigri. Négligée, elle portait un t-shirt pas très propre, une salopette en jean très usée, délavée, déchirée, et ses éternels baskets roses dont elle ne se sépare jamais. Pas de veste ni d'imperméable.


Les quatre amis marchèrent sous la pluie, et parcoururent les kilomètres annoncés. Ils s'approchèrent d'une large rivière. La route s'arrêtait sur la rive, au bord de l'eau.

En contrebas, une petite maison disparaissait presque derrière des haies en friche. Froide, triste et sombre. Aucune fumée ne sortait de la cheminée.

Ils aperçurent Gillian, sous la pluie, trempée, debout sur une sorte de gros radeau en bois, une large barque munie d'une grande roue. Ils s'approchèrent tous les quatre d'un bac, un bateau à fond plat et sur lequel on peut mettre un véhicule pas trop lourd.

Ces barques glissent le long d'un ou deux câbles et font l'aller-retour d'une rive à l'autre. Des deux côtés de la rivière, se trouvait un petit quai d'accès vétuste. Des grosses poutres en bois. Ce bac permet de laisser monter une voiture à la fois sur le bateau. La grande roue sert à faire passer l'embarcation d'une berge à l'autre.

-Vite, cria leur amie. Posez vos sacs à dos dans la maison. Venez me rejoindre. On parlera sur le bateau.

Les quatre amis rangèrent leurs bagages dans la petite fermette. Ils la trouvèrent sinistre et en grand désordre. Personne d'autre n'y habitait, apparemment. Il revinrent vers Gillian. Elle parlait à un conducteur de voiture privée.

-Les cales bloquent les pneus de votre véhicule. Serrez le frein et coupez le moteur, s'il vous plaît.

Elle fit signe aux amis de monter sur le bac avec elle. Puis, elle saisit la grande roue et se mit à tirer de toutes ses forces. La barque avança lentement, retenue entre ses deux câbles.

C'est une rivière large, au courant impétueux. L'opération paraissait rude. Bien campée sur le pont du petit bac, calée dans ses baskets, elle prenait solidement appui sur ses pieds dans son effort pour faire tourner la grande roue et faire traverser l'embarcation. Elle dégoulinait de sueur et de pluie. Elle échangea un pauvre sourire avec ses amis. Parvenue de l'autre côté, Gillian dégagea les cales et l'auto démarra. Elle ne vit pas d'autre voiture.


-Personne pour l'instant, souffla la jeune fille. On va rester de ce côté et attendre si quelqu'un vient. Et bien, mes amis, je suis contente de vous voir. Désolée pour l'accueil un peu froid. Papa est de nouveau malade. Il est reparti à l'hôpital pour un temps. Et je fais son travail : passeur d'eau. Mon petit frère se trouve chez ma tante, à Bedmore, le village que vous connaissez.

Nos amis écoutaient les explications de Gillian.

-Je fais le travail à sa place, parce que si on met quelqu'un d'autre, mon père perdra son boulot. Mais c'est dur toute seule, je vous jure. Je commence à six heures du matin. Les premières voitures qui arrivent m'éveillent d'un coup de klaxon. Et ça continue jusqu'à neuf heures du soir. Pas le temps de boire ni de manger, juste juste une barre de céréales et un verre d'eau à la course à midi. Je reste là sous la pluie ou sous le soleil brûlant, toute la journée. Le soir, je reviens épuisée. J'avale un bout de pain, je croque un fruit à la hâte et je tombe endormie. Et ça n'arrête pas. Je suis drôlement contente que vous soyez là. Vous allez pouvoir m'aider, si vous voulez bien. Je ne vous offre pas des vacances amusantes, mais toute mon amitié.


À cinq, la vie devint tout à fait différente pour Gillian. Les garçons se levaient tôt. Ils mettaient le bac en route. Les filles allaient faire les courses au village, à vélo.

Le midi, les garçons faisaient une pause et mangeaient ce que les filles leur apportaient, pendant que Christine et Véronique faisaient passer les autos avec leur amie. Puis les garçons retournaient travailler pendant que les filles déjeunaient dans la maison basse et mettaient de l'ordre. Ils restaient ensuite ensemble jusqu'au soir.

Quand il n'y avait pas trop de voitures, ils bavardaient tous les cinq, les jambes dans l'eau.

Deux ou trois jours passèrent. La vie s'organisait. L'amitié qui régnait vivante et forte, les stimulait.


Un vendredi soir, l'évènement se produisit qui allait tout faire basculer.

Il faisait un temps épouvantable depuis la veille. Un vent fort soufflait, venu de la côte. Il pleuvait sans cesse depuis le matin. Le niveau de la rivière n'arrêtait pas de monter.

Neuf heures moins cinq. Le bac était bien accroché le long du quai et Gillian déclara forfait.

-On s'arrête. On est tous trempés jusqu'aux os. Et affamés. Un bon feu et un bon repas. Voilà ce qu'il nous faut.

Christine et Véronique s'occupaient depuis dix minutes à préparer un grand plat de spaghettis. Un pick-up arriva. Un gros et lourd pick-up luxueux et noir. Il klaxonna plusieurs fois.

-Ah non, maugréa Gillian. Il est neuf heures moins deux. Si on le fait traverser, cela va durer jusqu'à neuf heures et demie.

Le véhicule klaxonna à nouveau.

-On ne passe plus, déclara la jeune fille. Le courant est trop fort, à cause des pluies, pour une si grosse voiture. D'ailleurs, si cela continue, demain, personne ne pourra traverser. Retournez à la grand route, et prenez à droite, vous arriverez au grand pont. Je sais, cela fait quarante kilomètres de détour, mais vous...

Gillian se tut. Le conducteur pointait un revolver vers elle.

-Et ainsi, ça ira pour nous mettre sur l'autre rive?

-Cours avertir les autres, demanda-t-elle à Philippe.

Jean-Claude resta à ses côtés. Son copain revint avec Véronique et Christine. Elles avaient coupé le feu sous la casserole de spaghettis.

Philippe expliqua aux deux filles que des hommes dans un pick-up monumental, des bandits sans doute, menaçaient et exigeaient que l'on passe leur véhicule. Ils craignaient probablement un barrage policier au niveau du pont.


La voiture avança doucement sur le quai, jusqu'au bord de l'eau. Un homme en sortit. Il tenait toujours son revolver en main.

-Monsieur, ce n'est pas de la mauvaise volonté, avertit Gillian. Si je fais traverser votre voiture, les câbles risquent de se rompre et votre pick-up sera emporté par le courant. Il me semble très lourd et il y a trop d'eau. Je ne peux pas prendre ce risque dans ces conditions. Je ne pourrai pas maîtriser la situation.

-Alors, tu passeras les caisses, affirma l'homme.

En face, une camionnette venait de s'arrêter. Les occupants du pick-up firent quelques appels de phares. Le van, sur l'autre rive, répondit. Christine, qui pratique le scoutisme, elle va chez les lutins, comprit qu'ils se parlaient en morse. Mais le message n'était pas en français, et, si elle sut traduire les lettres, elle ne saisit pas le sens des mots, car elle n'apprend pas l'anglais et cela défilait trop vite.

Deux hommes sortirent du pick-up. Ils ouvrirent le coffre. Ils soulevèrent quatre caisses, pas bien grandes, mais qui semblaient très lourdes. Ils les posèrent sur le sol, derrière la voiture.

Ils amenèrent la première caisse sur le bac qui s'enfonça un peu dans l'eau. Puis, ils retournèrent près de leur coffre et en levèrent une deuxième tout aussi pesante que la première. Ils la placèrent juste à côté. Ils firent de même pour les deux dernières. Ils semblaient nerveux et pressés.

-Philippe, dit Gillian, viens tenir la roue, avec moi. Notre force à tous deux sera nécessaire pour faire avancer le bateau. Véronique, pose ta main sur le câble côté gauche. Si tu sens qu'il vibre, ou qu'il se détend brusquement, avertis-moi. Christine, si tu veux bien, fais la même chose de l'autre côté. Et toi aussi, si ça vibre, dis-le moi.

-Et moi, demanda Jean-Claude, comment puis-je t'aider?

-Toi, tu te mets près des caisses, tu les tiens et tu t'assures qu'elles restent en place, parce que ça va tanguer et pas un peu.

La pluie tombait à torrent.


Philippe et Gillian s'acharnèrent à faire avancer le bac vers le milieu de la rivière. Christine, la main dans l'eau froide, sentait le câble défiler doucement dans les anneaux qui se trouvaient en-dessous du bateau. Véronique, de l'autre côté, observait la même chose. Tous, sans veste, ruisselaient.

Véronique se retourna soudain.

-Je crois que ça vibre.

On entendit un claquement sec, du côté du petit quai vétuste.

-Le câble s'arrache, cria Gillian. Ça devait arriver, je l'avais dit.

-Que peut-on faire? demanda Jean-Claude.

Un deuxième craquement sonore se produisit. Les secousses s'intensifiaient. Les deux câbles qui tenaient le bac venaient de se rompre. La barque chargée des quatre caisses et des cinq enfants partit à la dérive sur la large rivière, sous le regard ahuri des voleurs.


L'homme au revolver réagit rapidement. Il revint à sa voiture et actionna ses phares. Puis, les bandits firent demi-tour et disparurent sur la route.

-Ils vont sûrement nous attendre au pont situé à quarante kilomètres en aval, dit Gillian.

Nos amis espéraient quitter ce bateau qui flottait à la vitesse du courant. Mais ils ne possédaient ni rame ni gaffe pour le guider. Parfois, l'embarcation touchait un instant la berge, mais, ensuite, elle retournait vers le milieu. Le courant les entraînait. Cela dura une heure environ, avec la pluie, le vent, les nuages bas comme seul décor. Le froid, l'eau tout autour et sur eux, et la faim, demeuraient leurs seuls compagnons, avec les quatre caisses.

Soudain, le fond de l'embarcation s'éventra sur un éperon rocheux. La coque se déchira et nos amis faillirent tomber à l'eau, à cause de la secousse brutale et inattendue. Les caisses échouèrent entre des rochers. L'une d'entre elles se brisa. Son contenu se répandit sur le sable.

-Des lingots d'or! cria Véronique, stupéfaite. Il y en a pour des millions d'euros!

Les cinq amis se trouvaient isolés sur une petite île, sous la pluie battante et froide. Il était un peu plus de dix heures du soir. Aucun d'eux, heureusement, n'était blessé. Ils grelottaient, trempés dans leurs habits mouillés. Ils se regardèrent en silence, en contemplant l'or étalé à leurs pieds.

 

-Je propose de cacher ces lingots, dit Philippe au bout d'un moment. On va les restituer à la police dès qu'on pourra. Cette nuit, peut-être. En dissimulant cet or, en évitant que les voleurs le reprennent, nous conservons la preuve qu'il s'agit de bandits, et que tu n'as commis aucune erreur. Tu as agi sous la menace. Si on ne fait pas cela, les gendarmes ne nous croiront pas. Ils affirmeront, Gillian, que tu as fauté en n'attachant pas soigneusement le bac et qu'il a été emporté par ta faute. Ton papa perdra son travail, et devra en plus payer les réparations.

-Bien raisonné, répondirent les autres. Faisons l'inventaire des caisses, puis cachons tout.

Christine garde toujours son canif sur elle. Ils réussirent grâce à cela à ouvrir les autres coffres. Chacun d'eux contenait cent lingots d'un kilo d'or, une fortune. Quatre cents en tout.

Puis, nos amis creusèrent des trous dans le sable et la boue avec les mains et ils cachèrent les lingots d'or un peu partout. Ils jetèrent les caisses vides à la rivière et les laissèrent dériver, emportées par le courant.

L'or était bien caché. Ils songèrent à quitter l'île. Mais ils comprirent vite que le niveau de la rivière en crue et l'impétuosité du courant, allaient les en empêcher.

Ils risquaient d'être emportés. Nager dans une rivière en crue, c'est très dangereux. Ils risquaient en plus d'aller se fracasser contre un rocher, surtout qu'ils ne distinguaient plus rien dans la nuit. Ils essayèrent de traverser vers l'autre rive, plus proche, mais sans plus de succès. Ils se trouvaient bloqués sur cette île pour un long moment.

La pluie diminua peu à peu et s'arrêta.

Tout à coup, Gillian s'inquiéta:

-Véronique, Christine, vous étiez en train de préparer le dîner.

-J'ai coupé le gaz, dit aussitôt Véronique.

-Heureusement. Sinon, on aurait eu le feu dans la maison, en plus. Qu'allons-nous faire à présent ? soupira la jeune fille.

-Je crois qu'on ne peut faire qu'une chose, répondit Jean-Claude. Attendre.


Ils bavardèrent un long moment, assis sur du sable entre les rochers. Gillian parla de sa vie. Elle expliqua comment elle se débrouillait avec son petit frère et son père. Elle raconta que son papa espérait un jour tenir une auberge. Son rêve. Il espérait trouver un vieux bâtiment, un château délaissé par ses occupants, par exemple, et qu'il pourrait transformer en hôtel. Mais pour cela il fallait réunir un peu d'argent...

Jean-Claude, Philippe, Christine et Véronique décrivirent leurs aventures récentes. Ils parlèrent aussi de leur école, de leurs copains et amis, de leurs projets.

Tous les cinq mouraient de faim. Leurs ventres gargouillaient, surtout lorsqu'ils songeaient aux spaghettis qui les attendaient...

Jean-Claude bavarda encore un moment tout bas avec Gillian. Véronique accepta un bisou de Philippe. Étendu à côté d'elle, il soutenait sa tête contre son torse. Ils dormirent peu et mal.


Ils s'éveillèrent le matin assez tôt. La pluie recommençait. Le niveau de l'eau avait un peu baissé. Jean-Claude proposa aux autres de se jeter dans le courant et de nager chacun de toutes ses forces vers la rive. Ils réussirent à l'atteindre en aval. Ils parvinrent entre des roseaux, juste avant un méandre.

Ils traversèrent ensuite des prairies, longèrent des champs de maïs, hélas pas mûrs, puis ils suivirent une petite route en terre vers un hameau qu'ils apercevaient au loin. Ils pataugeaient trempés, sales, boueux de la tête aux pieds. Mais surtout, ils avaient de plus en plus faim.

Vers dix heures du matin, ils traversèrent un premier village, sous le regard étonné de quelques habitants. Ils continuèrent courageusement leur chemin.

Au petit bourg suivant, ils passèrent devant une boulangerie. Ils s'arrêtèrent devant la vitrine. Hélas, aucun d'eux n'avait de l'argent.

-Risquons d'entrer, dirent les filles. Restez dehors les garçons, on va tenter d'apitoyer la vendeuse. Elle ne résistera peut-être pas à la vue de trois fillettes sales, trempées et affamées.

-D'accord, encouragèrent les garçons. Vous aurez plus de chance que nous de l'attendrir. Allez-y.

Elles entrèrent toutes les trois et demandèrent un peu de pain. Elles expliquèrent qu'elles n'avaient pas d'argent, mais qu'elles reviendraient payer bientôt. La boulangère les chassa en disant d'aller d'abord chercher de l'argent chez leurs parents. Elles se retrouvèrent toutes les trois dehors, les mains vides.

-Quand je pense, dit Jean-Claude, que nous avons des lingots d'or. Nous sommes riches à millions et nous ne pouvons même pas acheter un morceau de pain !


-Si on veut aller un peu plus vite vers la ville, proposa Gillian, on pourrait faire de l'auto-stop.

-Mes parents ne voudraient jamais que je fasse de l'auto-stop, affirma Véronique.

-Mon frère et moi non plus, ajouta Christine. Mais les circonstances exceptionnelles l'imposent. Si vous n'osez pas, moi je le fais. J'en ai marre de marcher à jeun sous la pluie.

Ils virent passer quelques voitures qui ne ralentirent pas et même les éclaboussèrent.

Un van noir s'arrêta à leur hauteur. Nos amis reconnurent trop tard la camionnette des bandits. Celle qui envoyait des signaux en morse de l'autre côté de la rivière. Comble de malchance.

-Tiens, qui voilà ! dirent-ils. Ne bougez plus. Quelle bonne surprise de vous repêcher tous les cinq à la fois, se réjouirent les voleurs, menaçant nos amis de leurs armes.

Ils les obligèrent à monter à l'arrière du véhicule. Ils les y enfermèrent.

Ils roulèrent environ une demi-heure. II n'y avait pas de fenêtre à l'arrière de la voiture. Impossible de deviner où on les conduisait. Quand ils s'arrêtèrent enfin, et qu'on ouvrit les portes, ils se retrouvèrent dans la cour pavée d'un château-fort.


Ils virent une énorme tour, un donjon transformé en habitation et des hauts murs autour de la cour. Le pont-levis n'existait plus, remplacé par des grosses poutres en bois. Ils aperçurent des petites tours crénelées ornant les deux côtés de la passerelle d'accès.

-Avancez, ordonna un des bandits en montrant le donjon.

-Grimpez les escaliers, commanda un autre.

Ils montèrent un étage, deux étages, trois étages. On leur ouvrit une porte. Le plafond du troisième étage de la tour était écroulé. Le sol était jonché de pierres, de poutres moisies ou pourries sens dessus dessous, le tout envahi d'herbes et même de plantes assez hautes dans un des coins. Ils se trouvaient donc à ciel ouvert.

-Écoutez bien, expliqua l'homme au revolver. Vous avez dérivé cette nuit sur la rivière avec nos caisses. Vous avez sûrement eu la curiosité de les ouvrir. Dites-nous où vous avez caché les lingots, et vous pourrez repartir.

Aucun des cinq ne répondit.

-Bon, tant pis. Je vous enferme au troisième étage du donjon de ce château. Ne croyez surtout pas pouvoir vous échapper. Personne ne sait où vous êtes. Personne, donc, ne viendra vous chercher ou vous délivrer avant au moins une semaine et peut-être plus. Nous ne sommes pas pressés. Lorsque vous aurez faim, vous nous appellerez. Vous nous direz où se trouvent les lingots d'or et vous recevrez à manger. Vous voulez jouer les durs, très bien, nous on a le temps.

Ils refermèrent la porte, laissant les cinq enfants sous la pluie qui venait de recommencer à tomber.


Les heures passaient. C'est long quand on a faim et froid. Mais nos amis savaient pourquoi ils résistaient. Ils se moquaient bien des lingots d'or. Mais, s'ils révélaient leur cachette, les bandits les récupéreraient. Peut-être qu'ils relâcheraient nos amis. Ce n'était même pas sûr. Mais surtout, ils perdraient avec l'or la preuve de l'innocence de Gillian et de son père.

Quand la porte fut refermée, ils commencèrent par vérifier s'il n'existait vraiment aucun moyen de s'échapper. Ils observèrent les lieux avec attention. Des murs très hauts les entouraient.

À un endroit, le rempart était fissuré et un peu moins élevé. Ils se firent la courte échelle pour y grimper. Ils observèrent les campagnes et les bois jusqu'à l'horizon. Gillian, qui connaissait le pays, remarqua que le château ne se trouvait pas tellement loin de l'endroit où le bac avait échoué. Une heure de marche peut-être. Mais comment sortir de là?

S'ils possédaient une corde, ils auraient pu l'accrocher et descendre le long des murs en rappel. Puis  sauter dans les douves. Elles ne semblaient pas contenir beaucoup d'eau. Ils auraient traversé la vase et se seraient enfuis dans les champs.

Sauter? Impossible. Escalader? Beaucoup trop dangereux. La moindre erreur de prise, une pierre qui se descelle et ils se casseraient bras et jambes.

Ils aperçurent en se penchant un petit balcon étroit à l'étage en-dessous, côté cour. Hélas, il semblait inaccessible. La balustrade en grande partie arrachée, pendait dans le vide. En sautant sur cette terrasse, ils risquaient de se trouver déséquilibrés à l'arrivée et de tomber ensuite et se tuer sur les dalles de la cour du château.

Le temps passait. Tous cherchaient vainement une solution. Ils ne la trouvaient pas. Le vent sifflait. Il faisait vraiment froid. Ils grelottaient, trempés par la pluie. Mais surtout, ils étaient affamés.

Vers midi, les bandits ouvrirent la porte. Ils présentèrent quelques bâtons de chocolat.

-Vous ne voulez pas manger un petit peu? Vous devez crever de faim. Dites-nous où sont les lingots d'or. Un lingot d'or, un bâton de chocolat.

-Trop cher, répondit Jean-Claude au nom des autres. Et on n'a pas si faim que ça.

Les bandits refermèrent la porte.


Tout l'après-midi, nos amis résistèrent au froid, à la pluie, à la faim. Ils restaient assis sur les poutres et les pierres, décombres du plafond de la tour.

Au soir, la porte s'ouvrit de nouveau. Les courageux enfants se levèrent. Quel était le nouveau plan des bandits? Ils leur firent descendre le grand escalier et les conduisirent dans une salle à manger où trônait une grande table. On y avait déposé cinq assiettes.

-Asseyez-vous.

Ils s'assirent les uns près des autres. On apporta un grand plat de raviolis fumants. Les yeux de nos amis s'agrandirent. Ils tremblaient de faim à la vue de la nourriture.

-Voilà votre repas, annonça un des hommes, toujours revolver au poing.

On servit généreusement leurs assiettes. Nos amis affamés regardaient et respiraient l'odeur délicieuse.

-On va vous donner des cuillères. Bon appétit. Où se trouvent les lingots d'or?

Tous les cinq comprirent alors que les bandits leur imposaient une torture supplémentaire pour essayer de les faire craquer.

Comme ils ne répondaient pas, les hommes enlevèrent les assiettes. Christine tendit le bras et plongea sa main dans les raviolis. Elle les porta à sa bouche. Un des voleurs la gifla et lui arracha la nourriture des mains et même de la bouche. On les reconduisit tous les cinq au sommet de la tour, sans manger, bien entendu...


Nos amis se retrouvèrent sous la pluie et dans le froid, le ventre creux.

-Philippe, dit Véronique, tu trouves toujours un plan pour nous arracher aux situations périlleuses. Tu n'as aucune idée?

-J'ai trop faim pour penser, s'écria le garçon.

Puis, tout à coup, il ajouta :

-Mais oui, bien sûr! Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt? Trois ou quatre mètres environ nous séparent du balcon inférieur. Je retire la longueur de Gillian, cela fait un mètre cinquante. Bon. Un, deux, trois, quatre fois soixante centimètres, fois deux, cela doit marcher.

-Philippe, ça va? s'inquiéta Jean-Claude.

-Je ne suis pas malade. Je calcule. Notre amie va partir. Elle parle anglais et connaît le pays. Elle avertira les gendarmes et reviendra nous délivrer ensuite.

-Comment peut-elle réussir à sortir d'ici? demanda Véronique.

-On enlève nos jeans, expliqua Philippe. On noue les jambes ensemble. Nous sommes quatre à en porter. Quatre fois soixante centimètres, nœud compris. Jean-Claude et moi on tient un bout de la "corde" improvisée avec les quatre pantalons. Gillian pourra s'y accrocher et atteindre l'étage en-dessous par le balcon.

-Génial, se réjouit la jeune fille.

Philippe, Jean-Claude, Christine et Véronique enlevèrent leurs jeans et en nouèrent les jambes solidement l'une à l'autre. Ils montèrent à l'endroit du mur qui surplombait le petit balcon. Gillian s'accrocha à cette drôle de corde et descendit aussi vite qu'elle pouvait. Nos amis retinrent la chaîne à bout de bras. Leur amie sauta sur la terrasse. Les quatre autres se rhabillèrent et attendirent.

Gillian se trouvait à présent devant une fenêtre mal fermée. Elle entra dans une pièce totalement vide. Elle ouvrit une porte. Ça donnait sur l'escalier par où ils étaient venus. Elle eut envie de grimper chercher ses amis. Elle monta, mais la porte était fermée et elle ne possédait pas la clé. Elle ne pouvait pas délivrer les copains.

-Je ne peux pas vous ouvrir. Courage! Je tâche de fuir et je reviens avec les renforts.


En bas, les bandits mangeaient et discutaient dans la cuisine éclairée. La jeune fille s'avança sans bruit à quelques mètres d'eux. La porte de la pièce où ils se trouvaient était entrouverte. Mais elle passa sans faire de bruit. Elle parvint sans difficulté dans la cour du château. Elle franchit le pont qui enjambait les douves et s'enfuit dans la campagne.

Le temps passait. Il faisait tout noir et très froid. Nos amis, trempés, grelottaient. Gillian se dépêchait de les aider. Ils le savaient.

Philippe prit Véronique dans ses bras pour la réchauffer. Elle tremblait. Jean-Claude massait le dos de sa sœur.

Souvent le garçon escaladait le mur pour observer les alentours, espérant voir arriver les secours. Mais tout le paysage disparaissait sous la pluie et la nuit noire immobile et glacée.


Quelques heures plus tard, ils aperçurent des lumières. Des phares de voiture se rapprochaient. Toute une équipe de gendarmes. Ils encerclèrent le château puis donnèrent l'assaut. Ils entrèrent dans la tour et surprirent les bandits, aussitôt faits prisonniers. Puis, ils délivrèrent nos amis qui attendaient impatiemment. Tous se retrouvèrent au bas de la tour.

D'abord, on leur donna à manger, et puis ils racontèrent leur terrible aventure.

Au matin, tous les cinq conduisirent les gendarmes jusqu'à la petite île où ils avaient caché les lingots d'or.

On fit venir une troupe de soldats du génie, spécialisés dans la construction de ponts de fortune. Ils passèrent sur l'île. Ils retrouvèrent les quatre cents lingots d'or. Une camionnette blindée les emmena vers la banque où ils avaient été volés.

Gillian et ses amis retournèrent à la petite maison, au bord de la rivière. Le bac n'existait plus, mais ils pouvaient occuper les lieux à leur convenance. Ils passèrent le reste des vacances très agréablement.

Il n'y avait presque plus de circulation. De temps en temps, une voiture se risquait jusqu'au quai, malgré le panneau "Bac inexistant. Faites le détour". Parfois, un pêcheur ou un promeneur marchait jusqu'au bord de l'eau.


Deux jours plus tard, une grosse voiture s'arrêta près de la maison et klaxonna. Nos amis s'approchèrent. Un homme très distingué en sortit.

-Je ne peux pas vous faire passer, monsieur, dit Gillian. Désolée. Le bac a été emporté par le courant.

-Vous êtes les enfants qui ont dérivé sur la rivière avec les lingots d'or?

-Oui, répondit la jeune fille étonnée.

-Je vous félicite! Les notes prises par les gendarmes et le rapport de police décrivent votre aventure. J'admire votre courage, votre cran. L'intelligence avec laquelle vous vous êtes enfuis de la tour. Je suis le banquier à qui on avait volé l'or. J'ai tout récupéré grâce à vous. J'avais promis une récompense à ceux qui contribueraient à retrouver cet or. Je vous apporte à chacun deux lingots. Pour vous remercier.

Il remit deux lingots d'or à chacun de nos amis. Puis, il repartit sous les cris et les hourras.

Véronique se tourna vers Gillian.

-Je pourrais m'offrir plein de choses en vendant ces lingots. Mais je n'ai pas vraiment besoin de cet or. Tiens, prends-le. J'espère que ton papa pourra acheter ce vieux château en ruines dont il rêve et le transformer en hôtel.

-Nous aussi, enchaînèrent Jean-Claude et Christine, en chœur. Voici nos lingots. Fais-en bon usage.

Philippe ajouta :

-Je m'offrirais bien un nouveau vélo et une console de jeux, mais tiens, je préfère ton amitié. C'est tellement plus important des amis et des amies que tous les jeux du monde.

Gillian, les larmes aux yeux, remercia nos amis.


Quelques jours plus tard, le papa de leur amie revint, enfin guéri. Il remercia et félicita les enfants à son tour.

Les vacances prenaient fin. Nos quatre amis retournèrent chez eux. Les classes recommençaient.

Le papa de Gillian put non seulement s'acheter le château en ruine dont il rêvait, mais le transformer en partie en hôtel.

Mais les vieux châteaux d'Écosse réservent parfois des surprises inattendues.

Rendez-vous dans l'histoire suivante : « 4 Amis N° 17. Le château de l'ombre noire ». Si tu oses la lire...