Béatrice et François
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La Clé

       Béatrice passait quelques jours chez sa grand-mère, qui habite une grande et vieille maison à la campagne. Elle s'y trouvait en compagnie de son ami François, invité pour une semaine. Ils ont tous les deux sept ans et demi.

Ce jour-là, il pleuvait, et il n'arrêtait pas de pleuvoir.

-Grand-mère ? dit la fillette.

-Oui, ma chérie?

-Je peux monter au grenier avec mon copain ?

-Oh oui, bien sûr.

-Je peux lui faire découvrir la grande armoire, avec le secret ?

-D'accord. Mais, ne mettez pas trop de désordre là-haut, les enfants. Si vous prenez des choses, remettez-les en place après, parce que mes jambes ne m'obéissent plus très fort. Je ne peux plus grimper facilement les marches. Cela fait d'ailleurs bien longtemps que je n'y suis plus allée.

-Promis, grand-mère, répondit Béatrice. Viens, François.

 

Les deux amis gravirent les escaliers et parvinrent devant la porte du grenier. Ils l'ouvrirent et allumèrent une petite ampoule, qui éclairait faiblement la grande pièce sombre. On entendait, à cause du mauvais temps, la pluie cingler les vitres des deux lucarnes, et le vent sifflait entre les tuiles du toit.

Ils entrèrent. À gauche, se dressait une belle armoire. Ils l'ouvrirent et y découvrirent un collection de vieux habits, dont ils auraient bien fait des déguisements.

À droite, une grande table couverte de nombreux livres aux pages jaunies par les ans attira leur regard. Ils en feuilletèrent quelques-uns, illustrés d'images désuètes. Ils se promirent de revenir les inventorier un autre jour.

Un peu plus loin, ils ouvrirent un coffre, rempli de couvertures, de vieux tissus et de draps aux couleurs passées. Cela sentait l'antimite. Ils refermèrent.

Plus loin encore, pendaient d'étranges outils et d'autres ustensiles aux formes menaçantes, en fer rouillé. Les deux amis les touchèrent du doigt, puis les regardèrent se balancer dans un grincement sinistre qui ressemblait à celui des dents d'une sorcière.

Au fond du grenier se trouvait une énorme armoire en bois assez sombre, du chêne, peut-être. La partie centrale comportait de nombreux tiroirs. Elle était flanquée d'une aile massive à gauche comme à droite.

-Viens, proposa Béatrice. Je vais te montrer le secret dans cette armoire. Tu peux ouvrir tous les tiroirs si tu veux, François. L'un d'entre eux est invisible. Je parie que tu ne sauras pas le découvrir.

Le garçon observa l'armoire. il fit glisser les tiroirs, les referma, mais ne trouva pas la cachette.

-Regarde, montra son amie. Tu vois ce panneau décoratif, au centre ? Il est garni de tout petits morceaux de bois très colorés, collés en puzzle les uns près des autres. Cela forme le dessin d'une étoile. 

-Euh, oui, répondit François. Cela s'appelle de la marqueterie.

-Exact. Et bien, observe. J'enfonce la petite pièce triangulaire située ici à la pointe la plus foncée de l'étoile, puis cette seconde le long de la plus claire, voilà.

Lorsque les deux éléments de la marqueterie furent engagés, un panneau coulissa et un tiroir secret apparut.

-Génial, s'exclama le garçon.

Il le fit glisser avec prudence et y trouva une petite clé dorée.

-À quoi sert-elle ? 

-Je ne sais pas, s'étonna Béatrice. Je ne l'ai jamais vue. Cherchons. Une clé cachée à cet endroit doit correspondre à une serrure de l'armoire, or aucun de ces tiroirs ne ferme de cette manière.

-Étrange, constata François. Peut-être que ta grand-mère l'a rangée là autrefois, puis l'a oubliée.

-Possible, répondit la fillette. Mais attends. Une idée me vient. Je me souviens avoir visité un château où se trouvait un coffre à double fond.

Elle ôta le tiroir et vit aussitôt qu'il était beaucoup moins profond que les autres. Et derrière ce tiroir se trouvait un petit panneau muni d'une serrure en son centre.

Saisissant la clé dorée, elle la glissa dans la serrure, tourna et tira un tiroir secret supplémentaire.

Ils y découvrirent une très grosse clé en fer. Elle mesurait près de quinze centimètres de long. Là, vraiment, on pouvait se demander à quoi elle servait…

Aucun tiroir, et aucune porte de l'armoire ne s'ouvrait avec une clé pareille. Ils la prirent et redescendirent les escaliers.



-Dis, grand-mère !

-Oui, ma chérie?

-À quoi sert cette grosse clé? Nous venons de la trouver dans l'armoire à secret.

-Mon Dieu, se souvint la grand-mère. Belle découverte ! Asseyez-vous, les enfants. Vous aimez les histoires et je vais vous raconter celle de cette grosse clé. Cela remonte à bien loin. J'ai plus de soixante ans et j'en avais sept ou huit, à cette époque-là…

"J'étais montée sur une échelle au grenier et je donnais à ma mère, ton arrière-grand-mère Béatrice, des boîtes à chapeaux qui se trouvaient sur la grande armoire à secret. Tout à coup, levant une petite caisse, je découvris cette grosse clé. Comme vous, je fus intriguée.

-À quoi sert-elle, maman? demandais-je.

"Ma mère me regarda.

-Elle commande l'ouverture de la dernière porte de nos caves. Tu peux y descendre, petite curieuse. Tu passeras la cave à provisions, puis celle à vin, et puis tu suivras un petit couloir sombre. Tout au bout, tu apercevras une porte bien fermée. Tu tiens la clé de cette porte en main. Tu pourras entrer dans la dernière cave. On ne s'en sert pas, mais si tu oses, va la visiter.

"J'étais une fillette très curieuse, à votre âge, continua la grand-mère de Béatrice. Je descendis l'escalier. La cave à provisions ne me faisait pas peur. J'y étais déjà allée plusieurs fois. La cave à vin, déjà plus sombre, plus froide, plus humide, m'impressionna. Je frissonnais en y passant.

"Puis, je suivis le couloir presque tout noir. Comme mon cœur battait vite ! Je me suis arrêtée à la porte de la dernière cave. Une porte toute noire. Je tremblais un peu en introduisant la grosse clé dans la serrure. J'ai tourné, puis entrouvert.

"Il m'apparut ! Mon Dieu ! Un fantôme blanc avec deux yeux noirs et deux longs bras tendus et qui semblaient vouloir me prendre. J'ai poussé un cri en m'enfuyant et en remontant près de ma mère.

-Maman, un fantôme habite dans la dernière cave.

-Je sais. As-tu bien fermé la porte et rapporté la clé ?

 "Non. Je n'avais pas pensé, dans ma précipitation, à refermer la porte et à enlever la clé de la serrure.

-Alors fit ma mère, petite curieuse, il faut te montrer courageuse à présent. Va la rechercher.

"Je redescendis dans la cave à provisions en regardant à gauche, à droite, pour voir si personne ne me suivait ou m'observait. Tout semblait normal. Je frissonnais en traversant la cave à vin. Au moindre bruit, je sursautais et je me retournais croyant que le fantôme m'attendait caché quelque part.

"Puis ce fut le couloir et enfin, la dernière cave. J'ai claqué la porte, sans regarder, tourné la clé dans la serrure puis je l'ai rendue à ma mère.

-Fabuleux, murmura François.

-Je crois sentir l'odeur de pourri jusqu'ici, renchérit Béatrice.

-Et voici la suite, ajouta la grand-mère. Bien des années plus tard, devenue une mère de famille à mon tour, mes deux enfants, ta maman, ma chérie, et sa petite sœur, jouaient dans la maison. Et voilà qu'un jour, elles montèrent au grenier. Elles en revinrent très intriguées.

-Regarde, maman, cette grande clé. Nous venons de la trouver dans un tiroir secret de la grande armoire. À quoi sert-elle ?

"Me souvenant de ce que ma mère m'avait dit, autrefois, je leur répondis:

-Et bien les filles, vous pouvez aller voir si vous osez. Cette clé ouvre la porte au fond du couloir sombre. On n'y va jamais. Mais allez-y, petites curieuses.

"Ta maman, ma chérie, âgée à ce moment-là de sept ou huit ans, descendit en donnant la main à sa petite sœur de cinq ans. Quelle chance d'être deux! Ça fait moins peur que quand on est seule.

"Elles traversèrent la cave à provisions. Elles m'avouèrent plus tard que cet endroit leur faisait déjà peur. La cave à vin les rassura encore moins. Elles se tenaient serrées l'une contre l'autre.

"Dans le couloir, ce fut la petite qui passa devant. À cette époque, ta tante semblait moins peureuse que ta maman, pourtant sa grande sœur.

"Elles suivirent le couloir et arrivèrent à la porte. L'aînée tremblait comme une feuille. La petite introduisit la clé dans la serrure. Elle tourna. La vieille porte s'ouvrit en grinçant.

"Le fantôme se trouvait toujours là, tout blanc, avec ses yeux noirs, et ses deux grands bras qui se dressaient vers le ciel. Elles s'encoururent et vinrent se blottir près de moi.

"Mais ainsi que ma mère me l'avait ordonné autrefois, je leur ai demandé si elles avaient refermé la porte avec soin. Elles me firent signe que non.

-Très bien les filles. Maintenant, les curieuses, montrez-vous courageuses. Allez rechercher la clé.

"Elles redescendirent en tremblant et finirent par me la rapporter. Mais il me fallut beaucoup insister pour qu'elles osent y aller.

-Et bien ma chérie, conclut la grand-mère de Béatrice, aujourd'hui, à ton tour. À toi d'aller visiter la cave. Profite de la chance d'avoir ton copain à tes côtés. À moins, évidemment…, que vous ne soyez pas curieux. N'y descendez pas si cela vous effraye trop.


Les deux enfants s'observèrent un instant en silence. François prit la clé et la glissa dans sa poche. Ils descendirent à la cave.

Comble de la malchance, la petite lampe au bas de l'escalier ne fonctionnait plus. Il faisait vraiment fort sombre.

Ils passèrent sans crainte la cave à provisions. Ils traversèrent le cellier. Cela sentait le moisi, l'humidité. Il faisait froid là-dedans. Ils frissonnèrent en short et en t-shirt.

Au fond de cet endroit se trouvait le couloir, tout noir, tout noir... Ils le suivirent lentement, en se donnant la main. Béatrice et François s'arrêtèrent devant la porte noire. Notre amie se tourna vers son copain.

-On regarde ?

-Oui, on regarde, répondit le garçon.

Il glissa la clé dans la serrure et tourna. Ils poussèrent la porte, qui grinça et aperçurent aussitôt le fantôme tout blanc, avec des yeux noirs et deux grands bras dressés vers le ciel, collé sur le mur du fond.

Béatrice et François poussèrent un cri, s'encoururent, et remontèrent auprès de la grand-mère.

-Nous avons vu le fantôme. Sûr et certain.

-Un fantôme ? Tu crois que ça existe ? fit la vieille dame.

-Jusqu'ici, je n'y croyais pas, avoua la fillette, mais maintenant qu'on l'a vu...

-Oh oui, ajouta son copain, et cela faisait peur.

-Et la clé ?

-On l'a oubliée…

-Vous avez été curieux, très bien. Maintenant, montrez-vous courageux. Allez la rechercher.



Nos amis redescendirent l'escalier et traversèrent tous deux la cave à provision, la cave à vin, puis suivirent le couloir noir.

Ils s'approchèrent de la porte restée grande ouverte. Cœur battant, ils attendirent. Le fantôme semblait les regarder de ses yeux noirs. 

-Il nous observe, souffla François.

-Il ne bouge pas, murmura Béatrice.

-Non, il ne bouge pas, répéta le garçon. On dirait une peinture...

Ils firent un pas en avant. Puis deux, puis trois. Ils s'arrêtèrent près du fantôme collé sur le grand mur noir. Du salpêtre!

Cette poudre qui se forme parfois entre les briques des vieilles caves humides, ébauchait la silhouette d'un fantôme. Les deux yeux noirs correspondaient à l'endroit où se trouvaient deux énormes vis, qui fixaient deux poutres, soutenant le mur. Sur ces vis, aucune poudre blanche n'apparaissait. Les deux grands bras correspondaient exactement aux deux poutres, qui montaient vers le plafond.

Les enfants passèrent leurs doigts sur le prétendu fantôme. La poussière se détacha et vint leur coller aux mains. Lentement, ils effacèrent le fantôme, puis en riant de leur peur, ils remontèrent chez la grand-mère en emportant la clé.

-Regarde, fit la fillette, en montrant ses mains toutes blanches. Voilà le fantôme, grand-mère.

-Très bien, Béatrice. Bravo pour ton courage. Je te félicite. Et ton copain aussi. Vous voyez que les fantômes n'existent pas. Allez laver vos mains couvertes de salpêtre.

-Grand-mère, je le savais bien, affirma Béatrice.

-Moi aussi, ajouta François.

-Oui, mais c'est quand même bon de vérifier… parfois.

Nos amis remontèrent au grenier pour ranger la fameuse clé dans le tiroir secret de la grande armoire.

Et toi, tu crois aux fantômes ?