Béatrice et François
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Le coffret rouge

     Béatrice et François ont tous deux sept ans et demi. Ils vont dans la même classe à l'école, en deuxième année.

Un samedi après-midi, ils se rendirent à vélo, de l'autre côté du bois. À cet endroit se trouve une grande plaine de jeux.

Il faisait encore beau mais le ciel se couvrait peu à peu de nuages gris.

François était en baskets, jean et t-shirt rouge. Béatrice était habillée à peu près de même, sauf qu'elle portait un short coupé dans un jean.

Arrivés à la plaine de jeux, ils se précipitèrent sur les balançoires. Les premières gouttes commençaient à tomber. La pluie était hélas au rendez-vous. Bientôt le toboggan fut trop mouillé. Il devenait dangereux d'y glisser. Les balançoires dégoulinaient, trempées. Des flaques d'eau se formaient autour des jeux.

Plus moyen de jouer ni de s'amuser. D'ailleurs, les autres enfants étaient partis. Il n'y avait plus qu'eux deux et leurs vélos. Comme il pleuvait de plus en plus fort, ils commençaient à être bien trempés. Ils n'avaient pas emporté de veste, pensant qu'il ferait beau. Ils s'abritèrent sous le toit d'une petite cabane qui se trouvait au sommet de la tour du toboggan et dominait la plaine de jeux.


La pluie tombait à torrent à présent. Une véritable averse.

Juste à ce moment, ils aperçurent, venant de droite, sur un chemin en terre, un homme qui marchait avec peine sous l'orage. Il avançait lentement car il portait un sac de sport gris qui paraissait très lourd.

Il s'approchait de la plaine de jeux. Nos amis se baissèrent pour l'observer par curiosité, mais sans être vus. L’individu semblait d’origine asiatique.

Il portait un costume et un manteau noirs. Son sac semblait vraiment fort chargé, car il le changeait régulièrement de main. Il regardait souvent derrière lui, comme pour s'assurer que personne ne le suivait. Ce comportement bizarre intrigua nos amis.

Il longea la plaine de jeux puis descendit le sentier qui mène au petit lac. L'eau y ruisselait comme un petit torrent. Plusieurs fois encore, l'homme, indifférent à la pluie et à la boue, scruta à gauche et à droite. Pourquoi cette étrange attitude?

-Il ne me semble pas très droit dans ses bottes, celui-là, chuchota François.

-Oui, Il se comporte comme un voleur, ajouta Béatrice. Je me demande ce qu'il cache dans son sac.


L'homme s'arrêta au bord du lac. Une fois encore, il observa bien attentivement à gauche et à droite. Puis d'un mouvement régulier du bras, il balança le sac d'avant en arrière, de plus en plus fort et soudain, il le lança de toutes ses forces dans l'eau. Cela fit un énorme « plouf ».

L'individu regarda une dernière fois les alentours pendant quelques instants pour s'assurer que personne ne l'avait vu. Puis il fit demi-tour, remonta le sentier, longea la plaine de jeux et s'éloigna.

-Je trouve ce geste dégoûtant, lança François. L'étang n'est pas une poubelle.

-Viens, suivons-le, proposa Béatrice. Vite! On va jouer aux espions.  

Les deux enfants lui emboîtèrent le pas. La pluie tombait toujours à torrent. Nos amis suivaient tout mouillés. Ils l'étaient déjà à moitié avant d'aller s'abriter sous le toboggan, alors, un peu plus ou un peu moins, qu'importe, se disaient-ils.

L'homme entra dans une voiture verte, dont ils mémorisèrent la plaque d'immatriculation. L'auto démarra.

Comme ils avaient laissé leurs vélos à la plaine de jeux, ils ne purent pas la suivre. Et puis de toute façon, comment faire? Elle roulait bien trop vite pour eux. Ils la perdirent de vue.

Ils revinrent sur leurs pas en se demandant ce que pouvait bien signifier cet étrange comportement. Et que contenait ce sac?

-Des armes, proposa François.

-Ou des objets volés, renchérit Béatrice.

-Ou bien ce bandit y cache des faux billets de banque.

-Oui, mais pourquoi était-ce si lourd? Et pourquoi l'avoir jeté dans le lac...


Tout en parlant, nos deux amis s'approchèrent de l'étang. Ils se trouvaient au bord à présent. Les gouttes de pluie dessinaient des ronds éphémères à la surface.

Un arbre était couché dans l'eau près de l'espace où l'homme venait de se débarrasser du sac.

-Si on montait sur le tronc, proposa Béatrice, on pourrait s'avancer vers le milieu de l'étang et peut-être l'apercevoir.

-Et si on glisse? fit remarquer François.

-Oh, et bien si on glisse, répondit la fillette, on est quand même mouillés. Cela ne changera pas grand-chose.

Elle marcha en équilibre vers le centre du lac. Arrivée au bout du tronc, elle se tourna doucement, se baissa et observa le fond de l'eau avec attention.

-Là ! dit-elle à son copain qui la suivait en écartant les bras. Regarde.

-Oui, en effet, il est là, commenta le garçon.


Ils aperçurent une boucle métallique. Celle du sac qui venait d'être jeté.

Béatrice s'assit sur le tronc et mit les pieds dans l'eau.

-Que fais-tu? demanda François.

-Je vais le chercher.

-Fais attention, c'est peut-être profond.

-Ça n'a pas l'air, et puis tu m'aideras à ressortir.

Béatrice se glissa dans l'eau. Elle lui vint jusqu'au cou. Elle était froide et sentait la vase et le poisson pourri. Intrépide, notre amie plongea la tête et remonta le sac à la surface.

-Aide-moi, François.

Le garçon sauta dans l'étang à côté de sa copine. Ils hissèrent le paquet, qui était vraiment très lourd, hors de l'eau. Ils le posèrent sur le tronc d'arbre et firent glisser la tirette.

Des pierres! Et au milieu, une petite boîte en fer bien fermée. Voilà tout ce qu'ils découvrirent.

Ils ouvrirent la boîte. Elle contenait une clé. Ils se regardèrent tous les deux en se demandant à quoi elle pouvait bien servir. Et tant de mystères pour si peu! Et pourquoi jeter cette clé dans une boîte en fer dans un sac avec des pierres au fond de l'étang.

-Les pierres, c'est pour être sûr que tout reste bien au fond, que rien ne remonte, fit Béatrice.

-II voulait vraiment se débarrasser de sa clé, ajouta François.

-II voulait surtout que personne ne la trouve. Si on la gardait, suggéra la fillette. Peut-être qu'on découvrira un jour à quoi elle sert.

-Bonne idée, conclut le garçon.

Entraînés par l’étrangeté de leur découverte, ils ne songèrent pas une seconde que ce faisant, ils s’appropriaient quelque chose qui ne leur appartenait pas.

Béatrice l'accrocha à une chaînette dorée, reçue de sa grand-mère, et qu'elle portait ce jour-là autour du cou. Elle referma la boîte, la remit dans le sac et fit glisser la tirette. Ils replongèrent le tout dans l'eau. Puis ils se hissèrent hors de l'étang et avançant sur le tronc et ensuite sur le sentier, ils se dirigèrent vers leurs vélos.


Il ne pleuvait plus. L'orage était passé. Ils pédalèrent vers la maison pour aller se changer. Ils grelottaient dans leurs vêtements mouillés.

Le long du chemin, ils longèrent le mur d'un petit cimetière. Ils virent la voiture de l'étrange individu près de la grille d'entrée. À l'arrêt. Ils reconnurent le numéro de la plaque d'immatriculation.

Alors, vite, ils posèrent leurs vélos dans l'herbe haute et escaladèrent tous deux le mur. Ils s'assirent à califourchon et observèrent les lieux avec attention. L'homme revenait justement du fond du cimetière, un endroit où se trouve une petite chapelle. Autrefois, les gens construisaient parfois cela pour honorer leurs morts.

L'homme suivit une allée centrale puis sortit et referma la grille derrière lui. Il monta dans sa voiture, démarra et s'en alla.

-On le suit? proposa François.

-On va le perdre, craignit à juste titre Béatrice. Il roule trop vite. Allons plutôt voir ce qu'il cache là-bas, dans ce bâtiment.


Les deux amis sautèrent du mur. Ils passèrent entre les tombes à pas rapides et s'arrêtèrent devant la chapelle. Une porte en fer. Ils l'ouvrirent. Elle grinça. Un escalier menait au sous-sol, vers une petite crypte très sombre.

Pas trop rassurés, ils descendirent dix marches couvertes de mousse et glissantes. À gauche et à droite, les murs humides suintaient. Tout cela paraissait bien sinistre. En plus il faisait froid à cet endroit.

Ils aboutirent dans la petite cave presque noire. De chaque côté, un énorme cercueil noir reposait dans la pièce, couvert de toiles d'araignées.

Les enfants aperçurent une petite niche creusée dans le mur du fond. Elle était sans doute destinée à contenir une statuette. À la place de celle-ci, se trouvait un coffre rouge. Il semblait être en bois, et mesurait environ trente centimètres de large, vingt en profondeur et dix de haut.

Béatrice s'en approcha. Elle le prit en main et ressentit aussitôt une étrange vibration. Une sonnerie retentit. Le coffret était équipé d'une alarme.

Terrifiée, elle le reposa à sa place. Mais, bon réflexe, elle saisit la clé accrochée à sa chaînette en or. Elle l'introduisit dans la serrure et tourna. L'alarme et la sonnerie cessèrent aussitôt. Elle retira la clé.

François prit le coffret en main, pour l'ouvrir.

-Viens à la lumière, suggéra son amie. Je ne me sens pas très bien entre ces morts.

-Oul, d'accord, murmura le garçon dont les dents claquaient.

Ils remontèrent tous deux jusqu'à la dernière marche de l'escalier. Ils y posèrent le coffre et l'ouvrirent.

Il contenait un compartiment tapissé de velours rouge et, dans ce dernier, se trouvait une image pliée en quatre. Nos amis la déplièrent lentement. Elle était très jolie. Elle représentait un lac aux eaux bleues si bleues, si bleues... et une cascade. Tout autour, on apercevait des grands arbres et des milliers de fleurs.

-Splendide, admira François. Quel bel endroit! J'aimerais bien m'y trouver.

L'image leur apparut si belle et surtout si réelle... Ils la touchèrent pour vérifier.


Ils furent pris d'un vertige puis se retrouvèrent dans un grand bassin d'eau tiède, pure, transparente, au pied de la merveilleuse cascade. Ils étaient entourés d'arbres et de fleurs.

Ils nagèrent vers le bord, encore tout surpris de leur aventure. L'eau de ce lac ne sentait pas le poisson mort et la bave de crapaud comme celui dans lequel ils avaient trouvé la clé. Cela les débarrassa un peu de la boue qui imprégnait leurs vêtements. Ils se hissèrent sur des grosses pierres chaudes, sous un grand ciel bleu. 

Aucune trace du cimetière où ils étaient passés auparavant. Où se trouvaient-ils donc? Des enfants jouaient en-dessous de la cascade. Ils s'approchèrent de nos amis.

Comme il faisait très chaud, Béatrice et François ôtèrent leurs t-shirts et les étendirent dans l'herbe. Ils allaient sécher très rapidement. Les enfants les invitèrent à les suivre.

Nos amis ne comprenaient pas leur langue mais les accompagnèrent gentiment.

 
Un village apparut. Ils aperçurent des grandes tentes en forme de cônes. Des branches en dépassaient le sommet. Des tipis !

-Mais... on arrive chez les Amérindiens! On se trouve en Amérique ? se demanda François.

Un vieil homme aux longs cheveux blancs se tenait assis devant un des tipis. Il regarda nos deux amis et leur fit signe d'entrer.

Il connaissait quelques mots de français.

-Comment vous arrivés ici ? dit-il.

Béatrice expliqua l'histoire du coffret rouge et de la belle image. L'homme, sachem du village, souleva quelques draperies et leur montra un coffret rouge, identique à celui du cimetière.

-Boîte comme celle-là? demanda-t-il.

-Oui, exactement, affirma la fillette.

 -Et image, vous avoir?

-Non, on ne l'a plus.

-II faut vous trouver image. Cela très important. Si vous pas image, vous jamais retourner chez parents.

-Où sommes-nous? demanda François.

-Vous en Amérique, États-Unis, Grand Canyon. Ici lac Havasu. Havasupaï, nous Amérindiens.

-Comment est-on arrivés là ? demanda Béatrice, inquiète.

-Magie du coffre rouge. Vous, vite retrouver image et revenir ici.


Nos amis retournèrent au lac bleu où jouaient les enfants qui les avaient accueillis. Ils aperçurent l'image. Elle flottait à la surface de l'eau. Ils l'emmenèrent et la montrèrent au vieux sachem.

Il la plia en quatre puis la posa dans le coffret rouge. Il demanda à Béatrice de refermer à clé. Elle utilisa celle qui pendait à la chaînette à son cou. Puis il lui ordonna d'ouvrir à nouveau.

L'image ne représentait plus le lac bleu. En la dépliant, ils découvrirent un cliché montrant un bord de mer de rêve, avec des cocotiers, du sable blanc, un ciel tout bleu. 

L'image leur apparut si belle et surtout si réelle...

Nos amis la touchèrent du bout des doigts.


Le temps d'un vertige, puis ils se retrouvèrent à l'ombre du cocotier de l'image. Les grandes vagues de l'océan Pacifique venaient mourir à leurs pieds sur le sable chaud.

-Oh! admira François, quelle plage merveilleuse! On doit être sur une île de corail ou sur un atoll. Du sable, du soleil, de l'eau turquoise.

-On a oublié les t-shirts chez les Amérindiens, dit Béatrice.

-Quelles belles vagues! continua le garçon. J'ai vraiment envie de me jeter dedans. Tant pis pour les t-shirts. Ils ne nous serviraient à rien, ici.

Ils ôtèrent leurs baskets et coururent pieds nus vers l'eau, après avoir ramassé l'image qui s'envolait au vent et l'avoir immobilisée sous une pierre.

Ils prirent un bain merveilleux, l'une en short, l'autre en jean, dans les grandes vagues de l'océan. Pour peu, ils se seraient crus au paradis.

Ils revinrent sur la plage après la baignade.

-II faudrait quand même songer à retourner à la maison, fit Béatrice.

-Ou au moins savoir où on est vraiment, ajouta François.

Ils frissonnèrent, tout mouillés. Ils avaient un peu faim, mais ils ne virent rien à manger sur cette île. Ils aperçurent des noix de coco, mais hors d'atteinte. Impossible pour eux de monter si haut dans les arbres pour aller les chercher.

Alors, prenant l'image pliée en quatre et se donnant la main, ils marchèrent pieds nus et torses nus sur le sable, sous le soleil, en direction d'un petit chalet qu'ils apercevaient au loin. Ils s'en approchèrent doucement. La cabane semblait abandonnée depuis longtemps.

Ils découvrirent, à l'intérieur, la proue d'un navire, rehaussée d'une statue sculptée en forme de sirène, puis des habits déchirés, un sabre rouillé et un vieux révolver, un mousquet. Et, surtout, un squelette humain. Sa main était posée sur un coffret rouge, identique aux deux autres.

Quand ils firent glisser le coffret vers eux, surmontant leur dégoût, la main du squelette tomba sur le sol et le crâne roula, mâchoire béante, à leurs pieds. Les enfants poussèrent un petit cri de frayeur et se sauvèrent hors de la masure en emportant la précieuse boîte magique.

Ils réussirent à l'ouvrir sans difficulté grâce à la clé que Béatrice gardait encore autour du cou pendue à la chaînette de sa grand-mère. Ils posèrent l'image pliée en quatre. Ils refermèrent un instant puis rouvrirent, comme chez le vieux chef Indien.

L'image avait changé. Elle ne représentait plus la plage paradisiaque, mais des hauts buildings et une large avenue encombrée de voitures et de monde.

-Je connais ces tours, s'écria François. Oui, mon papa m'a envoyé une carte postale de là-bas, lors d'un de ses voyages d'affaires. New York! Ce sont les grands bâtiments de la cinquième avenue.

L'image leur apparut si belle et surtout si réelle...

Ils la touchèrent.


Ils se trouvèrent projetés en pleine circulation dans cette avenue de Manhattan au milieu des voitures qui klaxonnaient à leur intention. Des milliers de passants allaient et venaient sur les trottoirs. Des buildings immenses les entouraient à gauche comme à droite, à perte de vue.

Ils quittèrent le milieu de la rue car les voitures les mettaient en danger. Ils se précipitèrent sur le trottoir sous les regards furieux des conducteurs.

Ils se tenaient là, regardant autour d'eux, pieds nus, torses nus. Béatrice dans son vieux short trempé et François en jean mouillé. Ils avaient oublié les chaussures sur l'île paradisiaque au milieu de l'océan Pacifique. Les gens passaient, indifférents à ces deux enfants, au milieu de la grande ville trépidante.

L'image! Où se trouvait l'image?

-Il nous la faut pour pouvoir changer de lieu et poursuivre ou finir cet étrange voyage, fit remarquer son amie.

La photo traînait de l'autre côté de l'avenue. Les deux enfants se dépêchèrent de courir vers un carrefour afin d'emprunter un passage pour piétons pour traverser.

Marchant dans la foule, ils remarquèrent qu'un gamin un peu plus grand qu'eux ramassait leur image et s'éloignait. Nos amis coururent derrière lui.

Le garçon se retourna et s'enfuit. Nos deux copains le poursuivirent. Ils s'engagèrent derrière lui dans une ruelle très étroite. Heureusement, elle se terminait barrée par un mur assez haut. Une impasse. Il ne pourrait pas aller bien loin.

Il passa sous un porche et descendit un escalier. Nos amis s'y précipitèrent à leur tour. Ils poussèrent une porte et se retrouvèrent dans un magasin d'antiquités. Le gamin s'approcha d'un vieil homme et lui remit l'image.

Béatrice et François s'avancèrent vers lui, inquiets. Heureusement, l'homme parlait français.

-Que voulez-vous, les enfants ?

-Cette image nous appartient, monsieur. Ce garçon l'a ramassée sur le trottoir, mais nous en avons besoin pour revenir chez nous.

-Pour retourner chez vous? murmura l'homme.

-Oui, fit Béatrice.

-Venez avec moi.

Nos amis traversèrent le magasin, longeant un dédale de hautes armoires, de coffres couverts de draperies, de livres poussiéreux, de jouets d'autrefois, d'horloges et de vieilles montres.

L'homme ouvrit la porte grinçante d'un bahut et prit un coffre rouge sur une étagère. Le même que ceux que nos amis avaient rencontré trois fois au cours de leur incroyable aventure.

-Voici la boîte par laquelle passe tout ce qui vous arrive. Elle vous accompagne.

Béatrice détacha la clé de sa chaînette et ouvrit. Elle glissa l'image de Manhattan et de ses buildings pliée en quatre. Elle ferma puis rouvrit aussitôt.

-Regardez et touchez, dit le vieil homme. Ainsi vous pourrez retourner chez vous. Continuez votre voyage.

Les enfants observèrent le cliché. Il avait encore changé. Il représentait maintenant un très beau jardin à l'ombre d'une immense muraille: la grande muraille de Chine. Ils remarquèrent un temple, une tour à sept toits superposés. Et de l'autre côté de la tour, coulait un grand fleuve aux eaux jaunes.

L'image leur apparut si belle et surtout si réelle...

Nos amis la touchèrent...


Un vent fort soufflait sur la grande muraille de Chine. Il ne faisait pas très chaud. Ils frissonnèrent, torses nus et pieds nus.

L'image s'envola à cause du vent. Elle atterrit dans un jardin soigné et rempli de fleurs au pied de la tour à sept toits.

Les deux enfants découvrirent un escalier qui menait à ce jardin. Ils l'empruntèrent après avoir admiré l'incroyable paysage traversé par cette interminable muraille qui se prolonge au-delà de l'horizon.

Arrivés dans l'herbe, ils s'avancèrent au milieu des fleurs et enjambèrent plusieurs petites haies pour aller reprendre leur photo.

Soudain, quelqu'un les saisit par les poignets avec brutalité et leur arracha le document. Un Chinois habillé à l'ancienne. Il portait une longue tunique jaune brodée de curieux dessins évoquant un dragon. Il avait une barbiche en pointe, de longues moustaches tombantes et un étrange chapeau en forme de cône.

Il les emmena à l'intérieur de la tour et leur fit monter un escalier monumental jusqu'au deuxième étage. Une délicate odeur de cuisine, mêlée à celle de l'encens rappela aux enfants qu'ils avaient faim.

Des portes s'ouvrirent et ils passèrent dans une salle où se trouvaient une cinquantaine d'hommes, tous vêtus de la même manière.

L'un d'entre eux, en tunique noire, assis sur une sorte de trône doré, semblait présider l'assemblée. Il se leva et s'approcha de nos amis. Il les regarda droit dans les yeux. Il avait l'air méchant et les deux enfants en eurent peur.

Il parla aux autres, mais nos amis ne comprirent rien de ce qu'il disait. Il tenait l'image en main. Il s'avança vers une longue table finement sculptée. Le coffret rouge s'y trouvait.

Il plia l'image en quatre, puis il arracha la clé au cou de Béatrice, brisant la chaînette dorée de sa grand-mère. Il ouvrit la boîte et y posa l'image. Il referma. Puis il montra nos amis du doigt et indiqua une fenêtre. Il cria un ordre.

Plusieurs hommes s'approchèrent des enfants apeurés et qui ne savaient que faire. Ils s'emparèrent de François et Béatrice et les jetèrent par une fenêtre qui surplombait la rivière aux eaux jaunes.


Nos deux amis firent un plongeon terrible dans les eaux du fleuve. Heureusement, ils savent bien nager. Le courant impétueux les emportait rapidement. Ils se débattaient comme ils pouvaient, mais les vagues les gênaient sans cesse.

Ils virent tout à coup un petit bateau s'approcher d'eux. On les hissa à bord. Un homme et deux enfants se tenaient sur cette embarcation. L'un d'entre eux, âgé d'une douzaine d'années environ les salua. Il était vêtu d'un vieux short et d'une chemise usée, comme les deux autres occupants du bateau d'ailleurs. Il souriait.

Le garçon prononça quelques mots en anglais, mais nos amis ne comprirent pas. Alors, il continua en français.

-Tu parles notre langue, s'exclama François, encore tout remué par sa rude aventure.

-Oui, dit le garçon. Je l'apprends à l'école. Dites-moi vos noms. 

-Je m'appelle François.

-Et moi, Béatrice.

-Moi, Xuan, «Chuan». Et sœur Mei. Que faites dans les eaux ? Vous noyer. Les tourbillons, dangereux.

-On nous a jetés par la fenêtre de la tour, expliqua François.

-Mais nous devons pourtant y retourner, ajouta Béatrice. Parce que là se trouve une image dans un coffre, et si nous la touchons, nous pourrons revenir chez nous.

Xuan montra le temple de sept étages et ses jardins près de la grande muraille.

-Là-bas?

-Oui, confirma notre ami.

-Mauvais. Très mauvais, dit le garçon. Une secte. Gens très dangereux. Mais je viendrai avec vous, promit Xuan. Nous irons à la nuit. Je conduirai vous.

-Oh, merci, merci, dit Béatrice en souriant.

-Merci, ajouta François.

Nos amis restèrent sur la barque jusqu'au soir. Le pêcheur, aidé par ses deux enfants jetait et ramenait ses filets. Serrés l'un contre l'autre, nos amis tentaient de se réchauffer.


Enfin, le bateau de pêche accosta près d'un petit village. Xuan, Mei et leur papa emmenèrent nos amis à leur maison. Là, ils partagèrent un peu de riz, des légumes et du poisson.

À la tombée de la nuit, le garçon proposa que l'on se mette en route. Sa sœur voulut accompagner, mais l'expédition s'annonçait dangereuse. Le grand frère refusa. Béatrice et François embrassèrent leurs sauveurs et les remercièrent encore. Puis ils partirent en direction du temple de la secte.
 
-II faudra que nous passions par le mur d'enceinte, réfléchit Xuan. Vous pourrez l'escalader avec moi?

-La muraille de Chine? s'inquiéta Béatrice.

-Non, le mur des jardins du temple.

-On réussira, répondit François.

Il faisait très froid, à présent. Nos amis tremblaient. Leurs pieds nus étaient glacés et ils grelottaient torses nus. Tous trois coururent en silence vers le temple.

Débrouillards, ils se hissèrent sur le mur et sautèrent sans bruit dans les jardins. Agiles comme des chats, ils traversèrent les parterres de fleurs et franchirent les haies. Ils entrèrent à l'intérieur du bâtiment sombre et menaçant dans la nuit.

Ils ne croisèrent personne. Quelques flambeaux tremblaient au vent glacial venu des montagnes. Ils arrivèrent au pied du grand escalier.

Ils montèrent les marches rapidement et en silence. Un, deux étages. 

-Ici, souffla François.

Ils entrèrent dans la grande salle. Vide à présent. Ils repérèrent aussitôt le coffret rouge sur la table sculptée.

Hélas, quelques membres de la secte s'approchèrent au moment où les enfants couraient vers la précieuse boîte magique. Ils donnèrent l'alarme.

-Allez-y vite, cria Xuan. Ouvrez le coffre rouge. Touchez votre image, sauvez-vous. Bonne chance.

-Merci Xuan. Adieu.

Nos amis ouvrirent la boîte. Ils déplièrent l'image. Elle représentait la petite chapelle du cimetière où tout avait commencé.

-On retourne chez nous, cria Béatrice.

Au moment de toucher l'image, ils virent que des hommes s'emparaient de Xuan et le jetaient dans le fleuve. Le pauvre garçon allait être emporté dans les eaux froides. Mais il nageait bien. Il arriverait bientôt chez lui.

Nos amis posèrent leur doigt sur l'image, après que François eut glissé la clé dans la poche de son jean...


Ils se retrouvèrent près de la porte en fer de la chapelle. Le cycle infernal se terminait. La nuit était tombée, chez eux aussi.

Les deux enfants plièrent l'image en quatre et la glissèrent dans le coffret magique. Ils le refermèrent avec la clé et le rangèrent à sa place, dans la niche de la crypte, où l'homme l'avait caché au début de leur aventure. Ils sortirent du cimetière et glissèrent la grille derrière eux.

Ils remontèrent sur leurs vélos, pieds nus, torses nus. Leurs t-shirts séchaient en Amérique et leurs baskets traînaient sur la plage d'une île de l'océan Pacifique.

Ils pédalèrent rapidement jusqu'à la plaine de jeux dans la nuit froide. Ils descendirent au bord du lac et après avoir bien regardé que personne ne les observait, ils jetèrent la clé à côté du sac de sport. Elle s'enfonça dans la vase.

Puis, remontant sur leurs vélos, ils retournèrent bien vite à leurs maisons. Il était tard et ils frissonnèrent en roulant. Les parents, inquiets, furent bien contents de revoir leurs enfants sains et saufs après une pareille aventure.   


Peut-être qu'un jour tu trouveras la clé en te promenant ou en pataugeant dans les étangs. Le coffre t'attend dans la crypte du vieux cimetière... si tu oses y entrer. Si tu les vois, rapporte les t-shirts et les baskets à nos amis. Bonne chance si tu tentes l'aventure.