Christine
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Le cor des montagnes

     La nuit tombait. Christine, de retour à la maison entendit le téléphone sonner. Elle répondit.

-Allô?

-Christine! c'est Mathieu.

-Quelles nouvelles ?

-Dans quelques jours, les grandes vacances commencent. Je pars avec papa et maman à la montagne. On va faire des grandes balades parmi les petites fleurs des champs. On verra les neiges éternelles, la lumière des sommets. On va loger dans un chalet en bois. Le bonheur!

Christine a dix ans, comme son copain Mathieu. Elle habite au milieu d'une grande forêt, loin du village. 

Elle ne part jamais en vacances. Ceci dit, d’un autre côté, elle a la chance de vivre en pleine nature avec ses parents.

-Je me réjouis sincèrement pour toi, dit-elle.

-Moi aussi, je me réjouis pour toi, ajouta Mathieu.

-Que veux-tu dire ?

-Je ne t'en ai pas encore parlé. Mes parents te font une surprise. Ils t'invitent. Tu viens avec nous.

Christine poussa un cri de joie. Deux semaines à l'aventure sur les sentiers avec son meilleur ami. Oui, le bonheur à l'état pur.

-Merci, merci, merci, dit-elle. On part quand ?


Quelques jours plus tard, elle s'éveilla tôt un matin. Elle ouvrit les volets de la chambre du chalet et découvrit un paysage magnifique. Toute la chaîne des montagnes couvertes de neige et baignées de ciel bleu, se déployait devant elle.

Autour de la petite maison en bois, ces belles fleurs des Alpes, qu'on ne peut apercevoir qu'au pays d'en haut, là où les arbres sont rares et où les fleurs qui poussent en abondance au printemps et en été, illuminent l'herbe de leurs couleurs vives.

Elle écouta le concert des cloches des vaches, le son typique des hauts alpages.

-Mathieu, dit-elle.

Le garçon s'éveilla et vint la rejoindre. Tous deux partageaient la même chambre.

-Mathieu, comme c'est beau! murmura Christine en souriant.

-Oui, et il fait un temps magnifique aujourd'hui. Regarde, dit-il en tendant le doigt, on va monter là-haut. Je vais t'emmener par des sentiers près du sommet. Il faudra grimper près de six cents mètres de dénivelé, mais c'est la plus belle promenade de la région.


Notre amie, bonne marcheuse, a l'habitude de parcourir la forêt où elle vit. Son copain aime la randonnée. Les parents du garçon, retenus dans la vallée par des obligations professionnelles, ne pouvaient accompagner les enfants ce jour-là.

Mathieu était déjà monté là-haut l'année passée. Il se souvenait du beau sentier qui mène au belvédère. Les enfants ne devaient, en principe, pas se tromper de chemin. Les parents les laissèrent aller seuls à l'aventure.

Les deux amis se préparèrent un pique-nique et remplirent deux grandes gourdes. Les parents ajoutèrent un bâton de chocolat et des fruits. Ils placèrent tout cela dans un sac à dos et partirent.

-Mathieu, tu feras attention après le torrent, dit le papa. À cet endroit, le sentier se divise en deux. L'un va vers la droite et monte un peu. Il semble être le meilleur, mais plus loin, il redescend vers la vallée. L'autre se perd d'abord dans les prés, puis escalade la côte jusqu'à la station de téléphérique. S'il continue à faire si beau, vous pourrez en plus monter un raidillon. Vous atteindrez le panorama de 360° après une demi-heure.

Il faisait très chaud. La journée s'annonçait resplendissante. Mathieu partit en short, t-shirt et baskets. Christine portait son habituelle salopette en jean.

Ils se mirent en route, marchant l'un à côté de l'autre, le long d'un petit sentier qui montait entre les sapins. Parfois, ils se donnaient la main. Ils riaient sans cesse. Notre amie courait à gauche, à droite, heureuse de son bonheur.

Ils ne savaient pas qu'ils allaient vivre une terrible aventure.


La matinée avançait. Ils quittèrent la zone des grands sapins, et traversèrent l'herbe fleurie des alpages.

Ils arrivèrent au bord d'un torrent assez large. Il n'y avait pas de pont. Il fallait passer à gué.

-Ce n'est pas très profond, annonça Mathieu. Quinze centimètres, peut-être vingt, tout au plus. Mettons-nous pieds nus. Remonte le bas de ta salopette, et on traverse. Mais je te préviens, cette eau vient des neiges des sommets. Elle est glacée.

Ils passèrent sans problème, mais l'eau bien froide et plus profonde que prévu leur vint jusqu'au-dessus des genoux. Ils remirent leurs chaussures de l'autre côté et continuèrent leur balade.


Un peu plus loin, bien situé à l'abri entre deux puissantes colonnes rocheuses, au pied d'un à-pic vertigineux de la montagne, ils aperçurent un petit chalet en bois noir.

-Personne n'habite là, expliqua le garçon. C'est un refuge. Autrefois, quand ceux qui gardaient les chèvres et les moutons dans les hauts alpages étaient surpris par un violent orage, ils couraient s'abriter dans ces petites constructions. Ils y allumaient un feu et pouvaient même y passer la nuit. Maintenant, il sert d'abri de fortune en cas de tempête, pour des marcheurs comme nous.

Les deux enfants, voulant le visiter, quittèrent le sentier et s'en approchèrent en avançant dans l'herbe. Ils ouvrirent la porte et entrèrent dans l'unique pièce, très sombre.

Ils ne virent aucun meuble ou objet de décoration. L'abri était vide, sauf près de la cheminée où des allumettes, du petit bois et deux bûches semblaient préparés pour allumer un feu.

Il était plus de midi. Les deux amis s'assirent l'un près de l'autre, devant la porte du chalet et pique-niquèrent au soleil, en admirant le paysage déjà grandiose.

Puis ils retrouvèrent leur sentier.

Ils parvinrent assez vite à l'embranchement annoncé par le papa de Mathieu. Une piste partait à gauche et l'autre à droite. Celle de droite semblait mener vers les cimes. Ils faillirent la suivre, mais se rappelant les conseils, ils partirent à gauche.

Ils parvinrent à la station de téléphérique vers trois heures de l'après-midi. Là se trouvait un restaurant d'où partaient divers sentiers de randonnée, dont celui qui menait au sommet.


Une mauvaise surprise attendait les deux enfants. L'autre vallée se couvrait de gros nuages. Le vent se levait. Un orage venait vers eux.

Christine insista pourtant. Elle voulait vite monter jusqu'au belvédère. Mathieu lui montra la tempête qui approchait.

-On ferait mieux de redescendre. Les orages de montagne sont terribles parfois. La pluie se transforme très vite en neige. On n'est pas assez habillés pour affronter le froid. On n'a même pas emporté de veste.

-J'aimerais tant aller là-haut, insista notre amie. On n'est pas en sucre, Mathieu, ce n'est pas grave si on est mouillés. Ça m'arrive souvent dans ma forêt...

Ils marchèrent vingt minutes supplémentaires et atteignirent le sommet.

La vue était somptueuse, quoique en partie bouchée par les nuages. La chaîne des montagnes déroulait ses sommets à perte de vue et les neiges des cimes étincelaient.

Une forte bourrasque de vent les força à redescendre vers les bâtiments du téléphérique. Ils songèrent un instant à s'abriter au restaurant, mais ils n'avaient pas emporté d'argent avec eux pour s'attabler et commander une boisson.

Ils entreprirent donc la descente en suivant le sentier par lequel ils étaient venus.


Ils descendaient depuis un quart d'heure, allant aussi vite que l'état de la piste et les battements de leurs cœurs le permettaient.

Les premières gouttes se mirent à tomber. Un éclair zébra le ciel devenu noir. L'orage éclata en véritable tonnerre assourdissant et terrifiant qui se répercutait dans la montagne et que les échos multipliaient.

Moins d'une minute plus tard, la pluie se transforma en trombes d'eau. Le sentier que les deux amis suivaient devint boue, flaques d'eau et rochers glissants qui les forcèrent à ralentir pour ne pas se blesser ou faire une chute mortelle dans le précipice qu'ils longeaient.

Ils étaient trempés de la tête aux pieds. Le froid qui accompagne les orages de montagne les faisait grelotter. L'eau les glaçait.

La pluie se changea en neige fondante, puis en neige.

Christine était confuse. Elle avait retardé leur descente. Son copain lui sourit.

-On ne va pas fondre, on n'est pas en sucre, tu l'as dit.

Quand ils passèrent près du refuge, ils songèrent à s'y abriter.

Mais Mathieu réfléchit que s'ils restaient là, comme l'après-midi était déjà bien avancée, ils risquaient de devoir y passer la nuit. Comme ils avaient mangé toutes leurs provisions à midi, ils n'avaient plus rien pour le repas du soir. Le garçon avait déjà faim.

-Continuons, dit-il. Tentons de passer la rivière. Vite, dépêchons-nous.


Ils arrivèrent au bord du torrent. Le ruisseau récoltait toute l'eau qui ruisselait de la montagne. Les trente centimètres de profondeur de ce matin atteignaient soixante, quatre-vingts centimètres maintenant. Et le courant était très rapide.

Nos amis tentèrent pourtant de passer à gué, mais après trois pas, l'eau leur vint au ventre. Glaciale. Et s'ils perdaient pied, ils risquaient d'être entraînés et d'aller se casser bras et jambes dans une cascade proche.

Ils renoncèrent. Ils firent demi-tour.

La neige tombait en flocons serrés. Les deux enfants pensèrent au petit refuge repéré et visité en venant. Ils s'y précipitèrent sous la tempête glacée.

Là, grelottant de froid et trempés, ils entrèrent et s'assirent contre un des murs en planches de la cabane.

-J'ai trop froid, murmura Christine qui tremblait dans sa salopette mouillée. Je vais allumer un feu. On en fait toute l'année chez moi, dans ma forêt. Je vois ici tout ce qu'il faut : des bûches, du petit bois et des allumettes. Je vais faire une bonne flambée pour nous réchauffer et nous sécher.

Mathieu, dont les lèvres devenaient bleues, l'aida, les mains déjà engourdies.

Notre amie dressa du petit bois mince en pyramide. Puis, à genoux dans la poussière, elle frotta une allumette et souffla doucement pour attiser la première flamme. Le feu grandit. Elle ajouta du petit bois puis les deux bûches qui traînaient dans la pièce.

-Va vite en chercher quelques autres dehors, Mathieu. Elles sont rangées contre le mur, sous l'auvent.

Le garçon sortit dans la neige qui s'accumulait. Il ramassa quelques provisions de bois et revint. Une belle flambée, à présent, les réchauffait et les séchait.

La porte s'ouvrait sans cesse et grinçait au vent. Ils la calèrent à l'aide d'un billot qui traînait. Le petit abri devint tiède. Ils restèrent un long moment, presque en silence, à regarder les flammes. Une heure ou deux passèrent.

Dehors, la tempête continuait son vacarme avec autant de violence. Le vent soufflait entre les vieilles planches fendues de la porte.


Toc, toc, toc.

-On a frappé à la porte.

-Tu es certaine ?

Les deux amis se regardèrent. Ils se levèrent et enlevèrent le billot placé pour la caler. Ils ouvrirent.

Une dame et quatre enfants demandèrent la permission d'entrer. L'aînée, une fille, semblait avoir dix ans, comme Mathieu et Christine. Les trois petits garçons paraissaient âgés de huit, six et cinq ans.

Tous se tenaient devant nos amis, tremblant de froid.

-Peut-on se réchauffer chez vous ? demanda la maman.

-Bien sûr, répondit Mathieu. Le refuge est ouvert à tout le monde.

-Entrez, ajouta Christine, on a fait du feu.

-Quelle bonne idée! approuva la maman. Les enfants, allez vous asseoir près de la cheminée.

Cette dame, prudente, avait emporté une bonne veste bien chaude pour chacun de ses enfants. Mais malgré cela, ils grelottaient, tout mouillés. Ils s'assirent par terre, en demi-cercle, près du feu.

Les heures passaient. Il faisait si sombre, avec l'orage, que nos amis, réfugiés dans le petit abri, ne virent pas venir la nuit.

-Vous êtes seuls, les enfants ? demanda la dame.

-Oui, répondit Mathieu. Mes parents louent un chalet au village. On a tenté, mon amie et moi, de traverser le torrent pour rejoindre la vallée, mais on n'a pas réussi. À propos, elle s'appelle Christine, et moi Mathieu.

-Mon nom est Marie, intervint la jeune fille.

Puis elle présenta ses trois petits frères.

-On voulait aussi passer la rivière, mais il a fallu renoncer à cause du courant.


La maman regarda sa montre puis ouvrit son sac à dos. Elle en sortit un sachet en papier.

-On va se partager ce qui reste à manger, proposa-t-elle à ses enfants, parce qu'on ne trouvera rien d'autre ce soir.

Elle donna une tartine garnie à chacun de ses enfants. Il en restait une. Elle observa Christine et Mathieu. Nos amis avaient faim et n'avaient plus rien à se mettre sous la dent.

-Vous avez des provisions, vous deux ?

-Non, madame, répondit Christine. Mais cela ne fait rien, on attendra demain.

La maman donna la dernière à Mathieu.

-Partagez-la, ce sera mieux que rien.


Marie, la fille aînée de la dame, posa la sienne sur son genou droit. Elle n'y touchait pas. Notre amie l'observait. Pourquoi ne mangeait-elle pas ?

Quand ils eurent fini, Marie murmura :

-Maman, prends ma tartine. Tu dois te nourrir. Tu sais très bien qu'avec ta maladie, tu dois au moins grignoter quelque chose le soir. Ma mère est diabétique, ajouta la jeune fille en se tournant vers nos amis.

Elle expliqua que le diabète s'appelle aussi la maladie du sucre.

Quand nous mangeons, le sucre contenu dans nos aliments passe dans notre sang, qui le véhicule dans tout notre organisme, via des petits transporteurs appelés insuline.

Quand on est atteint du diabète, on manque de ces petits transporteurs insuliniques. Le sucre s'accumule alors n'importe où dans nos organes et cause des maladies graves, surtout aux yeux, aux reins et au cœur.

Les enfants et les jeunes adultes, comme la maman de Marie, qui souffrent de ce mal, doivent s'injecter tous les matins, et parfois dans la journée, des petites doses d'insuline. Mais si on lance les « camions transporteurs de sucre » dans les vaisseaux sanguins, il ne faut pas qu'ils roulent à vide, sinon, ils causent eux aussi des dégâts. Pour cela, quand la piqûre d'insuline est faite, il faut manger.

Voilà pourquoi Marie se privait pour sa mère, qui sans nourriture, risquait d'entrer dans le coma à cause de sa maladie. La jeune fille, qui avait pourtant bien faim, gardait sa tartine pour la donner à sa mère. Christine admira son courage.

Tous se couchèrent près du feu. La maman mit les anoraks de ses enfants en boule, en guise d'oreillers. Puis, pour les endormir, elle proposa de raconter une histoire.

Christine et Mathieu n'avaient emporté ni sac de couchage, ni couverture, ni coussin, ni veste. Ils s'étendirent à leur tour par terre, sur le sol en planches de la cabane-refuge, perdue dans la nuit glaciale autour de laquelle la tempête continuait de faire rage.


La maman raconta.

-Voilà bien longtemps, ici dans le pays des montagnes, la plupart des enfants n'allaient guère à l'école. Ils gardaient les chèvres et les moutons, toute la journée. Ils partaient le matin vers les hauts alpages et revenaient le soir. Pendant ce temps, les parents travaillaient aux champs.

"Les habitants du pays d'en haut vivaient fort pauvres. Le petit troupeau de chèvres ou de moutons étaient souvent leur seule richesse.

"Un jour, deux enfants comme vous partirent dans la montagne. Deux frères. L'aîné âgé de dix ans. Et son cadet de six ou sept ans.

"Ils quittèrent leur village ce matin-là à l'aube, avec leur troupeau. Hélas, comme nous, ils furent surpris dans l'après-midi par un violent orage. Il fit soudain si sombre que les deux enfants ne retrouvaient plus leur chemin.

"Les deux garçons n'osaient plus avancer. Ils craignaient d'arriver au bord d'un précipice avec leur troupeau. Les moutons, jolis, mais pas très malins, risquaient de tomber un à un dans une crevasse. Tout le troupeau serait perdu.

"Le petit frère tremblait sous la pluie froide et sous les coups de tonnerre. L'aîné lui donna la main. Lui aussi avait peur, mais il rassurait le garçonnet. C'est le rôle des bons grands frères.

"Les deux garçons ne savaient plus où marcher pour retourner chez eux. La pluie tombait à torrents. Ils s'assirent dans l'herbe trempée, les bêtes rassemblées autour d'eux, se disant qu'ils allaient attendre la fin de la tempête.

"Soudain, entre les fracas de la foudre et les sifflements du vent, ils entendirent une musique. Un cor des montagnes, une de ces longues trompettes en cuivre qu'on voit parfois, là-haut, et dont le son très doux s'entend très loin.

"Les deux frères se levèrent et marchèrent avec leur troupeau vers celui ou celle qui jouait et semblait les appeler. Se guidant au bruit de l'instrument, ils ne pouvaient plus se perdre.

"Les enfants retrouvèrent ainsi leur village et la maison de leurs parents.

"En arrivant, ils s'aperçurent que leur père jouait du cor des montagnes pour les guider dans le brouillard et dans la nuit. Cette musique, profonde et nostalgique, les avait aidés à retrouver leur foyer.

-Merci, madame, dit Christine. Quelle belle histoire!

-Oui, ajouta Mathieu, merci.

-Allez, dormez tous maintenant. Demain, nous redescendrons dans la vallée. Tout ira mieux sous le soleil.

Nos amis s'endormirent à leur tour.


Le lendemain, comme souvent, car elle est très matinale, Christine s'éveilla la première. Elle entrouvrit la porte. Tout était neige et brouillard.

Elle fit quelques pas le long du chalet-refuge dans vingt-cinq centimètres de neige. Elle s'y enfonçait à chaque pas et le froid la pinçait.

Le vent était tombé. Pas un oiseau ne chantait. Les sons des cloches des vaches s'étaient évanouis. Peut-être les avait-on rentrées dans les étables.

Mais quel brouillard, surtout ! Elle se sentit seule au monde, et  même le monde semblait avoir disparu...

Elle aperçut une trace de pas dans la neige.

-Tiens, dit-elle, quelqu'un est passé à côté du refuge. Mais non, je me trompe, au contraire, quelqu'un est sorti du chalet et est parti...

Christine revint à l'intérieur en frissonnant et vit que Marie n'était plus là. Les petits garçons dormaient encore et leur mère aussi. Mathieu tout autant.

-Elle ne se rend pas compte, murmura notre amie. Quelle idée de sortir par ce froid. En plus, elle va se perdre dans ce brouillard. À cause de la neige, on ne distingue même plus le sentier. Où veut-elle aller, si tôt ?

Notre amie frissonna de nouveau, juste vêtue de son t-shirt, sa salopette et les pieds nus dans ses sandales de toile. Hier, en partant pour la balade, il faisait très chaud...

Soudain, elle entendit un cri.

-Au secours, au secours !

Elle reconnut la voix de Marie. Christine entra dans le chalet et s'approcha de Mathieu. Elle le réveilla.

-Lève-toi ! Marie appelle au secours. Viens, il faut aller l'aider.


Les deux enfants sortirent sans faire de bruit. Ils n'eurent aucune peine à suivre les traces laissées par leur amie. Elles s'arrêtaient à deux cents mètres du refuge. La neige à cet endroit semblait labourée, comme si quelqu'un s'y était roulé, ou plutôt y avait glissé.

Marie avait dû quitter le sentier sans s'en rendre compte. Elle se trouvait quelques mètres plus bas. Elle appelait.

-On arrive, dit Christine. On vient te chercher.

-Attention, ça glisse, fit Mathieu en se rattrapant au bras de son amie.

Les deux enfants, se tenant par la main et s'accrochant aux arêtes des roches, descendirent doucement et parvinrent près de Marie. Elle se redressa et se mit à pleurer dans leurs bras.

-J'ai tout raté. Je ne sais pas ce que nous allons devenir.

-Que se passe-t-il ? demanda Mathieu qui tremblait de froid vêtu seulement de son short.

-Que veux-tu dire ? ajouta Christine en se croisant les bras pour tenter de moins ressentir le froid. Pourquoi es-tu partie, toute seule, dans ce brouillard ?

-Pour maman, fit Marie en larmes. Elle doit recevoir une piqûre tous les matins, sinon, elle s'évanouit, entre dans le coma et risque de mourir. Déjà notre papa est mort dans un accident, il y a deux ans.

Nos amis se taisaient et écoutaient.

-Si maman meurt, nous serons seuls au monde, mes frères et moi. On n'a pas de famille. On risque de nous placer dans un orphelinat, ou d’être séparés et adoptés par différentes familles. Alors, je voulais monter là-haut, au restaurant du téléphérique pour chercher de l'aide, mais j'ai glissé. Je me suis blessée aux genoux et je ne peux plus marcher. Ça fait très mal.

Elle se remit à pleurer.

-On va d'abord te sortir de ce creux dans lequel tu es tombée, dit Christine.

Nos amis l'aidèrent à remonter, puis ils firent quelques pas ensemble vers le refuge.

-Écoute Marie, proposa Mathieu. Tu vas retourner au chalet près de ta maman et de tes petits frères et veiller sur eux. Nous deux, on va grimper et tâcher de trouver des secours. Si l'un de nous deux glisse, l'autre sera là pour le rattraper.

Christine et Mathieu firent trois pas. Marie les appela.

-Vous allez mourir de froid. Prenez ma veste, je n'en aurai pas besoin au refuge, il y a du feu. Vous vous la passerez à tour de rôle.

Nos amis entreprirent l'ascension dans les brumes. Marie retourna au petit chalet en clopinant.


Les deux enfants tentaient de suivre le sentier malgré le brouillard, pataugeant dans la neige qui fondait et leur glaçait les pieds car elle perçait leurs chaussures. Le temps, ils le savaient, était compté. La mère de leur amie risquait de mourir, faute de soins dans les heures à venir.

Plus ils montaient, moins les nuages de vapeur dans lesquels ils baignaient étaient denses. Peu à peu le brouillard devenait brume, mais il en restait encore assez pour se perdre.

Ils parvinrent assez vite au carrefour en « Y ». Ils hésitèrent un instant. Où commençait l'escalade en zigzag ? S'ils se trompaient, ils risquaient de s'égarer dans ce froid glacé qui les gelait et la maman de Marie mourrait.


Tout à coup, ils entendirent le son d'un cor des montagnes. Cela venait d'en haut, comme un appel, un repère lancé dans la brume.

-C'est comme dans l'histoire de la mère de Marie, hier, fit remarquer Mathieu. On dirait que le cor sonne pour nous. Il faut aller plus à gauche pour atteindre la station du téléphérique.

Nos amis, se laissant guider par le son mélodieux, escaladèrent la pente raide qui menait là-haut.

Quelques minutes plus tard, ils sortirent définitivement des brumes. Un grand soleil faisait fondre la neige et les réchauffait. Ils aperçurent le vrai sentier quelques mètres à leur gauche. Pataugeant toujours dans la boue, ils atteignirent  la station.


Un groupe de cinq montagnards sortait du restaurant. Ils s'apprêtaient, avec sacs à dos, cordes et piolets, à affronter les sommets. Mathieu et Christine coururent vers eux et racontèrent ce qui se passait en bas, au chalet-refuge.

Aussitôt une merveilleuse chaîne de solidarité s'installa.

La  joyeuse bande de montagnards se rendit au bureau du téléphérique avec nos amis. De là, on téléphona dans la vallée. Un employé se rendit chez le pharmacien du village qui lui confia la piqûre nécessaire à la mère de Marie. La boîte et les explications furent placées dans une cabine et envoyées dans la montagne.

Pendant ce temps, on permit à Mathieu de téléphoner à ses parents pour les rassurer. Puis nos deux amis se virent offrir un petit déjeuner qui leur fit le plus grand bien.

Sitôt le médicament arrivé, tous descendirent vers le refuge. Un des hommes prêta à Mathieu un gros pull, bien trop grand, il lui descendait jusqu'aux genoux, mais c'était chaud. Christine portait la veste de Marie.

Ils arrivèrent au chalet. Le soleil perçait le brouillard et la neige fondait. Ils entrèrent.


Le spectacle était bien triste. La mère, entourée de ses enfants qui pleuraient, venait de s'évanouir. Marie se tenait près d'elle avec ses trois petits frères. Elle serrait la main de sa maman et l'appelait, mais sans obtenir de réponse ou de réaction.

Un des montagnards, infirmier de métier, fit la piqûre acheminée depuis le village. Le produit eut un effet immédiat. La malade sortit du pré-coma et sourit à ses enfants.

Tous prirent un moment pour déjeuner. Ensuite, ensemble, ils remontèrent à la station. Marie put suivre grâce à une attelle fixée à son genou. Le soleil brillait.


L'adieu et le merci aux randonneurs fut émouvant.

Puis tous descendirent dans la vallée où les parents de Mathieu, avertis par téléphone, attendaient nos deux amis.

Au moment de se quitter, Marie prit Christine et Mathieu par la main et serra très fort ses nouveaux amis contre elle.

-Je ne vous oublierai jamais, dit-elle en larmes. Vous avez sauvé ma mère. Vous êtes mes amis pour toujours. Merci. Merci.

Ils s'embrassèrent avant de reprendre chacun et chacune la route des vacances qui continuait joyeusement.