Epouvante - Horreur
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La Chambre 313

       Si les histoires d'horreur te font peur, si la nuit, tu fais vite des cauchemars, si tu es seul dans ta chambre à lire ces lignes et que l'orage dehors menace, alors ne va pas plus loin et sélectionne une autre histoire.

Si le craquement d'une armoire dans le silence pesant te fait sursauter puis rire, si les morts-vivants t'amusent, si tu aimes avoir un peu peur, continue...

      Christine s'éveilla fort tôt. Elle s'habilla. Elle passa sa vieille salopette en jean, son t-shirt. Elle laça ses tennis plus très blanches. Elle refit sa tresse qui s'était défaite pendant la nuit, puis descendit l'escalier.

Ses parents l'accueillirent pour le petit déjeuner. Ils lui expliquèrent que son renard courait de long en large devant la maison depuis l'aube. Ils ne possèdent pas le don de parler aux animaux comme leur fille. Ils se demandaient ce qu'il voulait.

Christine sortit, appela son ami et s'assit par terre contre le mur de la maison. Elle le caressa doucement.

-J'ai cinq petits renardeaux. Tu veux venir les voir?

-Oh oui! se réjouit notre amie. Cela me ferait bien plaisir. Je pourrai les prendre dans mes bras?

-Certainement, affirma le renard. Tu viens aujourd'hui?

Christine entra dans la maison.

-Papa. Mon renard a cinq petits renardeaux. Je peux aller les voir, s'il te plaît?

Notre amie ne va pas à l'école. Le village se trouve trop loin. Elle fait ses devoirs et étudie ses leçons avec sa maman. Mais, ce jour-là, sa mère lui donna congé et papa n'avait pas besoin de ses services pour ramasser les bûches dans la forêt.


Elle avala sa tartine rapidement et but son verre de lait. Elle se fit un pique-nique qu'elle emballa et qu'elle glissa dans la poche de sa salopette juste au-dessus de son canif qu'elle emporte toujours pour courir dans les bois. Elle passa une ceinture et y accrocha une gourde pleine d'eau. Puis, ainsi équipée, elle partit pour toute la journée.

Le renard suivit d'abord la piste qui conduisait à l'embranchement des trois routes. Dès qu'ils arrivèrent là-bas, il indiqua un long sentier, puis s'encourut après avoir expliqué le chemin à suivre. Il allait rejoindre ses petits. Il trouvait que notre amie n'avançait pas assez vite à son goût.

Le trajet parut interminable à Christine. Elle regrettait son vélo, mais le sentier était impraticable sur deux roues. Elle n'arriva près des renardeaux que vers midi, bien fatiguée de sa longue marche.

Ils étaient ravissants, tous les cinq. Elle les prit dans ses bras. Elle les caressa. Elle les embrassa. Un moment de bonheur et d'émerveillement.

Puis, avant de manger sa tartine, elle s'approcha d'un petit lac bordé d'arbres. La tanière de son renard, très bien située, se trouvait à quelques mètres de ce grand étang.

Il faisait très chaud, très beau. Elle décida de se baigner avant de repartir. Elle ôta ses tennis et son t-shirt. Elle entra dans la mare vêtue de sa vieille salopette, déjà bien délavée. L'eau était fraîche, mais elle s'habitua rapidement et nagea agréablement.

L'étang formait un coude. Quand Christine parvint au milieu, en barbotant, elle découvrit l'autre moitié. Et là, surprise! Elle aperçut un grand bâtiment qui semblait abandonné.


Inquiète et curieuse à la fois, notre amie sortit ruisselante, s'habilla rapidement et se dirigea vers cette construction qu'elle n'avait jamais vue. Elle se dressait tout au bord de l'eau. Trois marches d'escalier en pierre séparaient la façade et l'étang.

Elle observa un rez-de-chaussée, un premier, un deuxième et un troisième étages.

Les murs, vieux, sombres, craquelés, lui parurent sinistres.

Christine entra par une grande porte-fenêtre ouverte, à l'intérieur du bâtiment. Elle aperçut un escalier monumental. Il menait aux étages.

À droite, se trouvait un bureau couvert de poussières. Juste derrière, elle vit une armoire, divisée en petits compartiments.

Un vieux téléphone trônait sur le bureau. Elle décrocha, mais elle n'entendit aucune tonalité. Le sol et les tapis du hall étaient jonchés de gravats et de poussières. Au mur, le papier se décollait.

Elle ouvrit une large porte et découvrit une vaste salle à manger. Elle comprenait peu à peu qu'elle explorait un hôtel abandonné.

Certaines tables portaient encore une nappe. Le couvert était mis. Des couteaux, des cuillères et des fourchettes entouraient les assiettes et les verres. D'autres tables, avec le temps sans doute, s'étaient renversées ou effondrées et les porcelaines étaient cassées.

Quittant la salle à manger, elle traversa des grands salons en bien mauvais état. La peinture du plafond se détachait en grosses écailles. Certaines jonchaient le sol.

Christine revint dans le hall d'entrée. Elle passa derrière le bureau et regarda l'armoire à compartiments. Elle y aperçut une grande quantité de clés. Chacune portait un numéro gravé, la 101, la 102, la 103, et ainsi de suite. À l'étage au-dessus, la 201, la 202, puis la 301, la 302, etc.

Intriguée et n'ayant jamais logé dans un hôtel, notre amie prit au hasard les clés des chambres 101 et 105. Elle traversa le hall et monta l'escalier.

Au premier étage, elle s'engagea dans un long couloir. Il s'ouvrait vers la gauche et vers la droite. Elle avança jusqu'à la porte de la 101, introduisit la clé dans la serrure et entra.

Elle observa la chambre qu'elle venait de découvrir. Un grand lit, une armoire et, à l'autre bout de la pièce, une porte-fenêtre donnant sur un petit balcon. Elle l'ouvrit et passa sur la terrasse. Elle surplombait l'étang. Christine referma la fenêtre ainsi que la porte et alla visiter la chambre 105. Elle ressemblait comme deux gouttes d'eau à la 101.

Notre amie redescendit et posa les clés sur le bureau. Elle voulait en savoir plus, mais, un bruit l'intriguait pour l'instant. Un bruit auquel elle n'avait pas vraiment prêté attention en arrivant.


Un bruit irrégulier. "Touk…touk...touk; touk; touk... touk". Cela semblait provenir de par-dessous les cuisines. Une cave peut-être. Christine traversa le hall, passa près de la rampe et remarqua une porte qu'elle ouvrit aussitôt. Elle donnait sur un escalier en bois.

Elle descendit. Les marches grinçaient sous ses pas. Elle parvint dans un couloir qui menait à plusieurs caves, des deux côtés. Le bruit provenait d'une pièce qui se trouvait à sa gauche.

Notre amie s'avança jusque-là et regarda par le trou de la serrure. À chaque "touk", des lampes s'allumaient, puis la lumière diminuait progressivement. Au moment où elles allaient s'éteindre, un nouveau "touk" se produisait et ravivait les lueurs. Sinistre. Effrayant.

N'apercevant personne, Christine ouvrit la porte. Elle découvrit une énorme machine très étrange. De l'eau, qui semblait venir de l'étang, arrivait par une canalisation assez large. Cette eau coulait sur une grande roue en bois et la faisait tourner. La rotation de la roue à aube en entraînait d'autres qui activaient un jeu de bobines de fils de cuivre. Une installation très ancienne, un générateur d'électricité. Il fournissait un peu de lumière dans le bâtiment. L'hôtel abandonné...

Christine referma la porte et remonta dans le hall d'entrée. Elle saisit alors les clés 201, 203 et 312. Elle voulut prendre la 313, mais, curieusement, la clé de la chambre 313 manquait. Elle choisit celle de la 314 dans le casier à côté.


Elle suivit l'escalier jusqu'au deuxième étage. Là, elle visita la 201 et la 203. Elles ressemblaient aux chambres du premier, sauf que les portes, à cet étage, semblaient vraiment de meilleure qualité, bien plus épaisses et plus solides.

Elle posa les clés 201 et 203 sur le sol, juste en-dessous de la première marche d'escalier du deuxième étage, près de la rampe.


Elle monta au troisième.

Elle glissa la clé de la 314 dans la poche de sa salopette, à côté de sa tartine qu'elle n'avait toujours pas mangée, puis, tenant la 312 en main, elle se dirigea d'abord vers la porte de la chambre 313.

Elle aperçut un peu de lumière par le trou de la serrure. Une lampe était allumée. Elle grésillait un peu. Christine vit un lit pas défait. Elle saisit doucement la poignée et tenta d'ouvrir, mais c'était fermé.

Elle se dirigea vers la 312, introduisit la clé et ouvrit. Elle ôta la clé de la serrure, entra et referma derrière elle. La chambre était vide. Notre amie posa la clé 312 sur le lit, et se dirigea vers la porte-fenêtre. Elle passa sur la terrasse.

Elle tenta, par le balcon de la 312, de regarder ce qui se passait dans la 313, mais les vitres sales l'empêchèrent de voir quoi que ce soit.

Alors, poussée par une curiosité extrême, Christine monta sur le fer forgé qui ornait la terrasse de la 312. Elle posa un pied sur celui de la chambre 313, tout en se tenant à une gouttière qui passait entre les deux. Elle enjamba le vide et sauta à pieds joints sur le balcon de la chambre 313.

La porte-fenêtre était close. Elle ne pouvait pas entrer par là.

À travers la poussière et les toiles d'araignée de la vitre, elle distingua une petite salle de bains qui se trouvait à gauche. Elle remarqua une baignoire. Elle se rendit compte que cette baignoire pleine d'eau débordait presque. Une personne, qu'elle supposa être une femme, car elle aperçut le bord d'une robe noire, semblait y nettoyer quelque chose. Notre amie ne put pas en découvrir davantage.

Elle comprit qu'elle n'était pas seule dans l'hôtel abandonné.

Elle fit demi-tour rapidement, remonta sur les fers forgés et sauta sur le balcon de la 312. Elle entra dans la chambre et referma la porte-fenêtre. Une seule idée lui trottait en tête à présent : se sauver bien vite.


Elle se dirigea vers le lit pour reprendre la clé de la 312. Souviens-toi qu'elle l'avait laissée sur la couverture. Mais la clé de la 312 ne se trouvait plus sur le lit!

Le cœur de Christine se mit à battre la chamade. Elle fut prise d'une frayeur terrible. Cette angoisse augmenta encore quand elle vit la poignée de la porte de la chambre 312 baisser tout doucement en grinçant.

Notre amie regarda autour d'elle. Une porte permettait de communiquer entre la 312 et la chambre 313. La seule issue.

Elle avança vers cette porte, baissa la clenche et constata qu'elle n'était pas fermée à clé.

La poignée donnant accès depuis le couloir à la 312 était tout à fait enfoncée à présent. La porte s'ouvrit lentement.

Christine se précipita dans la chambre 313, et referma la porte de communication derrière elle.

Dans la salle de bains attenante, une vieille femme aux cheveux blancs, à l'expression égarée, nettoyait quelque chose dans la baignoire.


Soudain, cette étrange personne, qui n'avait pas remarqué la jeune fille, sortit un crâne humain de l'eau savonneuse de la baignoire.

Christine faillit pousser un cri de frayeur, mais, au même instant, la porte de la 312 communiquant avec la 313 s'entrouvrit. Notre amie se précipita derrière le lit et se coucha à plat ventre.

Voulant se dissimuler mieux, elle souleva les franges du couvre-lit qui pendaient jusqu'au sol. En levant ces franges, elle aperçut deux squelettes humains entiers sous le lit.

Christine hurla.

Une seconde femme entra dans la chambre. L'autre, déposant la brosse et le savon qu'elle tenait en main, se dirigea vers notre amie qui chercha à se sauver mais les deux vieilles dames la saisirent par les poignets avec une vigueur incroyable pour leur âge.

Elle se débattit de toutes ses forces. Elle donna un coup de pied à l'une, mordit le poignet de l'autre, et, se libérant ainsi, ouvrit la porte de communication et se précipita vers le couloir par la 312. Les deux femmes la poursuivirent.

Christine descendit les escaliers à toute vitesse. Une jeune fille de dix ans court plus vite que deux personnes âgées. Elle arriva la première dans le hall d'entrée. Elle le traversa, courut vers la berge du lac, et s'enfuit à toutes jambes, en contournant l'étang.

Elle se retourna plusieurs fois. Les deux femmes ne la suivaient plus.

Christine courut et courut encore de toutes ses forces, jusqu'à l'épuisement. Alors, trempée de peur et de sueur, le cœur battant la chamade, s'étant assurée que personne ne se trouvait derrière elle, elle ralentit et retourna directement chez elle. Elle ne s'arrêta même pas pour manger sa tartine!


Quand elle arriva à sa maison au soir, elle raconta à ses parents son aventure dans l'hôtel abandonné. Au début, ils hésitèrent à la croire. Mais, lorsqu'elle sortit la clé de la chambre 314 de la poche de sa salopette, ils comprirent que leur fille disait la pure vérité.

Le papa téléphona aussitôt à la gendarmerie. On lui répondit qu'un rapport serait tranmis et la famille tenue au courant.

Une heure plus tard, le téléphone retentit chez Christine. Elle montait dans sa chambre, mais elle s'arrêta dans l'escalier pour écouter la conversation. Le commandant François des paracommandos parlait avec son père. Notre amie l'a déjà rencontré dans d'autres aventures.

Le papa appela sa fille et lui tendit l'appareil.

-Le commandant voudrait te parler, ma chérie.

-Allô !

-Bonjour Christine. Comment vas-tu?

-Mieux, mais quelles émotions terribles cet après-midi.

-Raconte-moi, demanda le militaire.

Et la jeune fille détailla une nouvelle fois son aventure.

-Bien. La gendarmerie nous charge de mener l'enquête. Je viendrai demain matin, assez tôt, en compagnie de trois de mes hommes, les soldats Robert et Bertrand, que tu connais, et un troisième. Tu nous conduiras à l'hôtel et nous tenterons de découvrir le secret de ces deux femmes. Tu veux bien?

-D'accord, promit notre amie. À vos côtés, je ne crains rien.

-Parfait, répondit le commandant François. À demain, bonne nuit.

Christine raccrocha, embrassa ses parents et alla se coucher, après leur avoir donné les dernières explications.


Le lendemain à l'aube, elle se leva. Après avoir passé, comme d'habitude, sa salopette, son t-shirt et ses baskets usées, elle descendit pour déjeuner.

Le commandant François et les trois soldats venaient d'arriver.

-Alors, Christine, bien dormi? En route!

Elle s'assit à l'avant du véhicule tout-terrain à la droite du commandant. Les trois soldats se placèrent derrière. Ils roulèrent une demi-heure, mais les ornières du chemin tellement profondes et boueuses finirent par les obliger à continuer à pied.

Notre amie les guida ensuite le long du sentier qui conduit à l'étang, près de l'hôtel abandonné. Dépassant le terrier du renard, ils s'approchèrent prudemment du vieux bâtiment.

Le commandant l'observa un long moment avec des jumelles. ll ne remarqua rien d'anormal. Tout semblait désert.

-Bien, réfléchit le militaire. Soldats, commencez par passer dans le hall d'entrée, descendez et fouillez les caves que Christine vient de vous décrire. Quand vous aurez visité chaque pièce, vous remonterez et vous explorerez le rez-de-chaussée, puis le premier étage et ainsi de suite. Moi, je vais d'abord emprunter l'escalier avec elle et aller inspecter la chambre 313 et puis nous redescendrons vers vous.


Notre jeune fille, pas très rassurée, donna la main au commandant et entra avec lui dans l'hôtel. Ils montèrent par le grand escalier en silence. L'homme sortit son revolver de l'étui de son ceinturon et le tint fermement au poing.

Parvenu au troisième étage, le militaire plaça Christine derrière lui. Le couloir était sombre. Ils avancèrent sans bruit jusqu'à la chambre 313. Un peu de lumière filtrait sous la porte.

Le commandant François essaya d'ouvrir en bougeant la poignée. C'était fermé à clé. Alors, donnant un solide coup d'épaule, il entra en trombe et cria «haut les mains».

La chambre 313 était vide. La salle de bains également. La lampe grésillait toujours. La baignoire débordait d'eau grise. On ne voyait pas au travers parce qu'elle était trop savonneuse et sale.

Le militaire observa méticuleusement chaque recoin. II tira la chaîne du bouchon de la baignoire pour la vider. Pendant que l'eau sale s'écoulait, il traversa la chambre 313 et se dirigea vers la porte-fenêtre.

-Faites attention, murmura notre amie. Parce que la porte à votre gauche permet de communiquer avec la 312.

Le commandant François, n'apercevant personne sur le balcon de la chambre 313, ouvrit la porte de communication et entra dans la 312. Il la fouilla, mais elle était vide également.

Repassant par la salle de bains, il jeta un coup d'œil vers la baignoire qui, pendant ce temps, s'était vidée de son eau sale. Horreur! Elle contenait des ossements humains! Deux crânes, des tibias, des fémurs, des côtes et des vertèbres. Les restes de deux personnes : deux squelettes entiers.


Ils ressortirent tous les deux dans le couloir et redescendirent l'escalier en silence. On n'entendait pas les trois soldats. Où pouvaient-ils bien être?

Ils traversèrent le hall d'entrée. Vide! La porte qui donnait vers les caves était ouverte.

Le commandant François et Christine descendirent les marches. Le militaire serrait la main de la courageuse jeune fille qui n'en menait pas large.

Arrivés en bas, ils aperçurent, à droite, une sorte de herse, comme dans les anciens châteaux. Elle était abaissée. Ils écoutèrent le bruit sourd qui avait intrigué notre amie. "Touk...touk... touk...". Ça continuait à déchirer le silence pesant.

-C'est quoi ça? demanda le commandant.

-Je le sais. Ouvrez là, à gauche. Vous verrez une grosse machine électrique juste derrière.

Le militaire, toujours l'arme au poing, poussa la porte et passa dans la pièce sombre, la cave du générateur d'électricité. Notre amie l'accompagnait, bien sûr. Il observa l'étrange appareil.

Soudain, ils entendirent un grand bruit de ferraille derrière eux. Le commandant se précipita dans le couloir. Trop tard, une lourde herse venait de descendre du plafond et les isolait dans la cave!

Les trois soldats apparurent à ce moment derrière l'autre grille. Les paracommandos étaient prisonniers avec Christine, dans les caves du vieil hôtel abandonné!

-Nous ne trouvons aucune issue, crièrent les trois soldats. Nous venons de fouiller partout, de notre côté.

Le militaire prit Christine avec lui et retourna dans la chambre du générateur. II l'observa attentivement. Puis, montant sur la machinerie, il tenta de se glisser dans la tuyauterie en bois qui venait de l'étang. Mais le passage était trop étroit. Il se tourna vers notre amie.

-Moi, je pourrais passer, dit-elle. Je suis mince. Une chance.

-D'accord, accepta le commandant François. Écoute bien, petite fille. Tu vas te faufiler par ce boyau puisque tu oses le faire. Je te trouve très courageuse. Tu aboutiras sans doute au bord de l'étang. Mais je t'interdis de jouer les héroïnes! Ne tente rien. Tu m'entends bien. Une fois arrivée dehors, tu te précipiteras chez toi. Tu téléphoneras au colonel, tu demanderas cinquante hommes de renfort, et tu reviendras avec eux.

-D'accord, promit Christine.

-Attends, ajouta le militaire.

Il détacha le ceinturon qui protégeait son revolver et voulut l'accrocher autour de la taille de notre amie. Mais la ceinture était trop large pour elle. Il emprunta son canif, fit un trou beaucoup plus loin et lui serra son ceinturon autour du ventre.

-Voilà, dit-il. Tu sais te servir d'un revolver? Tu connais le maniement d'un fusil, puisque tu vas parfois chasser avec ton papa.

-Je n'ai jamais tiré avec un revolver, répondit Christine, mais sans doute que je saurai s'il faut.

-Regarde, ce n'est pas très difficile.

Il ouvrit l'arme. Il lui présenta le chargeur avec les balles puis il le referma. Il lui montra le bouton de sécurité. La jeune fille glissa l'arme à la place prévue du ceinturon.

Elle s'éloigna vers la machinerie et s'apprêta à y grimper. Le commandant François sourit.

-Christine?

-Oui?

-Avec ta salopette et ton ceinturon, tu ressemble à un vrai soldat intrépide.

Christine rougit, heureuse d’être reconnue pour son courage.


Très fière, mais le cœur serré, elle escalada la machinerie et se glissa dans le tuyau. Elle rampa dans l'eau sale et atteignit un espace ouvert situé entre la deuxième et la troisième marche de l'escalier qui séparait l'hôtel du lac. Une mauvaise surprise l'attendait...

À gauche et à droite, de chaque côté donc, se trouvait une des vieilles femmes. Notre jeune aventurière, effrayée, ne vit qu'une solution pour leur échapper. Se précipiter dans le bâtiment. Ce qu'elle fit aussitôt.

Elle courut vers l'escalier, passa devant le bureau, saisit la clé de la chambre 101, déposée la veille à cet endroit, souviens-toi, et se précipita au premier étage. Elle ouvrit la porte, entra et traversa la chambre.

Les deux femmes couraient derrière elle. Elle déverrouilla la fenêtre. Elles entrèrent dans la chambre 101 à leur tour. Christine passa sur le balcon. Les deux terribles dames traversèrent la chambre. Notre amie se hissa sur le fer forgé de la terrasse, hésita un instant, puis sauta. Elle entra dans l'eau profonde de l'étang avec t-shirt, baskets, salopette et ceinturon.


Elle remonta à la surface. Elle sortit rapidement de l'eau, devant l'hôtel. Elle se tenait trempée, tremblante sur les marches d'escaliers. Son cœur battait la chamade. Elle jeta un coup d'œil vers le balcon. Les deux femmes observaient la jeune fille.

Christine s'encourut sur le sentier. Elles ne purent pas la suivre.


Il faisait soudain très sombre. Le ciel se couvrait. Un éclair déchira le ciel, un fort coup de tonnerre fit sursauter notre aventurière et la pluie se mit à tomber. L'orage éclata violent. Il faisait presque noir. Il pleuvait à verse. En un instant, Christine, déjà trempée, dégoulina de partout.

Le sentier se transforma en boue, et, comme la nuit allongeait les ombres, elle ne distingua plus son chemin. À plusieurs reprises, elle se prit les pieds dans les ronces, glissa, se redressa, tenta, à la lueur des éclairs, de se remettre sur la bonne route, mais elle finit par se rendre compte qu'elle avait bel et bien quitté le sentier sans s'en apercevoir. Elle s'était perdue dans le bois et tournait en rond.

Elle marcha encore, pataugeant dans la boue, cherchant toujours sa route, tournant et retournant, effort inutile. Plus elle avançait, plus elle se perdait.

Alors, elle s'assit contre un tronc d'arbre et eut vraiment envie de pleurer. La pluie tombait toujours. Elle ne pleurait pas parce qu'elle était mouillée ou perdue, bien qu'elle avait très peur, mais parce qu'elle avait raté sa mission. Le commandant et ses trois soldats comptaient sur elle. Et au lieu de réussir à retourner chez elle chercher de l'aide, elle s'égarait de plus en plus dans le bois.

Mais pleurer ne sert à rien. Christine le sait bien. Il faut réfléchir. Elle se redressa et observa l'arbre. Elle grimpa de branche en branche.

De là-haut, elle scruta les alentours. Elle aperçut une petite lumière hésitante. Notre amie sait bien que, dans les histoires, quand on aperçoit une petite lumière, ce n'est jamais très bon : une sorcière, un loup-garou, des bandits. Mais tout cela n'existe pas dans sa forêt. Alors, elle décida de se diriger vers cette lueur.

Elle marcha à travers tout, accrochant le bas de sa salopette dans les ronces, se piquant aux orties, se cognant aux racines des arbres, tâtonnant, trempée par la pluie, dégoulinante d'eau, grelottante de froid et tremblante de peur.

Elle arriva en vue d'un sinistre bâtiment, et, à ce moment-là, Christine comprit avec horreur que cette lueur n'était rien d'autre que la petite lumière irrégulière de la chambre 313 de l'hôtel abandonné. À force de tâtonner, elle était revenue à son point de départ.


Notre aventur!ère n'avait plus qu'une solution. Il fallait affronter les deux femmes. Elle rassembla tout son courage et entra dans l'hôtel. Il faisait toujours très sombre, presque noir. Les lumières fonctionnaient mal, parce que l'énergie fournie par le générateur venait irrégulièrement. Elle avança lentement, regarda à gauche, à droite, soigneusement. Elle sortit le revolver, baissa la sécurité et le garda au poing. Elle se tenait à l'affût du moindre bruit. Elle n'entendit rien pourtant.

Elle traversa le hall d'entrée. Le silence était pesant et menaçant. Elle se dirigea vers la porte de l'escalier qui menait aux caves. Elle comptait demander conseil au commandant François.

Arrivée à cet endroit, Christine perçut un léger craquement à l'étage. Paniquée à l'idée de voir arriver les deux femmes, elle retraversa le hall et se cacha derrière le bureau d'accueil. Les deux femmes traversèrent la pièce, marchant vers notre amie. Elles la poursuivaient.

Elle passa entre elles et fila le plus rapidement possible dans l'escalier. Elle monta au premier étage puis au deuxième. Les deux femmes couraient toujours derrière elle.

Parvenue au palier du deuxième étage, Christine vit deux clés sur le sol, près de la rampe, celles des chambres 201 et 203, laissées là, la veille, souviens-toi. Elle les prit toutes les deux et eut tout à coup une idée.

Elle courut à la 201, ouvrit la porte et alluma la lumière. Puis, laissant la porte entrebâillée, et la clef sur la serrure, elle fonça à la chambre 203. Elle y entra sans allumer, et observa par la porte entrouverte.

Les deux femmes arrivèrent, essoufflées, parce qu'elles couraient dans l'escalier. Elles ne parlaient même pas entre elles. Elles entrèrent sans réfléchir dans la chambre 201, attirées par la lumière.

Christine, alors, sortit rapidement de la 203 dans laquelle elle se cachait, suivit le couloir à pas de loup et ferma brutalement la porte 201. Elle tourna la clef dans la serrure. Les deux étranges personnes étaient à présent enfermées, prisonnières. Rappelle-toi, les portes du deuxième étage sont épaisses et solides. Elles eurent beau tambouriner, elles ne pouvaient pas sortir.


Notre aventurière redescendit les escaliers et se dirigea, un peu rassurée, vers celui de la cave. Elle aperçut trois leviers à sa droite. Deux baissés et un levé. Elle risqua de baisser le troisième. L'hôtel fut plongé dans l'obscurité la plus totale.

Alors, vite, elle releva le levier qu'elle venait de toucher, mais redressa les deux autres également. Elle entendit un bruit de ferraille et les herses qui enfermaient les soldats et le commandant François se levèrent. Ils se précipitèrent dans l'escalier et retrouvèrent notre amie. Ils la félicitèrent pour son courage et son esprit d'initiative.

Ensuite, Christine expliqua que les deux dames étaient enfermées dans la chambre 201. Elle rendit le revolver au commandant François. Ils montèrent ensemble, ouvrirent la porte et attachèrent les deux femmes avec des menottes.


II était trop tard pour retourner vers le camp militaire. Dehors, c'était le noir total. Il allait falloir passer la nuit dans l'hôtel.

Notre amie craignait de dormir dans le même bâtiment que ces deux personnes bizarres et dangereuses.

Le commandant François lui proposa d'aller à un autre étage. Au premier ou au troisième. La jeune fille choisit la 301. Le militaire promit à notre amie qu'un soldat monterait la garde dans le couloir devant sa porte pour veiller sur elle.

Elle mit beaucoup de temps à trouver le sommeil dans sa salopette humide et froide. Elle finit par s'endormir quand même.


Elle s'éveilla à l'aube. Elle se leva immédiatement. Elle sortit dans le couloir. Le soldat qui la gardait se tenait bien là, mais assis et endormi. Il se saisit en la voyant.

Tous retrouvèrent le commandant François.

Tout le monde repartit en direction de la maison de Christine. Les militaires emmenaient les deux dames avec eux. Ils s'embarquèrent dans le véhicule tout-terrain abandonné la veille, et, bientôt, après les adieux, le commandant François, ses hommes et les deux femmes s'éloignèrent et retournèrent vers leur caserne. Une terrifiante aventure s'achevait pour notre amie.


Elle reçut des nouvelles quelques jours plus tard et toutes les explications.

Les deux femmes étaient jumelles. Elles se marièrent et passèrent leurs voyages de noces dans cet hôtel chic, au bord du lac.

Et puis, après cinquante ans, elles voulurent, en compagnie de leurs maris, retrouver ce lieu très fréquenté autrefois. Elles découvrirent un hôtel vide, délabré. Les deux couples visitèrent le bâtiment à l'abandon.

Explorant les étages, les deux hommes tombèrent par une fenêtre qui ne tenait plus et qui dégringola avec eux. Un accident stupide. Attention, cela peut se produire en visitant des lieux de ce genre. Ils furent tués sur le coup. Sous le choc, en les retrouvant morts, les deux pauvres femmes en devinrent folles.

Elles restèrent à cet endroit, ne pouvant transporter les deux corps, et sous la garde de leur grand chien féroce. Elles virent les corps de ceux qu'elles aimaient tant se décomposer et pourrir lentement. Elles entreprirent de les nettoyer car elles les trouvaient laids, dans leur folie, dans leur délire. Mais, à force de les brosser dans la baignoire de la chambre 313, il ne resta bientôt plus que des squelettes.

À ce moment-là Christine les avait surprises sans le savoir.

Les deux femmes furent placées dans un institut pour malades mentaux afin d'être soignées. Le vieil hôtel retrouva sa solitude et le silence de son abandon.

Notre amie revenue à sa maison, se tient prête pour d'autres aventures.