Epouvante - Horreur
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La nuit de la peur

     Béatrice et François se rendaient aux soixante ans de tante Amélie. Elle donnait une fête dans sa grande maison à la campagne. Les parents, notre amie, et le bébé Nicolas figuraient sur la liste des personnes attendues.

-Soixante ans, soixante invités, avait dit un jour Tante Amélie en riant.

Et on l'avait prise au sérieux.

Comme cette famille ne comportait que cinquante-neuf membres, on avait ajouté François, le copain de Béatrice. Âgés tous deux de sept ans et demi, et grands amis, ils se réjouissaient de passer le weekend ensemble.

En route dans la voiture, elle parla de la chapelle à son ami...


-Tu vas voir, expliqua la fillette, la maison de tante Amélie est bâtie tout en longueur et située en retrait par rapport à la rue. Côté jardin, derrière le bâtiment principal, se trouve une chapelle ancienne. Les deux constructions se touchent, mais ne communiquent pas. Ainsi pour se rendre de la maison à cette chapelle, il faut traverser une partie du jardin, un verger. Cette petite église date de l'époque où se dressait un château aujourd'hui disparu.

François écoutait en regardant le paysage fondre doucement dans la nuit qui tombait.

-Le dernier occupant, ajouta Béatrice, était un homme cruel. Vers l'an 1750, les paysans des villages voisins, qui l'avaient surnommé le ‘'garou'', ont envahi le château et l'ont détruit. Le seigneur cruel ne fut pas retrouvé, mais on n'entendit plus jamais parler de lui. Il ne resta du bâtiment qu'un tas de pierres, sauf la chapelle que les villageois ont respecté, sans doute car c'était un lieu sacré.

-On la visitera ? demanda le garçon.

-Oui. Plus tard, il y a cinquante ans environ, les parents de tante Amélie ont acquis le terrain et, récupérant les vieilles pierres qui s'y trouvaient, ils ont bâti leur maison, mais sans toucher à cette petite église, aujourd'hui désaffectée. Je crois que ma tante y range des outils de jardin et ses pommes pour l'hiver.


Sitôt arrivés, les deux enfants se précipitèrent dans le verger et, passant entre les arbres fruitiers, Béatrice montra à son ami la construction un peu sinistre sous le ciel d'automne. Ils y entrèrent par une grande et lourde porte qu'il fallait tirer de toutes ses forces vers soi pour l'ouvrir.

À l'intérieur, le sombre et le froid les accueillirent. Une seule petite fenêtre située très haut près de la voûte, sur le mur contigu à la maison de tante Amélie répandait une lumière pâle. Les deux enfants qui frissonnaient ne s'y attardèrent pas. Ils revinrent à la fête.


Pendant le dîner, Béatrice et François entendirent une conversation entre la tante et les parents de notre amie.

-Un drame s'est produit dans notre village, dit-elle. Une jeune fille de douze ans, Élodie, a disparu depuis une semaine. On pense qu'elle a été kidnappée par des bandits, car on ne l'a pas encore retrouvée. La police la recherche activement. Faites attention à vos enfants. Je ne voudrais pas qu'il leur arrive un malheur. Qu'ils ne quittent pas le jardin et surtout qu'ils n'aillent pas se promener dans le bois tout seuls.

Nos amis avaient bien entendu.


Les meilleures fêtes finissent par se terminer. Comme plusieurs invités venaient de très loin, la charmante hôtesse avait préparé les chambres à l'étage. Elle dirigea chacun et chacune.

-Les Italiens ici, les Français là-bas, le couple venu d'Amérique, à côté de la salle de bain.

Les parents de Béatrice reçurent la plus grande chambre. Ils logeaient avec le bébé. Il restait à caser nos deux amis.

-Où vais-je vous faire dormir, vous deux ? murmura tante Amélie. Je n'ai plus de place.

-Alors, on va à l'hôtel, déclara François, en riant.

-L'hôtel ! Tu prends bien les choses, toi, répondit la dame en souriant. J'ai une solution. Je vous propose un hôtel assez spécial. Vous allez, je crois, chez les lutins et chez les louveteaux ?

-Oui, affirma François. On m'a dit d'emporter mon sac de couchage.

-Et moi aussi, confirma Béatrice. J'ai mes affaires avec moi.

-Je sais. Que diriez-vous d'aller dormir tous les deux à l'aventure, dans la chapelle derrière la maison ?

-Je veux bien... fit François, un peu refroidi.

-D'accord... souffla Béatrice d'une petite voix inquiète.

-Vous n'aurez pas peur ?

-Oh non, affirma François, moi je n'ai peur de rien.

Les garçons disent souvent ça, surtout quand les filles les écoutent...

-Moi non plus, ajouta Béatrice, qui ne voulait pas passer pour une froussarde.

-Je vous propose de prendre quelques galettes avec vous comme ça si vous avez faim, vous pourrez toujours les manger. Emportez aussi une bouteille de lait. Il ne fait pas très chaud là-bas. Restez habillés pour dormir. Et de toute façon, si vous avez trop peur ou trop froid, revenez ici à la maison. On vous installera au salon. Je crains seulement que le passage dans la nuit de certains de mes invités, vous dérange.

-Ça ira ? demandèrent le papa et la maman de notre amie.

-Oui, oui, murmura Béatrice, pourtant pas très rassurée. Ça ira. Je resterai avec François. Je n'aurai pas peur.

-Moi aussi, promit son ami. Je veillerai sur ma copine. J'ai l'habitude avec mes petites sœurs.

Là, il jouait les durs, un peu vantard.

-Et bien alors bon dodo. Bisous. En cas de souci, nous ne sommes pas loin.

Ils emportèrent leurs sacs de couchage, un carton de lait, deux gobelets et des galettes et ils sortirent au jardin.

Le vent soufflait en rafales. La pluie tombait à verse. Ils coururent pour ne pas être mouillés. Ils ouvrirent la lourde porte de la chapelle et entrèrent.


La grande salle leur apparut froide, sinistre. Les murs tout noirs ne les rassuraient guère. Par la petite fenêtre, en haut près du plafond, des éclairs d'orage jetaient des éclats de lumière soudains et effrayants.

-Ça fait un peu peur quand même, murmura Béatrice.

-Oui, renchérit François. C'est un rien angoissant.

-Moi, toute seule, osa son amie, je ne resterais pas ici.

-Moi non plus, avoua le garçon. Mais si on retourne chez ta tante, ils se moqueront de nous en disant qu'on est des mauviettes.

-Alors, montrons-nous courageux. En tous cas, faisons semblant.

Ils installèrent leurs lits de camp près du mur, l'un à côté de l'autre. Ils posèrent le lait et les galettes un peu plus loin.

Il ne faisait pas très chaud. Ils gardèrent leurs pulls et leurs jeans. Ils n'enlevèrent que les chaussures et ils entrèrent chacun dans leur sac de couchage. Ils placèrent entre eux la lampe de poche emportée par prudence.


Ils se donnaient la main. Cela les rassurait un peu.

Ils écoutaient le silence de la chapelle abandonnée. Dehors le vent sifflait, tordant les branches des arbres. L'orage s'éloignait, emportant les grondements de tonnerre au loin. Mais on entendait encore le bruit régulier de la pluie fouettant les carreaux de la seule fenêtre en face d'eux, au-dessus du mur. Et parfois, à cause du vent sans doute, la grande porte de la chapelle battait un peu.

À ce moment-là, ils entendirent le bruit pour la première fois...

-Héééé... Hin...

-C'est quoi ça ? chuchota François. 

-Je ne sais pas. C'est toi qui fais ça ?

-Non, ce n'est pas moi, répondit son ami tout bas. Passe-moi la lampe de poche.

Il alluma. Sa main tremblait. Il fit lentement le tour des murs de la chapelle.

Tout à coup, en face d'eux, il éclaira une pierre blanche sculptée. Elle représentait une tête de mort. On distinguait les deux trous des yeux, le nez et la bouche. Une horrible tête de mort se trouvait là sur le mur. Ils ne l'avaient pas aperçue en visitant les lieux tantôt. Mais maintenant...

-Elle nous regarde, souffla Béatrice.

-Ce n'est pas quelqu'un, ce n'est qu'une pierre, osa François, pourtant pas trop rassuré. Elle ne parle pas.

Il orienta la lampe de poche vers la droite, et puis vers la porte. Elle semblait bien fermée. Personne dans la chapelle... Ils n'étaient qu'eux deux, tout seuls...

-Je crois que je sais, risqua notre amie. C'était une branche qui grince, à cause du vent.

D'ailleurs, on n'entend plus rien, se rassura François.

-Oui, c'est vrai, ajouta la fillette tout haut, on n'entend plus rien.


Mais quelques instants après, tandis qu'ils se taisaient à nouveau...

-Hééé...Hin...

Cette fois, c'était trop ! Ils se levèrent. Ils éclairèrent la tête de mort. Elle ne bougeait pas. Sa bouche n'émettait aucun son.

-‘'Toc, toc, toc''.

-C'est quoi ça ? souffla François en se retournant.

-Ça vient de là, à droite, derrière nous, répondit Béatrice tout bas.

La grande porte d'entrée vibrait. Quelque chose ou quelqu'un frappait à l'extérieur sur ce portail.

Les deux enfants demeuraient immobiles, pieds nus, glacés d'effroi, près des sacs de couchage.

-On s'en va.

-Oui, d'accord, on s'en va.


Ils remirent les baskets puis roulèrent leurs sacs pour les emmener avec eux. Ils dormiraient n'importe où, au salon, dans la cuisine, dans la salle à manger, même dans le couloir, mais pas ici. Ils avancèrent lentement vers la porte, en tremblant.

-Hééé....Hin....

Tout à coup, un bruit violent retentit qui leur glaça le sang. Comme si quelqu'un cherchait avec une masse énorme à briser le portail.

Ils coururent pourtant tous deux vers cette seule issue. Ils touchèrent la poignée. Ils essayèrent d'ouvrir. Il leur semblait qu'on poussait sur cette porte, de l'autre côté. Ils ne pouvaient plus quitter la chapelle.

-Mais laissez-nous sortir, cria Béatrice.

La porte bougeait bien un petit peu, mais même en poussant ensemble et de toutes leurs forces, ils ne pouvaient plus ouvrir. Les deux enfants étaient enfermés, avec la tête de mort et le cri terrible qui semblait venir d'elle.

-Hééé...Hin...


Ils déposèrent leurs sacs de couchage par terre et regardèrent autour d'eux. Ils ne virent aucune autre sortie. Sauf la petite fenêtre, là-haut près du plafond. Mais comment l'atteindre ? Le faisceau de leur lampe tomba sur quelque chose de couché près du mur. Une vieille échelle, à terre, dans un coin.

-Essayons de passer par la fenêtre, proposa François.

-Oui, d'accord, accepta Béatrice. Mais d'abord, tentons de les appeler... Tante Amélie... Tante Amélie, cria la fillette.

Pas de réponse. Tante Amélie dormait dans la maison voisine. Un silence impressionnant retomba sur eux, lourde chape d'angoisse et de terreur.

-Papa, maman, papa, maman ! cria encore Béatrice.

Les parents dormaient. Les fenêtres étaient fermées dans l'autre bâtiment. Nul ne les entendait. Nul ne leur répondit...

-Hééé...Hin...

******************

Quittons nos amis un instant et revenons en arrière. Longtemps en arrière.

En 1750, le château et sa chapelle existaient encore. Il n'avaient pas été détruits par les paysans. L'occupant était un homme cruel. D'ailleurs, dans le village, on l'appelait le "garou".

Un loup-garou, un homme qui peut se transformer en loup, les nuits de pleine lune...

Un soir revenant de la forêt, le seigneur du château appela Sylvain, son serviteur.

-Sylvain !

-Oui, maître.

-J'enrage! J'ai chassé la journée entière, et je n'ai trouvé aucun animal.

-Mais maître, vous en tuez tellement qu'il n'y a plus de bêtes dans la forêt. Encore l'autre jour, vous avez ramené quatre biches, trois faons, deux cerfs et huit lapins. Vous en abattez tant qu'il ne reste plus d'animaux sur vos terres. Soit vous les avez tués, soit ils se sont sauvés.

-Ce n'est pas la réponse que j'attendais, Sylvain. J'affirme que quelqu'un vole mon gibier. Alors, cherche et trouve ce braconnier. Sinon, c'est toi que je vais chasser.

-Oui, Maître.

Deux jours plus tard, Sylvain, qui craignait de perdre sa place auprès du terrible châtelain, amena un pauvre maraudeur. Un garçon maigre et sale, vêtu de haillons. Il tenait un lapin vivant dans un sac.

-Maître, voici votre voleur. Je l'ai surpris dans votre forêt avec ce lièvre. Il vole le gibier que vous chassez pour votre plaisir de tuer.

-S'il vous plaît, supplia le garçon, s'il vous plaît, laissez-moi partir, monsieur. Seigneur du château, ne me faites pas de mal. Mon père est mort et ma mère est malade. On est cinq enfants à la maison et je suis le plus grand. J'ai quatorze ans. J'ai deux petits frères et deux petites sœurs. On n'a plus rien à manger et nous mourons de faim. Nous vivons dans une cabane proche de s'écrouler. J'ai attrapé ce lapin pour qu'une fois on ait un peu plus à manger. On a si faim. Ils sont si maigres.

-Tu oses chasser sur mes terres ! cria le garou.

-S'il vous plaît, on a faim.

-Tu chasses sur mes terres et tu me voles un lapin, me privant de mon plaisir de tuer. Je vais te jeter dans mon oubliette pour te punir. Emmène-le, Sylvain.

-S'il vous plaît, ne me jetez pas dans l'oubliette. Si je ne reviens pas, mes petits frères et mes petites sœurs vont mourir de faim.

-Dans l'oubliette, répondit le garou, inflexible.

Et il traîna le pauvre garçon dans la chapelle.

Le maître se dirigea vers une statue en forme de tête de mort sculptée dans la pierre blanche. Il introduisit un doigt dans l'œil gauche, puis dans l'œil droit. Il recommença ensuite en sens inverse, un doigt dans l'œil droit puis dans le gauche. Les dents de la bouche de la tête de mort s'écartèrent lentement, laissant paraître une petite ouverture.

Le garou glissa sa main dans cette fente, et y saisit une poignée en fer qu'il fit tourner d'un quart de tour. Un pan de mur s'ouvrit, découvrant un trou profond de cinq mètres. L'oubliette dans laquelle il enfermait ses ennemis.

-Tu as volé un de mes lièvres. Tu vas mourir.

Il poussa le pauvre garçon en avant. Il tomba au fond de l'oubliette, sur les roches qui tapissaient le sol.

-Je me suis fait mal, cria le garçon. S'il vous plaît, laissez-moi sortir, ne me laissez pas ici, pensez à ma famille. Pardon...

-Tu vas mourir là.

Le garou alla dans sa poche et en sortit un livre.

-Tiens, voilà pour t'occuper. Lis quelques pages en attendant la mort.

Et poussant de toutes ses forces, l'abominable châtelain referma le mur.

Le garçon souffrit atrocement dans ce trou. Il s'était blessé en tombant. Il faisait tout noir là-dedans. Les jours passèrent. Il mourut lentement de faim.

Quelques temps après ces événements, les villageois en colère détruisirent le château du garou. On ne retrouva pas son corps. Sylvain s'était enfui. Mais la chapelle resta, au milieu des ruines.

Bien plus tard, quand Tante Amélie construisit sa maison, juste à côté, et elle ne découvrit pas l'oubliette.

*******************

Nos deux amis, toujours enfermés dans la chapelle, se demandaient comment en sortir. Personne ne répondait à leurs appels. Ils se turent pour réfléchir un instant et entendirent de nouveau l'abominable grincement.

-Hééé...Hin...      

-Ça recommence...

-Ça vient de là, murmura Béatrice, glacée de peur. Près du squelette. Allons voir. Et surtout, éloignons-nous de la porte, on ne sait pas qui nous empêche de sortir.

-Restons ensemble, en tout cas, insista son copain. Viens, allons tout près de la statue.

Ils s'approchèrent de l'horrible pierre blanche dont le masque grimaçait sous le faisceau de leur lampe de poche. François la toucha. La pierre était froide. Elle ne bougeait pas.

-Regarde, on peut placer son doigt dans l'œil gauche, puis dans l'autre, indiqua le garçon.

-Attention, fit Béatrice.

-C'est une statue. Vois, je recommence à l'envers.

Il mit son doigt dans l'œil droit, cette fois, puis dans le gauche. Ils perçurent un déclic et la bouche de la statue s'entrouvrit lentement. Ils reculèrent, terrifiés. Ils se tenaient l'un à l'autre et hurlaient.


Puis, ils reprirent courage. Ils s'approchèrent du crâne, situé un peu trop haut pour pouvoir y plonger la main. Ils allèrent chercher l'échelle et la posèrent contre le mur, juste à côté. Béatrice grimpa, courageusement.

-Donne la lampe de poche. Je crois apercevoir une poignée là derrière, oui une grosse poignée. Elle bouge. Qu'est-ce que je fais ?

-Comme tu penses, répondit François, mais ne te fais pas mal.

Béatrice saisit la poignée en fer. Ça tournait. Soudain le mur bougea. Encore un peu et l'échelle tombait, déstabilisée. Le mur s'entrouvrit et un trou noir apparut devant les deux enfants, épouvantés : l'oubliette.

-Hééé...Hin...

Ils comprirent cette fois :

-Hééé...Hin... j'ai...faim...

-Il y a quelqu'un là-dedans? cria François.

-S'il vous plaît, délivrez-moi !

-Qui es-tu ? demanda Béatrice.

-Je m'appelle Élodie.

-La jeune fille qui a disparu depuis une semaine, s'écria le garçon.

-Oh mon Dieu! sanglota Élodie. Il y une semaine que je suis là-dedans ! J'ai cru que j'allais y mourir. Dimanche, je suis venue visiter la chapelle. Seule. Curieuse, je suis entrée. J'ai aperçu la tête du squelette. J'ai mis mes doigts dans ses yeux, au hasard, et un pan de mur s'est ouvert. J'ai voulu voir. Je me suis penchée et j'ai glissé. Je suis tombée dans ce trou. Et la porte s'est refermée. On est quel jour ?

-On est la nuit de samedi à dimanche, répondit François.

-Ça fait une semaine que je suis là. Je n'ai rien à manger. J'ai bu l'eau sale qui suintait sur les murs. En plus il y a un squelette ici. J'ai peur. Vous pouvez me tirer de là, s'il vous plaît ? Et j'ai si faim.

-C'est profond, s'inquiéta le garçon.

-On a une échelle, fit son amie.

Béatrice et François prirent l'échelle et la glissèrent dans le trou. Élodie monta rapidement les échelons. Elle tenait un vieux livre moisi sous le bras. Nos amis tendirent leurs mains pour l'aider à sortir. Elle posa le vieux livre sur le sol, puis parvint à se hisser dehors. Ils reprirent l'échelle. Quelques minutes après, la porte secrète de l'oubliette se referma.

-Vous n'avez rien à manger? supplia la jeune fille. J'ai tellement faim.

-On a des galettes et du lait.

-Je peux les prendre ?

-Oui, bien sûr!

Élodie dévora les quatre galettes, et but généreusement du lait.


-Ça va un peu mieux, soupira la rescapée. Comment sort-on d'ici ?

-On ne sait pas. On dirait que quelqu'un pousse sur l'énorme porte et nous empêche de l'ouvrir.

Ils tentèrent de toutes leurs forces un ultime essai, mais la porte bougea à peine.

-Brisons la fenêtre là-haut, indiqua Élodie. Sortons par là.      

-C'est quoi ce livre ? demanda Béatrice, curieuse.

-Je ne sais pas, il se trouvait dans le trou avec moi, dans l'oubliette. Il semble très vieux. Il faisait tout noir alors je ne l'ai même pas ouvert. Mais c'est étrange, un livre à cet endroit.

-Oh, regardez ! Il est tout mou et il dégage une curieuse odeur, dit François.

Des bêtes affreuses, araignées, sauterelles, moustiques, guêpes, monstrueux coléoptères, sortaient du livre. Béatrice en écrasa quelques-unes sous la semelle de ses chaussures.

-Quelle horreur! hurla notre amie. Partons vite d'ici.

Les trois enfants observèrent un instant l'abominable cortège de bêtes abominables qui peu à peu se dispersaient dans la chapelle.

       
Ils redressèrent l'échelle et montèrent derrière Élodie. Elle brisa la fenêtre avec un morceau de brique descellée. Ils passèrent par ce petit passage les uns derrière les autres. La jeune fille les aida à ne pas se blesser aux morceaux de verre tranchants qui restaient accrochés sur les bords. Ils se retrouvèrent sur le toit de la petite chapelle, tout contre la corniche de la maison de la tante de Béatrice.

Ils progressèrent à quatre pattes et parvenus à la fenêtre des parents, ils frappèrent aux carreaux.

-Papa, maman, papa, maman! Réveillez-vous!

Les parents, surpris, se dressèrent dans leur lit.

-Que faites-vous là ?

-Maman, papa, c'est l'horreur dans la chapelle. Il y a des bêtes partout et des bruits bizarres. On nous empêche de sortir. Grâce à Élodie, on a pu se sauver par la toiture.

-Qui est Élodie ? demanda le papa.

-Je suis la jeune fille enfermée depuis une semaine, expliqua leur nouvelle amie. Vos enfants m'ont délivrée.

-Où étais-tu ?

-Dans une oubliette.


On éveilla tante Amélie et tous les invités encore présents. On appela la police. On prévint les parents d'Élodie.

Tous ensemble, ils se rendirent dans le jardin. Personne ne poussait sur la grande porte de la chapelle. Mais à cause de la pluie, de l'orage et du vent violent, un arbre du verger de tante Amélie s'était déraciné, et le tronc incliné appuyait contre la porte de la chapelle. Voilà pourquoi on ne pouvait pas l'ouvrir de l'intérieur.

Les policiers soulevèrent le tronc et dégagèrent l'entrée. Ils ouvrirent la porte. Un rang d'horribles insectes s'échappa. Ils se dispersèrent dans l'herbe et disparurent.

Béatrice, François et la jeune rescapée montrèrent le secret de l'oubliette en poussant dans les yeux de la tête de mort et puis en tournant la vieille poignée dans le creux du mur.

On découvrit au fond plusieurs squelettes. Les os de malheureux prisonniers morts depuis longtemps. Des gens que le garou avait enfermés, autrefois... et qui n'avaient pas eu la chance comme Élodie d'être délivrés par nos amis.