Les quatre amis

Les quatre amis

N°30

Le nid de guêpes (L'espion Partie 4)

(Découvrez la 1ère partie de la série L'espion ici)

     Un mercredi après-midi, quelque temps après l'affaire de la poupée.

Philippe sonna chez ses amis aux environs de quinze heures. Jean-Claude assis au salon jouait sur sa console de jeu. Christine achevait un devoir avec l'aide de son amie Véronique dans sa chambre. Les filles sont toutes deux en cinquième, dans la même école. Les garçons en sixième.

- Réponds, Jean-Claude, je suis occupée avec Véronique.

- Réponds toi-même, cria le grand frère, je ne peux pas lâcher mon jeu, je bats mon record.

Philippe, étonné de ne pas se voir accueilli, sonna une seconde fois.

- Vas-y, hurla Christine.

- Bon, bougonna Jean-Claude.

Il interrompit sa partie et ouvrit la porte d'entrée.

- Que se passe-t-il? dit-il sur un ton excédé. Oh, salut Philippe, ajouta notre ami en souriant.

- Je crois que je dérange, fit le garçon en entrant.

- Pas vraiment, mais ma sœur se prétend occupée à faire ses devoirs dans sa chambre et moi je tuais un abominable dragon sur ma console de jeux, alors tu imagines.

- Je comprends parfaitement. Désolé, ajouta Philippe.

Les filles dégringolèrent les escaliers et vinrent rejoindre les garçons. Jean-Claude se tourna vers sa sœur.

- Je croyais que tu étais occupée.

- On a juste fini, susurra Christine.

Les quatre amis s'assirent au salon.

 

- Il vient de m'arriver une aventure incroyable, déclara Philippe. Cela vaut la peine que je vous raconte cela.

Et le garçon, prenant son élan, narra son étrange rencontre.

- Je traversais le parc pour me rendre chez vous quand tout à coup, dans l'allée principale, un homme me dépassa. Il portait un costume noir et tenait à la main une valisette de type attaché-case. Je l'ai reconnu immédiatement mais lui ne m'a pas vu. Vladimir!

Le terrible Vladimir, l'associé, le bras droit d'Alexeï Korbokov. Celui-ci, autrefois colonel du K.G.B. soviétique, se reconvertit aujourd'hui en chef du service d'espionnage d'un pays du Moyen-Orient dont l'agressivité et la barbarie aveugle sont connues de tous.

- Vous comprenez, enchaîna Philippe, qu'immédiatement je l'ai suivi. Il s'assit sur un banc devant une petite fontaine. Je me suis caché dans un massif de rhododendrons tout près. L'espion plaça lentement et discrètement ses mains sous le banc. Il y détacha une enveloppe collée sous la planche. Il glissa cette enveloppe dans une poche de son veston, sans l'ouvrir. Puis il se leva et partit en laissant la valise sur le banc, bien en vue.

- Génial, commenta Jean-Claude. Il n'y a qu'à toi que des choses pareilles arrivent!

-Attends la suite, poursuivit son ami. Quelques instants après, un homme que je n'ai jamais vu et que je vais appeler X s'approcha. À son tour, il s'assit sur le même banc. Il me semblait prudent, je dirais même méfiant. Il regarda partout aux alentours. Puis il glissa l'attaché-case vers lui et l'ouvrit. Il y jeta un coup d'œil et le referma aussitôt. Moi, je n'ai pu voir le contenu qu'une seconde. C'était rempli de dollars. Des grosses coupures, je vous assure.

- Tu nous plonges en pleine affaire d'espionnage, interrompit Christine.

- Ça continue, reprit le garçon. Il referma l'attaché-case, se leva, le prit et partit. À ce moment-là, j'entendis deux petits coups sourds: "touc-touc". X s'écroula sur le sol, abattu par un homme caché derrière un arbre à vingt mètres de moi. Cet homme s'enfuit, emportant la valise de Vladimir. Je vais l'appeler Y si vous voulez bien. Il quitta le parc précipitamment après avoir fouillé le mort.

"Un gardien, arrivé sur les lieux, sortit son portable et donna l'alarme. Quelques instants plus tard, des voitures de police s'approchèrent toutes sirènes hurlantes et encerclèrent le parc.

- Tu as dû avoir peur, dit Véronique.

-Se sentant sans doute en danger, continua Philippe très excité, Vladimir revint sur ses pas. Je l'ai bien vu. Je me suis vite recaché derrière un arbre. Il se dirigea vers une autre sortie, mais des policiers arrivaient de partout. Tous ceux qui quitttaient le parc étaient fouillés. L'espion tira l'enveloppe de sa poche et la posa délicatement dans une poubelle de l'allée principale. Puis il partit. On le passa au peigne fin à son tour, mais les policiers le laissèrent aller car ils ne trouvèrent rien de compromettant sur lui, bien sûr.

- Quelle incroyable aventure! admira Jean-Claude. J'aurais voulu être à ta place.

- J'ai failli mourir, dit Philippe en prenant la main de son amie Véronique. Rien que penser à ce terrible Vladimir, j'en tremble encore. Et ce n'est pas tout, reprit le garçon...

Jean-Claude, Christine et Véronique se turent un instant. Leur copain les observait d'un regard malicieux.

- Non! s'écria soudain Christine. Tu...Tu n'as quand même pas pris l'enveloppe!

- Si, répondit Philippe en souriant. Je suis passé près de la poubelle. J'ai emporté le pli, glissé sous mon t-shirt. Personne ne m'a fouillé en sortant du parc. Un enfant innocent, dit-il avec un large sourire. On m'a laissé aller sans difficulté, et me voici chez vous.

Il posa la fameuse enveloppe sur la table du salon.

- Qu'allons-nous en faire? ajouta le garçon.

 

- D'abord, il faut l'ouvrir, proposa Jean-Claude, ainsi on saura...

-Attends une minute, coupa Véronique. Cette enveloppe appartient à un espion. Si on découvre son contenu, nous risquons, à notre tour, d'être entraînés dans une aventure épouvantable, et même d'être abattus pour un oui ou un non.

- Je sais ce qu'il faut faire, interrompit Christine. Téléphonons à Ennio Calzone. Il nous conseillera.

- Tu crois, se moqua son frère, que tu vas ouvrir le bottin de téléphone et y trouver écrit: Ennio Calzone, espion international, avec un numéro de téléphone à côté?

- Non, riposta Christine. Je ne suis pas idiote! Mais rappelle-toi, nous savons qu'il se fait appeler aussi "prince Sigmund von Matterhorn". C'est sans doute son vrai nom. Ennio Calzone est un pseudonyme. Il habite à Venise. On pourrait demander son numéro aux renseignements internationaux.

Sitôt dit, sitôt fait. Un simple coup de fil et ils reçurent le numéro du prince à Venise.

Jean-Claude saisit l'appareil et composa la série de chiffres. Suspense. Silence.

- Ça sonne...

À la quatrième sonnerie, quelqu'un décrocha.

- Cipriano.

- Bonjour, monsieur Cipriano. Je vous appelle au nom des quatre enfants que monsieur Calzone a rencontrés plusieurs fois. Vous vous souvenez?  Pagoo-Pagoo, à New York.

- Mon maître, le prince von Matterhorn se trouve en avion, en route pour le Brésil. Je vais l'avertir de votre appel. Restez chez vous. Il vous retéléphonera s'il le juge utile.

La communication fut coupée. Les quatre amis attendirent en silence un moment.

 

Soudain la sonnerie retentit. Christine se précipita et répondit.

-Allô...

-Salut ma chérie, maman à l'appareil. Tu joues avec ton frère?

- Oui, murmura la jeune fille d'une petite voix.

- Vous êtes bien sages?

- Tout à fait sages, maman.

- Je vous connais tous les deux... Vous ne prenez pas de risques?

- Oh non. Philippe et Véronique viennent de nous rejoindre.

- Bon, je vous embrasse. Papa et moi arriverons vers six heures. À tantôt, ma chérie.

Maman coupa la communication.

- Ouf! soupir.

 

Le téléphone sonna à nouveau. Philippe décrocha à son tour.

- Allô.

- Calzone.

- Bonjour, monsieur Calzone.

- Je t'écoute.

Le garçon raconta son étonnante aventure. Après avoir entendu le long récit, l'espion résuma la situation.

- Si je te comprends bien, tu traversais le parc tantôt vers quinze heures. Tu vis Vladimir. Tu le reconnus aussitôt. Il s'assit sur un banc et y déposa une valise pleine de dollars. Il prit un enveloppe, contenant sans doute un message secret, enveloppe qu'il laissa ensuite dans une poubelle car il ne pouvait pas sortir du parc sans être fouillé par la police venue sur les lieux. Un autre homme, qui volait l'argent et que tu appelles X fut abattu par un individu que tu nommes Y. Ce dernier s'enfuit en emportant la valise contenant les dollars. C'est bien cela?

- Oui, répondit Philippe.

- Parfait. Maintenant, les enfants, ouvrez cette lettre. Je voudrais en connaître le contenu.

Véronique saisit un coupe-papier et ouvrit l'enveloppe. Elle en sortit deux feuillets. Sur le premier, un simple rendez-vous était noté.

"Villa des fleurs, 59, av. du Castel, jeudi, 18h30".

- Demain, dit Christine en prenant le cornet.

- J'avais compris, merci, répliqua Calzone. Tu me parles de deux papiers. Qu'y a-t-il d'écrit sur le second?

- Des chiffres et des lettres. Ça se présente en colonnes verticales et en lignes horizontales régulières.

- Veux-tu bien me lire les deux premières lignes, s'il te plaît?

- Oui, répondit la fillette. Z.Z.D.45.D.GYW.34.L. Deuxième ligne: C.FR. 045. R.3.WXC.41.7.GL. Le document me semble déchiré en deux. Une coupure faite à la va-vite, et chaque fois, le bout de la ligne s'interrompt. Certains chiffres apparaissent seulement à moitié. Je ne vois pas la seconde partie.

- Bien. Je te remercie, dit l'espion. Laissez-moi réfléchir à tout cela, mes amis. Je vous rappelle dans quelques minutes.

Il coupa la communication.

 

Pendant ce temps-là, Vladimir venait d'arriver dans le hall d'un petit hôtel du centre de la ville. Il emprunta l'ascenseur et parvint au quatrième étage. Il frappa à la porte 412.

- Entrez.

Il pénétra dans la chambre et se dirigea vers un bureau où son chef, Alexeï Korbokov, déchiffrait un document à la loupe.

- Monsieur, j'ai raté ma mission. À cause d'un stupide voleur inconnu. X.

Korbokov releva la tête, fronça les sourcils et toisa son associé un instant.

- Raconte, dit-il.

- Je suis arrivé avec l'argent à l'endroit convenu pour le rendez-vous. Je me suis assis sur le banc. J'ai senti l'enveloppe collée sous la banquette. Je l'ai détachée et je l'ai glissée dans ma poche. Je suis parti en laissant la valise contenant les dollars bien en vue, comme convenu. J'ai entendu deux bruits sourds, comme des coups de feu couverts par un silencieux. Revenant sur mes pas, j'ai vu un homme étendu sur le sol, tué par deux balles dans le cœur. X. Le voleur. J'ai aperçu un autre qui s'enfuyait avec la valise. Un gardien du parc donna l'alarme. Les voitures de police arrivèrent, sirènes hurlantes. Impossible de sortir de ce lieu sans être fouillé. J'ai glissé la lettre dans une poubelle. Quand je suis revenu une heure plus tard pour la récupérer, l'enveloppe n'y était plus.

- Ils sont très forts, murmura Korbokov. Vraiment très forts. On dirait que quelqu'un tente de nous doubler. Peut-être un voleur, comme tu dis. Qui possède à présent le document?

On sentait de la colère retenue dans la voix du maître espion.

- Demain, à la villa des fleurs, à 18h30, on va lui tendre un piège. Ce sera un véritable nid de guêpes pour celui ou ceux qui viendront. Et qui que ce soit, quand ils y tomberont, ils le regretteront.

 

Le téléphone sonna chez Jean-Claude et Christine. Le garçon décrocha. Ennio Calzone expliqua à notre ami que le document qu'il tenait chez lui semblait de la plus haute importance.

- Je me demande, dit-il, comment il est possible que quelqu'un réussisse à copier un code d'une telle gravité. Celui qui réunirait les deux moitiés pourrait, à l'aide d'un ordinateur, faire décoller des missiles intercontinentaux à tête nucléaire aux États-Unis et les envoyer exploser n'importe où dans le monde.

Les quatre amis se taisaient et écoutaient, impressionnés.

- Imaginez un instant que ce pays du Moyen-Orient particulièrement belliqueux auquel je pense, et dont Korbokov et Vladimir sont chefs des services d'espionnage, parvienne à s'emparer de ces deux documents. Ils pourront déclencher une catastrophe mondiale. Ils seront en mesure de détruire n'importe quel pays civilisé en Europe, en Amérique ou en Asie.

Ennio Calzone se tut un moment pour laisser les quatre enfants conscientiser leur terrible responsabilité.

- Mes amis, reprit l'agent double, je fais appel à votre cran. Ètes-vous prêts à prendre des risques pour sauver le monde libre?

Les quatre enfants, unanimes, émus, acquiescèrent et s'engagèrent à protéger le document.

- La première chose à faire, est de cacher cette feuille que vous tenez en main.

Les enfants émirent plusieurs idées de cachettes dans la maison de Jean-Claude et Christine ou celle de Philippe ou Véronique. Cela allait du frigo aux dessous d'armoires en passant par le fond du matelas ou la chasse des W.C. Aucune solution ne convenait.

- Si Korbokov apprend que le document se trouve entre vos mains, il fera fouiller vos maisons intégralement. Rien ne restera en place. Tapis, murs, sols, meubles, tout sera démonté, décollé, arraché, détaché, ouvert, sondé, saccagé.

Les amis se taisaient, de plus en plus impressionnés.

- Voici la meilleure solution, continua Calzone. Glissez cette feuille dans une enveloppe, inscrivez-y l'adresse de Véronique, par exemple. Collez un timbre et postez cela dans une boîte aux lettres quelconque, après la dernière levée. Nous sommes mercredi soir. Jeudi matin, la lettre partira au centre de triage de la poste centrale où personne ne peut la récupérer parmi les centaines de milliers de plis qui défilent chaque jour en ce lieu, et vendredi matin, le facteur l'apportera à votre amie.

- Et la deuxième chose à faire? demanda Jean-Claude.

- Oserez-vous aller au rendez-vous, à la villa des fleurs? Je suis dans un avion, en route pour le Brésil, les amis. Sitôt arrivé à Rio de Janeiro, je loue un jet privé et je reviens vous aider. Je crains, cependant, ne pouvoir arriver que vers 18h30.

Il coupa à nouveau la communication.

 

Au même moment, dans un hôtel très chic de la ville, Y faisait son rapport à son chef. Appelons-le Z.

- Monsieur, l'argent a été volé par quelqu'un, disons X. Je l'ai abattu. Voici les dollars. Je ne crois pas que Korbokov possède l'enveloppe. Vladimir l'a posée dans une poubelle. Je suis passé voir, elle n'y était plus.

- Bravo. Bon travail. Quelqu'un tente peut-être de nous doubler. Nous serons demain à 18h30 à la villa des fleurs. Korbokov veut obtenir le code chiffré complet. Il est prêt à payer pour la seconde partie. J'en suis certain. La seule inconnue: qui possède la première moitié du document? Puisque tu prétends que Vladimir s'en est débarrassé et qu'il a disparu, je conclus que quelqu'un l'a pris.

- Celui-là ou ceux-là, dit Y en souriant, vont tomber dans un véritable nid de guêpes. Il y a peu chances qu'ils en sortent vivants...

La sonnerie du téléphone retentit à nouveau. Ennio Calzone.

Christine prit le cornet et déclara qu'ils venaient de se concerter tous les quatre. Ils étaient d'accord de se rendre à la villa des fleurs le lendemain.

- Divisez-vous en deux équipes, proposa l'espion. L'une restera à l'extérieur et observera les éventuelles allées et venues, l'autre entrera si possible dans la villa et y attendra, bien cachée, mon arrivée, pour me tenir au courant des mouvements des probables visiteurs.

Suivit une série longue et précise d'explications, entourée de conseils de prudence.

- Mes amis, je vais tâcher d'arriver le plus vite possible. Je voudrais vous rassurer, mais je vous préviens que vous allez vous fourrer demain dans un vrai nid de guêpes.

 

Le lendemain, le jeudi, nos amis se montrèrent fort distraits en classe. Il faut dire qu'ils ne cessaient de penser à ce qui les attendait au soir à la villa des fleurs.

À la sortie de l'école, ils se rendirent ensemble chez Véronique. De là, ils montèrent dans un bus qui les mena aux environs de 18h00 à l'entrée de l'avenue du Castel, une avenue tranquille, bordée de villas cossues, à la lisière de la forêt.

Tout paraissait calme, paisible, pourtant tous quatre sentaient leurs cœurs battre au rythme de la peur.

Apparemment, personne ne les suivait.

Le ciel faisait grise mine. Il ne pleuvait pas, mais une bise aigre soufflait et les feuilles d'automne dansaient. Ils parvinrent à 18h05 devant l'entrée du 59, une propriété entourée de hauts murs percés d'une entrée garnie d'une grille rouillée. Personne en vue.

Le jardin semblait à l'abandon. Les haies poussaient à la diable. Des buissons d'orties et de ronces entouraient quelques grands arbres dénudés. Les feuilles mortes s'accumulaient en tas le long d'une allée défoncée d'ornières remplies de flaques d'eau. Tout cela accentuait l'impression sinistre qui se dégageait de ces lieux.

Les enfants reculèrent une centaine de mètres jusqu'au coin du mur de la propriété pour se mettre à l'abri des regards éventuels.

- Bon, déclara Jean-Claude. Calzone demande qu'on se divise en deux équipes. Deux d'entre nous entrent si possible dans la maison, les deux autres se cachent au jardin et observent les alentours. J'ai une pièce de monnaie. On tire au sort?

- D'accord.

Le hasard désigna Christine et son frère pour la mission extérieure, tandis que Philippe et Véronique passeraient les grilles et tenteraient de entrer dans la villa des fleurs pour s'y dissimuler.

Les deux équipes se séparèrent.

 

La peur au ventre, Véronique et son ami se dirigèrent vers les hautes grilles.

Malgré son courage, Véronique tremblait. Philippe tenta de la rassurer, mais sa main à lui aussi était glacée.

Ils empruntèrent l'allée de gravier envahie de ronces et s'arrêtèrent devant le perron de la vieille bâtisse qui évoquait un manoir du siècle passé.

La porte n'était pas fermée à clé. Ils l'ouvrirent sans difficulté et entrèrent dans un vaste hall poussiéreux, humide et froid. Ils remarquèrent deux portes, une à leur gauche et une double à droite. Un superbe escalier en bois menait à l'étage. La porte de gauche, ouverte, laissait entrevoir une cuisine vide et sale. Les rayonnages des armoires étaient envahis de toiles d'araignées.

Ils revinrent dans le hall et passèrent la double porte à leur droite. Ils s'introduisirent dans une salle à manger de belle allure et meublée. La maison ne semblait donc pas vraiment abandonnée.

Deux marches d'escalier séparaient cet espace d'un grand salon où se trouvaient des fauteuils vieillots tournés vers des grandes baies vitrées sales et la lumière du jardin.

Véronique, glacée, pourtant transie de peur plus que de froid, resta en haut des deux marches, tandis que Philippe s'avançait jusqu'aux vitres du salon. Arrivé contre elles, il fit à tout hasard un signe à Jean-Claude et Christine. Il ne les vit pas au jardin, mais son geste pouvait peut-être avoir été perçu par ses amis.

 

Jean-Claude et Christine longèrent pendant ce temps le vieux mur lézardé qui bordait la villa. Puis en s'enfonçant dans un sous-bois, et passant par le jardin de la propriété voisine, ils parvinrent à l'arrière de la maison.

Ils aperçurent un endroit où un pan de briques était écroulé. Ils en profitèrent pour se glisser sans bruit dans le jardin de la villa des fleurs. Ils remarquèrent un massif de buis. Se suivant l'un l'autre à quatre pattes ou en rampant, ils s'y glissèrent et s'y cachèrent. Puis ils observèrent les lieux.

À leur droite se trouvait une grande pelouse dont l'herbe haute n'avait plus été coupée depuis longtemps. À gauche, ils profitaient d'une excellente vue sur la façade latérale de la maison, l'allée et l'entrée.

Ils décidèrent de ne plus bouger et de rester à cet excellent poste d'observation. Occupés par leurs déplacements, ils ne virent pas le geste de leur ami.

 

Après avoir fait un signe à ses copains, Philippe se retourna et poussa un cri.

Alexeï Korbokov se trouvait là, devant lui, assis dans un des fauteuils dépassés il y a un instant. Il tenait un révolver au poing et visait le garçon.

- Que fais-tu là?

Pris de court cette fois, notre ami se tut.

Une porte latérale s'ouvrit. Vladimir se précipita vers Véronique, lui prit le bras avec force et le plia dans son dos. Notre amie poussa un petit cri de douleur et se mit à trembler encore plus fort. Son cœur battait la chamade. Elle crut que sa dernière heure arrivait.

- Jeune fille, murmura Vladimir, en s'emparant de son couteau. Des belles tresses à couper, ajouta-t-il en caressant les cheveux de Véronique du bord de sa longue lame.

Philippe fit un pas vers Korbokov puis vers son amie, ne sachant que faire pour la sauver.

-Je croyais cette maison abandonnée, monsieur. Nous passions devant. Nous voulions la visiter.

Korbokov regarda le garçon droit dans les yeux en gardant le silence un instant.

- Menteur! déclara-t-il. Tu as ramassé dans une poubelle, près de chez toi, un document qui m'est destiné. Vladimir l'y avait posé. J'exige que tu me restitues immédiatement ce papier, celui avec les chiffres et les lettres, sinon ton amie et toi allez passer un très mauvais quart d'heure. Si tu n'avais pas trouvé et ouvert ce pli, tu ne serais pas ici au rendez-vous.

Philippe garda le silence à son tour.

Vladimir empoigna les deux tresses blondes de Véronique. Il tira si fort que notre amie dut redresser la tête. Elle poussa un second cri. L'homme glissa la pointe de son couteau dans le cou de la jeune fille.

- Comme c'est tendre, susurra-t-il.

Philippe allait parler pour tenter quelque chose, mais à ce moment ils entendirent tous un bruit dans la rue. Une voiture dont on claquait les portes.

- Vladimir, commanda Korbokov, va enfermer ces deux enfants dans la salle de bain au premier étage. Dépêche-toi. On s'en occupera plus tard.

L'homme traîna Véronique, suivie par son copain qui n'allait bien sûr pas laisser sa meilleure amie entre des mains aussi brutales. Il voulait la soutenir en se montrant courageux comme un chevalier d'autrefois. L'espion enferma les deux enfants dans la salle de bain.

Dès que la porte fut close, Philippe se précipita vers elle. Hélas, impossible de l'ouvrir. Il tenta de l'enfoncer d'un coup d'épaule, mais elle résista.

Le garçon, regardant autour de lui, aperçut un tabouret. Il le prit par l'un des pieds et le lança de toutes ses forces dans les vitres de la fenêtre. Les carreaux dépolis volèrent en éclats. Philippe cria vers le jardin, à l'intention de ses amis.

- Attention, Korbokov et Vladimir sont ici et on est enfermés.

 

Jean-Claude et Christine virent le carreau se briser au premier étage. Ils entendirent l'avertissement et l'appel de leur copain.

Un instant auparavant, ils avaient observé une voiture qui venait de s'arrêter dans la rue devant la villa des fleurs. Deux hommes venaient d'en sortir. Philippe aurait reconnu Y s'il avait été dehors. Z, son chef, l'accompagnait. Les deux hommes traversèrent le jardin à pas de loup et entrèrent dans la maison. Z fit signe à son collègue de ressortir et de rester près de la voiture, tandis qu'il franchissait seul la porte du salon.

Il se trouva nez à nez avec Alexeï Korbokov.

Vladimir, revenant de la salle de bain, s'avança derrière lui sans bruit.

Korbokov et Z se regardèrent en silence un instant, chacun tenant au poing un révolver chargé.

- Tu possèdes la deuxième moitié du document? dit Korbokov.

- Je veux voir l'argent, répondit Z.

L'espion indiqua d'un geste de la tête et du menton une valise en métal argenté posée sur la grande table de la salle à manger.

- Montre-moi le document avant d'ouvrir cette mallette.

Z sortit une enveloppe de sa poche et, sans quitter son adversaire des yeux, la posa sur la rampe en bois qui séparait la salle à manger du salon. Puis il fit deux pas vers la valisette. Il l'ouvrit tout en visant et en fixant Korbokov.

Un instant, deux secondes à peine, Z tourna son regard vers les dollars. Deux secondes à peine. Ce moment lui fut fatal.

Alexeï Korbokov appuya deux fois sur la gâchette de son révolver dont le canon était terminé par un silencieux. Z s'écroula sur le sol.

Alors, saisissant l'enveloppe sur la rampe, tandis que Vladimir empoignait la valise de dollars après l'avoir refermée, les deux hommes gagnèrent le hall d'entrée de la villa.

- Va chercher les enfants dans la salle de bain. On file à notre planque. Ils nous serviront de couverture. Là-bas, tu les tortureras si nécessaire et nous récupérerons le premier document.

 

Pendant ce temps-là, Jean-Claude et Christine, toujours cachés dans le buis, se demandaient comment venir en aide à leurs amis. Ils virent soudain un hélicoptère de la gendarmerie survoler la propriété.

Les deux enfants sortirent en courant de leur cachette et firent des grands signes au pilote, qu'ils ne voyaient cependant pas. L'hélicoptère, répondant sans doute à leur appel, descendit et se posa dans la prairie derrière la villa.

Le frère et la sœur coururent vers l'appareil dont une porte s'ouvrit. Ils y entrèrent.

 

Philippe et Véronique, enfermés dans la salle de bain, venaient de voir atterrir l'hélicoptère de la gendarmerie. Hélas, l'appareil reprenait de la hauteur sans venir à leur aide, en apparence.

Au moment où il parvint à leur niveau, une voix s'adressa à eux par un haut-parleur.

- Couchez-vous dans la baignoire.

Nos amis comprirent au quart de tour et se jetèrent dans la baignoire. Ils entendirent un claquement sec et un projectile en métal suivi par une corde s'enfonça dans la porte de la salle de bain.

Le garçon se redressa et tira sur la corde. Il la fixa avec soin à un tuyau le long du mur. Il fit un signe pour montrer qu'il était prêt.

L'hélicoptère prit encore un peu de hauteur puis les enfants virent arriver vers eux une armature métallique en forme d'encre de bateau, une sorte de trapèze constitué d'une barre verticale reliant deux autres horizontales. L'une pour mettre les pieds, l'autre pour se tenir avec les mains.

- Viens, Véronique. Grimpe là-dessus.

La jeune fille, tétanisée de peur, n'osait pas monter sur cet appareil. Philippe insista. Il tenta de la forcer. En vain.

La porte de la salle de bain s'ouvrit et Vladimir entra. Son arrivée provoqua la réaction salutaire de notre amie. Elle se plaça sur le trapèze volant. Son copain s'accrocha derrière elle, les mains près des siennes, les pieds de part et d'autre des siens.

L'hélicoptère les enleva sous le regard ahuri de Vladimir. Leur balançoire décrivit un large demi-cercle. Véronique hurlait de peur. Le garçon, collé derrière elle lui glissa un tendre bisou dans le cou, entre ses deux tresses. La jeune fille cria.

- Tu profites des circonstances!

- Il faut savoir profiter des circonstances, dit Philippe en souriant.

Mais la petite colère indignée de notre amie apaisait un peu sa peur.

 

Ils flottèrent un moment au-dessus des arbres, sous l'appareil. Mais on rappelait le câble. Nos amis entrèrent dans l'hélicoptère. Ils retrouvèrent Jean-Claude et Christine, mais surtout Ennio Calzone et Cipriano, son chauffeur et garde du corps. Il leur tendit la main puis les fit asseoir et attacher leurs ceintures.

Cipriano, qui venait de ranger le câble, saisit un bazooka et mit en joue la voiture de Y. Celui-ci venait de se précipiter dans le véhicule et s'apprêtait à fuir. Cipriano tira sur un ordre de son chef. La voiture explosa et se transforma en une torche de feu. Les flammes montèrent à plusieurs mètres de hauteur.

Alexeï Korbokov et Vladimir sortirent en courant de la villa des fleurs. Ils sautèrent à leur tour dans leur voiture et démarrèrent.

- Prends les commandes et suis-les, commanda Calzone.


L'hélicoptère les poursuivit, survolant leur véhicule qui quittait la ville et roulait sur une route de campagne à présent.

- Pose-nous cent mètres devant eux, sur le chemin, ordonna l'espion. Puis couvre-moi.

Ennio Calzone sortit de l'appareil qui venait d'atterrir et attendit.

Korbokov arrêta la voiture, ouvrit la portière et fit quelques pas vers l'espion.

- Les gendarmes arrivent par tous les côtés. Je les ai vus de là-haut. Nous disposons de très peu de temps. Tu vas être arrêté et fouillé. S'ils trouvent l'enveloppe avec les codes sur toi, ils te mettront en prison, puis accepteront de t'extrader vers les USA. Là-bas, en tant qu'espion, surpris avec un document d'une telle importance, tu seras vite jugé et condamné à la chaise électrique. Choisis plutôt de me remettre cette enveloppe, dont tu ne sais quand même rien faire, puisque tu n'as que la moitié du code, et pars.

Les deux hommes firent trois pas l'un vers l'autre, puis Korbokov, contraint par l'évidence de la situation, posa l'enveloppe sur le sol de la route sans un mot et le regard dur. Il retourna vers sa voiture.

Ennio Calzone saisit le document, remonta dans l'hélicoptère qui s'envola sans tarder avec nos amis à bord, éberlués.

- Je ne vois aucune voiture de police, dit Philippe.

- Moi non plus, répondit l'espion. C'était juste un coup de bluff.

Il déposa nos quatre amis tout près de chez eux, dans un terrain vague sous le regard étonné de quelques passants. L'aventure était presque terminée.

 

Le lendemain, Jean-Claude, Christine, et Philippe se retrouvèrent chez Véronique, avant de partir pour l'école. Ils attendaient, impatients, le facteur, censé leur apporter la lettre contenant le premier document que leur amie, souviens-toi, s'était adressée.

Il arriva juste comme les enfants sortaient. Il tendit l'enveloppe à Véronique.

- Du courrier pour vous, mademoiselle. 

Cartable au dos, les amis s'éloignèrent. Une Lamborghini rouge s'arrêta à leur hauteur. Ennio Calzone ouvrit la fenêtre.

- Bonjour les enfants. Vous n'avez pas eu de cauchemars cette nuit?

- Non monsieur, répondit Véronique, au nom de tous. Et voici le document numéro un.

Elle tendit l'enveloppe à l'espion. Il ouvrit puis sortit de sa poche le second demi-papier. Ce diable d'homme tenait à présent entre ses mains la grille complète de commande de lancement des missiles intercontinentaux atomiques des Etats Unis.

- Je vais revendre cela à mes amis américains, dit-il. Bravo pour votre courage et merci pour votre confiance. Vous sauvez le monde d'une menace épouvantable. Vous méritez ce petit quelque chose.

Il remit une enveloppe à chacun d'eux, puis démarra en trombe dans un crissement de pneus et un rugissement de moteur.

Nos amis ouvrirent leurs enveloppes. Elles contenaient, chacune, un chèque-cadeau de cinq mille dollars, à échanger dans le plus grand magasin de jouets au monde, le FAO Schwartz à New York.

- Génial, dit Christine, mais comment veut-il que nous allions dépenser cet argent aux Etats Unis, nous vivons en Europe!

La Lamborghini rouge fit le tour du bloc de maisons et revint. Elle s'arrêta à leur hauteur.

- Je suis distrait. J'ai oublié de vous remettre vos tickets d'avion et ceux de vos parents pour aller faire vos courses, dit Calzone en ouvrant sa fenêtre. Voici. Tickets parents et enfants, de première classe bien sûr, et chambres de luxe dans un hôtel cinq étoiles dès votre arrivée. Vous le méritez, mes amis. Arrivederci.

L'espion démarra et disparut au bout de la rue.

Retrouve Ennio Calzone et les quatre amis dans une nouvelle aventure "Un mystérieux rendez-vous".