Isabelle
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Isabelle, princesse des iguanes

     Très tôt, ce matin, le soleil venait de paraître à l'horizon. Les brumes étaient encore retenues par les sapins et couvraient la rivière. L'herbe perlait des gouttes de rosée.

Isabelle arriva avec ses sandales de toile et le bas de sa salopette en jean trempés.

Elle s'était éveillée avant ses frères et ses parents. Elle était sortie voir le brouillard. Elle frissonna en entendant un cri de renard. Elle a cinq ans et demi.

Elle parvint au petit pont de bois qui enjambe la rivière et s'arrêta à l'étang. Il semblait mystérieux à cette heure du jour. Elle écouta les coassements des grenouilles. Les libellules dansaient déjà, passant d'un roseau à l'autre. Une araignée retendait sa toile alourdie par les gouttelettes de rosée. Au loin, le chien de la ferme aboya.

Un autre bruit intriguait notre amie. Ce bruit ressemblait à celui que font les bulles quand elles viennent éclater à la surface de l'eau. Cela venait du milieu de l'étang, caché à la vue de la fillette par un rideau de fumée grise.

Elle endendit soudain un fort remous et un énorme lézard parut à la surface de l'eau. Il nagea vers Isabelle. Elle eut peur et recula en l'observant. C'était un iguane. Il sortit de l'eau et s'approcha doucement de notre amie.

Elle recula encore. L'animal avança de trois pas. La fillette allait reculer de nouveau quand l'iguane parla.

- Bonjour Isabelle, princesse des iguanes.

- Je ne suis pas la princesse des iguanes!

- Tiens ! Je me serais trompé? Notre reine m'a dit : une petite fille avec des tresses blondes et une salopette bleu gris et qui s'appelle Isabelle. Ce n'est pas toi?

- Si, dit notre amie.

- Bon. Tu viens avec moi?

- Où ça?

- Sur l'île aux iguanes.

- C'est loin?

- Oh oui, de l'autre côté de la terre.

- Comment pourrais-je aller de l'autre côté de la terre?

- Facile. Reviens ici, ce soir, au bord de l'étang. Tu sauteras dans l'eau, juste dans le rond de la lune qui se reflète à la surface noire et tu atteindras notre île. Je t'attendrai et je te montrerai. Tu viendras?

Isabelle ne répondit ni oui ni non. Elle partit à la maison, très intriguée et un peu inquiète.


Après le repas du soir, elle monta à la salle de bain pour prendre sa douche. Puis elle mit sa robe de nuit blanche avec des petites fleurs bleues. Elle se brossa les dents, et retourna à sa chambre. Papa et maman vinrent l'embrasser puis ils éteignirent la lumière et fermèrent la porte.

Isabelle se leva. Elle alla à la fenêtre grande ouverte sur la nuit étoilée. Elle regarda le jardin. L'iguane l'attendait dans l'herbe. Ses écailles brillaient à la lumière de la lune.

- Alors, tu viens, dit-il.

La fillette hésita encore un instant.

Toi, tu serais allé sur cette l'île avec elle?

La curiosité de notre amie l'emporta sur la peur.

- J'arrive, dit-elle.

Elle ôta sa robe de nuit. Elle passa sa vieille salopette en jean et laça ses tennis bleus. Elle ne trouva pas son t-shirt. Ses parents avaient dû le mettre à la machine à laver. Elle n'osa pas en prendre un autre dans l'armoire. Elle fixa ses bretelles et descendit l'escalier sans bruit. Elle sortit de la maison par la porte du jardin.

Elle suivit l'iguane jusqu'à l'étang. Elle avait encore un peu peur. On entendait les grenouilles et les canards. Un hibou hulula. Isabelle s'arrêta au bord de l'eau.

Elle vit le reflet brillant du disque de la lune sur la surface noire.

- Tu dois sauter juste dans le rond lumineux, et tu arriveras sur mon île.

- C'est loin?

- Oui, de l'autre côté de la terre, je te l'ai dit. Ici, la nuit commence, là-bas, c'est le matin lumineux. Fais comme moi.

L'iguane sauta dans le rond de la lune et disparut.

Toi, tu aurais osé le suivre?

Isabelle sauta à son tour.


Un instant plus tard, elle se retrouva sur l'île aux iguanes, au bord d'une cascade de cent vingt mètres de haut. Le soleil brillait dans le ciel bleu.

Une centaine d'iguanes se tenaient là, au pied de la cascade. Certains jouaient dans l'eau, d'autres se chauffaient au soleil. L'un d'entre eux s'approcha de notre amie.

- Salut, Isabelle, princesse des iguanes. Je suis la reine.

- Je ne suis pas une princesse, répondit notre amie.

- Tu n'es pas Isabelle, la princesse des iguanes?

- Non.

La reine se tourna vers celui qui était allé la chercher.

- Tu t'es trompé. Tu ne nous as pas amené la fillette qu'il fallait.

- Reine, tu m'as dit une petite fille avec des tresses blondes, d'environ cinq ans et demi, avec une salopette bleue, et qui s'appelle Isabelle. C'est elle!

La reine se tourna vers notre amie.

- J'ai besoin de ton aide. Trois ennemis sont venus sur notre île. Le monstre de la forêt, l'horreur des boues, et la terreur des rivières. Ils nous font peur et nous attaquent tout le temps. Tu veux bien nous aider à les tuer tous les trois?

- Je n'oserai jamais, dit Isabelle.

- Si tu essayais? Je vais te donner nos trois armes magiques : la pierre, le miroir et le sel. La pierre est un cristal de roche tellement pur que l'on voit à travers. Si tu regardes ton ennemi à travers ce cristal, il te semblera tout petit. Tu n'auras plus qu'à l'écraser avec ton pied comme si c'était une fourmi.

- Et les deux autres? demanda la fillette.

- Le miroir envoie un rayon de soleil dans les yeux de la bête. Elle sera aveuglée. Mes iguanes, qui t'accompagneront, l'achèveront. Quant au sel, il suffit de le verser sur la terreur des rivières. Elle fondra comme neige au soleil.

Isabelle, curieuse malgré sa peur, accepta. Elle glissa les trois armes dans les poches de sa salopette et se mit en route, accompagnée d'une vingtaine d'iguanes, les gardes de la reine. Elle entra dans la forêt par un étroit sentier qui s'éloignait de la cascade en grimpant.


D'énormes racines couvraient le sol. Elles ressemblaient à des serpents. Les arbres étaient envahis de lianes, grosses comme le bras.

Tout à coup, elle entendit un bruit étrange. Cela faisait : Toc Toc Toc... Toc Toc Toc...

Notre amie s'arrêta sur le sentier et interrogea les iguanes.

- C'est un pic vert, répondit un d'entre eux. Le pic vert ami de la reine. Il t'avertit que le monstre de la forêt nous a vus et qu'il marche vers nous.

Isabelle, effrayée, saisit une liane et, s'en servant comme d'une corde, elle se hissa en haut d'un arbre aussi vite qu'elle put. L'écorce rugueuse de la liane lui écorchait les mains. Notre amie s'assit sur une branche pour reprendre son souffle.

Elle vit alors le monstre de la forêt. Horrible! Ses poils bruns ressemblaient à des racines d'arbres. Ses yeux semblaient deux charbons noirs. Sa bouche et ses lèvres paraissaient deux énormes champignons gris, comme on en voit parfois accrochés à des troncs.

La fillette sortit le cristal de sa poche et regarda à travers en le plaçant contre son œil. Le monstre parut tout petit. Les iguanes le piétinèrent.

- Vive Isabelle, princesse des iguanes! crièrent-ils ensuite. Elle nous a débarrassés du monstre de la forêt.

Elle souriait, très fière.


Elle descendit de l'arbre en se tenant aux lianes. 

Elle crut achever sa descente en glissant le long d'une liane mince, mais elle se détacha de la branche à laquelle elle paraissait pourtant bien accrochée et elle tomba, entraînant notre amie avec elle. Isabelle se retrouva dans une mare de boue. Elle se releva dégoulinante de terre et d'eau. Pour un peu, on aurait pu la confondre, elle, avec l'horreur des boues.

Isabelle se mit debout, au bord des larmes, sous les grands arbres. Sa salopette n'était plus bleue, mais brune, et la vase tiède la lui faisait coller à la peau. Le soleil perçait à peine les hautes frondaisons. 

Notre amie fit un pas en avant. Sa sandale de toile droite resta au fond de la boue. Isabelle dut y glisser ses mains et ses bras pour la reprendre. Elle tomba assise en la remettant à son pied. Tout était brun-noir, gluant, collant.

Juste à ce moment, elle entendit une sorte d'affreux clapotis derrière elle. Deux yeux noirs énormes sortirent du marais. Une bouche affreuse, verte, dépourvue de dents, s'ouvrit.

Notre courageuse aventurière saisit le miroir dans sa poche, et l'orientant avec le soleil, envoya un rayon lumineux dans les yeux de l'horreur des boues. La bête aveuglée tenta de fuir, mais les iguanes profitèrent de la situation et bondirent dessus. L'horreur des boues flotta bientôt inerte dans la vase.

- Vive Isabelle, princesse des iguanes! Elle nous a débarrassés de notre deuxième ennemi.


Notre amie descendit une pente raide pour aller se laver à la rivière proche. Deux fois encore elle trébucha dans la boue. La deuxième fois elle se laissa même glisser sur un plan incliné, comme sur un toboggan, sur plusieurs mètres.

Enfin, elle parvint à la rivière. Elle y entra avec plaisir. Elle plongea dans l'eau claire avec sa salopette. Elle s'assit ensuite sous une cascade et laissa tomber sur elle le torrent d'eau qui bondissait entre les pierres.

Puis elle se hissa sur un rocher et s'étendit au soleil pour sécher. Les iguanes regardaient, étonnés, les jeux de leur princesse.

- La terreur des rivières! la terreur des rivières! derrière toi, crièrent ses amis animaux tout à coup.

Isabelle se redressa et se mit aussitôt à quatre pattes. Une sorte d'horrible méduse, couverte d'algues et d'arêtes de poissons morts, s'approchait. Elle envoyait de longs tentacules bleus-verts, comme pourris, dans toutes les directions sous l'eau et hors de l'eau.

Notre amie se leva, saisit le sac de sel que la reine des iguanes lui avait confié et l'ouvrit, bien décidée à se défendre.

La terreur des rivières, horrible comme un cauchemar, s'approcha. Isabelle lui versa le sel sur le dos. Le monstre se tordit en convulsions grotesques, dégageant une puanteur affreuse. La fillette versa du sel, jusqu'à ce que la bête ait entièrement fondu.

- Vive Isabelle princesse des iguanes! Elle nous a débarrassés des trois monstres. Viens, on te reconduit chez notre reine.

Elle accompagna les iguanes à la grande cascade.

- Tu as délivré mon peuple des bêtes affreuses qui le tourmentaient, Isabelle. Ton courage restera à jamais écrit en lettres de feu dans le souvenir de chacun de nous. Tu m'as dit n'être pas princesse. Je te nomme princesse des iguanes.

- Merci, dit notre amie en souriant.

- Nous te disons merci, reprit la reine. Il pousse des fleurs géantes sur notre île. En voici une.

C'était une fleur jaune de la taille d'Isabelle. Chaque pétale était grand comme la main de notre amie et ces pétales s'emboîtaient sur une hauteur de près d'un mètre le long d'une ferme tige verte.

- Nous appellerons, à l'avenir, cette fleur princesse Isabelle, en souvenir de toi. Emporte celle-ci avec toi.

- Merci fit notre amie. Moi aussi, je ne t'oublierai jamais, reine des iguanes. Mais je voudrais retourner chez mes parents. Comment faut-il faire?

- Rien de plus facile. Tu es venue en sautant dans le reflet rond de la lune d'un étang. Saute dans le reflet rond du soleil, qui miroite à la surface du bassin au pied de la cascade. Ici maintenant c'est le soir. Là-bas, quand tu arriveras chez toi, ce sera le matin.

- Adieu, reine des iguanes.

- Adieu, Isabelle, princesses des iguanes. Et si tu veux revenir chez nous, tu seras toujours la bienvenue.

La fillette monta sur un rocher plat au pied de la cascade. Elle regarda le beau ciel bleu, la jungle luxuriante, la merveilleuse cascade, les centaines d'iguanes. Elle serra sa fleur. Puis elle sauta dans le rond du reflet de soleil. Elle sortit trempée encore de l'eau de l'étang.


Le soleil se levait. Elle courut à la maison.

Papa et maman préparaient le café dans la cuisine. Isabelle frappa à la porte.

- Tu es toute mouillée, ma chérie! fit papa. Tu es allée te baigner à la rivière de grand matin?

- Je suis la princesse des iguanes. Je reviens de leur île merveilleuse. Je me suis battue contre trois monstres.

- Quel beau rêve! dit maman.

- Ce n'est pas un rêve, affirma Isabelle. Tiens maman, je t'offre cette fleur, qui ne pousse que sur l'île aux iguanes. Elle s'appelle comme moi, princesse Isabelle.