Isabelle
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La Perle

     Quand Isabelle arriva près du petit pont de bois, elle aperçut un vieil homme qui s'appuyait contre la balustrade. Il avait l'air de pleurer et se penchait en regardant le courant et les poissons. Elle s'arrêta, étonnée.

- Bonjour monsieur, dit-elle.

- Bonjour petite fille. Comment t'appelles-tu?

- Isabelle, monsieur. Pourquoi pleurez-vous?

Elle avait dit cela d'une petite voix timide.

Isabelle a cinq ans et demi, deux longues tresses blondes, un visage rayonnant. Elle habite avec ses trois grands frères et ses parents au village de Méanjoie. Elle va souvent se promener jusqu'à ce petit pont de bois, à l'orée de la forêt.

 

- Je pleure parce que j'ai perdu ma perle, répondit le vieil homme. Je l'avais en poche. Je me suis penché, et elle est tombée dans l'eau de la rivière. J'ai beau regarder, je ne la vois plus...

- Voulez-vous que j'aille la chercher en dessous du pont? proposa notre amie.

- Tu ferais cela pour moi? Comme tu es gentille!

 

Isabelle descendit dans l'herbe haute vers la rivière. Elle évita quelques ronciers et passa dans les roseaux. Elle s'assit sur une pierre plate pour ôter ses tennis bleus, puis elle entra pieds nus dans l'eau fraîche. Elle avait retroussé le bas de sa salopette bleue, mais elle la mouilla quand même: l'eau lui venait jusqu'au-dessus des genoux.

Elle regarda partout mais ne vit pas la perle. Elle avait dû être emportée par le courant. Isabelle sortit de la rivière et revint près du vieil homme.

 

- Je ne la vois nulle part, monsieur. Vous ne pouvez pas aller en acheter une autre?

- Hélas non. Ce n'est pas une perle qu'on trouve dans un magasin. Ce n'est pas une de ces perles précieuses, produites par des huîtres, et dont on fabrique des bagues ou des colliers de grand prix. Ma perle poussait sur un arbre, dans un jardin fleuri.

- Vous ne pouvez pas retourner dans ce jardin pour en cueillir une autre? demanda la fillette.

- Malheureusement non. Seuls les enfants peuvent entrer dans ce jardin, et encore, seulement les petits.

 

Isabelle se tut un instant.

- Moi je suis encore petite, dit-elle soudain. Voulez-vous que j'aille vous en chercher une?

- Tu veux bien?

- Oui, si ce n'est pas trop loin d'ici.

- Je vais t'expliquer comment t'y rendre, dit le vieil homme. Écoute-moi bien. Tu commences par suivre cette route en terre qui entre dans le bois.

- Là je ne peux pas aller, interrompit Isabelle. Mes parents ne veulent pas que je m'éloigne toute seule dans la forêt.

- Tu ne dois pas aller loin, petite fille. Tu avances seulement jusqu'à ce gros arbre que tu aperçois là, au bord du chemin.

- Bon.

- Tu frappes sur le tronc avec ton poing fermé. Comme ceci: trois coups, deux coups, un coup. Tu te souviendras?

- Oui, dit notre amie.

- Un écureuil descendra aussitôt de l'arbre. Il te regardera un instant en inclinant la tête, puis il te fera un signe, avec sa patte, comme pour te dire: attends cinq minutes. Ensuite il disparaîtra dans le bois. Il reviendra accompagné d'un petit faon. Tous deux t'inviteront alors à les suivre. Ils te conduiront au jardin et tu ne seras donc pas seule pour y aller.

- D'accord.

- Tu arriveras devant un vieux mur de briques. Tu y apercevras une porte rouge. Ouvre-la. Tu verras un serpent gris. Il est long, mais n'aie pas peur. Il te parlera, avec une drôle de voix sifflante, mais il ne te fera aucun mal. Tu entreras dans ce jardin extraordinaire, couvert de fleurs splendides de toutes les couleurs. Tu marcheras vers un grand arbre. Celui où poussent les perles, comme celle que j'ai perdue. Les perles du bonheur.

- J'y vais, dit Isabelle.

- Fais attention. Si tu te glisses derrière l'arbre, tu risques fort de te trouver dans son ombre. Or si tu passes dans cette ombre et que tu te retournes, tu verras une tour. Ne t'en approche pas. Et surtout, ne regarde pas la meurtrière.

- La meurtrière? demanda la fillette.

- Oui. C’est une fenêtre très étroite par laquelle on tirait des flèches sur les ennemis autrefois.

- D’accord. Pourquoi je ne dois pas regarder la meurtrière?

L'homme ne répondit pas.

 

Notre amie était bien décidée à tenter l'aventure. Elle quitta le petit pont de bois et marcha doucement vers le gros arbre. Parvenue tout près, elle ferma son poing.

Te rappelles-tu comment il faut frapper sur le tronc pour faire venir l'écureuil?

Trois, deux, un. Bravo!

Le petit écureuil regarda Isabelle en inclinant la tête, puis il fit un signe avec sa patte droite pour lui demander de rester là et de l'attendre. Ensuite il se sauva.

Notre amie patienta cinq bonnes minutes. Le petit animal brun revint en compagnie d'un faon. Tous deux invitèrent Isabelle à les suivre.

Elle s'enfonça dans la forêt.

Ce n'était pas facile de courir derrière eux. L'écureuil sautait de branche en branche et le faon bondissait au-dessus des plantes à picots et des branches mortes. Isabelle dut plusieurs fois contourner un massif d'orties, traverser une mare de boue, et même passer dans l'eau d'un ruisseau. Mais elle suivait les deux animaux avec courage.

 

Elle aperçut bientôt un grand mur de briques rouges, assez vieux. On y voyait des lézardes, et ici et là, une brique manquait. Des herbes et de la mousse poussaient au-dessus.

Isabelle trouva la porte rouge un peu plus loin, sur sa gauche.

Elle ouvrit et entra dans un merveilleux jardin où poussaient de grandes fleurs aux pétales de toutes les couleurs. Un long serpent gris vint aussitôt vers elle en rampant. Isabelle s'arrêta. Elle avait peur.

- Que fais-tu là? demanda le serpent.

- Je viens chercher une perle, pour un vieux monsieur qui a perdu la sienne et qui est triste.

- Quel âge as-tu?

- J'ai cinq ans et demi.

- Si tu as cinq ans et demi, tu peux passer, dit le serpent.

 

Elle traversa le jardin aux fleurs magnifiques. Les pétales roses, oranges, bleus, noirs, violets, rouges, mauves, jaunes, blancs semblaient se pencher vers elle à son passage. Une légère brise apportait des senteurs délicieuses. C'était presque féerique. Un vrai paradis.

Notre amie s'arrêta au pied de l'arbre immense qu'elle avait aperçu en entrant dans le jardin. Elle vit deux perles sur l'une des branches les plus hautes.

Isabelle contourna l'arbre, car elle ne sait pas grimper si haut. Elle en vit alors trois autres un peu plus bas, mais toujours hors de portée pour elle.

Quatre perles encore pendaient assez bas à l'arrière de l'arbre. La fillette se mit sur la pointe des pieds et en cueillit une. Elle la glissa dans la poche de sa salopette bleue.

 

Levant les yeux, elle remarqua qu'elle se trouvait à l'ombre de l'arbre!

Oubliant le conseil du vieux monsieur, elle se retourna et découvrit une tour grise assez haute. Deux meurtrières découpaient le mur de la façade.

Isabelle s'en approcha sans faire de bruit.

 

Toi qui écoutes, aurais-tu aussi regardé par la fenêtre pour voir ce qui se cachait dans la tour?

 

Isabelle, petite fille très curieuse, s'approcha de la meurtrière, pencha la tête... et vit un trésor!

Là, à terre, dans une grande salle aux murs blancs, se trouvait un tas de pièces en or. Elle aperçut aussi des diamants, des pierres précieuses de toutes sortes de couleurs, des colliers de perles de grande valeur, des couronnes de rois et de reines, des bracelets magnifiques.

- Entre dans la tour. Viens choisir une jolie pierre pour l'offrir à ta maman...

Qui avait dit cela?

Notre amie ne vit personne, mais une porte venait de s'ouvrir, permettant ainsi d'entrer dans la tour.

Isabelle marcha droit vers l'incroyable trésor.

Elle choisit une pierre rouge, un rubis sans doute, et le glissa dans la poche de sa salopette bleue, à côté de la perle qu'elle venait de cueillir pour le monsieur.

Au même instant, la porte d'entrée claqua.

Là voila enfermée dans la tour!

Isabelle courut vers la lourde porte et la frappa avec ses poings, mais elle ne réussit pas à ouvrir. Elle appela, elle cria, personne ne répondit.

Elle se tourna à nouveau et remarqua un trône en or, placé au fond de la pièce. Le serpent qu'elle avait vu à l'entrée du jardin — ou bien était-ce un autre — se trouvait là, enroulé sur lui-même. Il redressa la tête et ouvrit les yeux.

- Que fais-tu là, petite fille?

Isabelle, qui avait très peur, ne répondit pas.

- Qui t'a permis d'entrer dans ma tour? interrogea le serpent.

- Tu m'as dit de venir choisir une jolie pierre pour offrir à ma maman...

- Bien. Et maintenant tu veux sortir pour retourner chez toi, je suppose.

- Oui.

- Je vais te poser une question, disons une énigme, dit le serpent. Si tu trouves la réponse, je te laisserai sortir. Sinon, tu resteras prisonnière, ici.

Notre amie se taisait. Elle écouta l'énigme du serpent en séchant une larme.

- Le frère est blanc, sa sœur est noire. Tous les matins, le frère chasse sa sœur ; tous les soirs la sœur revient et chasse son frère. Je te donne deux minutes pour me dire de qui ou de quoi on parle.


Isabelle avait beau chercher dans sa tête, elle ne trouvait pas la réponse.

Et toi? Réfléchis. Tu as trouvé? Bravo!

Tout à coup, elle songea au jour et à la nuit. Le frère blanc, comme le jour. Sa sœur noire, comme la nuit. Le matin, le jour chasse sa sœur, la nuit. Et le soir, la nuit revient et chasse le jour, son frère.

- Je sais! cria notre amie. Le jour et la nuit.

- Bravo! dit le serpent. La porte s'ouvre. Tu peux sortir de la tour. Mais avant cela, ramasse un coquillage sur la vieille table près de toi, et écris-y le plus beau mot que tu connaisses. Tu me montreras ce que tu auras écrit, en sortant du jardin à la porte rouge. Je t'y attendrai.

Isabelle saisit un grand coquillage blanc. Elle l'ouvrit en écartant les deux valves, et écrivit un mot avec de la craie rouge qui traînait par terre.

Et toi, qu'aurais-tu écrit? Tu connais des beaux mots? Peux-tu me les dire?

 

Notre amie retraversa le merveilleux jardin. Les fleurs, de nouveau, semblaient se pencher vers elle sur son passage et la parfumaient de leurs senteurs.

Elle arriva près de la porte rouge. Le grand serpent gris l'attendait.

- Qu'as-tu écrit dans le coquillage?

- J'y ai écrit maman et papa. Les plus beaux mots du monde. Ça veut souvent dire je t'aime, merci, cadeau, douceur, pardon...

- Tu peux passer, dit le serpent.

 

Isabelle ouvrit la porte rouge et sortit du jardin. Le faon et l'écureuil l'attendaient. Ils conduisirent notre amie à travers la forêt, jusqu'au petit pont de bois où le vieux monsieur patientait.

- Voici votre perle, dit-elle. 

Elle la sortit de sa poche et la fit rouler au creux de la main du vieil homme.

Il regarda la perle en souriant. 

- Possèdes-tu une telle perle? demanda le monsieur.

- Je ne sais pas, répondit notre amie. Je ne crois pas. On ne m'en a jamais parlé...

- On dit que les bébés, en naissant, gardent leurs poings fermés, car ils y tiennent la perle du bonheur. Parce que tous les enfants ont droit au bonheur. Mais parfois, hélas, leurs parents égarent ou ne retrouvent plus cette perle... Ou bien, en grandissant, certains enfants la perdent... Tiens, je te donne la mienne.

- Mais...

- Je suis un vieil homme. J'ai vécu très heureux toutes mes années. Toi, petite fille, tu as toute la vie devant toi. Prends la perle du bonheur. Ne la perds jamais. N'oublie pas: seuls les petits enfants ont accès à ce jardin merveilleux où elle pousse.

 

Isabelle remercia le vieil homme, puis elle retourna chez elle.

Elle offrit à sa maman la pierre rouge prise dans la tour. Celle-ci en fit un joli pendentif.

Notre amie garde encore et toujours avec soin l'autre perle, la perle du bonheur.