Isabelle
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La Pince à linge

     Isabelle, énergique petite fille de cinq ans et demi, revenait de l'école. Ses longs cheveux blonds, coiffés en deux tresses par ses parents, dansaient au rythme de ses pas. Elle courait ici et là, vêtue d'une salopette bleue, d'un t-shirt blanc et de baskets. 

Elle pensa soudain à ses trois grands frères. Bertrand, 19 ans, un étudiant. Il adore sa petite sœur. Benoît, 13 ans. Jamais le temps de jouer avec notre amie, à cause des heures qu'il passe sur sa console de jeux. Et, enfin, le poison de la famille, comme dit la fillette, Benjamin, sept ans et demi. Il partage la même chambre qu'elle. Lui, il dort au-dessus sur le lit superposé et elle en-dessous. Ils se disputent souvent. Malgré cela, ils s'aiment bien.

Ce jour-là, elle revenait seule à pied à la maison. Elle se demandait lequel de ses trois grands frères avait oublié de venir la chercher. Elle marcha trois cents mètres sur le trottoir de l'école, puis elle tourna au coin. Il restait alors encore deux cents mètres à parcourir avant d'arriver chez elle.

 

Elle aperçut une pince à linge rouge sur le trottoir.

-Ça alors! dit-elle.

Et personne en vue. Notre amie se baissa et la ramassa. Elle l'accrocha à la poche de sa salopette et parvint ainsi à la maison. Maman, qui travaille à la maison, elle traduit des livres, lui ouvrit la porte.

-Bonjour ma chérie. Qu'as-tu ramassé là ?

-Une pince à linge, maman.

-On n'a pas de pinces à linge à la maison?

-Si, mais celle-ci est plus belle.

-Que vas-tu faire avec ça?

-Je ne sais pas encore, mais je vais y réfléchir. 

 

Après avoir mangé une banane pour le goûter, elle monta à sa chambre. Elle regarda autour d'elle.

-Que faire avec cette pince à linge? Oh oui! voilà une bonne idée!

Elle imagina de tendre une corde entre les deux montants du lit superposé. Elle pourrait accrocher des dessins à sa pince. Ainsi, depuis son lit, le soir, elle les regarderait en s'endormant.

Elle découpa soigneusement un long morceau de ficelle, et tenta de l'accrocher au premier montant du lit. Malheureusement, elle ne savait pas encore bien faire des nœuds. Cela ne tenait pas.

 

Benjamin entra juste à ce moment dans la chambre. Isabelle lui demanda s'il pouvait accrocher la ficelle aux deux barreaux. Le garçon fit un premier nœud, tendit la corde et s'apprêta à nouer le second. Il se retourna et regarda sa petite sœur.

-Que me donnes-tu si je termine les deux nœuds?

Isabelle le fixa un instant. Malicieuse, elle répondit:

-Un gros bisou.

-Cela ne m'intéresse pas, affirma Benjamin.

-Bon. En ce cas, je veux bien te donner deux bonbons.

-D'accord, répondit son frère. Deux bonbons par nœud, cela fait quatre bonbons en tout.

-Tu es vraiment très gourmand, rechigna Isabelle.

Benjamin acheva le second nœud. Les quatre bonbons changèrent de poche et Isabelle s'assit à sa table pour dessiner.

Lorsque son frère revient de l'école, elle ne peut pas rester dans la chambre, sauf si elle demeure bien tranquille et silencieuse, car il est en deuxième année. Il doit étudier ses leçons, faire ses devoirs.

Elle prit un bloc de dessin, ses crayons, et dessina une très belle fleur, une rose. Quand elle eut fini, elle détacha la feuille et l'accrocha à la pince à linge rouge sur la ficelle tendue, au niveau de son lit, puis elle sortit jouer au jardin.


Un peu plus tard dans l'après-midi, elle remonta à sa chambre. Elle fut bien étonnée de constater que son dessin avait disparu. Elle regarda par terre, en-dessous du lit, en-dessous de l'armoire. Rien.

-Benjamin, tu as touché à mon dessin?

-Non, répliqua le garçon, je suis occupé à faire mon devoir de calcul.

Isabelle chercha encore. Soudain, sur son lit, elle vit une très belle fleur, une véritable rose rouge, avec sa tige, ses feuilles et ses pétales.

-Tu as posé une fleur sur mon oreiller, Benjamin?

-Mais non et laisse-moi tranquille.

 

À ce moment-là, maman appela Isabelle et lui demanda de descendre.

-J'arrive dans un instant.

Isabelle murmura :

-Que pourrais-je vite dessiner?

-Une auto de course, suggéra Benjamin.

-Tais-toi et étudie tes calculs, sinon tu auras encore un zéro comme l'autre jour.

Isabelle reprit ses crayons et dessina une voiture, un bolide italien rouge. Elle l'attacha à sa pince à linge. Elle prit la rose et descendit près de sa mère. Elle la lui offrit. Maman la trouva tellement jolie qu'elle la plaça dans un vase, au milieu du salon.

-Tu vas m'aider à dresser la table, Isabelle, puis tu iras te laver les mains et tu appelleras tes grands frères.


Sitôt la table mise, notre amie remonta l'escalier. Elle passa à la salle de bains, se lava les mains et appela ses frères. Elle entra dans sa chambre. Le dessin de l'auto n'y était plus. Sur son lit, par contre, elle découvrit une formidable voiture de course rouge. Elle l'offrit à son frère.

-Merci beaucoup, s'exclama Benjamin. Tu es vraiment très gentille. Je n'en ai pas d'aussi belles. Tiens, je te rends tes bonbons.

-Non, merci, murmura Isabelle. Je ne les veux plus. J'en ai choisi quatre que je n'aime de toutes façons pas.

Le garçon toisa sa sœur, comprenant qu'il s'était fait avoir... comme souvent.

Et Isabelle comprit à cet instant que la pince à linge était magique.

Elle imagina de dessiner une poupée qui lui ressemblerait, avec de longs cheveux blonds, une salopette bleue et des baskets. Elle accrocha le dessin à la pince à linge rouge et descendit pour le repas.

Ensuite elle se précipita dans sa chambre.

Le dessin avait disparu mais sur son oreiller, elle trouva une poupée aux longs cheveux blonds et à la salopette bleue.


Isabelle en était certaine maintenant, elle tenait une pince à linge magique. Que lui demander encore? Notre amie avait très envie, et depuis longtemps, d'avoir un chat, mais papa et maman n'en voulaient pas.

Alors, elle risqua de dessiner un chat.

Elle voulait un petit chaton. Hélas, celui qu'elle avait fait ressemblait à un vieux chat malade. Elle déchira la feuille et se rendit par le couloir à la chambre des grands frères. Elle s'approcha de Benoît qui, comme d'habitude, était penché sur son ordinateur.

-Benoît, tu veux bien me montrer un chat sur ton écran?

-Oh oui, répondit le grand frère. Attends. Voilà! Un éléphant! Tu le veux?

-Non, je préfère un chat. Un éléphant, c'est trop grand.

-Un lion.

-Non. Il va me dévorer. Je veux un chat.

-Voilà, un beau chat tout blanc, fit Benoît.

-Je préférerais un noir, dit Isabelle.

-Un chat noir, on te fait cela. Clic. Le voilà. Il te plaît?

-Beaucoup! Il est très bien. Je peux l'avoir?

Benoît sélectionna la fonction "imprimer", et le dessin sortit sur une feuille de papier.

-S'il te plaît, petite sœur.

-Merci, dit la fillette.

Elle embrassa son grand frère et retourna dans sa chambre.

 

Elle accrocha la feuille à la pince à linge et partit à la salle de bains pour prendre sa douche.

Quand elle revint pieds nus et dans sa robe de nuit blanche à petites fleurs bleues, elle vit la feuille toujours accrochée à la pince à linge. La magie n'avait pas fonctionné.

Peut-être parce que je n'ai pas dessiné le chat moi-même, se dit-elle en murmurant.

Elle décrocha la feuille et la recopia à la main sur du papier calque. Puis, elle accrocha son dessin à la pince à linge et sortit de la chambre. Elle laissa la porte entrouverte, pour observer ce qui allait se passer.

Isabelle est très curieuse.

Pendant quelques minutes, il ne se produisit rien du tout. Puis soudain, la porte claqua. Elle faillit l'attraper sur le nez.

Quand elle la rouvrit, le dessin avait disparu, mais sur son lit, se trouvait un adorable chaton, un vrai, bien vivant.


Isabelle le prit dans ses bras, le caressa et puis, vite, elle se mit au lit car sa mère montait l'embrasser.

Elle n'osa pas lui en parler. Aussi, elle cacha le petit animal en-dessous des couvertures et lui fit signe, le doigt sur la bouche, de ne pas miauler.

Maman entra dans la chambre, secoua la salopette d'Isabelle et la rangea sur la chaise pour demain, puis elle se tourna vers sa fillette, se pencha et l'embrassa.

-Miaou...

-Oh! s'exclama maman. Je n'ai plus de petite fille là, dans ce lit, mais un chat. Bonne nuit. Fais de beaux rêves petit chat. Je t'envoie papa.

Elle sortit de la chambre.

-Tais-toi petit chat, chuchota Isabelle. Ne fais pas de bruit. Ne miaule plus.

Papa entra dans la chambre à son tour.

-Bonne nuit ma chérie. Je te fais un gros bisou.

Il embrassa sa fille adorée.

-Miaou...

-Mais ma parole! s'écria papa, j'embrasse un petit chat. Au revoir mon chaton.

-Au revoir, papa, sourit Isabelle.

Il sortit de la chambre. Il referma la porte derrière lui.

Ouf! Les parents n'avaient pas remarqué qu'elle avait un véritable chat près d'elle.


Elle le caressa, elle l'embrassa, elle le regarda.

Le temps passait. Benjamin entra à son tour. Il était déjà en pyjama.

Parce que Benjamin a sept ans et demi, il peut aller dormir un peu plus tard que sa petite sœur.

Il monta à l'échelle et se coucha.

-Miaou ...Miaou...Miaou...

-Isabelle, arrête!

-Miaou... Miaou...Miaou...

-Isabelle, je t'ai demandé de te taire.

-Miaou...

Notre amie fit des grands signes à son petit chat, mais il ne voulait pas cesser de miauler.

-Isabelle, si tu miaules encore j'appelle papa et maman.

Un instant plus tard, il entendit un "Miaou" retentissant.

Benjamin se leva, descendit par l'échelle du lit, ouvrit la porte de la chambre et appela:

-Papa, maman! Isabelle n'arrête pas de miauler. Je ne peux pas dormir. Elle est ennuyeuse.

Ils entendirent alors la voix de papa, un peu forte, qui criait :

-Isabelle cela suffit le petit chat, maintenant dodo.

Benjamin remonta dans son lit.

 

Notre amie s'aperçut que, profitant de ce que la porte était entrouverte, son petit chat venait de sortir de la chambre. Elle se leva, alla dans le couloir et referma derrière elle.

Il n'était déjà plus là, il descendait l'escalier, vers le hall d'entrée. Elle le suivit. Il fallait absolument le récupérer avant que papa ou maman le découvre.

Le chat traversa le hall, se dirigea vers la cuisine, et s'arrêta devant le frigo.

Isabelle se dit que, peut-être, il miaulait parce qu'il avait faim.

Elle ouvrit la porte d'une armoire, sortit un bol, ouvrit le frigo, versa du lait et remit la bouteille à sa place. Elle referma le frigo. Elle posa le bol par terre. Le petit chat en but la moitié.

 

À ce moment-là, elle entendit maman passer la porte du salon et se diriger vers la cuisine.

Rapidement, la fillette saisit son chat et le plaça dans l'évier, qui était vide. Elle le recouvrit avec une serviette à vaisselle. 

-Isabelle, que fais-tu là?

-J'avais soif. Je suis venue boire un petit peu.

-Pourquoi ne bois-tu pas à la salle de bains?

-Je suis venue boire du lait.

-Et pourquoi poses-tu le bol par terre? Tu bois à quatre pattes comme les chats maintenant?

Notre amie ne répondit pas. Elle rougit.

-Allez, termine ton lait.

-Je n'ai plus soif, répondit la fillette. Je vais le verser dans l'évier.

Elle n'avait pas du tout envie de boire dans le bol du chat. Maman fit de grands yeux.

-Isabelle, dans le monde, il y a des enfants qui ont ton âge et qui ont faim. Ils n'ont pas assez à manger, ils n'ont pas assez de lait. Chez nous, on ne jette jamais de lait dans l'évier. Quand on s'est servi, on le boit.

Alors, fixant sa mère, et pour ne pas lui avouer qu'elle avait un chat, elle prit le bol et le vida entièrement.

-Très bien, dit maman. Maintenant tu peux retourner au lit.

 

Elle remonta l'escalier et sa mère se rendit au salon.

Dès qu'elle ferma la porte, Isabelle redescendit l'escalier, reprit son chat dans ses bras, et remonta dans sa chambre.

Benjamin dormait.

Elle se mit au lit. Elle caressa le chaton, l'embrassa et s'endormit à son tour.


Au matin, quand elle ouvrit les yeux, le petit chat était toujours là. Il n'avait pas bougé. Il était devenu un doudou!

Isabelle l'a toujours gardé en souvenir.

 

Et la pince à linge, me diras-tu? Eh bien, la pince à linge a disparu. Isabelle ne l'a jamais retrouvée.

Peut-être qu'un jour, en te promenant, tu en verras une, toi aussi. Qui sait? Profites-en déjà pour rêver à ce que tu dessineras.