Joël & Plume Bleue
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Le Train

     Joël, onze ans, et sa sœur Patricia, neuf ans, vivent à St-Georges depuis quelques mois. Leurs parents ont acheté une grande maison tout en bois et ouvert un magasin, un General Store comme on les appelle là-bas, en vendant les pierres précieuses trouvées au pied de la Druid Arch. Ils réussirent à les conserver grâce à Plume Bleue, l'amie de Joël.

La petite Samantha, six ans, et le bébé Alice habitent dans la même maison avec leurs parents. Cette autre famille, grands amis depuis toujours et plus encore depuis leur départ de New York, parcoururent avec celle de Joël les immenses étendues qui les menèrent dans l'Ouest. Le garçon considère Samantha et Alice comme des petites sœurs.

Tout cela, toi qui me lis, tu le sais si tu as parcouru les épisodes qui précèdent : N°1 à 5.


Joël, Patricia et Samantha vont régulièrement à l'école de la petite ville. Ils peuvent enfin mener une vie normale d'enfants. Mais les aventures et leurs épreuves vécues dans l'Ouest les ont fortifiés et ont forgé leur caractère.

Le revolver reçu de Bill Alone attend rangé dans un tiroir. Le garçon le garde à portée de main. On ne sait jamais … Par contre, leurs souffrances passées leur font prendre la mesure du bonheur de leur vie simple, en famille, auprès de leurs parents.

À deux jours à pied de là, se trouvent les territoires des Anasazis. Joël et Patricia s'y rendent souvent pour revoir Plume Bleue et ses frères. Leur amitié demeure très solide.


Le jour où commence cette rude aventure, Plume Bleue était assise près de sa maman à l'ombre de leur tipi. Son frère de neuf ans, Bâton Rouge, gardait les moutons, avec Étoile d'Argent, six ans. Le bébé, Coyote Courageux, dormait à l'ombre sur une natte.

À cette époque-là, les enfants indiens n'allaient pas à l'école. Ils aidaient les parents aux travaux des champs, à la pêche, à la chasse, ou en gardant les troupeaux.

Plume Bleue cousait distraitement une nouvelle robe. Sa mère la guidait de ses conseils.

-Applique-toi, Plume Bleue. Tu connais l’importance que nous donnons à notre culture.

-La couture m'ennuie, maman. Je préférerais mettre des jeans comme Patricia et partir sur les sentiers avec Joël.

-Il n'y a pas que les grandes aventures, Plume Bleue. Tu es une fille. Il faut aussi apprendre à tenir une maison, à coudre et à transmettre les valeurs esthétiques de notre peuplade.

Tout à coup, Plume Bleue aperçut le sachem. Il s'approcha et s'arrêta à sa hauteur.

-J'ai besoin de toi.

La fillette fit un grand sourire, déposa la robe et l'aiguille sur les genoux de sa mère, se leva et suivit le maître de la peuplade. La maman esquissa un sourire, mais, en même temps, elle soupira, inquiète.

Le sachem demandait un service à Plume Bleue, car comme Joël et Patricia, elle est devenue guerrière malgré son jeune âge, pas encore douze ans. Mais comme pour ses amis, la vie posa des barrières sur son chemin. Ils durent franchir des rudes étapes, réservées bien souvent aux aînés. Ils sauvèrent la peuplade à plusieurs reprises. Mais quelles terribles épreuves pour ces héroïques enfants … 

-Voilà ta mission, expliqua le sachem. Tu vois cet homme là-bas, près de la rivière?

-Oui. Que fait-il là ?

-Tu vas le guider dans notre vallée. Tu le conduiras partout où il te demandera d'aller.

-Je croyais que personne ne pouvait visiter notre canyon, s'étonna Plume Bleue.

-Tu as raison. Mais cet homme doit parcourir nos terres. Tu l'accompagneras donc là où il te demandera, répéta le sachem, mais en même temps, tu ne le quitteras pas des yeux et ce soir, tu raconteras au conseil des guerriers et des Anciens en détail chaque endroit où vous serez allés. J'ai dit.

-Promis, répondit Plume Bleue. Sachem, tu peux compter sur moi.


La fillette s'approcha de l'homme blanc. Il portait un sac à l'épaule. Il lui fit un petit sourire et ils parcoururent longuement les sentiers et les pistes de la vallée de Chelly. De temps en temps, il sortait un cahier et, assis par terre, il dessinait des croquis. Ensuite, il se levait et demandait qu'on le conduise ailleurs.

À midi, l'homme s'arrêta, ouvrit son sac, en sortit du pain et un saucisson et il mangea. Plume Bleue avait faim. Mais elle avait oublié d'emporter un casse-croûte. Elle attendit, assise un peu plus loin. Elle n'avait rien à manger et ne voulait surtout rien lui demander. Ils n'échangèrent pas un seul mot.

L'homme l'observa une fois ou deux, d'une manière distraite, puis il rangea le reste de sa nourriture, se leva et demanda à visiter encore d'autres lieux dans la vallée.

Vers quatre heures de l'après-midi, le gros de la chaleur étant parti, ils s'arrêtèrent au bord d'un ruisseau. Plume Bleue s'y pencha afin de boire un peu d'eau. Lui s'assit de nouveau, ressortit des provisions, et mangea encore un morceau de pain puis mordit dans son saucisson. Notre amie avait très faim maintenant.

 

Il lui adressa la parole pour la première fois.

-Tu ne manges pas, toi?

-Je n'ai rien à manger, répondit Plume Bleue.

-Tu pouvais me le dire, je t'aurais laissée retourner près de tes parents.

-Je ne dois pas vous quitter, affirma la fillette.

-Ah bon! Alors, si je comprends bien, je suis ton prisonnier.

-Vous n'êtes pas mon prisonnier, mais je dois vous accompagner partout où vous allez et puis le dire au sachem.

-Quel âge as-tu?

-Onze ans. Et je suis guerrière Anasazi, répondit Plume Bleue, fièrement.

-Tu me sembles bien jeune pour cela, répondit l'homme. Tu as faim?

Notre amie baissa les yeux et fit signe que oui.

-Si tu m'avais demandé quelque chose à manger, je te l'aurais donné.

-Je ne suis pas une mendiante, répondit l'intrépide fillette en se redressant fièrement.

-Allez approche, petite fille. Voici un bout de pain et un morceau de saucisson. Prends ce qui me reste.

Plume Bleue mangea de grand appétit en observant l'individu qui se trouvait en face d'elle.

-Que faites-vous dans la vallée? demanda notre amie.

-Ça t'intéresse? Je vais te montrer.

Il ouvrit son sac et en sortit son carnet de dessin.

-Tu vois, j'ai noté les inclinaisons du terrain, les difficultés que l'on va rencontrer, les rochers les plus encombrants. Je cherche la meilleure solution pour traverser la vallée.

-Pour la traverser comment? s'étonna Plume Bleue.

-Avec le train. Je suis ingénieur. Tu sais ce que cela veut dire?

La fillette ne répondit pas.

-Ça signifie que je prépare le passage du train. Le chantier arrive près d'ici. Nous devons savoir où poser les rails. Je dirige ce chantier.

-Vous allez faire passer un train dans notre vallée? s'inquiéta Plume Bleue.

-Exactement.

-Vous ne pouvez pas faire cela, s'écria la fillette. Pourquoi n'allez-vous pas dans la vallée à côté?

-Parce que dans la vallée à côté, comme tu dis, expliqua l'ingénieur, la rivière est beaucoup plus large. Nous serions obligés de jeter un pont par-dessus. Un pont exige tout un travail. Un travail long et difficile. Aussi nous passerons dans cette vallée-ci.

-Mais, ajouta Plume Bleue, si vous placez vos rails dans notre canyon, vous allez détruire les cultures de maïs. Les bisons, les lièvres, les dindes, tout le gibier, vont s'enfuir. Il ne nous restera plus d'espace pour garder nos moutons. Pour la peuplade des Anasazis, ce sera la famine. Les enfants mourront de faim pendant l'hiver et les guerriers aussi. Y avez-vous  seulement songé?

-J'y ai songé, précisa l'ingénieur. Mais des milliers et des milliers de pionniers dans toutes les régions de l'Est, au bord de l'Atlantique, attendent cette ligne de train pour venir vivre dans l'Ouest. Je reçois mes ordres d'hommes et de femmes proches du président des Etats-Unis. Les considérations d'une petite fille, même si elles paraissent touchantes, ne peuvent pas m'influencer.

Il se tut un instant. Ils observèrent un aigle qui planait, majestueux.

-La rivière large passe dans l'autre vallée et pas dans celle-ci. Il ne coule plus dans vos terres qu'un petit torrent, d'ailleurs presque sec en été. De l'autre côté, ça ressemble à un fleuve.

Plume Bleue se tut. Elle n'insista pas. Ça ne servait à rien. L'homme semblait avoir déjà pris ses décisions.


Au soir, après son départ, elle alla tout raconter en détail au chef du village.

Le sachem convoqua le conseil, celui des guerriers et des Anciens. Tous s'assirent en rond dans son tipi. Notre amie expliqua tout ce qu'elle avait vu et relata en même temps sa conversation avec le chef du chantier du train.

Un belliqueux guerrier se leva.

-Je propose de les attaquer et de les tuer tous.

-Ce n'est pas une bonne solution, rétorqua le grand sachem. Si tu abats un blanc, il en revient six ensuite. Je sais que si nous commençons la guerre avec eux, nous la perdrons. Ils possèdent des armes puissantes. Nous n'avons que nos arcs et nos flèches. Ils nous puniront et nous chasseront de notre territoire, les terres de nos ancêtres.

-On pourrait saboter leurs rails, proposa un autre guerrier.

-Ils les répareront. Ils les répareront sans cesse, répéta le sachem. Je ne crois pas non plus à cette solution.

-Ne pourrait-on pas négocier avec cet ingénieur ou avec ses supérieurs? suggéra un Ancien avec beaucoup de sagesse.

-On ne négocie pas avec ces gens. Certains chefs de peuplade plus à l'Est essayèrent. Mais en vain. S'ils ont décidé de passer par notre vallée, ils ne changeront pas d'avis. À moins qu'ils n'y soient contraints.

-On pourrait détruire le barrage des castors, situé dans la montagne, murmura Plume Bleue. Alors, la rivière coulera bien large et impétueuse chez nous. Comme ils évitent de construire des ponts, ils abandonneront notre vallée et choisiront l'autre. L'ingénieur me l'a dit.

-Tu as raison, expliqua le chef du village, mais je ne vois pas comment détruire cet ancien barrage.

Le père de Plume Bleue se leva. Il s'appelle Cheval de feu. C'est un guerrier réputé pour sa bravoure mais aussi pour sa sagesse.

-Avec de la dynamite. Nous pourrions voler de la dynamite aux ouvriers du train. Ils en utilisent. On entend souvent des explosions. Nous réussirions à dynamiter ce barrage.

Un Ancien proche du sachem se leva.

-Tu es courageux, Cheval de feu, et je te reconnais bien là, mais sais-tu qu'un Amérindien pris avec un bâton de dynamite à la main peut être abattu immédiatement, sans jugement ni procès?

Plume Bleue demanda la parole.

-Si vous voulez, je pourrais aller à St-Georges. Je demanderais à Joël et à sa sœur Patricia de venir. Ils nous aideront. Peut-être même que leurs parents se joindront à nous.

-Ce sont des gens généreux, répondit le sachem, mais ni riches ni influents. Tu peux tenter ta chance. Mais je ne suis pas sûr que cela serve à quelque chose.


Le lendemain, Plume Bleue partit pour la ville de St-Georges. Il faut presque deux jours de marche pour s'y rendre, tu le sais.

Au soir, elle chercha un abri dans un ancien petit bâtiment que les Anasazis utilisaient autrefois pour entreposer leurs grains. Très souvent, ces constructions, un mur rond de pierres brunes sommairement taillées, une ouverture en guise de porte, et du sable sur le sol, servent de logement pour la nuit aux voyageurs. D'ailleurs, trois guerriers de sa peuplade, qui revenaient de la petite ville, s'y abritèrent avec elle. Ils firent un feu et soupèrent tous ensemble. La fillette les mit au courant de sa mission.

En milieu d'après-midi, le lendemain, notre amie parvint au General Store. Les trois aînés reviendraient de l'école dans une heure.

La maman de Joël et de Patricia proposa à Plume Bleue d'aller chercher ses amis à la sortie des classes. Mais elle refusa. Elle n'a pas le droit d'aller à l'école car elle est amérindienne. Et puis, les autres enfants ont sans doute de beaux souliers, comme Joël et Patricia. Elle n'a que des sandales, quand elle ne marche pas pieds nus. Sa fierté l'empêchait de faire la surprise à ses amis. Elle joua avec Alice.

Un peu plus tard, Joël, Patricia et Samantha revinrent à la maison. En apercevant Plume Bleue, ils poussèrent des cris de joie. Ils l'embrassèrent chaleureusement, surtout Joël.

Pendant le souper, la fillette expliqua la raison de sa venue. Aussitôt, le garçon déclara que, demain matin, il partirait avec son amie et se chargerait lui-même de voler les bâtons de dynamite aux hommes du train. En tant qu'enfant, blanc de surcroît, il risquait moins, pensait-il, d'être abattu s'il était pris.

Le papa de notre ami fit remarquer qu'on l'attendait à l'école demain. Joël expliqua qu'il était le premier de la classe, qu'on n'apprenait pas grand-chose ces jours-ci et que, franchement, il trouvait bien plus important d'aller jusqu'au village des Anasazis pour aider la peuplade.

-Et même si j'y reste une semaine, en quelques heures, je rattraperai mon retard sur les autres.

Patricia voulut absolument accompagner. Les parents de nos deux amis connaissent bien leurs enfants, leur inébranlable courage, leur endurance, leur foi en la vie et l'amitié qui les lie. Ils les laissèrent partir.

Le lendemain, Joël, Plume Bleue et Patricia quittèrent donc St-Georges et suivirent le sentier qui traversait la région des canyons, des grandes vallées. Ils marchèrent toute la journée.

Le soir, au petit refuge, ils firent du feu, cuisirent leurs provisions et dormirent par terre. Le jour suivant, au milieu de l'après-midi, ils atteignirent le village des Anasazis.

Ils se rendirent d'abord chez le chef du village. Celui-ci leur exposa le plan conçu par lui, en leur absence.

La première étape ne concernait que les trois enfants. Aller observer les lieux et tâcher de repérer l'endroit où les hommes du train rangeaient leurs cartouches de dynamite. Puis, ils viendraient expliquer cela au sachem, aux Anciens et aux guerriers.

Lors de la deuxième étape, ils y retourneraient voler quelques cartouches afin de faire sauter le barrage. En voler, car il ne servait à rien de demander, ce serait refusé.

Le sachem leur proposa de commencer par la première étape, ce soir, mais il leur enjoignit d'être très prudents. Il ne fallait absolument pas se faire repérer ou se faire prendre. Surtout Plume Bleue.

Elle risquait gros en accompagnant ses amis, mais la fillette voulait absolument participer à l'opération avec Joël et Patricia. Sa peuplade courait un danger. Son copain acceptait de prendre des risques pour les autochtones. La moindre des choses était de se trouver à ses côtés, jugeait-elle.

Le garçon rappela sa qualité de guerrier Anasazi. Il estimait normal de rendre ce service.

À la nuit tombée, les trois enfants s'éloignèrent donc vers le chantier.

Ils y arrivèrent une heure après le coucher du soleil. Ils frissonnaient. Il faisait assez froid cette nuit-là. Le vent soufflait et levait la poussière. On apercevait peu d'étoiles dans le ciel à cause de la pleine lune. Elle éclairait les rochers et le sol de sa lumière argentée. C'était très beau, mais ça rendait nos amis plus facilement repérables.

Le garçon et les deux filles s'approchèrent doucement du campement. On entendait les grillons. Joël songea au revolver de Bill Alone laissé à Saint-Georges, chez ses parents. Il le regrettait à présent.

Nos amis passèrent sous les barrières du chantier en rampant sur le sol. Le frère et la sœur portaient pour l'occasion leurs vieux vêtements de la route. Chemises et jeans délavés et usés.

Ils s'approchèrent des tentes. Ils en comptèrent une vingtaine. Certaines étaient éclairées, d'autres pas.

Avançant à quatre pattes dans la terre et le long des rochers, ils parvinrent à l'arrière de l'une d'entre elles. Ils en soulevèrent la toile et regardèrent à l'intérieur. Ils virent du matériel, des outils, mais pas de trace de cartouches de dynamite. Passant de tente en tente, ils continuèrent leurs recherches, mais aucun abri de toile ne semblait contenir ces fameuses cartouches.

Trois autres grandes tentes se dressaient en rond, éclairées par des lampes à pétrole. Nos amis entendirent les ouvriers boire et chanter.

Les chantiers des chemins de fer employaient des hommes très durs, très forts, bien sûr, car le travail était rude. Ils suaient la journée entière sous une chaleur accablante dans des régions inhospitalières, loin de leurs foyers.

Il fait froid la nuit dans ces régions, mais les journées sont brûlantes. La température monte à quarante, quarante-cinq degrés parfois le jour. Et dans cette fournaise, il faut dynamiter les rochers, creuser dans la pierre, poser les rails et attacher les traverses. Un travail éprouvant.

Le soir, les hommes se changeaient les idées. Ils rêvaient aussi à leur famille, souvent laissée à des centaines ou des milliers de kilomètres. Certains, malheureusement buvaient trop, et cela se terminait parfois en rixes violentes, à couteau tiré.

Après les avoir écoutés un moment, Joël observa le rail qui brillait sous la lumière de la lune.

-Là-bas, regardez, je vois trois wagons isolés. Allons les visiter. Peut-être qu'ils laissent les bâtons de dynamite à l'intérieur de l'un d'eux.

Les trois enfants contournèrent les tentes et rampèrent en direction de ces trois wagons. Deux étaient fermés avec des cadenas. Impossible de les ouvrir. Mais pas le wagon central.

Ils firent glisser la porte métallique et entrèrent dans l'obscurité étouffante. Il était presque tout à fait vide. Dans un coin, ils aperçurent plusieurs petites caisses. Ouvrant l'une d'entre elles, grâce au couteau pointu que Plume Bleue porte toujours à la ceinture de sa robe, ils aperçurent des cartouches de dynamite.

Joël proposa de les emporter immédiatement, mais Plume Bleue le lui déconseilla. Il fallait d'abord retrouver le sachem et faire le point avec lui, selon sa demande.

Au moment de quitter le wagon, ils entendirent deux hommes marcher vers eux. Les enfants sautèrent sur le sol et, rampant à plat ventre, ils se cachèrent entre les roues. Ils tremblaient de peur, surtout Plume Bleue, bien identifiable avec ses deux jolies tresses noires, sa robe amérindienne et ses pieds nus.

Les deux hommes approchèrent.

-Comment se fait-il que cette porte soit ouverte?

-Je ne sais pas. Je ne passe jamais par ici.

-Si le chef découvre cette négligence, on va l'entendre et les punitions vont pleuvoir.

Ils firent coulisser la porte.

Hélas, à ce moment-là, Patricia, qui grelottait de froid, vêtue juste d'un jean et d'une chemise usée, éternua deux fois. Les hommes se baissèrent et aperçurent les trois enfants.

-Que faites-vous là-dessous? cria l'un d'eux. Allez, sortez de là.

Joël se redressa le premier, suivi par sa sœur. Il fit signe à Plume Bleue de ne pas bouger.

-Excusez-nous. Nous habitons là plus loin et nous voulions voir le train et le rail.

-Vous ne pouvez pas circuler sur ce chantier. Disparaissez.

Joël, Patricia et Plume Bleue, qui n'avait pas été reconnue comme Amérindienne, grâce à l'obscurité, se sauvèrent en direction des barrières. Ils les passèrent et coururent vers le camp des Anasazis.

Ils racontèrent au sachem le résultat de leurs observations et découvertes.

Le chef autochtone décida qu'à la nuit suivante, nos amis pourraient tenter de voler deux ou trois caisses de cartouches. Deux guerriers, Cheval de feu, le papa de Plume Bleue, et un autre les aideraient dans leur mission. Cependant en aucun cas, ces hommes ne pourraient aller dans la zone du chantier. Le risque paraissait trop grand.


La nuit suivante, donc, Joël, Patricia, Plume Bleue et les deux guerriers s'approchèrent du camp. Arrivés près des barrières, les deux hommes se cachèrent derrière des arbres. Pas par lâcheté, mais parce qu'il ne servait à rien de mettre leur vie en danger.

Les trois enfants (Plume Bleue voulait absolument accompagner ses amis) passèrent les barbelés et rampèrent l'un derrière l'autre, silencieusement. Se glissant de rocher en rocher, ils s'approchèrent des trois wagons qui se trouvaient à la même place qu'hier. Ils observèrent attentivement celui du milieu.

Joël y courut et, d'un geste rapide, fit coulisser la porte, pratiquant ainsi une ouverture étroite, juste suffisante pour lui. Il entra à l'intérieur du wagon, aussitôt suivi par Plume Bleue. Patricia, du haut de ses neuf ans, s'apprêtait à les suivre, intrépide comme toujours.

-Non, chuchota le grand frère. Reste dehors. Je vais te passer une première caisse. Tu cours chez les guerriers la leur porter. Puis tu reviens.

Patricia amena bravement la caisse de dynamite chez les deux Amérindiens puis revint. Joël et Plume Bleue préparèrent la seconde et la passèrent à la courageuse fillette.

-Ne reviens plus, petite sœur. Plume Bleue et moi allons prendre la troisième et la quatrième. Autant en tenir une en réserve.

Patricia s'encourut mais trois hommes s'approchaient du wagon. Il n'était plus temps pour Joël et Plume Bleue d'en sauter pour se cacher ailleurs. Aussi, ils se dissimulèrent derrière des sacs qui se trouvaient au fond du wagon, dans l'obscurité totale. Couchés l'un près de l'autre, ils tremblaient de peur.

L'un des trois hommes n'était autre que l'ingénieur, le chef du camp.

-Comment se fait-il que ce wagon soit ouvert?

-Je ne sais pas chef. Quand j'ai quitté le chantier, il était fermé.

-Je rappelle une fois encore que ces véhicules doivent toujours rester fermés avec leur clou de sécurité, surtout celui-ci qui contient de la dynamite.

L'ingénieur passa la tête à l'intérieur de l'habitacle. Il regarda à gauche, à droite. Il faisait très sombre, malgré la lueur de la lune. Il ne put rien observer. D'un geste brusque, il claqua la porte et enfonça le clou de sécurité.

Joël et Plume Bleue étaient enfermés dans le wagon à  l'insu de tous. Ils ne pouvaient plus en sortir. Ils tentèrent de forcer la porte mais elle ne bougeait pas. Plume Bleue saisit son couteau et essaya de la faire glisser, mais sans succès. Impossible de quitter leur prison.

L'ingénieur appela quelques ouvriers.

-Allez chercher les chevaux. Tirez ces trois wagons. Mettez-les sur le triangle de retournement et surveillez-les. Je crois que la locomotive de Los Angeles arrive, avec les nouvelles provisions et le matériel commandé. Il faudra que le conducteur puisse manœuvrer. Ces voitures-ci, quasi vides, peuvent retourner en Californie avec eux.

Nos amis, entendant cela, sentirent leur cœur battre encore plus vite. Ils étaient enfermés et risquaient d'être emmenés dans le désert en direction de Los Angeles, à plus de six ou sept cents kilomètres!

Si Joël s'était trouvé seul, peut-être qu'il aurait tenté d'appeler. Il s'en serait sans doute tiré avec une remarque vive et quelques coups de pied. Mais Plume Bleue courait un grand risque. On s'apercevrait qu'elle était Amérindienne. Peut-être serait-elle abattue.

Le garçon se tut, courageusement, pour rester près de son amie et, qui sait, partager son sort si on venait à les découvrir.

Ils perçurent les mouvements du convoi lorsque les chevaux tirèrent les voitures et les placèrent sur le triangle de retournement. Plus tard, ils entendirent arriver une locomotive à vapeur. Elle fit quelques manœuvres, et s'apprêta à repartir. On lui accrocha les trois wagons dont celui où se trouvaient nos amis. Le machiniste, le mécanicien et l'homme qui aidait à charger le bois de la chaudière souhaitaient s'en aller assez vite.

-On va dormir deux ou trois heures, mais pas plus. Réveillez-vous avant le lever du soleil. Nous partirons à quatre heures du matin.

Joël et Plume Bleue n'entendirent plus rien. Épuisés, inquiets, ils tentèrent encore d'ouvrir. Mais le wagon dans lequel ils se trouvaient, construit en bois épais, avec une porte bien verrouillée, rendait toute sortie impossible.


À l'aube, la locomotive s'ébranla et partit, emportant nos amis avec elle. Et à travers les planches disjointes, ils aperçurent quelques hommes qui faisaient signe, puis le paysage qui commençait à défiler.

Le voyage s'éternisait, long et pénible. Deux fois, le train s'arrêta.

Les locomotives à vapeur, à cette époque-là, stoppaient régulièrement à de petites gares, souvent désertes ou presque, et disparues pour la plupart aujourd'hui. Une maison de bois et surtout un puits, creusé dans la pierre ou dans le roc, en plein désert, et le tank, le réservoir d'eau.

Ces puits étaient en effet couverts par une tour, un derrick, lui-même surmonté par un moulin à vent, posé au sommet en girouette. Ce moulin pompait l'eau et la faisait monter du puits jusque dans le réservoir. Ces réservoirs ressemblaient à des châteaux d'eau. Ils étaient pourvus d'un large tuyau dont l'ouverture commandée par un levier permettait de remplir la chaudière de la locomotive. Cette eau chauffée par les bûches qu'on y brûlait se transformait en vapeur et actionnait les pistons qui faisaient tourner les roues et avancer le train.

Au début de l'après-midi, Joël et Plume bleue n'en pouvaient plus. Ils avaient faim, mais, surtout, ils avaient soif. Et il faisait beaucoup trop chaud. Le soleil frappait implacablement leur wagon, et l'espace dans lequel ils se trouvaient enfermés devenait une véritable fournaise insupportable. Ils se sentaient au bord de l'évanouissement.

Quand le train s'arrêta pour la troisième fois, ils décidèrent d'appeler au secours. Les trois convoyeurs ouvrirent le wagon et découvrirent les deux enfants.

 

-Que faites-vous là?

Joël évoqua une passion pour les trains. Il ajouta que, malheureusement, on avait fermé la porte du wagon qu'il visitait en compagnie de son amie.

Le machiniste ne semblait pas le croire…

-Vous connaissez le règlement et la loi, dit-il à ses collègues.

Il sortit son revolver.

-La loi s'applique aussi aux enfants. Je dois vous abattre. Tous les deux. Surtout la fille. Une Amérindienne. Vous êtes sans doute des espions ou des voleurs à la solde d'une peuplade.

Il confia le revolver à son mécanicien.

-Tire-leur une balle dans la tête et partons.

Le mécanicien prit le revolver et observa les enfants qui tremblaient de peur, droit dans les yeux. Il approcha l'arme du visage de Joël. Le garçon aussi le regardait dans les yeux en silence. Il se tenait droit, immobile, malgré sa peur atroce. Son courage, son regard franc le sauvèrent.

-Chef, je suis incapable d'abattre ces deux enfants.

-Tant pis, répondit le conducteur. Tu les condamnes à une mort bien plus terrible. Nous allons leur donner une gourde d'eau à chacun et les laisser là le long du rail. Ils mourront de soif dans le désert. Cette nuit ou demain, en pleine chaleur, ils regretteront la balle que tu ne leur as pas tirée dans la tête.

Joël et Plume Bleue reçurent donc une gourde d'eau chacun et rien à manger. Les hommes remontèrent dans la locomotive et le train s'éloigna. Les deux enfants, immobiles sous le soleil, suivirent longtemps des yeux le convoi qui s'éloignait puis qui disparut à l'horizon.


Nos amis se trouvaient au centre d'un immense désert plat. Du sable et des rochers, à perte de vue, jusqu'à l'infini. Le soleil implacable brûlait, infernal.

À gauche comme à droite, le rail, qui filait, d'un côté, vers cette ville inconnue de Los Angeles et, de l'autre, vers les territoires autochtones.

Une angoisse effrayante les saisit. Ils ressentirent cette solitude terrible dans laquelle ils se trouvaient plongés.

Ils burent un quart de leur gourde chacun. Puis, ils se mirent en route. Rester là et attendre, revenait à mourir à coup sûr.

Ils marchèrent en direction du camp des Anasazis. Mais conbien de kilomètres faudrait-il parcourir avant d'y arriver ? Dans combien de jours atteindraient-ils les collines et le village?

Ils n'avaient rien à manger et, bientôt, l'eau serait bue. Tout ce qu'ils pouvaient espérer c'était atteindre l'une de ces gares fantômes où le train s'arrête, car là, ils trouveraient de l'eau.

Le rail luisait à l'infini. Le sol brûlant faisait souffrir Plume Bleue qui marchait pieds nus. Ils se donnaient la main. Ils se taisaient. Marcher ou mourir.


Épuisés, titubant à cause de la chaleur, les deux gourdes vides pendant à leur ceinture, ils arrivèrent à la tombée du jour à la première des deux gares fantômes qu'ils avaient dépassées ce matin. Ils se précipitèrent vers le tank d'eau.

Plume Bleue y grimpa. Elle actionna le levier, l'eau sortit abondante, généreuse, par le tuyau. Ils se placèrent en-dessous et reçurent un véritable torrent sur eux. Une eau glaciale, car elle vient du puits, mais bienfaisante. Ils en burent, ils s'en arrosèrent. Ils s'en trempèrent complètement.

Puis la jeune fille referma le verrou. Un peu ragaillardis mais affamés maintenant que la soif était apaisée, ils entrèrent dans la gare, une gare fantôme. Elle semblait totalement déserte. Fouillant les tiroirs, ouvrant les armoires, explorant les lieux, ils finirent par découvrir une boîte qui contenait quelques biscuits mous, sans doute périmés. Ils se les partagèrent.

La nuit tombait. Ils se couchèrent sur le plancher et tentèrent de dormir un peu. Demain, il faudrait repartir. Ils se prirent la main, sous la lueur de la lune.

-Je te remercie, Joël. Je te remercie pour tout ce que tu fais. Normalement, tu ne devrais pas te trouver ici. Tu devrais être à l'école à St-Georges. Je te remercie de m'avoir accompagnée. Tu sais, je ne connais qu'un seul garçon blanc mais je suis contente que ce soit toi. Tu es vraiment courageux. Je t'admire.

Notre ami rougit, mais, dans la nuit, cela ne se vit pas. Il se tourna vers son amie dont le beau visage, éclairé par la lueur pâle de la lune, souriait, malgré les épreuves.

-Plume Bleue, tu es la fille la plus formidable que je connaisse. À côté de toi, celles de ma classe passent pour des mauviettes. Je suis heureux que tu sois mon amie. J'espère que tu le seras toujours.

-Moi aussi, murmura la fillette. Je voudrais que tu restes mon ami pour toujours. Tu te souviens qu'un initié de ma peuplade m'a prédit qu'un jour j'épouserais un grand chef blanc. Je commence à croire, que ce sera toi.

Joël, ému, ne répondit rien. Plume Bleue ajouta :

-Chez les Amérindiens, les filles de onze ou douze ans peuvent se marier.

La garçon expliqua que chez les enfants des villes, cela ne se passait pas ainsi. D'abord terminer son école et apprendre un métier et alors seulement, il pourrait penser à fonder un foyer. En attendant, ils demeuraient grands amis. Il lui jura qu'elle serait sa seule, sa meilleure amie pour toujours. Les deux enfants s'embrassèrent timidement, puis s'endormirent.


Ils se réveillèrent à l'aube. Ils voulaient partir tôt, pour bien avancer avant la grosse chaleur de la journée.

Cherchant, mais en vain, de la nourriture, ils découvrirent une carte dans un tiroir. Elle leur parut bien étrange. Elle n'était pas dessinée comme les autres. Joël l'étala sur le sol.

Une ligne noire traversait le grand papier d'un côté à l'autre. Les enfants supposèrent que cette ligne représentait la voie de chemin de fer.

À différents endroits de la carte se trouvaient des chiffres avec des petits «x» ou des petits «+». Ils ne savaient pas à quoi cela correspondait. Ils retrouvèrent pourtant la petite gare où ils avaient passé la nuit. Le rail y faisait une grande courbe pour contourner une mesa. De leur gare, des pointillés s'éloignaient et tournaient vers la droite, avant de s'arrêter au milieu de rien, semblait-il. Là, au bout, il était indiqué : L.D.R.

-Je me demande à quoi cela correspond, dit Joël.

-Je ne sais pas, murmura Plume Bleue. Je ne sais pas lire. L.D.R. dis-tu?

-Cela ne semble pas se trouver très loin d'ici.

Ils sortirent de la gare et regardèrent dans la direction indiquée par la carte. Quelques collines rouges se dressaient à l'horizon du désert.

-Allons voir, proposa le garçon, il doit exister quelque chose là-bas, puisque la carte le mentionne. Et ça ne semble pas trop distant d'ici, risquons. L'autre gare vers la vallée se trouve vraiment trop loin. Nous n'y arriverons pas à pied.

Avant de partir, ils burent le plus d'eau qu'ils pouvaient. Ils s'arrosèrent encore et remplirent leurs gourdes à ras bord. Puis, ils se mirent en route, le ventre vide, hélas, vers ce point repéré sur la carte. Ils ne virent ni sentier, ni route. Mais à certains endroits, on devinait des traces de roues d'une charrette. Ils suivirent ces traces.

 

Après une marche de près de trois heures, les gourdes déjà presque vides à nouveau, dans la fournaise impitoyable du soleil, ils arrivèrent entre les collines à un endroit qu'ils crurent être le paradis. De l'herbe et des arbres poussaient au milieu du désert ! Un verger s'étendait là, sous leurs yeux, avec des abricotiers et des pêchers.

Les deux enfants sautèrent une barrière et, affamés, grimpèrent dans un arbre, saisirent des pêches et les croquèrent à pleines dents. Ce qu'elles étaient bonnes! Juteuses et sucrées à souhait!

Ils se trouvaient dans l'arbre depuis cinq minutes quand ils virent arriver un fermier, fusil en main. Il hurlait et vociférait, exigeant qu'ils descendent de là immédiatement puis qu'ils le suivent à la ferme. Il menaçait de les tuer d'une balle chacun s'ils désobéissaient. Nos amis, effrayés, cédèrent aux menaces de l'homme.

-Aussi vrai que je m'appelle Lonely Dell, et que vous êtes dans mon ranch, vous ne me volerez pas mes fruits, petits bandits. Entrez dans la ferme.

Nos amis comprirent aussitôt la signification des lettres L.D.R. observées sur la carte de la gare fantôme. Lonely Dell Ranch.

Joël et Plume Bleue entrèrent dans la salle de séjour. Ils aperçurent une femme et une dizaine d'enfants. Les plus grands avaient à peu près leur âge et le plus petit était un bébé.

-Allez, expliquez-vous. Que faisiez-vous dans mes arbres, petits voleurs.

-Nous ne sommes pas des voleurs, répondit Joël. Nous avons faim.

Et il raconta toute leur histoire. Toute. Le départ de New York, la rencontre avec les Anasazis, les épreuves pour libérer les parents prisonniers des Navajos, la manière dont ils avaient sauvé la peuplade à la Hourra Pass, la marche vers St-Georges, l'épisode de Yuma le solitaire et du cow-boy Ronny qui voulait les emmener dans sa mine d'argent, puis la rencontre à Desert Junction avec Bill Alone et enfin, la découverte des pierres précieuses sous la Druid Arch. Ils terminèrent par l'aventure du train, du barrage et du rail.

Lonely Dell, appuyé contre sa femme et les enfants assis autour de nos amis écoutèrent, pendant près de deux heures, l'incroyable récit. Le fermier, la maman et puis les enfants applaudirent.

-Ma chérie, commanda Lonely Dell, donne-leur à manger et bien vite. Ces deux jeunes sont des héros! Un courage pareil, c'est hallucinant! Mes enfants ont la chance de vous rencontrer, de vous voir, de vous entendre. Quand ils seront grands, s'ils montrent le dixième de votre cran, je serai déjà fier d'eux. Vous êtes formidables.

Nos amis reçurent à boire et à manger à volonté. Ils restèrent au ranch l'après-midi, et ils dormirent dans un lit cette nuit-là.


Le lendemain, Lonely les emmena avec lui. Il voulait les aider à retourner jusqu'à la peuplade des Anasazis. Il les fit monter dans sa carriole. Il y posa quatre caisses de fruits, des pêches et des abricots. Ils se mirent en route vers la gare abandonnée. En chemin, il leur expliqua son plan.

-Un train doit passer, dit-il, dans la matinée. Vous vous cacherez. Moi, je saluerai le machiniste et ses collègues. Je sortirai mes cageots de fruits. Je les leur donnerai. Pendant qu'ils les chargeront dans le train, vous sortirez de votre cachette et vous entrerez dans un des wagons. Le train partira et vous arriverez chez vous. Lorsque vous apercevrez la fin du rail, sautez du train. N'entrez surtout pas dans le chantier. Vous seriez reconnus et vous risqueriez d'être mis à mort. Sautez du train un peu avant et enfuyez-vous chez vous.

Nos amis approuvèrent le plan.

-Les enfants, vous oublierez Lonely Dell. Mais Lonely Dell ne vous oubliera jamais. Vous êtes des héros!

Le train arriva vers le milieu de la matinée. Joël et Plume Bleue se cachèrent dans la gare. L'homme fit signe aux machinistes. Il bavarda avec eux. Il présenta ses fruits et les leur offrit. Pendant qu'ils les chargeaient comme prévu dans la locomotive, nos deux amis se glissèrent dans le dernier wagon. Ils refermèrent la porte aux trois quarts, pour avoir de l'air.

Le train se remit bientôt en route. Joël et Plume Bleue ayant laissé entrouvert, firent des signes d'adieu à leur ami fermier.


Malheureusement, ils ratèrent leur sortie. Le train allait vite! Ils ne reconnurent pas le paysage. Le chantier avait changé de place! Ils se retrouvèrent bientôt entourés par tous les ouvriers qui venaient décharger les wagons. Ils furent faits prisonniers et conduits chez l'ingénieur qui dirigeait le camp.

-Je t'ai déjà vue, toi! Tu es une Amérindienne anasazie, dit-il à Plume Bleue. Tu m'as guidée dans la vallée. Et ce serait bien toi la voleuse de cartouches de dynamite...

L'ingénieur sortit son revolver. Nos amis tremblaient, leurs cœurs battaient à tout rompre.

-On applique une loi ici. La loi du chemin de fer. Cela paraît dur. Mais les voleurs de votre genre, nous les abattons.

Joël prit la main de Plume Bleue. Ils se serrèrent l'un contre l'autre. Ils transpiraient de peur.

-Pourtant, je ne vais pas vous tuer. Je vais même vous laisser partir. Vous êtes libres. Vous m'avez rendu un grand service. Je voulais faire passer le train par votre vallée, car la rivière qui la suit était étroite. Ça m'évitait la création de deux ponts importants, indispensables dans l'autre canyon au courant impétueux, mais nécessitait le creusement d'un tunnel assez long pour quitter la vôtre. Un ouvrage ardu et délicat. Depuis la destruction du barrage des castors que je ne connaissais pas, la rivière a repris son cours normal et important chez vous, et à peine un filet d'eau coule dans l'autre canyon. Je ferai passer le train par là, sans construire deux grands ponts et j'éviterai le creusement d'un tunnel. Mais ne revenez jamais sur le chantier.

Nos amis s'éloignèrent sans se retourner.

Joël et Plume Bleue marchèrent en direction des terres anasazies. Le sachem les accueillit. Tout le monde autour d'eux criait des bravos et des hourras. Le conseil se réunit aussitôt.

Le chef annonça alors aux deux enfants que grâce aux caisses de cartouches de dynamite que Patricia avait apportées aux guerriers postés derrière la barrière, la nuit où ils s'étaient retrouvés enfermés dans le wagon, le barrage des castors avait été détruit.

-Cheval de Feu resta jusqu'au matin à observer le convoi, mais il ne put rien tenter pour vous délivrer.  Il revint au camp avec Patricia et la dynamite.

Le gros de la rivière traversait maintenant le territoire des Anasazis et un maigre ruisseau coulait dans l'autre vallée. Grâce à cela, les hommes du train retournèrent quinze kilomètres en arrière. Ils construisirent la suite de leur ligne dans l'autre vallée, le canyon. Un grand service rendu aux ouvrirers du train, et à toute la peuplade qui pourrait continuer à vivre tranquille dans sa vallée de Chelly. Les territoires de chasse des Anasazis étaient sauvés.

Tous félicitèrent nos amis qui reçurent une plume d'honneur supplémentaire. On fit une grande fête, à laquelle participèrent les parents de Joël et de Patricia venus de St-Georges, inquiets de ne pas les voir revenir à la maison.

Une fois encore, quand ils apprirent leurs hauts faits, ils furent émus de savoir leurs enfants aussi intrépides et aussi résistants face aux épreuves. Ils frémirent en entendant l'épisode du rail dans le désert et apprécièrent Lonely Dell. Ils espéraient le connaître bientôt et commercer avec lui.

La fête dura tard dans la nuit et sous un ciel étoilé d'une beauté somptueuse.