Isabelle
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La bague bleue. (Partie 1)

     Par un bel après-midi, Isabelle alla au fond de son jardin. Là, elle passa sous la barrière blanche. Elle traversa ensuite le champ de fleurs. Elle parvint à la lisière du pré et se glissa en rampant sous les picots des fils barbelés. Elle parcourut rapidement le petit terrain vague et atteignit le bord de la rivière. Elle la traversa doucement après s'être mise pieds nus. L'eau était froide.

Ensuite, elle laça ses chaussures et entra dans le bois pour y cueillir quelques myrtilles.

Elle ne va jamais bien loin, pour ne pas se perdre. D'ailleurs, papa et maman ne veulent pas qu'elle s'enfonce seule dans la forêt. Elle n'a que cinq ans et demi.

Tout en avançant entre les plantes, elle entendit quelqu'un qui pleurait.

Isabelle, aussi surprise qu'intriguée, regarda autour d'elle. Elle aperçut une vieille dame, habillée tout en noir. Elle s'appuyait contre le tronc d'un gros arbre.

Notre amie, émue, s'approcha doucement:

- Bonjour madame.

La dame regarda la petite fille en salopette et baskets bleues.

- Bonjour. Comment t'appelles-tu?

- Isabelle. Je peux vous aider?

- J'ai perdu ma bague, répondit la vieille dame.

- Voulez-vous que je regarde et que je cherche dans les feuilles mortes et dans les herbes?

- Non, ma bague est tombée à l'intérieur de ce tronc d'arbre.

- Je ne comprends pas, s'étonna Isabelle.

- Cet arbre est creux.

- Comment ça se fait? demanda notre amie.

- Parfois, au cours d'un orage, un éclair, une boule de feu, tombe entre les branches et brûle une partie d'un tronc. Bien souvent, cela ne fait qu'un petit trou où viennent se nicher des hiboux ou des écureuils. Mais parfois la foudre tombe tout droit et creuse le tronc de l'arbre, jusqu'aux racines. C'est là que j'ai perdu ma bague. Mais le passage est fort étroit. Je suis trop grosse pour pouvoir m'y glisser.

- Je veux bien essayer d'aller la chercher, murmura Isabelle.

- Tu es très gentille. Monte dans l'arbre et quand tu atteindras la troisième branche, tu verras en te penchant que ce tronc est creux. À l'intérieur, se trouve une échelle. Descends doucement. Moi je ne peux pas passer, mais toi tu es mince.

- C'est vrai, fit la fillette. 

- Bon, poursuivit la vieille dame. Quand tu arriveras tout en bas, tu découvriras une porte étrange. Elle fait un peu peur car elle ressemble à une tête de mort, mais ne te laisse pas impressionner. Prononce la formule magique.

- Pourquoi? demanda Isabelle.

- Parce que cette porte ne s'ouvre ni avec une poignée, ni avec une clé. Il faut connaître la formule magique. Je vais te la dire, tu la répéteras après moi. Et fais les gestes. Les yeux ouverts, la bouche fermée, les oreilles ouvertes, le nez pincé. À toi.

Isabelle la dit à son tour, en ouvrant d'abord grand les yeux, puis en plaçant un doigt devant ses lèvres, puis en glissant ses mains derrière les oreilles, puis en les ramenant devant son nez.

- Les yeux ouverts, la bouche fermée, les oreilles ouvertes, le nez pincé.

- Très bien. À ce moment, la porte s'ouvrira. Tu entreras dans une grotte, éclairée de lueurs bleues et tu verras trois grands coffres. Ne les ouvre pas.

- Pourquoi ne puis-je pas les ouvrir? demanda Isabelle.

- Ça ne te regarde pas, cria la vieille dame, d'une voix sèche et cassante. Trouve ma bague bleue et viens me l'apporter. Je t'offrirai un cadeau.

Notre amie aurait dû se méfier. Cette femme ne semblait pas fort aimable ni patiente...


- Je veux bien aller voir, madame, mais je ne pourrai pas atteindre la première branche de l'arbre. Elle est trop haute.

La vieille femme souleva Isabelle avec une force étonnante pour son âge. 

De la première branche, la fillette grimpa facilement sur la deuxième et atteignit la troisième. Elle se pencha. Le tronc était creux. C'était tout noir là-dedans. Elle eut pourtant le courage de descendre un à un les échelons accrochés à l'intérieur du tronc. Plus elle descendait, plus elle avait peur, car il faisait de plus en plus sombre et de plus en plus froid.

Parvenue tout en bas, elle vit la porte étrange et effrayante qui ressemblait à une énorme tête de mort. Dans les yeux luisaient quelques petites lumières vertes. Et entre les dents du squelette, on entendait le vent siffler.

« Ouh... ouh... ouh... »

Isabelle, impressionnée, en oublia une partie de la formule magique.

- Madame, je ne sais plus la formule pour ouvrir la porte, appela notre amie.

- Tu n'es pas très maligne, cria la vieille femme. Je vais la répéter. Les yeux ouverts, la bouche fermée, les oreilles ouvertes, le nez pincé. Et n'oublie pas les gestes.

La fillette murmura la formule en faisant les gestes et la porte s'ouvrit.

Elle entra dans une grotte sombre, mais baignée d'une étrange lueur bleue. Elle aperçut trois grands coffres en bois sur le sol. Notre amie découvrit immédiatement la bague bleue. Elle la ramassa et la glissa à son doigt pour ne pas la perdre.

À ce moment, elle aurait dû répéter la formule magique pour réouvrir la porte et remonter par l'échelle. Mais Isabelle est une curieuse.

Aurais-tu osé ouvrir les trois coffres?


Au lieu de remonter tout de suite, Isabelle voulut savoir ce qu'ils contenaient.

Elle s'approcha du premier et l'ouvrit. Il était rempli de pièces d'or! Elles brillaient, jaunes, rondes. Hélas, tandis qu'elle regardait, une grosse araignée brune en sortit et se laissa tomber sur le sol. Elle se sauva vers un coin de la grotte.

Notre amie referma le coffre, mais ouvrit le deuxième. Il était plein de rubis, de saphirs et d'émeraudes, des belles pierres rouges, bleues, et vertes de grande valeur! Quelle merveille! Ça brillait sous les lumières de la grotte.

Soudain, un gros rat s'échappa du coffre, sauta par terre, frôla les jambes d'Isabelle et alla se cacher dans une anfractuosité sombre. Notre amie referma le coffre d'un geste brusque.

- Alors, tu l'as trouvée ma bague? cria la vieille femme.

- Oui! J'arrive, madame.

Mais rapidement, avant de sortir, elle ouvrit le troisième coffre. Celui-ci débordait de diamants! Leurs feux offraient un spectacle de toute beauté. Mais aussitôt un serpent se glissa hors du coffre et tomba sur le sol. Il disparut derrière un rocher.

Isabelle se redressa, atterrée. Elle replaça le couvercle et entendit:

- Alors, tu viens, oui ou non.

- J'arrive, madame, j'arrive.

Notre amie prononça soigneusement la formule magique, en faisant les gestes, mais la porte ne s'ouvrit pas.

Elle répéta la formule sans se tromper, une seconde fois, toujours sans succès.

- Ça ne s'ouvre pas, madame, gémit la fillette.

- Si ça ne s'ouvre pas, c'est parce que tu es une vilaine curieuse. Tu as probablement regardé dans les coffres et les animaux en sont sortis. Tant pis pour toi. Tu ne pourras plus ouvrir cette porte tant que tu n'auras pas remis l'araignée, le rat et le serpent à leur place dans leurs coffres.

- S'il vous plaît, madame, aidez-moi. Je n'oserai jamais toucher l'araignée, encore moins le rat et surtout pas le serpent.

- Débrouille-toi toute seule. 


Isabelle avait envie de pleurer. Elle commençait seulement à comprendre maintenant, que la dame en noir à l'extérieur, qui l'avait fait monter sur le tronc, était méchante.

Mais pleurer ne servait à rien. Notre amie essuya ses larmes. L'une d'entre elles tomba sur la bague bleue. Immédiatement une fumée bleue en sortit. Cette fumée forma un petit nuage bleu et au milieu du nuage bleu apparut un fantôme, bleu également.

- Pourquoi pleures-tu? Que puis-je faire pour toi?

Isabelle recula parce qu'elle avait peur.

- Tu ne dois pas avoir peur de moi. Je suis là pour t'aider.

- Vraiment? osa la fillette. Pourrais-tu remettre les animaux dans les coffres, parce que moi je n'ose pas.

- Ça, je ne peux pas faire, répondit le fantôme.

- Mais tu ne sers à rien, alors!

- Je peux te dire comment t'y prendre. Ouvre le premier coffre et prends une poignée de pièces d'or dans tes mains. Laisse-les glisser entre tes doigts pour qu'elles retombent dans leur boîte et tu verras, l'araignée retournera toute seule à sa place. Fais de même avec les pierres précieuses et les diamants pour le rat et le serpent.

Le fantôme retourna dans la bague et disparut.

 

Isabelle ouvrit le premier coffre. Elle prit une poignée de pièces d'or et les laissa retomber une à une. Le tintement fit revenir l'araignée, qui se précipita dans le coffre. Notre amie le referma aussitôt.

Elle fit de même avec les rubis, les saphirs et les émeraudes, les faisant rouler entre ses doigts comme si c'étaient des cailloux du chemin. Et le rat retourna à sa place.

Ensuite, elle ouvrit le coffre à diamants. Elle en saisit plusieurs poignées. Elle les fit glisser entre ses doigts, en cascade de lumière vers l'intérieur du coffre. Le serpent se précipita à son tour. Elle remit le couvercle.

Alors la fillette se tourna vers la porte et murmura en faisant les gestes.

- Les yeux ouverts, la bouche fermée, les oreilles ouvertes, le nez pincé.

La tête de mort s'ouvrit.

Isabelle revint dans le tronc de l'arbre. Elle allait grimper à l'échelle quand elle entendit la voix venant de la bague. Une toute petite voix, celle du fantôme bleu.

- Ne me donne pas à la sorcière.

- Quelle sorcière? s'inquiéta la fillette.

- Cette vieille dame dehors au pied de l'arbre est une sorcière! Tu aurais pu t'en douter. Glisse la bague au fond d'une poche de ta salopette.

Elle ôta la bague de son doigt. Elle l'enfonça dans sa poche et monta les échelons. Elle parvint sur la troisième branche, descendit sur la deuxième et atteignit la première.

- S'il vous plaît, madame, aidez-moi, c'est trop haut.

- Tu n'as qu'à sauter, répondit la sorcière, d'une voix impatiente.

Isabelle hésita puis sauta. Elle déchira sa salopette aux genoux et se fit mal aux mains. En plus, elle s'était fort salie.

- Alors, tu me la donnes cette bague? cria la sorcière.

Notre amie les yeux baissés répondit:

- Je ne sais plus très bien où je l'ai mise, madame.

- Et tu penses que je vais te croire? 

Elle fouilla les poches de notre amie, devant, derrière, même la poche bavette, mais elle ne trouva pas la bague.

- Tu as dû la faire tomber quelque part dans les feuilles en sautant. Je vais la retrouver.

Isabelle en profita pour se sauver.

En traversant la petite rivière et en passant dans le champ de fleurs, notre amie retrouva la bague bleue. Elle était coincée dans une petite zone où la poche était décousue. Elle la sortit et la glissa à son doigt, pour ne pas la perdre.


Revenue à la maison, elle croisa son frère Benjamin.

- Où as-tu trouvé cette bague? Raconte.

- Elle cache un fantôme, vanta malicieusement Isabelle.

- Montre-le moi, insista le garçon.

- Non, ce n'est pas pour toi.

Benjamin saisit la main de sa petite sœur qui se dégagea d'un geste vif.

Notre amie a trois grands frères. Elle sait se battre pour se défendre.

Elle lui donna un coup de pied dans le tibia. Le garçon poussa Isabelle qui recula contre un meuble du salon sur lequel se trouvait un vase en porcelaine. Il tomba sur le sol, après quelques mouvements hésitants et se brisa en petits morceaux.

Les parents entendirent les cris et le bruit. Ils entrèrent dans la pièce.

- Qui a cassé ce vase?

- C'est Isabelle! cria Benjamin.

- Ma chérie, tu as cassé le vase? demanda papa.

- Je ne l'ai pas fait exprès, Benjamin m'a poussée.

- Oui ou non, as-tu cassé ce vase? insista maman.

- Oui, mais c'est à cause de...

- Tu es punie. Va dans ta chambre.


Isabelle quitta la pièce, monta l'escalier et entra dans sa chambre en pleurant. En essuyant ses larmes, l'une d'entre elles tomba sur la bague bleue. La fumée bleue en sortit, qui forma son nuage bleu. Le fantôme bleu apparut au milieu.

- Pourquoi pleures-tu? Je peux t'aider?

- Je pleure parce que je suis punie et ce n'est pas juste, expliqua notre amie. Benjamin m'a poussée. Mon frère aurait dû être puni. À cause de lui j'ai cassé le vase. Oh! tu peux le réparer? Tu peux recoller les morceaux, s'il te plaît?

- Non, répondit le fantôme, je ne peux pas faire cela.

- Mais tu ne sers à rien, alors!

- Si, fit le fantôme, nous pourrions tâcher ensemble de punir ton grand frère.

- Oh oui! sourit Isabelle. Quelle bonne idée!

- Veux-tu, proposa le fantôme bleu, que je change son oreiller en picots de hérissons?

- Non. S'il me le jette à la tête, j'aurai mal.

- Veux-tu que je couvre son drap de lit d'une toile d'araignée, avec des grosses bêtes dessus?

- Non, s'effraya la fillette. Si les araignées descendent sur mon lit à moi, je suis juste en dessous, j'aurai peur.

- Veux-tu alors, proposa le fantôme bleu, que je le fasse tomber dans l'escalier?

- Non. Il pourrait se casser la jambe et je ne veux pas qu'il ait mal.

- Alors, fais-moi confiance, proposa le fantôme bleu. Tu veux qu'il soit puni, mais pas qu'il ait mal. Demain matin, ton frère sera moins fier.

- D'accord, accepta Isabelle en souriant.

Le fantôme bleu retourna dans la bague.


Le lendemain matin, quand notre amie ouvrit les yeux, elle entendit les cris poussés par son frère. En le regardant, elle éclata de rire. Une grosse moustache noire avait poussé sous le nez de Benjamin. Il avait l'air ridicule.

- Je ne veux pas aller à l'école ainsi! Maman, papa, au secours. J'ai une affreuse moustache et c'est à cause d'Isabelle.

- Enfin, fit remarquer papa, ce n'est pas ta sœur qui t'a fait pousser une moustache.

- Je suis pourtant certain que ça vient d'elle.

- Approche, dit maman. Je vais te couper cette horreur.

Maman tailla les poils avec des ciseaux mais on les voyait encore. Papa prit son rasoir et rasa avec patience la moustache de son garçon.


Après le petit-déjeuner, les deux enfants entrèrent dans la voiture pour aller à l'école. La moustache repoussa dans l'auto.

- Je ne veux pas aller à l'école, la moustache est revenue. Papa, s'il te plaît.

Trop tard. Benjamin se mit à pleurer. Il s'approcha de sa petite sœur.

- Je te demande pardon. S'il te plaît, enlève-moi cette moustache.

Une larme de Benjamin tomba sur la bague bleue d'Isabelle. La fumée en sortit, qui forma le nuage bleu au milieu duquel apparut le fantôme bleu.

- Que puis-je faire pour toi? Pourquoi pleures-tu?

Le fantôme s'adressait au frère d'Isabelle à présent car c'était une de ses larmes qui était tombée sur la bague.

- Je ne veux plus cette moustache. Tu veux bien l'enlever?

La moustache disparut aussitôt.


Notre amie, un peu jalouse, ôta la bague de son doigt et la glissa au fond de la poche de sa salopette.

Elle n'y pensa plus pendant le restant de la journée. Elle joua en classe et à la cour de récréation. Puis, arrivée à la maison, elle alla un moment au jardin.

Au soir, en voulant la montrer à ses parents, elle s'aperçut que la bague avait disparu. Elle fouilla partout, mais elle ne la retrouva pas.

 

Si tu trouves une bague bleue dans la cour de ton école ou sur le trottoir, glisse-la à ton doigt et si tu pleures un jour, si une larme tombe sur la bague, peut-être qu'un petit fantôme viendra t'aider...

Lis la suite de cette merveilleuse aventure sur Isabelle 54 : Le cadeau.