Quatre amis des Indes
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La résistance (9/14)

     1. LE MAUSOLEE

     Le fakir Astak Razi ne décolérait pas.

- Ils sont vivants et cet abruti de Chaha les a laissés s'échapper. Ils sont une menace pour l'empire. Ils symbolisent un rêve de liberté, un espoir de délivrance pour le peuple. C'est intolérable.

Les chefs de la police du fakir écoutaient leur maître en baissant la tête. Il reprit sa tirade.

- Vous êtes des centaines, dispersés partout dans le pays. Je promets une grosse somme d'argent à celui ou celle qui donnera ne fût-ce qu'un indice permettant de les retrouver. Et rien. Rien. Rien !

Razi fulminait.

- Les habitants de ce pays se disent pauvres et pas un ne dénonce ces quatre princes et princesses pour empocher la récompense. Ils ne doivent pourtant pas se trouver bien loin. Ils survivent ici, sur les terres de Rabanath ou de Copal. Comment font-ils pour échapper à vos recherches? Ce ne sont que des enfants quand même...

- Le pays est grand, maître, osa un des hommes.

- Le pays est vaste, mais un traître nous est acquis dans chaque village. Et rien. Reprenez vos recherches. Ils ont causé la mort de mon jumeau, Raban. Je les veux, morts ou vifs et à n'importe quel prix.


Quinze jours après la dernière bataille, nos quatre amis furent recueillis dans une ferme, à moitié morts de faim, après une interminable errance à travers les terres de Copal.

Ils se déplaçaient la nuit et dormaient le jour pour ne pas se faire repérer. Souvent, Samuel et Myriam proposaient leur service pour travailler aux champs ou dans les étables, mais on les chassait. Quatre bouches de plus à nourrir pour ces fermiers écrasés sous les impôts levés par l'occupant, c'était de trop.

Un soir, après avoir caché ses sœurs et son frère sous la paille d'une grange, Samuel, affamé, tenta de mendier un morceau de pain. On le lui refusa. Alors, désespéré, le garçon risqua le tout pour le tout.

- Un homme crie dans la nuit.

On lui répondit.

- C'est mon frère, je l'écoute.

Et on accueillit nos amis dans cette ferme, située au pied des collines, à une quarantaine de kilomètres de la cité de Copal. Depuis, ils vivaient là, chez ces braves gens, en rendant toutes sortes de services, de leur mieux.


Un jour, David gardait des moutons le long de la route, en compagnie du fils de la maison, âgé de neuf ans comme lui.

Une troupe armée passa sur le chemin, un carrosse et une trentaine de soldats. Le convoi s'arrêta et le cocher demanda à notre ami si la route menait bien à la ville de Copal et si celle-ci se trouvait encore loin.

Le petit prince ne put pas répondre, ne connaissant pas bien la région. Son copain donna quelques explications.

La troupe allait repartir quand la porte du carrosse s'ouvrit. Le général Chaha en sortit et observa un instant les deux enfants. Tous deux étaient sales, pieds nus, vêtus de loques, mais Chaha examinait David.

- Es-tu Samuel Rabanath? dit-il.

Notre ami se troubla. Son cœur se mit à battre la chamade. Ses mains tremblaient.

- Non, répondit-il.

- Saisissez-vous de lui, ordonna le général qui gardait un doute en scrutant ce garçon à l'allure noble et aux doigts fins. Danang vient me rendre visite dans trois jours. Si ce gamin est un des princes de Rabanath, il le reconnaîtra.

Et la troupe partit en emmenant David.


Le fils du fermier, qui accompagnait notre ami, revint à la maison catastrophé. Il annonça la terrible nouvelle de l'enlèvement du prince à Samuel, Myriam et Sarah.

- Nous partons pour la ville de Copal, décida aussitôt le grand frère. On s'y renseignera pour savoir où il est enfermé. Nous tenterons ensuite de le libérer.

- Évitez surtout qu'on vous reconnaisse, interrompit le fermier. Vos têtes sont mises à prix. On offre une forte récompense à ceux qui contribueront à vous livrer à l'ennemi. En ville, vous courrez un grand danger.

- Ils pourraient aller chez mes cousins, proposa son épouse. Je réponds d'eux. Ils vous accueilleront, vous logeront et vous aideront de leur mieux.

Nos amis partirent à l'aube le lendemain matin, après bien des remerciements, et la promesse de se revoir un jour, un jour meilleur. Ils suivirent l'ancienne route qui mène à la ville. Plus longue, mais moins empruntée.

Ils franchirent deux rivières en nageant dans l'eau. Les ponts avaient été détruits. Ils passèrent une nuit à la belle étoile.

Le soleil se couchait quand ils pénétrèrent dans la vaste cité de Copal.


Ils se rendirent chez les cousins de la fermière, une famille de simples artisans du bois. Ils ont deux enfants en bas âge. Ils reçurent nos amis avec chaleur, s'excusant même de ne pouvoir leur offrir qu'un petit espace très modeste pour y dormir.

- Nous n'avons pas toujours été princes et princesses, fit remarquer Samuel. Cette chambre nous convient très bien. Elle nous changera de la paille des étables et des nuits passées sous les étoiles et parfois dans le vent ou sous la pluie.

- Je pars me renseigner, dit le papa des deux enfants. Je vais tâcher de découvrir où l'on enferme David.


L'homme ne revint qu'à la nuit tombée, porteur de mauvaises nouvelles.

- Samuel, Myriam et Sarah, dit-il, votre frère est prisonnier au mausolée. Un ancien temple, très vaste, transformé en prison. De l'eau, infestée de crocodiles, entoure l'énorme bâtiment. Nul ne peut s'échapper de cet endroit où Copal faisait garder les plus dangereux criminels du pays. Aucune sortie ne mène vers l'extérieur, paraît-il. On n'accède aux cachots que par un ancien couloir souterrain qui relie le mausolée au palais.

Nos trois amis écoutaient les explications, de plus en plus inquiets, écrasés par la difficulté, l'impossibilité de délivrer leur frère.

- Et ce n'est pas tout, ajouta l'artisan. Le général Danang, commandant des terres du maharajah Rabanath, arrive demain après-midi par le train qui relie les deux capitales. Il va loger au palais que Chaha occupe et la garde sera triplée.

- Il reconnaîtra David sans difficulté, fit Myriam en soupirant. C'est catastrophique.

 

- Il reste cependant un faible espoir, reprit le menuisier. Il se trouve parmi les bars des ruelles basses de la ville, dans le quartier le plus mal famé, autrefois peu fréquenté, mais florissant depuis la guerre car la police ne prend plus la peine de le surveiller, un tripot sinistre où se terminent les règlements de comptes entre bandes rivales. Là se terrent les pires voleurs, là se vendent et s'achètent des armes trafiquées. Là coulent les alcools de qualité douteuse, et l'on peut se livrer à n'importe quelle débauche. Là, règne un homme appelé Verroupampa.

- Quel drôle de nom! fit Sarah qui écoutait.

- C'est un faux nom. Nul ne connaît le vrai. On le nomme Verrou car deux ou trois fois, il a réussi à s'échapper de la prison-mausolée où il était enfermé. C'est une brute de la pire espèce, un roi de la pègre et des bandits. Lui, et lui seul, serait capable de faire sortir David de son cachot.

- On peut le rencontrer? demanda Samuel.

- Oui, la nuit, dans son auberge de malheur, ce lieu de perdition au bas de la ville, pas loin de la grande gare.

- Alors, j'irai, décida Myriam.

- Pourquoi toi? fit Samuel.

- Parce qu'une petite fille peut émouvoir le cœur d'un brute mieux que quiconque. Nous n'avons rien à lui offrir, ajouta la jeune fille, ni argent, ni honneur, ni promesse de grâce pour les crimes qu'il a sans doute commis. Je n'aurai que mes mots et mes larmes pour le convaincre.

Notre amie insista.

Elle partit dans la nuit avec le menuisier, laissant Sarah à la garde de Samuel.


Pieds nus dans ses sandales usées et vêtue de sa vieille robe délavée, Myriam parcourut les ruelles de la ville sans difficulté. Personne ne fit attention à cette gamine négligée, ni à l'homme inquiet, qui l'accompagnait.

La taverne mal fréquentée était enfumée de vapeurs de tabac de mauvaise qualité et de cris d'ivrognes déjà ivres.

Verroupampa était assis, avec quelques individus louches, à une table du fond.

Il observa notre amie qui venait de s'arrêter près de lui, pâle, dominant mal ses craintes, son appréhension et sa peur.

- Que me veux-tu, fillette? dit-il.

- Un homme crie dans la nuit, risqua Myriam.

- Il peut crier autant qu'il veut, je m'en fous, répondit le rustre.

- Un garçon de neuf ans est enfermé dans le mausolée, poursuivit notre amie.

- Il a dû au moins tuer son père et sa mère, pour se retrouver là...

- Il est prince de Rabanath. Il s'appelle David. C'est mon frère. Vous seul pouvez le délivrer. Vous avez réussi à fuir hors de cet effroyable pénitencier. Vous pouvez l'en faire sortir.

- Pourquoi irais-je? Tu as de l'argent? Des armes?

- Demain soir, mon frère sera présenté au général Danang, qui le reconnaîtra et Chaha le mettra à mort. Je n'ai pas d'argent pour vous payer. Je ne suis plus qu'une petite fille pauvre, qui vous supplie.

Myriam sentit des larmes couler le long de ses joues, malgré son audace et son cran. Elle allait se sauver sans plus insister. Elle cacha son visage dans ses mains et fit un pas vers la porte.

- Reviens ici, demain, seule, à la nuit tombée, dit soudain Verroupampa après un instant de silence. Nous irons délivrer ton frère. Je ne le fais ni pour lui, ni pour toi, ni pour l'argent. Je le fais contre Chaha qui a tué mon fils et qui est la pire crapule que je connaisse.

- Vous êtes un homme bon, affirma Myriam.

- Ne crois surtout pas cela, fillette, répondit Verroupampa.

Elle quitta l'établissement, pleine d'espérance.

 

- Pourquoi voulais-tu le rencontrer toi seule? demanda le menuisier en remontant chez lui. Ton frère Samuel aurait pu se charger de cette mission ou nous accompagner.

- Un de mes maîtres de philosophie, au palais de Rabanath, m'a un jour appris qu'un écrivain russe, dont j'ai oublié le nom, écrivit que les larmes d'une fillette sont plus puissantes que les armes d'un chef de guerre.

- Dostoïevski, murmura le menuisier. Je voudrais que ce soit vrai.

Le lendemain, Myriam revint seule, à la nuit tombante, dans le bouge de Verroupampa.

 

- Ah, te voilà, dit-il. Tu as du cran de venir.

Notre amie ne répondit rien. L'homme se leva, ainsi qu'un autre, qu'elle ne connaissait pas.

- Allons-y. Aram mon associé nous accompagne. Et je te préviens, tu risques ta vie.

Ils montèrent en silence vers le mausolée. L'immense bâtiment, qui ressemble à un pain de sucre, découpait la nuit de sa masse imposante et menaçante. De l'eau noire remplissait les douves.

- On se glisse tous les trois dans le jus, commanda Verroupampa. Tâche de faire le moins de remous possible, pour ne pas attirer les crocodiles.

- Et s'ils viennent? demanda Myriam.

- Alors, ils nous dévoreront.


Ils s'enfoncèrent dans l'eau et dans la boue. À certains endroits, elle venait jusqu'au cou de notre amie. Ils s'arrêtèrent devant une grille rouillée qui fermait un couloir envahi par la vase.

- Aram, ferme la grille derrière nous et attends ici un instant. Si quelqu'un nous suit, tu t'en occupes, puis tu nous rejoins.

Le couloir dans lequel ils pataugeaient, se terminait par une lourde porte sculptée dans la pierre. Ils s'arrêtèrent devant. Aram arriva.

- Nous sommes seuls, dit-il.

- Cette porte, expliqua Verroupampa, ne s'ouvre que de l'extérieur. Donc, sans un complice, impossible de sortir du mausolée, même si l'on réussit à quitter le cachot où l'on est enfermé. Le mécanisme d'ouverture enclenche une minuterie très ancienne. On dispose d'une heure environ. Ensuite la porte se referme pour vingt-quatre heures.

Aram ouvrit.

Myriam et Verroupampa empruntèrent un escalier de dix marches, plongé dans la pénombre. Il menait à une grille bloquée par un simple verrou.


Un bruit de pas retentit dans un autre couloir, celui qui mène au palais. Un groupe de soldats approchait.

- Ne parle pas, commanda Verroupampa, et plaque-toi contre le mur.

Les hommes armés ouvrirent une porte de cachot. Ils en firent sortir David, en larmes, et l'emmenèrent.

- On arrive trop tard, soupira notre amie en les voyant passer presque devant elle.

- On ne pouvait pas venir plus tôt. Trop de clarté. Trop de monde dans les rues.

Ils attendirent en silence. Myriam priait pour qu'on ramène vite son frère au cachot. Avant que la lourde porte en pierre se referme.


On conduisit David dans une salle bien éclairée où Chaha festoyait en compagnie de son invité et de quelques autres traîtres. Danang observa le garçon sans un mot.

- Pas d'erreur, dit-il. C'est David Rabanath.

- Reconduisez-le au cachot, commanda Chaha. Je m'en occuperai demain.

Myriam vit arriver son frère. L'heure était presque écoulée. Verroupampa s'impatientait et menaçait de repartir.

Les gardes s'éloignèrent après avoir enfermé le garçon.

L'homme poussa la grille et s'avança vers la cellule dont il ouvrit la porte avec une clé qu'il gardait en poche. Une clé qu'il avait sans doute façonnée au cours de ses séjours au mausolée.

David se précipita vers sa sœur. Ils coururent au bas de l'escalier, puis vers l'endroit où attendait Aram.

- Vite, souffla-t-il. Il ne reste que deux minutes.

Ils passèrent la lourde porte en pierre qui grinça, un instant plus tard, en se refermant derrière eux. Puis ils traversèrent les douves sans rencontrer un seul crocodile. Ils sortirent de l'eau vaseuse, ruisselants sous le ciel noir.

- Je ne t'oublierai jamais, Verroupampa, dit Myriam. Et après la guerre, mon père te récompensera.

L'homme grogna quelque chose entre ses dents, puis s'éloigna vers les bas quartiers. Il disparut dans la nuit des ruelles.


B. LE TRAIN

Il ne fallait pas rester plus longtemps dans la ville. La présence de nos amis pouvait être reconnue puis dénoncée à tout moment.

Ils décidèrent de revenir sur les terres de Rabanath.

Mais pour aller où? Chez qui? Les quatre enfants n'en savaient rien. Ils n'avaient nulle part où être reçus. Aucun endroit ne leur paraissait sûr. Leur têtes étaient mises à prix. Partout des traîtres rôdaient à leur recherche.

D'abord quitter la ville. Ils décidèrent de prendre le train. Une ligne relie la capitale de Copal à celle de Rabanath.

Mais pas question d'aller avec d'autres gens dans un beau wagon de passagers. D'abord, nos amis n'avaient pas d'argent pour payer leur place, et puis, on pourrait les repérer. Il leur fallait trouver un wagon vide dans un train de marchandises.

Ils profitèrent de la nuit et se rendirent à la gare. Ils franchirent une clôture et enjambèrent des rails.

Des files de wagons patientaient, immobiles sous la lueur de la lune, telle une caravane d'éléphants attendant les ordres du cornac. Nos amis firent coulisser plusieurs portes et finirent par trouver un espace vide au sol couvert de paille. Ils y entrèrent.

Il ne restait plus qu'à attendre et espérer que personne ne viendrait.


Le convoi s'ébranla à l'aube. Plusieurs secousses réveillèrent les enfants qui avaient fini par s'endormir, épuisés.

Le train prit de la vitesse, pas bien grande à cette époque, mais le principal, la ville de Copal disparaissait loin derrière eux.

Ils parlaient peu et regardaient défiler les villages par la porte laissée entrouverte qui leur donnait de l'air.

Cela dura un jour entier. Il en faut deux pour atteindre la ville de Rabanath, but de leur voyage.


Le soir tombait. Nos amis avaient faim, mais rien à se mettre sous la dent. L'heure sombre, entre chien et loup, noyait les campagnes de grisaille et de mystère. Le train s'arrêta. Ils ne virent pourtant aucune gare le long du rail.

Par prudence, ils se couchèrent tous les quatre sous la paille, après avoir fait glisser la porte de leur wagon. Ils se serrèrent les uns contre les autres, se faisant aussi petits que possible, dans le coin le plus sombre.

Quelqu'un ouvrit. Des gens entrèrent et refermèrent en silence. Puis le convoi repartit.

David remua. Samuel, Myriam et Sarah en profitèrent pour se redresser. Ils observèrent leurs compagnons de voyage un instant, sans bien les voir à cause de la pénombre de la nuit. Les six ou sept personnes dévisagèrent ces quatre enfants sales, négligés.

- Un homme crie dans la nuit, lança Myriam.

- C'est mon frère, je l'écoute, répondit une femme.

Rassurés, nos amis se présentèrent à ces partisans de l'armée secrète. Samuel montra l'anneau des Rabanath.

- Nous allons quitter le train bientôt, expliqua l'un d'eux. Nous nous cachons dans les montagnes. Soyez prudents, princes et princesses. La ligne est surveillée. On vous recherche partout. Vous avez mangé?

- Non, répondit Myriam, pas depuis hier.

- Voici un peu de pain. C'est tout ce que nous possédons, offrit une jeune fille qui accompagnait le groupe. Et surtout, quittez le convoi avant d'entrer dans la gare de la ville de Rabanath, car là, les hommes de Danang fouillent partout et tout le monde. 

Le convoi s'arrêta de nouveau. Les partisans quittèrent le wagon.

- Longue vie, princes et princesses. Pour nous, vous représentez l'espoir et la liberté. Nous sommes fiers d'avoir croisé votre route. Nous allons nous battre pour chasser l'ennemi. Tous, jusqu'au dernier.

Le train repartit. Nos amis, émus, les saluèrent longtemps.


La nuit était épaisse et noire, sans étoiles ni lune. Le ciel devait être couvert. Le train traversait une contrée déserte. Le convoi s'arrêta de nouveau sans raison apparente. Aucune gare en vue, aucune lumière.

Nos amis entendirent des voix, pas loin. On donnait des ordres. Les quatre enfants refermèrent la porte coulissante puis se dissimulèrent sous la paille. Couchés les uns près des autres, le cœur battant la chamade, ils écoutaient, angoissés.

- Fouillez tous les wagons, dit quelqu'un. Des partisans de l'armée secrète voyagent dans ce train.

Trop tard pour tenter de sortir et de se cacher dehors. Des gens armés s'approchaient.

L'un d'eux ouvrit la porte du wagon d'un coup sec. Des lampes éclairèrent la paille qui couvrait le sol.

- Rien ici, dit quelqu'un.

Celui qui venait de dire cela s'apprêta à refermer la porte.

- Pas ainsi, soldats, commanda une voix.

Nos amis reconnurent celle de Danang. Son train personnel dépassait le leur dans la nuit mais se trouvait à l'arrêt pour l'instant sur une voie latérale. 

- Pas ainsi, répéta le général.

Il sortit son sabre du fourreau et entra dans le wagon.

- Regardez, reprit Danang.

Il pointa son arme vers le bas et l'enfonça plusieurs fois de suite dans la paille, jusqu'à buter contre le plancher du wagon.

Samuel vit deux fois la pointe de la lame passer à trois centimètres de son visage.

- Vous voyez, dit-il. Ainsi vous êtes certains qu'il n'y a personne, sauf si ça crie, bien sûr.

Danang glissa son sabre dans son fourreau. À cause de l'obscurité, il ne remarqua pas que la lame était tachée de sang.


Le train repartit.

Le grand frère se redressa le premier. Il entrouvrit la porte coulissante. Au loin, dans le ciel, apparaissaient les premières lueurs de l'aube.

David et Sarah vinrent respirer à ses côtés. Myriam ne bougeait pas.

Les enfants déplacèrent la paille.

- J'ai mal, pleurait notre amie. Oh, j'ai mal.

En enfonçant son arme dans la paille, Danang venait de blesser l'avant-bras de la jeune fille. Et elle avait eu le courage incroyable, fabuleux, inouï, de ne pas crier, pour ne pas trahir ses frères et sa sœur.

Du sang coulait encore sur la paille. Samuel déchira sa chemise pour lui faire un pansement.

- Moi, dit-il, je crois que je n'aurais pas pu m'empêcher de crier.


Tout à coup, le convoi ralentit et passa sur un long pont.

- On arrive, lança David. Je vois la gare. On devait quitter le train avant d'y entrer.

- Il n'est pas trop tard. On avance à vitesse réduite. Sautons dans le fleuve, commanda Samuel. Nous savons tous nager.

Nos amis ouvrirent la porte de leur wagon à fond, puis se donnant la main, ils bondirent dans le vide. Ils firent un "plouf" retentissant, puis remontèrent à la surface et se laissèrent emporter, nageant dans le courant jusque hors de la ville.

Ils sortirent de l'eau à l'entrée de la jungle. Là, ils pourraient se cacher.

 

Quel courage, cette Myriam! Et cette guerre qui n'en finit pas...Découvre la suite, la partie 10. Et attends-toi à des passages haletants...