Les quatre amis
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Le mystère de la vieille tour. Partie 1 : Jeu d'enfants.

     Cette mystérieuse affaire commença un matin dans la cour de récréation de l'école. Lucie, une copine de classe de nos amis, s'approcha de Véronique et lui demanda d'appeler Jean-Claude, Christine et Philippe.

Jean-Claude a onze ans, comme son grand ami Philippe. Christine, la sœur de Jean-Claude, et Véronique sa meilleure amie en ont dix.

Lucie prit la parole dès qu'ils furent réunis dans un coin tranquille du préau.

-Mes amis, je voudrais vous demander votre aide. Vous avez triomphé de toutes sortes d'aventures et je suis certaine que vous pourriez me rendre un immense service, si vous le voulez bien.

-Que se passe-t-il ? demanda Véronique.

Lucie hésitait. Elle cherchait ses mots, à la fois soucieuse et indécise. Puis elle se lança.

-Mon grand-père était très riche. À la fin de sa vie, il acheta un somptueux château. Maman y a grandi et j'y ai passé des jours heureux avec ma sœur jusque il y a six mois environ.

-Tu as une sœur ? s'étonna Véronique.

-Oui, mais vous ne la connaissez pas car vous ne l'avez jamais vue. Alice est ma jumelle. Nous sommes parfaitement identiques, mais il y a pourtant une grande différence entre nous : Alice est aveugle depuis sa naissance. Elle habite au château avec ma mère. Moi je vis dans un petit appartement, pas loin d'ici, avec mon père.

-Je ne savais pas que tes parents étaient séparés, dit Christine.

-C'est récent, expliqua Lucie. Ma mère a rencontré un type, que je déteste d'ailleurs, et dont elle est tombée amoureuse. Papa a aussitôt quitté maman et je l'ai suivi. Ma sœur est restée au château. Mais, justement, c'est suite à cette séparation que je vous demande votre aide. Je vous ai dit que mon grand-père était très riche. Maman m'a raconté un jour, ainsi qu'à ma sœur, qu'un trésor caché existe quelque part dans ce château. Mais je suis à peu près certaine qu'elle ne l'a jamais vu et qu'elle n'a pas la moindre idée de l'endroit où il se trouve.

-C'est passionnant, dit Jean-Claude.

-Je suis sûre que Jacques, c'est le nom du sinistre individu qui vit avec ma mère actuellement, n'a qu'une idée : trouver ce trésor et se l'approprier. Mes amis, je vous demande de le découvrir avant lui. Nous serons en vacances dans deux semaines. Je vais vous inviter au château. Je suis certaine que vous réussirez à trouver cet or ou ces pierres précieuses les premiers.

-Avec plaisir, dit Christine.

-Tu peux compter sur moi, promit Véronique.

-Ce sera passionnant, ajouta Jean-Claude.


-As-tu quelques indices ou quelques pistes ? demanda Philippe. Tu nous parles d'un somptueux château, je rêve déjà de m'y rendre, mais on peut chercher en vain des jours et des jours dans une demeure pareille...

-Je ne sais que deux choses, répondit Lucie. Mon grand-père aurait dit que trouver ce trésor est lié à un jeu d'enfants. Il y a aussi un mystérieux numéro de téléphone : le 32 64 74 78.

-As-tu déjà essayé de former ce numéro ? demanda Christine.

-Ça ne correspond à rien, répondit la jeune fille. Il manque le préfixe. En Belgique, les numéros de téléphone comportent tous neuf chiffres : soit un préfixe de deux, suivi de sept autres pour les grandes villes, soit un préfixe de trois, suivi de six pour les villages.

-Je n'y avais pas pensé, avoua son amie.

-C'est peut-être à Paris, s'écria Véronique. J'ai un cousin qui y habite et son numéro de téléphone comporte huit chiffres, après le 00 de l'international, le 33 pour la France et le 1 pour Paris. Cela vaut la peine d'essayer.

-Bonne idée! Si vous avez le temps, venez chez moi tantôt, après l'école.


Ce même jour, les quatre amis se rendirent chez Lucie. Elle habitait un petit appartement au cinquième étage d'un building vieillot. Son père n'était pas encore revenu du travail.

Lucie forma le 00 puis le 33 pour la France. Elle fit le 1 suivi des fameux huit chiffres.

-Ça sonne...

La jeune fille observa ses amis qui la regardaient, pleins d'espoir.

-Allô ?... Comment ?...

Puis il y eut quelques instants de silence.

-Non merci, monsieur, excusez-moi, c'est une erreur. Oui, au revoir monsieur. Excusez-moi encore de vous avoir dérangé.

Lucie raccrocha et dit aux amis en souriant.

-C'est une usine qui met des sardines en boîte...


Nos amis vinrent au château deux semaines plus tard sous un soleil radieux. La maman de Véronique les y conduisit. Ils dépassèrent des grilles monumentales puis roulèrent une centaine de mètres dans un parc soigné. Ils arrêtèrent la voiture devant un perron de cinq marches. La maman de  Lucie les accueillit avec beaucoup de gentillesse.

Alice arriva à son tour. Lucie se précipita pour l'embrasser. La ressemblance entre les deux sœurs était troublante. Alice, non-voyante, demanda à nos amis de pouvoir toucher leurs visages. Elle pourrait ainsi mieux les connaître.

Les personnes aveugles utilisent beaucoup plus que nous l'ouïe, l'odorat, le goût, le toucher, sens que nous avons parfois tendance à négliger, nous qui avons la chance de voir.

Elle passa ses mains avec douceur et délicatesse sur les visages des quatre invités.


Après ces présentations, ils entrèrent tous dans un hall majestueux dont les hauts murs étaient décorés de peintures anciennes. Il était illuminé par un magnifique lustre moyenâgeux en fer forgé.

Jacques arriva à ce moment par un grand escalier en bois sculpté. Il observa les quatre amis en les toisant avec dédain. La maman de Véronique venait de prendre congé et était repartie avec la voiture.

-Voilà donc tes amis ? dit l'homme à Lucie avec mépris. On va en entendre du bruit au château...

La jeune fille préféra se taire et ne pas relever l'accueil discourtois, pour ne pas dire grossier, du sinistre individu. Alice emmena sa sœur et ses amis ses amis vers le premier étage, où cinq jolies chambres contiguës à la sienne les attendaient.

Jean-Claude, Philippe, Christine et Véronique passèrent ensuite un agréable moment à visiter le superbe bâtiment.

Ils parcoururent des salons et des salles de réception au rez-de-chaussée, plus une grande bibliothèque dont les hauts murs étaient couverts de livres modernes et anciens. À l'étage se trouvait, à droite, l'appartement de la maman des jumelles, et à gauche dix chambres à coucher, dont celles occupées par nos amis. Une aile au nord comportait de nombreuses pièces vides. Le quatrième côté de cette grande construction datant du seizième siècle était surtout occupé par une remarquable tour, un donjon sévère de base carrée, datant lui d'une époque plus ancienne.


Trois jours passèrent. Lucie et ses amis ne découvraient pas la moindre trace de cachette secrète ni de trésor. Ils commençaient même à douter de son existence. Pourtant ce n'était pas faute d'avoir cherché.

Chaque fois qu'ils en avaient l'occasion, c'est-à-dire chaque fois que Alice, mais surtout Jacques ou la maman, se trouvaient ailleurs, ils sondaient les murs, observaient les boiseries des escaliers, soulevaient les tapis, déplaçaient les cadres, examinaient avec attention les meubles, les horloges, les statues, les planchers de poutres anciennes, à la recherche d'un quelconque passage ou d'une cache dissimulée à l'abri des regards. Hélas sans aucun résultat.

Nos amis et Lucie n'avaient pas parlé à Alice de leur projet. Les deux sœurs vivaient séparées depuis quelques mois et Lucie ne voulait pas mettre Alice dans la situation de devoir mentir aux deux personnes avec qui elle vivait.

Ils eurent bien un vague espoir, une forte émotion même, le deuxième soir, mais ils furent vite déçus. Christine venait d'entrer dans sa chambre à la recherche d'un pull dans sa valise quand soudain elle entendit un bruit derrière elle. Se retournant, elle vit Alice debout au milieu de la pièce.

-Hé! Coucou, Alice.

-Oh, pardon, répondit la jeune fille aveugle. Je me suis trompée.

-Par où es-tu venue ? Je ne t'ai pas entendue entrer...

-Je suis passée par le mur. Il y a des portes coulissantes secrètes de ce côté du château. Elles  permettent d'aller et venir d'une chambre à l'autre sans suivre le couloir. Je me suis trompée de côté en venant chez toi. Je ne l'ai pas fait exprès, je confonds parfois ma gauche et ma droite.

-Ça m'arrive aussi, dit Christine en souriant. Connais-tu d'autres passages secrets ? ajouta notre amie, qui s'était vite remise de son émotion.

-Non, répondit la jeune fille. Pas que je sache en tout cas.

-Tu me montres comment tu as fait pour entrer ?

-C'est facile, regarde.

Alice marcha vers le mur de la chambre et le longea en y faisant glisser ses doigts. Elle s'arrêta près d'une moulure en bois sculpté et enfonça un minuscule éclat de marqueterie en forme de losange. Un panneau coulissa et les deux filles passèrent côte à côte dans la chambre de Véronique. Elle fut bien étonnée de les voir arriver ainsi.

Leur amie traversa la pièce et s'arrêta au mur en face où elle repéra aussitôt au toucher une nouvelle petite dissymétrie dans le relief des boiseries. L'instant d'après, les trois filles entrèrent dans la chambre de Philippe, qui fut tout heureux d'apprendre comment passer d'une pièce à l'autre. Il promit une visite surprise à son amie Véronique... qui le lui interdit aussitôt.

Tout cela, hélas, ne faisait guère avancer les recherches. D'autant plus que nos amis devaient interrompre celles-ci dès que Jacques s'approchait.


Trois jours donc passèrent. Lucie et ses amis n'avaient pas encore découvert le moindre indice.

Ce soir-là, Jean-Claude risqua une question à la maman des jumelles.

-Madame, pourriez-vous nous conseiller un jeu d'enfants ? Il pleut depuis ce matin et nous nous ennuyons un peu.

Le garçon avait prononcé intentionnellement les mots « jeu d'enfants » afin de recevoir, peut-être, une réponse qui ouvrirait une piste à leurs recherches. Il était bien sûr conscient que de cette manière la mère de ses amies pouvait avoir l'attention attirée sur leur quête au trésor.

La maman sembla d'ailleurs un instant embarrassée, puis elle répondit qu'un livre de jeux d'enfants se trouvait parmi les rayonnages de la bibliothèque.

-Je crois qu'il contient les descriptions d'une centaine de jeux, des jeux d'autrefois, mais je suis sûre qu'il y a de quoi bien vous occuper en vous amusant.

Les quatre amis se regardèrent et observèrent Lucie. Ils se rendirent aussitôt à la bibliothèque et se partagèrent le travail de recherche du fameux livre parmi les milliers d'ouvrages qui décoraient les rayonnages.

-Le voici! s'écria tout à coup Véronique. « Quatre-vingts jeux d'enfants » ! C'est le titre.

-Pas si fort, dit Lucie. Jacques pourrait nous entendre.

Le livre datait du siècle précédent. On y découvrait les règles de quatre-vingts jeux d'autrefois. Des dessins en illustraient certains à différentes pages.

-Nous voilà bien avancés, murmura leur amie. Nous cherchions un jeu d'enfants et nous en avons quatre-vingts à présent.


Philippe eut à cet instant un de ces traits de génie qui le caractérisent et dont il est si fier.

-Attendez, dit-il. J'ai une idée. Et si les fameux chiffres attribués par erreur à un numéro de téléphone correspondaient plutôt aux pages d'un livre... De ce livre précisément.

Les quatre amis se tournèrent vers Lucie.

-32 64 74 78, dit-elle.

Christine ouvrit l'ouvrage et découvrit à la page 32 une belle image montrant une fillette qui jouait au cerceau. À la page 64 on expliquait comment faire tourner une toupie avec un fouet. À la page 74 on décrivait les règles du jeu de quilles. Enfin, page 78 se trouvaient toutes les explications pour fabriquer soi-même un cerf-volant.

-Bon, soupira Véronique. Et maintenant, on fait quoi ?

-Nous avons quatre jeux, c'est trois de trop... fit remarquer Jean-Claude.

-J'ai peut-être la solution, mes amis, dit Lucie. Je crois même que nous sommes enfin sur la bonne piste. Mon grand-père était un passionné d'art, un mécène, doublé d'un habile collectionneur. Il a acheté une étonnante série de statues d'enfants, grandeur nature, et qui semblent jouer à différents jeux. Ces statues sont actuellement entreposées au grenier de la grosse tour carrée du château. Je crois me souvenir que certaines d'entre elles illustrent les jeux que nous avons découverts dans le livre.

-Allons voir, s'écria Philippe.

-Ma mère ne veut en principe pas que j'aille dans ce grenier, dit leur amie. Il paraît que le toit est pourri et que des poutres menacent de s'effondrer. Mais, venez, suivez-moi et ne faites pas de bruit. Il ne faut surtout pas que maman ou Jacques ou Alice nous entendent.

-Tu es dure avec ta sœur, dit Christine. Tu ne penses pas que l'on pourrait lui faire confiance et la mettre dans notre camp ?


Lucie ne répondit pas, mais conduisit ses amis au pied d'un grand escalier en bois qui menait au grenier de la tour. L'escalier longeait les quatre puissants murs. Les cinq enfants y montèrent, très déchaînés à l'idée de découvrir le trésor.

Ils allaient atteindre la porte tout en haut quand ils entendirent la voix d'Alice qui les appelait d'en bas.

-Que faites-vous là ? Je peux jouer avec vous ?

-Je montre le grenier de la tour à mes amis, répondit sa jumelle. On vient jouer avec toi dans cinq minutes.

-Tu sais bien que maman ne veut pas qu'on aille là.

-Alice, dit Lucie, tu n'es pas une rapporteuse quand même. Tu ne vas pas aller dire à maman où nous sommes ?

-D'accord. Mais alors prenez-moi avec vous.

Les cinq amis se regardèrent un instant, perplexes. Jean-Claude fit un geste, comme pour dire : « Fais-lui confiance. Parle-lui de notre quête. »

-Viens Alice, dit Lucie. Je t'attends.


Elle les rejoignit bien vite et ils entrèrent à six dans l'immense grenier.

Il y régnait une odeur à la fois de renfermé et de poussière. Nos amis découvrirent un incroyable bric-à-brac, une véritable caverne d'Ali Baba, un entassement de meubles de toutes sortes : des tableaux, des coffres, des tables, des chaises dorées, des fauteuils, des vieilles horloges, des piles de livres, le tout recouvert çà et là de quelques toiles d'araignées.

Ils remarquèrent bien vite la présence de statues parmi tous ces objets. Une quinzaine au moins. Elles étaient disposées un peu partout sur le sol qui ressemblait à un vaste damier constitué de grandes dalles noires et blanches en bois.

Les enfants eurent tôt fait de découvrir les quatre statues qui les intéressaient. Placées à quelques mètres l'une de l'autre, elles formaient entre elles un carré parfait.

L'une représentait une fillette qui semblait jouer au cerceau. Elle tenait une baguette à la main, mais le cerceau manquait. Un garçonnet avait les mains en l'air comme s'il guidait un cerf-volant invisible. Une autre fillette paraissait fouetter une toupie inexistante. Enfin un autre garçonnet tenait une grosse boule de billard et s'apprêtait à la lancer sur des quilles, mais ces quilles demeuraient invisibles.

-Je peux toucher les statues dont vous parlez ? demanda Alice.

Véronique la guida de l'une à l'autre sous le regard indécis du reste de la bande. Alice toucha chacune des statues, glissant les mains sur les visages comme elle avait fait à l'arrivée de nos amis pour mieux les connaître.


Soudain la porte du grenier, que Philippe avait refermée derrière lui par prudence, s'ouvrit et la maman des jumelles parut sur le seuil.

-Puis-je savoir ce que vous faites là ? Lucie, je t'avais interdit de monter dans ce grenier. Imagine qu'une poutre se détache et tombe sur un de tes copains... Et en plus tu y introduis ta sœur !

Lucie allait répondre quand Alice créa une forte diversion.

-Maman, c'est vraiment très étrange. Mes amis viennent de me montrer quatre statues et elles ont toutes les quatre le visage tourné vers un même point.


Comble de malchance ou conséquence du bruit qu'ils faisaient à l'étage de la tour, Jacques, le sinistre individu que nos amis évitaient de rencontrer trop souvent depuis leur arrivée, venait d'apparaître dans l'embrasure de la porte.

-Voici donc le dernier salon où l'on cause, dit-il. J'espère que je ne dérange pas...

Nos amis se taisaient, consternés. Avait-il entendu la remarque d'Alice ?

-Regarde, maman, ces quatre statues tournent leur tête exactement vers un même point, répéta la jeune fille en insistant.

Très intelligente, elle venait de reconstituer l'espace en trois dimensions dans son esprit. Il n'était donc pas étonnant qu'elle ait aussitôt fait cette étrange constatation. Malheureusement, cette découverte n'avait pas échappé au triste individu.

L'enfant au cerceau ne regardait pas son jouet qu'elle était censée guider avec un fouet. Elle semblait observer un point précis situé quelques mètres derrière elle. Le garçon au cerf-volant tournait son visage vers le même point, situé au sol près du mur Sud de la tour. La joueuse à la toupie et celui qui semblait lancer une grosse boule vers des quilles imaginaires scrutaient le même endroit précis.


Jacques se précipita vers le point de rencontre des quatre regards et passa la main sur la dalle visée, comprenant, comme toi sans doute, que là-dessous se trouvait le trésor.

Il se redressa et arracha une épée à une respectable armure du Moyen Âge qui semblait attendre son heure de gloire depuis des siècles. Il planta la pointe de l'arme dans une fente entre deux carreaux blancs et noirs. En s'en servant comme d'un levier, il réussit sans difficulté à lever la fameuse dalle. Le plancher apparut, constitué de grosses poutres.

Mais il n'y avait pas la moindre trace de trésor ou de cachette dissimulée à cet endroit.

-Bougez-vous, cria-t-il, reculez.

Et saisissant à nouveau son instrument, il souleva deux autres dalles contiguës à la première.

-Ne restez pas là à me regarder bêtement ! Dégagez le terrain. Bougez cette commode. Et toi, ajouta Jacques en désignant Philippe, recule ce fauteuil.

Notre ami glissa le siège en question en arrière puis s'assit dessus, bien décidé semblait-il, à ne plus en bouger.

L'homme, de plus en plus exalté, soulevait dalle après dalle sans succès. Il se redressa en sueur, essuya son front du revers de la main, et hurla :

-Rien ! Il n'y a rien. Je perds mon temps ici. Je me demande ce que je fais encore dans ce château...

-Que dis-tu là ? murmura la maman des jumelles. Descendez, les filles, et emmenez vos amis au jardin.


Jean-Claude quitta le grenier suivi par ses amis. Ils empruntèrent le grand escalier. On entendait crier le beau-père des jumelles.

Ils sortirent du château et restèrent un moment devant l'entrée principale. Alice et Lucie pleuraient. Christine, Véronique et les garçons tentaient de les consoler en les entourant avec beaucoup de tendresse.

Tout à coup, la porte s'ouvrit et Jacques apparut sur le seuil, portant deux grands sacs à la main. Sans jeter le moindre regard aux deux filles, sans le plus petit mot même pour Alice qu'il côtoyait depuis des mois, il bondit dans sa voiture et démarra en trombe. Il disparut au-delà des grilles du domaine.

Quand la maman des deux filles arriva à son tour, il était déjà loin. Elle serra ses deux enfants en pleurant.


-Maman, dit Lucie, tu crois qu'il reviendra ?

-Il nous quitte pour toujours. Je me suis bien trompée avec lui. Je croyais qu'il m'aimait, mais il était ici seulement pour l'argent et le trésor.

-Maman, murmura Alice, tu vas téléphoner à papa ?

-Oui, ma chérie, je vais l'appeler tout de suite. Je vais lui demander pardon pour tout le mal que je lui ai fait et pour celui que je vous ai causé à toutes deux. J'espère qu'il reviendra. Je n'ai jamais cessé de l'aimer. Il peut retrouver toute sa place à nos côtés.


Le père des jumelles revint le jour même. Ce fut une scène émouvante de retrouvailles devant nos quatre amis.

-Madame, monsieur, dit alors Philippe, quel merveilleux tableau, celui de vous voir vous réconcilier. Ce pardon est un trésor. Mais j'ai un cadeau pour vous, un très beau cadeau. Un authentique trésor. Celui de votre père, madame...

Tous les regards se tournèrent, étonnés, surpris, vers le garçon.

-Lucie nous a parlé d'un trésor en nous invitant au château. Les numéros qu'elle avait retenus correspondaient à quatre pages du livre "Jeux d'enfants" que vous nous avez recommandé de lire. Quatre statues de la collection de votre père, madame, illustrent quatre jeux décrits dans ce livre, aux pages qui correspondent au numéros évoqués par notre amie.

"Alice a compris la première que ces quatre statues tournaient leur visage vers un même point. Jacques alors s'est précipité vers l'endroit où il croyait découvrir le trésor. Il s'est lancé dans un « piège pour minable », si vous me permettez cet écart de langage.

Philippe se tut un instant et observa son auditoire.

-Nous avions donc à ce moment quatre jeux d'enfants sous les yeux. L'un d'entre nous a dit que c'était trois de trop... C'était en fait quatre de trop.

-Comment cela? demanda Jean-Claude.

-Quand je suis entré au grenier j'ai tout de suite pensé au jeu d'échecs en observant les dalles blanches et noires du plancher. Mais il y avait trop de cases au sol. Le jeu d'échecs en comporte soixante-quatre. J'ai alors songé au jeu de dames qui en a plus, mais cette fois encore il y en avait bien trop.

"Votre père, madame, avait évoqué un jeu d'enfants. J'étais encore à me demander lequel quand Jacques m'a fait reculer un fauteuil. J'ai obtempéré et l'ai glissé jusqu'au centre du carré formé par les quatre statues qu'on avait découvertes dans le livre « 80 jeux d'enfants ». J'ai vu alors en me penchant à ma gauche et à ma droite un rond blanc un peu effacé sur les dalles noires voisines de mon fauteuil.

"J'ai pensé d'abord à des traces laissées par un seau, mais j'ai eu juste après l'idée d'un jeu d'enfants tout simple et que chacun connaît : le jeu "OXO". J'avais les deux 0. Il me restait à trouver le X. J'ai compris alors qu'il était formé par le croisement des deux diagonales du carré.

"J'étais donc assis sur l'emplacement du trésor. Je me suis bien gardé d'en bouger. Si vous voulez m'accompagner dans le grenier de la tour... "

Ils montèrent bien vite et découvrirent un petit sac en grosse toile sous la dalle désignée par Philippe. Il contenait une belle collection de rubis, d'émeraudes et de saphirs.

Notre ami fut applaudi puis entouré par le groupe des parents et des enfants, admiratifs.


Nos quatre amis passèrent encore quelques jours très heureux avec Lucie et Alice et leurs parents, charmants et attentifs.

Le dernier après-midi venu, il fallut se quitter, mais les jumelles insistèrent pour que chacun des quatre choisisse une jolie pierre en souvenir de leur aventure au château.

Ils promirent de revenir aux vacances suivantes.

Mais cela, c'est une autre histoire. Tu la découvriras dans l'épisode appelé "Le livre du mort." Numéro 25. Si tu oses le lire...