Les quatre amis
Retour Imprimer

La Bande des Habits Noirs

     Philippe, le copain de Jean-Claude, de Christine et de Véronique, garde souvent des petits enfants le mercredi après-midi. Grâce à ce boulot, il a pu s'offrir un très beau vélo dont il est vraiment fier. Comme il envisage encore d'autres achats, il continue de jouer les baby-sitters assez régulièrement.

Un mercredi après-midi, vers cinq heures, Philippe sortit du building après le retour des parents des deux petits. Arrivé sur le trottoir, il constata avec effroi que son vélo attaché avec une bonne chaîne à un arbre, était très endommagé. La roue avant tordue, le dérailleur forcé, le guidon lacéré. Ce n'était pas un accident, mais du vandalisme. Notre ami en eut les larmes aux yeux.

Redressant la tête, il aperçut cent mètres plus loin, deux jeunes dissimulés sous des habits noirs et une cagoule noire. Les deux voyous riaient et le montraient du doigt. Le garçon tenta de courir derrière eux, mais les deux individus s'enfuirent lâchement. Philippe revint alors sur ses pas, prit son vélo et, le tenant par le guidon, traversa le parc pour retourner chez lui.

Il croisa quelques instants plus tard ses amies Véronique et Christine, un an plus jeunes que lui, et toutes deux en cinquième année à l'école. Elles revenaient de la piscine.

-Que t'arrive-t-il ? s'inquiéta Véronique. Tu as eu un accident ?

-Non, ce n'est pas un accident, mais du vandalisme. Mon vélo a été endommagé pendant que je gardais mes deux petits.

-Ton nouveau vélo! s'indigna Christine. Celui que tu t'es acheté après avoir tant travaillé et économisé.

-Exactement, répondit leur copain.

-Je suis désolée. Je suis vraiment désolée, insista Véronique. Si tu veux, je te prête un des deux miens, pour aussi longtemps que tu voudras.

-Tu es gentille, remercia Philippe, mais cela ne me rendra pas celui-ci. Je t'assure que je n'en resterai pas là avec ces salauds.


Le lendemain à l'école, nos quatre amis en parlèrent autour d'eux. Ils apprirent incidemment que leur copain n'était pas le premier qui subissait les agressions de la bande des habits noirs.

Ces voyous, toujours habillés en noir et cagoulés, braquaient les petits commerçants. Ils s'amusaient à taguer les murs, à casser les carreaux des vieux bâtiments. Parfois ils envahissaient les plaines de jeux, insultaient les parents, terrorisaient les petits, volaient le peu d'argent que des enfants gardaient en poche pour leur goûter ou pour l'école ou les rackettaient. Bref, cette bande régnait dans le quartier depuis quelque temps déjà.

Personne ne savait combien de membres la composaient. La police, n'ayant jamais aperçu aucun d'entre eux à visage découvert, demeurait bien perplexe et totalement impuissante.


Le mercredi après-midi suivant, nos amis s'assirent tous les quatre sur un banc dans le parc public près de chez eux. Ils réfléchissaient. À force de déduction, ils acquirent la certitude que ces voleurs devaient avoir un quartier général, un lieu où se retrouver, dans un vieux bâtiment sans doute. Ils pensèrent à l'ancienne gare, le long d'une voie de chemin de fer désaffectée. Cette gare, transformée autrefois en café-restaurant, puis laissée déserte, devait leur convenir comme repaire. Une petite visite s'imposait.

Tous les quatre montèrent sur leurs vélos et se dirigèrent vers le bâtiment abandonné auquel on accédait en grimpant un talus à travers des ronces, des orties et des plantes sauvages.

La construction leur parut patibulaire. Tous les carreaux étaient cassés, la porte éventrée, les volets traînaient à terre. Les murs, lézardés, étaient couverts de plantes et de tags. À l'intérieur, cela sentait le moisi, le pourri, la saleté. La peinture était écaillée, des morceaux de briques ou de ciment jonchaient le sol où l'on découvrait ça et là des canettes vides, des bouteilles cassées et un vieux matelas pourrissant.

Un escalier en béton conduisait au premier et puis au second étage, dans le même état que le reste. Au deuxième, Christine aperçut, dans les crasses et la poussière, deux jambes de pantalon en jean noir. Elle en conclut que la bande se réunissait parfois en ce lieu. Probablement qu'un garçon ou une fille avait coupé son jean pour en faire un short d'été.

Comment réusssir à en apprendre plus et même à pouvoir les coincer ?

Nos amis décidèrent d'ouvrir l'œil, d'écouter, de tâcher de surprendre une conversation, de trouver un indice.


Parfois le mercredi après-midi, Christine et Véronique vont à la grande plaine de jeux. Elles passent des balançoires aux toboggans, escaladent le grand cube en barres de fer, explorent tous les jeux. Souvent, elles jouent dans le grand bac à sable où se tiennent les plus jeunes. Elles s'amusent à construire des châteaux pour eux et tous les petits enfants les entourent, très heureux que pour une fois des « grands » veuillent bien partager leurs jeux.

Un jour, alors que nos amies terminaient un beau circuit pour billes, une apparition fit s'encourir les bambins dans les bras de leurs parents. Au loin, venaient d'apparaître trois jeunes cagoulés et en habits noirs. Christine et Véronique s'éloignèrent des jeux et se cachèrent derrière des arbres, mais prêtes à intervenir en cas de besoin.

Un des voyoux sortit un spray de peinture de sa poche et tagua un carreau. Un autre ouvrit son couteau à cran d'arrêt, l'arme du lâche, l'arme du faible, du froussard, du tricheur. Il coupa les cordes des balançoires. Puis ils donnèrent des coups de pied dans les constructions en sable des petits. Certains d'entre eux pleuraient. Une maman osa intervenir.

-Mais arrêtez ! Vous ne pensez vraiment qu'à faire du mal autour de vous ?

Les trois jeunes se retournèrent et insultèrent cette pauvre mère, lâchant sur elle une volée de mots et d'insultes vulgaires absolument honteuses, puis ils s'éloignèrent.

À ce moment-là précisément, Christine et Véronique eurent la chance de les entendre. Les trois jeunes passèrent en se parlant, tout près des arbres derrière lesquels elles se cachaient.

-Alors, samedi onze heures du matin ?

-Oui, samedi, onze heures, répéta un autre. On se réunit tous pour préparer une grosse opération.

-D'accord, fit le troisième.

Puis ils se séparèrent.


Croyant connaître l'endroit où ils se dissimulaient et l'heure précise du rendez-vous le samedi suivant, les quatre amis conçurent un plan audacieux dont ils parlèrent autour d'eux à l'école lors des récréations. Ils formèrent bientôt une ribambelle d'une vingtaine d'enfants avec leurs copains et amies de cinquième et de sixième primaires. Ils se donnèrent rendez-vous le samedi à dix heures du matin.

Là, sous le commandement de Jean-Claude, ils encerclèrent discrètement et à distance, le bâtiment de la vieille gare.

Un seul endroit semblait impraticable ou à peu près. L'arrière de cette ancienne construction alors à l'abandon. Philippe et Véronique s'y dissimulèrent sous un massif de ronces et d'orties, pour surveiller les allées et venues, à l'abri des regards, croyaient-ils.

Tous les autres, répartis en demi-cercle se tenaient prêts à intervenir. Chacun emportait une arme. Une clé anglaise, un pied de biche, un marteau, un canif...

Ils virent arriver un, deux, trois jeunes cagoulés de noir. Puis deux autres et encore deux autres, cela faisait déjà sept. Enfin, un dernier s'approcha à moto. Il rangea son engin et entra dans le bâtiment en ruine.

Pendant quelques minutes encore, Jean-Claude et ses amis observèrent soigneusement l'endroit et écoutèrent, à l'affût du moindre bruit en gardant le silence.

Puis, comme plus personne ne semblait venir, ils risquèrent de donner l'assaut. Tous les garçons et les filles se précipitèrent entre les taillis et les fourrés et entrèrent dans le bâtiment par les fenêtres brisées, par la porte éventrée ou par où ils pouvaient, en lançant des "ya-hou", comme cris de guerre. Ils entendirent des hurlements de stupeur là-haut.

Les enfants, courageusement, montèrent le seul escalier en courant mais quand ils parvinrent au second étage, ils ne virent plus personne. Les loubards s'étaient enfuis par une petite fenêtre située à l'arrière et qui rendait accessible une échelle en fer rouillée accrochée à la façade du mur du vieux bâtiment.

Les membres de la bande se faufilèrent alors par les fourrés. Ils passèrent tout près de Philippe et Véronique et les appréhendèrent. Les deux amis, seuls contre une bande de huit, ne purent leur tenir tête.

Les copains de l'école descendirent par l'échelle à leur tour. Ils cherchèrent leurs deux amis. Ils appelèrent, ils crièrent, mais les deux enfants demeuraient invisibles. Jean-Claude proposa à chacun de rentrer chez soi, et accompagné par sa sœur Christine, il finit par retourner à la maison, fort inquiet. 


La bande des habits noirs, en descendant par l'échelle rouillée, avait aperçu, étant donné la hauteur à laquelle ils se trouvaient au départ, Philippe et Véronique dissimulés dans les taillis. Ils s'approchèrent d'eux, sortirent leurs couteaux à cran d'arrêt et sous la menace, les emmenèrent avec eux. 

Les deux enfants furent conduits de force jusqu'à un hangar, lui aussi délabré et situé à quelques centaines de mètres. On les obligea à entrer dans cet entrepôt. Là, l'aîné des huit voleurs, le chef sans doute, s'approcha de Philippe.

-Nous n'aimons pas beaucoup les espions. Tu vas découvrir comment nous les punissons.

Il décapsula une canette de limonade sucrée et versa l'entièreté du contenu sur la tête de Véronique. Ses cheveux, son polo, son jean, tout en fut imprégné. Elle sentit avec dégoût le liquide couler dans son dos.

Ils attachèrent ensuite les mains et les pieds des deux enfants solidement. Puis, en les portant, ils allèrent les poser une centaine de mètres plus loin, à quelques pas de plusieurs ruches bourdonnantes d'abeilles. Les jeunes de la bande des habits noirs s'éloignèrent et disparurent en rigolant.


Nos deux amis, couchés à terre, l'un près de l'autre, virent arriver les premières abeilles. Elles tournaient autour de Véronique qui, terrorisée, savait qu'il ne faut pas bouger.

Philippe aperçut un tesson de bouteille à quatre mètres de là, de l'autre côté d'une flaque de boue. Il la traversa en roulant sur lui-même. Il réussit à poser son dos sur le tesson et, en faisant des mouvements de va-et-vient sur ses poignets, il tenta de briser ses liens. Il se blessa deux ou trois fois et saigna, mais courageusement, le garçon continua, s'acharnant sur le verre tranchant de la bouteille. Il parvint à couper les liens de ses bras.

Une vingtaine d'abeilles entouraient à présent le visage de la pauvre jeune fille qui tremblait de peur, mais arrivait encore à se maîtriser et à ne pas bouger.

Notre ami saisit le morceau de verre et trancha les cordes qui lui ligotaient les pieds. Il se précipita ensuite vers sa copine et lui coupa les liens des pieds et des mains. Elle se leva aussitôt. Il chassa plusieurs abeilles. Les autres, surprises, s'enfuirent et Véronique ne se fit piquer qu'une seule fois en tout.

Hélas, les insectes revenaient et suivaient notre amie, attirés par l'eau sucrée. Elle se roula dans la grande flaque boueuse que son copain avait traversée.

Elle hésita un instant puis se coucha dans la vase noire et nauséabonde. Ses cheveux, ses habits, tout fut imprégné. Mais les abeilles s'éloignèrent. Ensuite, tous deux revinrent à la maison toute proche, où Jean-Claude et Christine les attendaient.


Après s'être lavés et changés, Christine et son frère leur prêtèrent des vêtements propres. Puis les quatre amis se retrouvèrent au salon. Jamais on ne s'était moqué d'eux d'une telle manière. Jamais, on ne les avait humiliés autant. D'abord, les voyous s'étaient acharnés sur le vélo de Philippe, et maintenant, Véronique et son ami avaient été ligotés et livrés aux abeilles. Cela criait vengeance. Mais comment s'y prendre ?

Ils échafaudèrent plusieurs plans, mais aucun ne convenait vraiment.

Tout à coup, Christine prit la parole.

-Je ne vois qu'une solution. Je vais entrer dans la bande.

-Que proposes-tu là? s'inquiéta son frère. Entrer dans la bande ?

-Oui, si nous voulons les piéger, il faut connaître leurs plans, il faut que l'un d'entre nous fasse partie de leur sale groupe afin de les espionner de l'intérieur.

-Tu mesures bien les risques que tu prends ? demanda Philippe.

-Oui, je les mesure bien, répéta la courageuse jeune fille.

-Et pourquoi faut-il absolument que cela soit toi ? interrogea Véronique.

-D'abord, parce qu'ils te connaissent. Vous êtes repérés Philippe et toi. Vous n'avez aucune chance d'être reçus. Il ne reste que mon frère ou moi. Je crois que j'ai peut-être une chance d'entrer dans cette bande de voyous, étant moi-même, paraît-il, assez "garçon manqué". Et si je fais semblant de devenir l'amie de l'un d'entre eux, je réussirai à le faire parler.

Après plusieurs hésitations et devant l'assurance et le courage de Christine, ils décidèrent de tenter l'opération.


Deux mercredis d'affilée, notre amie s'assit sur un banc, le long de l'ancienne voie ferrée, où pas mal de gens se promènent ou passent à vélo, entre le bâtiment délabré, où ils avaient aperçu le groupe, et le hangar que Philippe et Véronique lui avaient indiqué. Ces loubards traînaient souvent par là. Elle espérait en rencontrer pour leur parler.

Le deuxième mercredi, après une heure d'attente, la chance lui sourit. Enfin, la chance…

Elle posa le livre qu'elle lisait à côté d'elle. Deux jeunes, habillés de noir et cagoulés, s'approchaient. Quand ils arrivèrent tout près, elle se leva.

-Salut, je voudrais faire partie de votre bande.

Les deux voyous s'arrêtèrent. L'un deux semblait être une fille. Christine aperçut des longs cheveux dépassant du bord de sa cagoule. L'autre, vu sa taille, semblait ou pouvait être le chef.

-Pourquoi veux-tu faire partie de notre bande ?

-Parce que vous êtes les plus forts, fit notre amie en souriant. J'aime ça.

Elle venait de toucher un point sensible.

-D'accord. Tu vois le hangar, là-bas ?

-Oui.

-Bien. Sois à cet endroit samedi à trois heures de l'après-midi, en tenue de gymnastique. Si tu ne viens pas, ne te présente plus jamais devant moi.

Les deux jeunes s'éloignèrent.

Christine attendit qu'ils disparaissent. Elle prit son livre et alla retrouver ses amis et son frère. Elle expliqua son aventure.


Le samedi suivant, en tenue de gymnastique, short bleu, t-shirt et tennis blanches, notre amie se dirigea vers le hangar. Jean-Claude, Philippe et Véronique suivaient de loin, pour observer et se tenir prêts à intervenir en cas de difficulté.

Christine, le cœur battant, entra dans le bâtiment. Elle aperçut quatre ou cinq jeunes cagoulés.

-Approche, appela l'un d'entre eux. Assieds-toi là par terre.

Elle s'assit sur le sol. Elle reconnaissait la voix du chef.

-Bien. Tu déclares vouloir te joindre à nous. Tu as bien réfléchi ?

-Oui. Ça m'intéresse de faire partie d'une vraie bande.

-Bien. Tu dois passer trois épreuves. Si tu les réussis toutes, tu seras des nôtres.

Christine ne répondit rien.


-Première épreuve. Enlève ton t-shirt.

Notre amie se mit torse nu. Ça l'ennuyait un peu, mais il fallait leur obéir.

-Enlève tes sandales de gym.

Elle se mit pieds nus. Il ne lui restait que son short.

-Tu vois là-bas les ruches ?

-Oui, affirma Christine.

-À gauche, il s'en trouve une isolée.

-Oui, je l'aperçois.

-On a posé une clef sur cette ruche. Va la chercher et apporte-la moi.

Décidément, ces loubards sont obsédés par les abeilles, se dit notre amie.

Christine marcha vers la ruche pieds nus, torse nu, les cheveux courts au vent. Plus elle avançait, plus les abeilles l'entouraient. Son cœur se mit à battre de plus en plus fort. Ses mains tremblaient, glacées de froid autant que de peur. Les abeilles tournaient autour d'elle. Elle pensa à Véronique.

Elle protégeait ses yeux. Elle les entrouvrait à peine, juste pour voir son chemin, afin de ne pas être piquée sous les paupières. Deux ou trois abeilles se posèrent sur elle, l'une sur l'épaule, une autre sur son bras, et une troisième sur son ventre.

Elle avançait maintenant très lentement, traînant les pieds, faisant exprès de bouger le moins possible, de respirer le plus doucement qu'elle pouvait. Elle parvint enfin à côté de la ruche.

Elle aperçut la clé. Elle tendit sa main droite, très lentement, en se maîtrisant autant qu'elle pouvait, pour ne pas trembler. Une vingtaine d'abeilles couraient maintenant sur son corps. Elle parvint à saisir la clé. Elle la serra entre le pouce et l'index. Elle plia son coude, fit demi-tour et s'éloigna peu à peu de la ruche.

Comme elle ne faisait aucun mouvement brusque, car elle se dominait avec un courage incroyable, elle parvint au hangar sans se faire piquer. Elle posa la clé dans la main tendue du chef de la bande, avec force, presque violence.

-Tu es en colère! J'apprécie ceux qui ont du caractère.

Mais son sourire n'apparut pas sous sa cagoule.


-Deuxième épreuve, à présent. Tu vois ces deux boîtes à chaussures ?

-Oui, répondit Christine.

-Ouvre la première, celle de gauche.

Elle ouvrit la boîte désignée. Elle était vide.

-L'autre à présent.

Dans la seconde, elle aperçut avec horreur une grosse mygale, qui remuait dans un coin.

-Referme les deux boîtes.

Elle reposa les couvercles.

-On va te mettre un bandeau sur les yeux. Tu ouvriras à nouveau les deux boîtes. Tu prendras l'araignée dans celle de droite et tu la poseras dans celle de gauche. 

Le cœur de Christine se mit à battre la chamade. Jamais elle n'oserait prendre une araignée pareille en main. Elle se sentait horrifiée. Elle tremblait à présent, glacée d'effroi. Mais elle voulait réussir l'épreuve pour venger ses copains. Elle pensa à son frère, à Philippe, à son amie Véronique, intensément.

Elle tendit la main droite vers la boîte vide et la gauche vers l'autre. Elle ôta les deux couvercles. Elle hésita encore un instant. Personne ne peut faire cela, se dit-elle. C'est un épreuve trop forte. Elle allait être mordue.

Puis elle songea que d'autres avaient dû réussir cette épreuve avant elle pour entrer dans la bande des habits noirs. Sa main tremblait. Elle la posa dans la terrible boîte et toucha l'araignée. Elle sentit alors et comprit en un éclair que pendant qu'on lui plaçait le bandeau sur les yeux, on avait remplacé la boîte de l'araignée vivante par une autre, en contenant une en plastique. Elle la saisit et la transféra dans la seconde boîte.

On lui arracha le bandeau.

-Tu as du cran, conclut le chef. J'aime ça. Viens, tu vas passer la troisième épreuve. Tu peux remettre ton t-shirt et tes chaussures.


Christine se rhabilla rapidement. Ils s'éloignèrent et suivirent les rues du quartier. Ils parvinrent devant un magasin qui vendait des bonbons et des journaux.

-Entre là et vole vingt euros au moins dans la caisse. Nous t'attendons. Quand tu m'apporteras l'argent, tu seras membre de notre bande.

Notre amie, toujours en tenue de gymnastique, entra dans la boutique. Angoissée. Elle, une fille de bonne éducation, une voleuse, jamais !

Elle s'approcha des revues et fit semblant de les feuilleter. Elle réfléchissait. Que pouvait-elle faire ? Comment s'y prendre? Raconter son histoire au marchand? Mais la croirait-il? Mendier vingt euros ? Il n'allait probablement pas les lui prêter et à partir de cet instant, il se méfierait d'elle. Que pouvait-elle faire d'autre ?

Sortir et s'encourir. Abandonner le projet. Ses amis ne lui en tiendraient certainement pas rigueur. Mais après la réussite des deux premières épreuves, cela serait dommage. Non, il fallait trouver autre chose.

Christine se mit à transpirer. Un moment, le marchand lui demanda ce qu'elle cherchait. Elle répondit qu'elle choisissait une revue. L'homme haussa les épaules et entra dans la pièce à côté. Le téléphone sonnait.

Notre amie, d'un pas rapide, marcha vers la caisse. Tremblante de peur, rougissante de honte, elle ouvrit le tiroir, sortit deux billets de dix euros, remit le tiroir en place et sortit en courant du magasin. Elle posa l'argent entre les mains du chef de la bande.

-Bien. Trouve-toi des habits noirs. Rendez-vous demain, à vingt heures dans le bâtiment désaffecté qui se trouve le long de la voie du chemin de fer. Tu recevras ta cagoule et tu feras partie de notre bande.

Tous les membres du groupe disparurent.


Jean-Claude, Philippe et Véronique s'approchèrent.

Christine était encore sous le choc.

-Je veux rendre immédiatement vingt euros au gérant de ce magasin. J'ai été obligée de voler dans sa caisse.

Véronique courut chez elle. Elle revint avec la monnaie et les quatre enfants se dirigèrent vers le comptoir.

-Monsieur, déclara Christine, ne me prenez pas pour une voleuse. La bande des habits noirs m'a forcée à prendre deux billets dans votre caisse. Je reviens vous les remettre.

-Je ne m'en étais pas encore aperçu, affirma l'homme. Tu es une jeune fille honnête, toi. Je te remercie.

Ils sortirent du magasin et retournèrent chez eux.


Christine ne possède pas de jean noir. Philippe lui en passa un vieux à lui. Jean-Claude prêta un t-shirt noir. Pour les baskets, elle prit ses plus vieilles sandales de gym et les noircit avec du cirage.

Elle se rendit à la première réunion au soir.

Ambiance sinistre ! Elle reçut une cagoule. Elle ne savait toujours pas qui étaient les autres. Aucun ne retira celle qui cachait ses yeux. Une bande de lâches. Une bande de voleurs. Une bande de voyous. Leur vocabulaire était vulgaire. Ils cherchaient un projet malhonnête. Christine écoutait.

L'un deux proposa de voler la pension d'une vieille dame. Un autre parla d'un magasin qu'ils pourraient attaquer. Christine se taisait. Elle était assise à côté du chef.

Un certain moment, celui-ci passa sa main dans ses cheveux. Elle fut dégoûtée, mais se laissa faire. Elle posa même sa tête contre son épaule. Le chef la prit contre lui et la serra fort.

Tant mieux, songea notre amie. Il ne se méfie pas. Il croit que je suis sa copine, mais il se trompe et je gagnerai.

La bande des habits noirs se sépara une demi heure plus tard. Ils se retrouveraient le samedi suivant à la même heure. Ils n'avaient rien décidé.


Il fallait imaginer quelque chose pour prendre l'avantage.

Les quatre amis réfléchirent longtemps. Ils envisagèrent plusieurs pistes. Le lendemain, Philippe conçut un plan. Il l'expliqua.

-À l'école, vous le savez, dit-il, le bureau du directeur est passé du rez-de-chaussée au premier étage, suite aux nouvelles constructions.

-Exact, répondirent les autres.

-Bien. Donc, au rez-de-chaussée, la pièce est vide. Mais il y reste un ancien coffre-fort encastré dans le mur. Il ne contient plus rien, bien entendu. On ne le referme plus. Tout le monde connaît le secret d'ouverture à présent. " BA BA".

-D'accord, répondirent les autres.

-Et où veux-tu en venir ? demanda Jean-Claude.

-Voici. Tu pourrais, Christine, raconter à ces malfrats que tu sais où se trouve l'argent dans un coffre de ton école. Parle-leur de quelques milliers d'euros. Tu amènerais la bande au bâtiment. Ils réussiront à pénétrer en forçant une porte ou en brisant une vitre. Bien entendu, tu ne les conduiras pas dans le bureau du directeur au premier étage, mais dans l'ancien local. Nous autres, on y placera une chaise ou deux, une table, des posters aux murs, quelques fardes, un vieux téléphone, pour que cela fasse vrai. On refermera le coffre et on brouillera le secret. Nous savons qu'il suffit de tourner les quatre lettres : « BA BA » correctement pour l'ouvrir.

Les trois autres écoutaient.

-Et voici le plus important, poursuivit le garçon. La porte en bas, au rez-de-chaussée, ferme mal. Je veux dire que lorsque tu es à l'extérieur et que tu claques cette porte, la clenche se détache et tu la gardes en main. Si tu fais entrer la bande dans cette pièce, tous iront droit vers le coffre. Tu leur expliqueras que le secret change toutes les semaines et que tu vas aller le voir au secrétariat. Tu quitteras la pièce et tu claqueras la porte. La clenche pleine, car côté pêne, te restera en main. De l'autre côté, l'autre poignée, creuse, inutile, tombera par terre. Ils seront enfermés dans la pièce.

-Ils sortiront par la fenêtre, craignit Véronique.

-Impossible, précisa Philippe. Elle est barricadée par un grillage épais. Le seul risque que tu cours, c'est que l'un d'eux t'accompagne. Mais si ne fût-ce qu'un ou deux vient avec toi vers le secrétariat pour y découvrir le numéro secret, nous sommes trois et nous les maîtriserons pour te protéger.

-D'accord, approuva Christine. Comme cela toute la bande se retrouvera enfermée. Il n'y aura plus qu'à téléphoner aux policiers.

-Exactement.

Le plan, pourtant délicat, fut adopté.


Le samedi suivant, vers huit heures du soir, Christine arriva à l'endroit de rendez-vous de la bande.

Après s'être salués, notre amie proposa le plan, tel que Philippe l'avait décrit.

Immédiatement, ils applaudirent presque tous, très enthousiastes. Seule, l'autre fille de la bande se méfia.

-Qu'est-ce que tu crains, Paula ? lui demanda le chef du groupe.

-On ne dit pas les noms, répondit-elle, courroucée. Je crois que c'est un piège. Cette petite fille me paraît de trop bonne éducation, bien trop mignonne et trop honnête. Je me demande d'ailleurs ce qu'elle fait parmi nous.

Paula, l'ancienne copine du chef, était jalouse et observait notre courageuse amie.

-Moi, je ne vois pas où est le problème, affirma un autre. On entre dans cette école, on fonce au coffre, la nouvelle nous révèle le secret, on ouvre, on prend le fric et on se tire. Ça me paraît un plan excellent et pourquoi pas y aller tout de suite ? 

-D'accord, répondit Christine. Je ne sais pas si la semaine prochaine, l'argent sera encore dans le coffre.

-Alors, en route, décida le chef.

Paula voulut insister, mais notre amie la toisa, en la regardant.

-Jalouse ?

-Sale gamine, lança-t-elle.

Un instant plus tard, elle sortit avec les autres membres de la bande. Tous cagoulés, bien entendu.

Jean-Claude, Philippe et Véronique, qui observaient leurs mouvements, coururent vers leurs vélos et foncèrent à l'école. Ils entrèrent dans le bâtiment par une petite fenêtre laissée entrouverte, intentionnellement. Peut-être faudrait-il aider leur amie.


La bande arriva dans la cour de récréation. Avec leurs couteaux à cran d'arrêt et un pied de biche, ils eurent tôt fait d'ouvrir une fenêtre en la forçant, au rez-de-chaussée.

Ils taversèrent une classe, gagnèrent le couloir et bloquèrent l'alarme. Christine leur indiqua le bureau du directeur, la dernière porte à gauche. Son cœur battait la chamade. Ses mains tremblaient. Elles se couvraient de transpiration. La sueur de la peur.

Quand ils furent tous dans la pièce vide, elle parla rapidement.

-Ne bougez pas, j'arrive. Je vais chercher le numéro secret au secrétariat. Il change toutes les semaines.

Au moment de passer la porte, Paula marcha vers Christine. Rapide et décidée, notre amie sortit et claqua la porte d'un coup sec. Elle reçu la clenche pleine entre les mains. Elle entendit l'autre poignée, la creuse, inutile, tomber sur le sol du bureau où se trouvait enfermée toute la bande des habits noirs.

Jean-Claude, Philippe et Véronique se montrèrent. Christine s'assit sur les marches de l'escalier. Elle tremblait de tout son corps. Philippe empoigna le portable emprunté à ses parents pour l'occasion. Il forma le numéro et appela les policiers.

Les membres de la bande tambourinaient, hurlaient, vociféraient dans le bureau. Ils essayèrent à plusieurs reprises d'enfoncer la porte, mais ils n'y parvinrent pas. Secouer les barreaux de la fenêtre était inutile.


Quand les gendarmes arrivèrent sirène hurlante, ils n'eurent plus qu'à les cueillir tous. Christine s'était changée rapidement pour ne pas être confondue avec les voleurs.

On retira leurs cagoules. On les identifia et on les mit en prison. Il paraît qu'ils y sont encore.

Grâce au courage de Jean-Claude, Philippe, Véronique et surtout de Christine, la bande des habits noirs a cessé de répandre la terreur dans le quartier.

Philippe reçut un nouveau vélo.

Il ne faut pas s'attaquer à nos quatre amis. Ils détestent la bagarre, mais quand il s'agit de venir en aide à l'un d'entre eux, ils répondent toujours présent.