Magali
Retour Imprimer

L'écureuil

     Magali a quatre ans et demi. Une fillette aux cheveux presque noirs coiffés en deux jolies couettes par ses parents.

Monsieur Léonard, son instituteur en maternelle, permettait qu'on vienne déguisé à l'école demain. Il organisait un grand concours. Les trois costumes les plus originaux allaient recevoir un prix.

Magali voulait s'habiller en ours. Elle en parla à sa maman. Mais celle-ci lui rappela qu'elle ne possédait pas de costume d'ours.

-Alors on en achète un au magasin, dit notre amie.

-Non, répondit maman. Je n'ai pas d'argent pour acheter un déguisement au magasin.

-Tu m'en fabriques un, s'il te plaît.

-Je ne sais pas coudre un costume d'ours, ma chérie. Je vais te couvrir la tête avec un vieux drap de lit blanc, y découper deux trous pour les yeux, et ainsi, tu joueras au fantôme.       

-Ce ne sera pas beau. Je ne veux pas.

-En ce cas, débrouille-toi.

Magali, décue, sortit au jardin. S'habiller en fantôme dans un vieux drap... Elle ne gagnerait sûrement pas un prix de cette manière-là.

Elle avança jusqu'à la barrière, au bout de la haie. Elle l'ouvrit et fit quelques pas sur le chemin de terre qui longeait le champ de blé.


Là, au milieu, se trouve un grand rocher blanc. La fillette y voit parfois des petits lièvres et son ami, le gentil lapin y vit dans son terrier. Elle l'appela trois fois.

-Gentil lapin! gentil lapin! gentil lapin!

-Que se passe-t-il ?

Notre amie fondit en larmes.

-Demain je peux aller déguisée à l'école. Ma maman ne sait pas me faire un costume d'ours. Pourrais-tu me donner un conseil ?

-Pourquoi ne demandes-tu pas aux écureuils ? suggéra le lapin. Moi je ne peux pas t'aider. Les lapins ne se déguisent pas. Mais les écureuils peut-être.

- Oh, merci. Quelle bonne idée !


Magali contourna le champ de blé et s'arrêta au pied de l'arbre où vit l'écureuil qu'elle connaît bien. Elle l'appela trois fois.

-Écureuil aux yeux très doux! écureuil aux yeux très doux! écureuil aux yeux très doux!

-Que me veux-tu ?

-Je peux aller déguisée à l'école demain et je n'ai aucun joli costume à mettre.

-Tu voudrais te changer en quoi ?

-Je ne sais pas, répondit Magali. Je pensais à un costume d'ours.

-Je ne possède pas de costume d'ours, mais si tu veux ressembler à un écureuil, je vais t'aider.

Il remonta dans son arbre et revint quelques instants plus tard en serrant deux noisettes entre ses pattes, une claire et une foncée.

-Voilà, expliqua le petit animal. Avale la noisette claire demain matin. Tu seras aussitôt recouverte d'une magnifique fourrure comme un écureuil.

-Merci, dit Magali.

-Lorsque tu voudras redevenir une petite fille, il te suffira de croquer la noisette foncée. Mais attention! Écoute-moi bien! Sitôt la noisette claire avalée, tu ne pourras boire que de l'eau et manger que des noisettes.

-Pourquoi ?

-Si tu bois autre chose que de l'eau, par exemple du lait, du jus d'orange ou une limonade, ou bien si tu manges autre chose que des noisettes, tu resteras un écureuil pour toujours.

Magali remercia d'un grand sourire et retourna toute joyeuse à la maison.


Le lendemain matin, en petite fille intelligente et prudente, elle déjeuna d'abord. Et après avoir avalé son bol de céréales et bu son jus d'orange, elle remonta à sa chambre et croqua la noisette claire.

Un instant plus tard, elle se retrouva dans une magnifique peau d'écureuil avec une merveilleuse grande queue touffue, des beaux yeux bruns et des petites oreilles ravissantes. Elle ressemblait à un vrai grand écureuil, de la taille de notre amie.

Elle s'admira dans le miroir de la salle de bain, puis sa maman l'appela. Départ pour l'école.

-Quel merveilleux costume, s'exclamèrent les parents. Tu vas sans doute remporter un beau succès !


Quand elle arriva dans la cour de récréation, ce fut un triomphe. Lorsque sa classe passa sur l'estrade, le jury, unanime, proclama le costume de Magali le plus beau.

Le deuxième prix fut attribué à un garçon déguisé en pirate. On croyait voir un vrai. Il portait un t-shirt à lignes rouges et noires, un pantalon avec une grosse ceinture, des souliers à boucle, le tout couronné d'un chapeau orné d'une tête de mort.

On remit le troisième prix à une fillette qui ressemblait vraiment à une princesse.

Tous revinrent en classe avec leurs prix : des très beaux livres sur les animaux du monde et leurs petits.

-Les enfants, vous pouvez retirer vos déguisements, annonça l'instituteur, sauf Magali, le pirate et la princesse. Madame la directrice souhaite faire une photo d'elle avec les trois plus beaux. Elle reviendra dans l'après-midi. Donc, ma chérie, tu gardes ton costume d'écureuil jusqu'à trois heures, de même pour le pirate et la princesse.


Vers midi, les enfants se dirigèrent vers le réfectoire. Magali, toujours en écureuil s'assit à table entre ses amis et ses amies.

Elle ouvrit sa boîte de pique-nique. Elle contenait quelques carottes que sa maman lui épluche, un œuf dur et une tartine à la confiture aux cerises.

Notre amie avait faim, mais elle savait qu'elle ne pouvait pas manger ces bonnes choses. Si elle avalait cela, elle resterait toute sa vie un écureuil. 

-Tu ne prends pas ton repas ? demanda un copain.

-Je ne peux pas manger cela, soupira Magali. À cause de mon costume.

-Enlève-le. Tu le remettras après.

-Impossible, répondit notre amie. Si je le retire, il disparaîtra pour toujours et je ne l'aurai plus pour la photo de cet après-midi.

-Pourquoi tes parents te donnent-ils des choses que tu ne peux pas manger ? demanda une copine.

-J'ai oublié de leur dire, expliqua Magali, les larmes aux yeux. Je ne peux prendre que des noisettes et boire de l'eau.

-Si tu veux, reprit la fillette, je te passe mon chocolat aux noisettes. Tu peux sans doute le manger.

C'était gentil de la part de la petite fille.

Notre amie avait vraiment faim. Elle regarda le chocolat aux noisettes. Elle en respira la bonne odeur. Elle sentit comme un tourbillon dans son ventre vide.

Elle tenta d'ôter les noisettes du morceau de chocolat, mais sans succès. Alors, elle risqua d'en croquer un petit bout. Pour finir, elle en fit deux bouchées. Puis elle but un grand verre d'eau. Elle se leva et partit à la cour de récréation.

Madame la directrice revint vers trois heures de l'après-midi. On prit la photo de la princesse, du pirate et de notre amie en sa compagnie.


Puis arriva l'heure des mamans. Magali avait chaud en marchant vers la maison. Elle sortit la noisette foncée de sa poche et l'avala. Hélas, la fourrure ne disparut pas.

Chez elle, elle fondit en larmes.

-Pourquoi pleures-tu, ma chérie ?

-Je ne parviens pas enlever mon déguisement. Je ne veux pas rester un écureuil toute ma vie.

Maman tenta d'ôter la fourrure de sa fille, mais elle lui collait à la peau. Magali avait mal quand on tirait sur les poils, comme si on lui arrachait les cheveux.

-Si tu allais demander conseil à tes amis, ceux qui t'ont prêté le costume.


Magali sortit au jardin. Elle ouvrit la barrière, passa sur la route en terre et longea le champ de blé. Elle s'arrêta au pied d'un grand arbre. Elle appela trois fois son ami écureuil.

-Écureuil aux yeux très doux, écureuil aux yeux très doux, écureuil aux yeux très doux.

Il descendit de sa branche et observa la fillette.

-Tu as mangé autre chose que des noisettes. Tu ne peux plus ôter ta fourrure.

-J'ai juste avalé un morceau de chocolat et j'ai encore très faim, s'écria notre amie.

-Tu pouvais détacher et croquer les noisettes, précisa le petit animal, mais pas le chocolat.

Elle fondit de nouveau en larmes.

-Je ne veux pas rester un écureuil toute ma vie.

-Une solution existe, je crois. Écoute-moi bien, petite fille. Va t'asseoir dans le champ de blé. Observe les corbeaux. Il en vient souvent à cet endroit. Quand l'un d'entre eux s'envolera, suis-le bien des yeux et tâche d'apercevoir son nid. Lorsque tu l'auras découvert, tu grimperas jusque-là.

-Je n'y arriverai jamais. Je n'ose pas monter si haut.

-Pour le moment, tu es un écureuil. Donc tu peux même aller au sommet des arbres et sauter de branche en branche, si tu veux.

-Vraiment ? demanda la petite fille en souriant.

-Oui. Quand tu atteindras le nid, tu y découvriras une pierre, un caillou de toutes les couleurs.

-Tu crois ? s'étonna Magali.

-On trouve presque toujours une pierre de plusieurs couleurs dans le nid d'un corbeau. Il s'en sert pour aiguiser son bec. Prends-la et redescends de l'arbre. Cours au ruisseau et lave-la dans une eau bien pure, bien transparente. Ensuite, tu la mettras en bouche, mais ne l'avale surtout pas. Fais bien attention.

-Je devrai la garder longtemps ?

-Tu pourras la retirer de ta bouche lorsque tu entendras le même corbeau coasser trois fois. Alors, tu la prendras en main et tu la poseras sur le rocher blanc au milieu du champ de blé.

-C'est tout ?

-Non. Ensuite tu te cacheras de nouveau et tu attendras que ce corbeau s'empare de la pierre pour la reporter dans son nid. À ce moment-là seulement, ta peau d'écureuil disparaîtra.


Magali observa le champ de blé. Deux corbeaux semblaient s'y plaire. L'un deux s'envola et monta très haut dans un arbre. Notre amie l'observa et aperçut son nid.

Elle grimpa dans l'arbre. Au début, cela faisait très peur, mais elle réussit assez vite à sauter de branche en branche. Trop drôle !

Elle attendit qu'il parte. Elle s'empara aussitôt de la pierre de toutes les couleurs et redescendit de l'arbre. Elle courut jusqu'au ruisseau et lava le joli caillou. Elle le glissa tout mouillé dans sa bouche. Elle revint alors près du champ de blé, s'assit à l'ombre et patienta.

Le temps passait mais le corbeau ne croassait pas. Le soleil allait se coucher dans une heure. Magali ne voulait pas garder ce caillou en bouche jusque demain !

Soudain, le corbeau repéré lança son cri par trois fois. La fillette prit la pierre en main et courut la poser sur le rocher blanc. Quelques instants plus tard, l'oiseau s'en saisit et remonta vers son nid à tire-d'aile.

Magali sentit la fourrure d'écureuil disparaître peu à peu. Elle courut bien vite à la maison.

-Maman, papa, je suis débarrassée du déguisement.

-Tant mieux, ma chérie. Viens, tu vas m'aider à dresser la table pour le repas du soir.

-Oh oui, parce que j'ai très faim.


Magali conserve précieusement la photo sur laquelle on la voit déguisée en écureuil, à côté du garçon habillé en pirate, la fille en princesse et madame la directrice.

Chaque fois qu'elle la voit, elle songe qu'elle a failli devenir un écureuil pour toujours.