Magali
Retour Imprimer

Le Chien noir

     -Magali !

-Oui, maman.

La fillette accourut du fond du jardin.

-Magali, la fermière vient de me téléphoner. Trois petits agneaux et deux petits veaux sont nés. Tu peux aller les voir.

-Quelle chance! s'écria notre amie, en entrant dans la maison. Tu m'accompagnes maman?

-Non, ma chérie, je suis trop occupée. Mais tu sais y aller toute seule, ce n'est pas si loin. Trois cents mètres à faire et tu ne dois même pas traverser la route.

Magali, âgée de quatre ans et demi, est vraiment craquante dans sa salopette rouge et ses tennis bleus. Ses parents lui coiffent ses cheveux noirs en deux petites couettes qui dansent sur ses épaules quand elle bouge la tête.

À la ferme, la fillette eut le bonheur de prendre un agneau dans les bras et de caresser les petits veaux.

Après la visite, elle reçut un grand verre de lait. Puis, elle prit le chemin du retour vers sa maison.

Là, une incroyable aventure lui arriva...


Elle trottinait joyeusement au soleil, quand elle entendit une petite voix plaintive tout près d'elle. Elle chercha qui l'appelait et vit une tortue. La pauvre bête était couchée sur le dos, sur sa carapace. Elle remuait les pattes et la tête dans tous les sens mais elle ne parvenait pas à se retourner.

-S'il te plaît, petite fille, tu veux bien me replacer sur le ventre? Je ne réussis pas à le faire toute seule.

-Ça m'étonne, dit Magali en retournant la tortue sur le trottoir. Moi, quand je me couche sur mon dos, je parviens à me mettre à quatre pattes, sans difficulté.

-Oui, mais toi tu n'es pas une tortue. Tu ne portes pas une carapace sur le dos.

-Ce doit être lourd et ennuyeux, réfléchit notre amie, d'emmener tout le temps sa maison avec soi.

-Oh non, pas du tout! Et puis, surtout elle me protège bien. Tu sais, nous n'avançons pas très vite. Si je suis surprise par un orage, j'entre mes pattes et ma tête dans ma carapace, et je reste sans bouger bien à l'abri de la pluie. Et puis, si je rencontre un animal ou quelqu'un qui veut me faire du mal, je me réfugie dans ma maison et on ne peut plus m'atteindre.

-Tant mieux pour toi, sourit Magali. Je n'y pensais pas. Moi aussi, parfois, je voudrais profiter d'une carapace. Pour me protéger quand un garçon m'ennuie dans la cour de l'école.

-Tu aimerais en faire l'expérience?

-Je veux bien.

-Tu vois cette petite pierre jaune, là sur le trottoir?

La fillette observa un caillou jaune sur le bord du chemin.

-Prends-le, continua la tortue. Mets-le dans ta poche. Si un jour quelqu'un veut te faire du mal, saisis-le, serre-le bien entre tes mains en pensant à moi. Tu seras aussitôt recouverte par une carapace. Mais je t'avertis, cela ne durera que quelques minutes, profites-en bien.

-Merci, répondit Magali.

Elle ramassa la pierre jaune et la glissa dans la poche de sa salopette rouge.


Un peu plus loin, toujours en revenant chez elle, elle aperçut un hérisson. Il était coincé entre deux grosses pierres dans l'angle d'un mur et il ne parvenait pas à se dépêtrer de là. ll fallait qu'il fasse marche arrière, mais il ne semblait pas y penser.

-Au secours, gémissait le petit animal. Au secours. Nous, les hérissons, nous ne pouvons pas reculer. Nous ne faisons qu'aller de l'avant. Or, je ne peux plus avancer. Que vais-je devenir? Tu veux bien me tourner, s'il te plaît?

-Je vais t'aider, répondit notre amie, mais range tes piquants, sinon je vais me faire mal.

Il replia ses défenses le long de son corps. Magali le prit délicatement entre ses deux mains et lui fit un demi-tour.

-Merci, merci beaucoup.

-Moi, je n'aimerais pas être recouverte de pointes piquantes. Ça ne te chatouille pas?

-Oh non, répondit le hérisson. Et puis, lorsque quelqu'un m'attaque, je sors tous mes piquants. Alors, il se fait mal, il se sauve, et moi j'en suis débarrassé. C'est une belle protection contre ceux qui veulent m'agresser.

-En effet, songea notre amie. Moi aussi, il m'arrive que des garçons me poursuivent ou m'embêtent ou tirent mes couettes. Je souhaiterais bien de temps en temps me couvrir de piquants.

-Tu voudrais? Regarde là, par terre, cette pierre rouge et pointue. Prends-la. Mets-la dans ta poche et si, un jour, quelqu'un veut te faire du mal, saisis-la, serre-la bien dans tes mains en pensant à moi. Tu seras hérissée de piquants. Mais je te préviens. Cela ne durera que cinq minutes.

-Merci, répondit Magali.

Elle empoigna la pierre rouge et la glissa dans la poche de sa salopette au côté de la pierre jaune que la tortue venait de lui donner quelques instants auparavant.


Elle passa sur le petit pont qui enjambe un ruisseau tout près de sa maison. Se penchant par-dessus la balustrade, elle observa un poisson qui se débattait sur une pierre plate.

-Au secours, criait le poisson, au secours, je ne parviens pas à retourner dans la rivière. Je vais mourir étouffé si cela continue. Je ne respire pas dans l'air, moi. Je vis dans l'eau.

-C'est curieux, fit la fillette en s'approchant de lui. Moi c'est le contraire. Dehors, je respire très bien. Mais quand je suis dans l'eau, je ne peux pas. Et si on m'enfonce la tête dans la piscine, je risque de mourir étouffée.

Elle saisit le poisson et le glissa dans le courant du ruisseau.

-Je te remercie.

-Cela ne t'ennuie pas toutes ces écailles? demanda Magali, qui venait d'avoir un contact assez désagréable avec la peau du poisson.

-Oh non! Grâce à elles, je puis nager très vite.

-Ça, cela m'intéresse, dit notre amie, qui apprenait la natation à la piscine.

-Tu aimerais avoir des écailles?

-Oh oui, sourit la fillette. Pour aller dans l'eau.

-Alors, prends ce caillou blanc qui se trouve au fond du ruisseau, mets-le dans ta poche et si, un jour, tu souhaites avoir des écailles, saisis-le, serre-le bien entre tes mains en pensant à moi. Tu pourras nager aussi vite que tu voudras. Mais attention, l'effet durera seulement quelques minutes.

-Merci, cria Magali, mais le poisson était déjà parti.

Elle entra pieds nus dans l'eau du ruisseau, prit le caillou blanc et le glissa dans sa poche, à côté de la pierre jaune de la tortue et de la rouge du hérisson.


Tout près de chez elle, pendu à un arbre, un corbeau se débattait en poussant des cris énervés.

D'abord, Magali en eut un peu peur. Mais l'oiseau cessa de remuer. Elle observa que la patte du pauvre animal était prise dans une ficelle qui, pour une raison que nous ne savons pas, pendait à une branche de cet arbre.

-Cette corde me tient prisonnier. Je ne parviens pas à m'en dépêtrer. Peux-tu m'aider, petite fille?

-Ne bouge pas alors. Parce que tu me fais peur en remuant tes ailes dans tous les sens.

Notre amie s'approcha et avec beaucoup de patience, défit les nœuds et les tours de la ficelle. Le corbeau libéré se posa sur la branche.

-Comme tu es gentille! Et très jolie, aussi.

-Merci. Toi aussi. J'aime bien tes plumes bleu foncé. 

-Nous, les corbeaux, nous portons des plumes noires ou bleu foncé, cela dépend.

-Je te trouve bien élégant, comme dit parfois ma maman à mon papa. Est-ce agréable d'avoir des plumes?

-C'est très pratique, répondit l'oiseau et puis, cela me permet de voler. Tu n'as jamais rêvé de planer dans le ciel, toi?

-Si, répondit Magali. J'aimerais beaucoup pouvoir flotter en l'air avec les oiseaux, me poser tout en haut d'un arbre, aller d'un toit à l'autre.

-Je vais réaliser ton souhait. Prends là plus loin, sur le chemin, ce caillou noir comme mes plumes. Mets-le dans ta poche. Si, un jour, tu as envie de t'envoler, saisis-le, serre-le bien entre tes mains en pensant à moi. Tu seras couverte de plumes et tu pourras planer au-dessus des prés et des bois pendant cinq minutes environ. Mais ne vole pas trop haut car tu risquerais de te cogner aux avions.

-Merci, fit notre amie.

-Au revoir, salua le corbeau.

Elle glissa la pierre noire au côté de la jaune de la tortue, de la rouge du hérisson et de la blanche du poisson.


Magali allait arriver à sa maison, quand elle aperçut sur le trottoir et venant vers elle, un gros chien brun foncé, presque noir, et qui semblait très méchant. Ses dents pointaient. Il bavait, il grognait. Il regardait la petite fille avec des yeux agressifs. Elle eut très peur. Elle n'avait jamais vu cette bête-là.

-Pourvu qu'il ne vienne pas vers moi, murmura notre amie, et qu'il s'en aille.

Mais il s'approcha de la fillette.

Alors, effrayée, elle regarda en arrière et songea à se sauver. Elle savait pourtant qu'en s'encourant, elle n'échapperait pas aux crocs du chien. Il file plus vite qu'une petite fille.

Alors, elle plongea la main dans la poche de sa salopette rouge et saisit le caillou jaune de la tortue. Elle pensa très fort à son amie et se trouva en un coup entourée d'une carapace. Vite, elle entra ses jambes, ses mains et sa tête à l'intérieur de sa petite maison.

Le chien s'approcha, renifla et tenta de mordre dans cette carapace dans laquelle se trouvait Magali. Le seul résultat fut qu'il se cassa trois dents. II avait l'air furieux. Il tournait autour de la fillette en grognant férocement.

Notre amie se sentait bien à l'abri dans sa petite maison. Mais elle savait que l'effet n'allait durer que cinq minutes. Et ce chien ne partait pas...


Après un moment, elle glissa une seconde fois sa main dans la poche de sa salopette et en sortit la pierre rouge du hérisson. Elle la serra fort entre ses doigts et pensa à son ami. La carapace disparut mais fut aussitôt remplacée par une solide couverture hérissée de piquants.

Le chien, croyant sa proie enfin accessible, bondit vers Magali, mais heurta son museau aux nombreuses pointes. Il recula en aboyant. Il était encore plus enragé, à présent. Son museau saignait. Trois longs piquants s'y trouvaient enfoncés. Magali ne sentait rien.

Mais la fillette se souvint que l'effet ne durerait que cinq minutes. L'animal tournait en rond en bavant, en grognant, en hurlant. Elle appela, mais personne ne vint à son secours. Il n'y avait pas âme qui vive, semble-t-il, dans la rue à ce moment-là.


Alors, Magali songea au petit poisson. Vite, elle empoigna la pierre blanche dans la poche de sa salopette. Elle la serra bien fort entre ses mains et se retrouva couverte d'écailles.

Elle sauta d'un bond dans le ruisseau, et nageant très vite comme eux, elle se sauva bien loin. Le chien perdit la trace de la petite fille et partit chercher ailleurs une autre proie. Notre amie était sauvée. 

Elle finit par s'arrêter dans un petit étang dont elle sortit toute mouillée. Les écailles venaient de disparaître. Ses habits dégoulinaient et ses couettes aussi.

L'étang se trouvait au milieu des bois. Elle n'avait jamais marché toute seule aussi loin de chez elle.

Elle regarda les grands arbres autour d'elle et se demanda vraiment comment elle allait retrouver sa maison. Elle eut envie de pleurer.


Heureusement, elle glissa la main dans sa salopette rouge toute trempée et sortit la pierre noire, celle du corbeau. Elle la serra très fort, et se retrouva couverte de plumes.

Elle s'envola et passant au-dessus des arbres, elle aperçut son village et sa maison, à quelques centaines de mètres de là. Elle vola hardiment au-dessus de la forêt et vint atterrir dans son jardin.

Les plumes disparurent. Elle n'en garda qu'une. Elle la montra à sa maman qui eut bien de la peine à croire que sa petite fille s'était retrouvée entourée d'une carapace comme une tortue, puis couverte de piquants comme un hérisson, puis pleine d'écailles comme un poisson, et enfin, habillée de plumes comme un oiseau.

Magali conserve les quatre pierres, ainsi que la petite plume noire. En souvenir de sa belle aventure.