Magali
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Le silence des grenouilles

     Le soir, après le repas, Magali, vive, joyeuse, adorable, âgée de quatre ans et demi, prend sa douche puis met sa robe de nuit rose avec des petits rubans. Ensuite, elle se brosse les dents, puis elle va dans sa chambre.

Mais avant de se coucher, elle s'arrête devant sa fenêtre grande ouverte.

Elle écoute le chant des grenouilles, là-bas, près du ruisseau, au petit étang entouré de roseaux.

Elle les écoute chanter, en souriant.

Dans la journée, elle aime les regarder sauter sur les nénuphars pour poursuivre les libellules bleues.


Pourtant un soir, elle n'entendit rien. Les grenouilles ne chantaient pas.

- Que se passe-t-il? se dit tout haut Magali. 

Elle décida d'aller voir le lendemain.


En approchant de l'eau de l'étang, elle écouta les cris des canards, elle croisa deux libellules bleues.

Puis elle aperçut une grenouille qui se reposait sur un nénuphar au soleil. Elle l'appela trois fois.

- Grenouille verte! Grenouille verte! Grenouille verte!

- Oui?

- Pourquoi vous ne chantez plus? Je vous écoute tous les soirs, mais hier, je n'ai rien entendu.

- Nous ne chantons plus car nous sommes tristes.

- Pourquoi êtes-vous tristes? demanda la fillette.

- Nous sommes tristes car notre reine Coassette est morte.

- Que s'est-il passé? fit Magali.

- Un héron est venu à notre étang et il a mangé Coassette...

- Mon Dieu! murmura la petite fille. Et maintenant, qu'allez-vous faire?

- Nous allons élire une nouvelle reine. Elle s'appellera Atricette. Mais pour devenir vraiment la reine, elle doit porter toute une journée le collier des reines. Un collier de perles de toutes les couleurs. Hélas, nous ne savons pas où il se trouve. Seule Coassette le savait. Mais elle est morte... 


Une vieille grenouille s'approcha de notre amie.

- Moi, je sais quelque chose, dit-elle. La reine Coassette m'a un jour dit que ce collier se trouve dans un coffret placé dans un arbre creux, tout tordu et très vieux, plus loin dans la forêt. Mais je ne sais pas où. Et puis il faut une clé pour ouvrir ce coffret et je ne sais pas où elle est.

- Je crois savoir, dit une autre grenouille. La clé serait cachée dans la corolle, l'ensemble des pétales d'une fleur étrange, qui s'ouvre le soir et se referme le matin.

- Mais, réfléchit Magali, les fleurs ne font pas ça. C'est le contraire. Elles s'ouvrent le matin au soleil et se referment le soir quand il se couche...

- Oui, mais celle-là, elle ne fait pas comme les autres.

- Je me demande où on la trouve, murmura la fillette. Je vais demander à mon grand frère.


Elle revint à la maison et appela Arnaud. Il a huit ans. Notre amie a encore un autre frère, mais c'est un bébé. Il s'appelle Julien.

- Dis, Arnaud, tu connais une fleur qui s'ouvre le soir et se ferme le matin?

- Non, répondit le garçon. Mais viens, on va regarder sur l'ordinateur.

Après quelques minutes de recherche...

- Voilà, ça existe. C'est une fleur à pétales jaunes qui s'appelle « onagre ». 

Il montra une image à sa petite sœur.

- Tu sais où on en trouve?

- Non, je n'en ai jamais vu.

 


Magali sortit au jardin puis entra dans le champ de blé. Elle appela trois fois son ami le gentil lapin.

- Gentil lapin! Gentil lapin! Gentil lapin!

- Oui?

- Tu connais une fleur qui s'ouvre le soir et se ferme le matin?

- Non, répondit le petit animal. Je n'ai jamais vu ça. Demande à quelqu'un d'autre.


La fillette marcha jusqu'au bord du ruisseau. Elle s'arrêta sous l'arbre où niche l'écureuil aux yeux très doux. Elle l'appela trois fois.

- Écureuil aux yeux très doux! Écureuil aux yeux très doux! Écureuil aux yeux très doux! 

- Bonjour. Que veux-tu?

- Tu connais une fleur qui s'ouvre le soir et se ferme le matin?

- Oui, ça existe, mais je ne sais pas où tu peux en trouver.

- Merci, fit Magali.


Elle traversa le champ de blé et s'arrêta près du trou au fond duquel se trouve la vieille souris, celle qui répète toujours : c'est de ta faute. Elle l'appela trois fois.

- Vieille souris! Vieille souris! Vieille souris!

- Oui, dit-elle en pointant son nez dehors. Que veux-tu? C'est sûrement de ta faute.

- Ne commence pas, lança notre amie. Connais-tu une fleur qui s'ouvre le soir et se ferme le matin?

- Non. Et je ne crois pas que tu en trouveras. Et c'est de ta faute.


Magali s'éloigna et passa sous le grand arbre où vit la jolie pie. Elle l'appela trois fois.

- Jolie pie! Jolie pie! Jolie pie!

- Oui, j'arrive. Que veux-tu?

L'oiseau se posa sur une branche basse du cerisier où est installé son nid.

-  Connais-tu une fleur qui s'ouvre le soir et se ferme le matin?

- Oui. Tu en trouveras à la sortie du village. La dernière maison est abandonnée. Elle n'a plus de vitres aux fenêtres et la porte est cassée. Les fleurs que tu cherches se trouvent dans le jardin. Mais sois prudente. Parfois, des vilains méchants se cachent dans ce genre de maisons. N'y va pas toute seule.

- Merci jolie pie, dit notre amie en souriant.


Elle retourna à la maison et s'approcha d'Arnaud.

- Tu veux bien venir avec moi? La jolie pie me dit qu'il y a des fleurs onagre dans la maison cassée, au bout du village. Mais je n'ose pas y aller toute seule.

- D'accord, répondit le grand frère. Donne-moi la main, on y va.


Ils approchèrent doucement de la maison cassée. 

Ils écoutèrent, mais n'entendirent que le souffle du vent et les croassements de quelques corbeaux installés sur le toit. Ce n'était pas très rassurant.

Ils entrèrent après un moment d'hésitation.

Ils sentirent tout de suite une odeur de pourri. 

Le sol était jonché de détritus et de sacs poubelle éventrés.

Ils marchèrent sur les gravats, les morceaux de briques ou de ciment tombés du plafond.

Le jardin était envahi de ronces à picots et d'orties. 

Mais dans un coin ils aperçurent des plantes aussi hautes qu'eux. Ils observèrent des corolles de fleurs jaunes, fermées. Elles attendaient le coucher du soleil pour s'ouvrir. 

- Des onagres! murmura Magali.

- Voilà tes fleurs, dit Arnaud. Allons-nous-en. On reviendra ce soir pour les regarder s'ouvrir.


Ils retournèrent à la tombée de la nuit.

Les pétales jaunes se déplièrent un à un sous leurs yeux. Le spectacle était à la fois ravissant et étonnant.

Soudain, notre amie repéra une petite clé dans la corolle d'une des fleurs qui s'ouvrait.

- La clé du coffre qui contient le collier de la reine des grenouilles! lança la fillette.

Elle s'en saisit et la glissa dans la poche de sa salopette rouge.

Mais à présent, où se trouvait ce fameux coffre?

Magali revint à la maison avec son frère.


Le lendemain, elle retourna au champ de blé pour interroger le gentil lapin.

- Gentil lapin! Gentil lapin! Gentil lapin!

- Oui?

- J'ai trouvé la clé, mais sais-tu où se trouve le coffre?

- Je n'en ai pas la moindre idée, dit-il. Je ne l'ai jamais vu.


La vieille souris et l'écureuil aux yeux très doux ne le savaient pas non plus.

Mais la jolie pie avait une idée.

- Je crois, dit-elle, que tu trouveras ce coffre dans le bois, pas loin de l'étang aux grenouilles. Tu dois suivre le chemin qui vient du village et passer sur le petit pont de bois. Plus loin sur ta droite pousse un vieil arbre, un tilleul je pense. Il est très vieux et tout tordu. La foudre y a même creusé un trou au cours d'un violent orage. Je crois que la boîte en bois que tu cherches est cachée là.


Magali partit aussitôt sur la route en terre qui mène au bois.

Après avoir parcouru une centaine de mètres, elle s'approcha d'un vieil arbre tout tordu. Peut-être un tilleul. Elle n'était pas certaine. Elle tourna doucement autour et aperçut un trou dans le tronc.

Souvent, cela devient le nid d'un hibou ou d'un écureuil. Mais elle ne vit aucune trace d'animal. Ni plume ni poil.

Elle osa y plonger la main, espérant ne pas rencontrer une araignée ou une abeille et elle toucha le bord d'une boîte bien fermée.

Elle réussit à la sortir de ce trou et l'observa.

Une jolie grenouille verte était peinte sur le couvercle.

La fillette plongea la main dans la poche de sa salopette et saisit la clé. Elle l'introduisit dans la serrure et tourna. Elle ouvrit la boîte.

Elle contenait un petit collier composé de ravissantes perles de toutes les couleurs.

- Le collier de reine des grenouilles! lança notre amie. Chic!


Magali courut aussitôt au bord de l'étang et appela Atricette.

La grenouille arriva en sautant sur les nénuphars.

- Voici ton collier de reine, dit la fillette.

Elle le glissa autour du cou de la grenouille.

Toutes les autres, une centaine, s'approchèrent et regardèrent.

- Vive notre nouvelle reine! lancèrent-elles en chœur. Vive la reine Atricette.

- Merci, dit la nouvelle reine. Merci! Merci!


Notre amie retourna chez elle très contente.

Au soir, les grenouilles reportèrent la boîte avec le collier au creux de l'arbre tordu. Puis elles replacèrent la petite clé dans la corolle jaune d'une fleur onagre qui s'ouvrait à la nuit.


Ce même soir, après le repas, Magali prit sa douche, se brossa les dents, mit sa robe de nuit rose et s'arrêta devant sa fenêtre ouverte. Le ciel se remplissait d'étoiles.

Elle écouta le chant des grenouilles, là-bas, à l'étang.

- Quel bonheur! dit-elle en souriant.

Puis elle se coucha et s'endormit très heureuse.